Né il y a plus de vingt ans, Redemption a su devenir, malgré un line up assez changeant, l’une des valeurs sûres du metal progressif US. Il doit cette reconnaissance (demeurée étonnamment en deçà de la notoriété méritée) à la fois au talent individuel de ses membres à la renommée souvent déjà bien établie et à l’excellence des compositions de Nick van Dyk. Sous ses allures de supergroupe – il a notamment compté dans ses rangs Corey Brown de Magnitude 9, Ray Alder de Fates Warning, Jason Rullo de Symphony X et Bernie Versailles d’Agent Steel –, Redemption a rapidement forgé son style propre, caractérisé par un équilibre parfaitement mesuré entre agressivité et calme, frontalité et complexité, puissance et mélodie. En 2017, suite au départ de leur précédent chanteur, les Américains sont allés chercher de l’autre côté de l’Atlantique leur nouvelle voix en la personne de Tom S. Englund. Un choix qui pouvait étonner, la teneur musicale de Redemption paraissant assez éloignée des tendances mélancoliques d’Evergrey. Pourtant, dès Long Night’s Journey Into Day, sorti il y a cinq ans, le Suédois avait su donner raison à cette collaboration qui permettait de découvrir d’autres facettes de ses capacités.
Entre la fougue combative et la lourdeur sombre du titre éponyme, tout en incisifs riffs thrashy, et l’introduction explosive de « Seven Minutes From Sunset », marquée par une déferlante rythmique et par le dialogue sous forme de soli échevelés, l’entame de l’album est placée sous le signe d’une énergie frontale. Elle s’inscrit en cela dans la teneur assez lourde et musclée du prog metal pratiqué par Redemption. Cependant, c’est bien encore, en matière d’humeur, un dosage quasi parfait qui domine au fil des morceaux, chacun dévoilant des aspects complémentaires : la redoutable efficacité de « I Am The Sorm » et de « Resilience », l’inventivité prog de « Remember The Dawn » et « Action At A Distance », la capacité d’accroche du refrain de ce dernier, etc. Cet équilibre se vérifie en revanche moins sur le plan instrumental. Principal compositeur et fondateur du groupe, le guitariste Nick van Dyk met son instrument à l’honneur (y compris par le biais des contributeurs invités à exécuter des soli : Simone Mularoni, Chris Poland et Henrik Danhage), au détriment un peu trop souvent du reste des musiciens, pourtant tous excellents. Il en résulte un autre léger défaut de cet album : sa tendance à déraper vers une démonstrativité que le groupe avait jusque-là su éviter. La nature progressive de la musique de Redemption est synonyme de technicité, en particulier en ce qui concerne les parties de guitare et celles-ci franchissent parfois ici la limite entre apport réel et étalage de savoir-faire, comme en témoignent quelques soli plus impressionnants qu’émouvants.
Pourtant, la qualité mélodique et l’émotion affleurent souvent. Indéniablement présentes dans les compositions, elles pourraient transparaître davantage dans l’interprétation : Tom S. Englund ne démontre pas la même passion ni la même intensité que dans Evergrey, se contentant sur certains titres comme « I Am The Storm » d’un chant étonnamment retenu, et les claviers de Vikram Shankar sont parfois un peu noyés dans le mix. Il faut attendre les morceaux les plus progressifs pour que ces qualités se révèlent pleinement. Ainsi, « Remember The Dawn » atteint peu à peu, sans freiner les élans développés jusque-là, une qualité cinématographique grâce à l’apport de chacun, des mélodies de claviers virtuoses aux complexes parties de batterie. Le haletant et épique « Action At A Distance » laisse Tom S. Englund déployer le poignant nuancier de son timbre et d’envoûtantes parties de synthé – jusqu’à une partie orchestrale homérique – s’insérer entre les soli de guitare toujours bavarde. Malgré la large place occupée par les guitares, il faut d’ailleurs noter celle qui est également accordée aux claviers dans cet album, Vikram Shankar – qui signe son premier disque avec Redemption – marquant de sa présence la plupart des morceaux et ayant contribué à la composition de plusieurs d’entre eux. Il a notamment écrit « The Emotional Depiction Of Light », un morceau particulièrement touchant qui s’érige peu à peu, déployant une teneur atmosphérique et lumineuse inhabituelle chez Redemption. Transformé par l’addition des parties de guitare dans sa version retenue, il figure en fin d’album dans sa version originale, telle qu’écrite par le claviériste.
Redemption n’est jamais aussi bon que lorsqu’il parvient à la synthèse parfaite de ses différents talents. « All This Time (And Not Enough) » en est un parfait exemple. Sans se mettre en retrait, le jeu de Nick van Dyk s’y harmonise idéalement avec la section rythmique tenue de main de maître par Chris Quirarte et Sean Andrews (qui s’offre même un solo de basse slappée) et ses riffs gagnent en sensibilité ce qu’ils délaissent en technicité. Vikram Shankar y dispense de superbes parties de clavier et Tom S. Englund bénéficie de tout l’espace nécessaire à sa riche expression, délivrant même quelques lignes vocales d’une agressivité qu’on lui avait rarement entendue. Fidèle à son habitude des reprises, le groupe en offre deux dont les amateurs de Genesis apprécieront l’ironie, puisqu’il réunit « Turn It On Again », un morceau emblématique de la période Phil Colins, et « Red Rain » de Peter Gabriel. La version acérée et revigorée du premier constitue un hommage adéquat de la part d’un groupe qui plonge ses racines autant dans le rock progressif que dans le metal. Malgré ses quelques aspects perfectibles, I Am The Storm est une nouvelle réussite qui s’ajoute à la discographie de Redemption, un album dans lequel tout amateur de metal prog est assuré de trouver ce qu’il apprécie dans ce genre, que ce soit l’énergie, la complexité, la puissance, la mélodie, la technicité ou l’émotion.
Clip vidéo de la chanson « Remember The Dawn » :
Clip vidéo de la chanson « Seven Minutes From Sunset » :
Lyric vidéo de la chanson « I Am The Storm » :
Album I Am The Storm, sortie le 17 mars 2023 via AFM Records. Disponible à l’achat ici