Certes Redemption a perdu, avec le départ de Ray Alder, un chanteur de standing. Mais à côté des épreuves déjà traversées par le groupe – le leader Nick Van Dyk victime d’un virulent cancer en 2009 ou le guitariste soliste Bernie Versailles se remettant encore d’un anévrisme -, ce contretemps fait presque figure de non-événement. D’autant que le groupe a brillamment réussi à retomber sur ses pattes en intégrant dans ses rangs ni plus ni moins que Tom Englund, frontman d’Evergrey, à la voix chaude et chargée en émotion.
Car il faut dire que, si Redemption galvanise par ses riffs et éblouit par sa technique sur son septième album, intitulé Long Night’s Journey Into Day, pour eux c’est avant tout l’émotion qui prime, ainsi que la pertinence avec des thèmes universels sur la condition humaine. Nous avons joint par téléphone Nick Van Dyk – guitariste mais aussi principal compositeur et parolier du groupe – pour qu’il nous parle de tout ceci, en particulier de son rapport à la vie comme à la musique.
« S’il y a un thème associé à notre musique, c’est qu’il y a des parts de la vie qui sont très dures, il y a la douleur, la perte, la lutte, la peur et toutes ces autres choses qui font que c’est un défi d’être un humain en bonne santé, mais il y a aussi des parts merveilleuses dans la vie, et on peut apprendre de presque n’importe quelle expérience, et si on s’ouvre comme il faut, la plupart des choses aboutissent à une conclusion assez merveilleuse. »
Radio Metal : Vous vous êtes séparés du chanteur Ray Alder parce qu’il n’était plus en mesure de participer activement à Redemption. Tu as dit que « c’est juste devenu intenable. » Pourquoi ? Quel était le problème ?
Nick Van Dyk (guitare) : Je pense que ça faisait un petit moment que ça couvait, et il se peut que ça n’ait pas été entièrement son choix. Je n’ai pas envie de parler de la diplomatie derrière ça, car je travaille soixante heures par semaine, et ce n’est pas comme si je prenais quatre mois de congés pour tourner, donc nous n’avions pas de grande exigence à ce niveau-là. Je ne pense pas que ça aurait été un problème, mais à un moment donné, s’il sentait qu’on lui mettait la pression pour limiter son apport créatif à Fates Warning, alors ainsi soit-il, c’est un choix qu’il devait faire. Et en y repensant… J’ai lu une interview où il disait que The Art Of Loss a été conçu comme : « Oh, on a juste enregistré une chanson et puis nous avons fait une autre chanson, tout d’un coup nous avions un album de prêt. » Non. C’était planifié [rires], comme n’importe quel autre album. Donc je pense qu’on lui mettait la pression depuis un certain temps pour ne pas être impliqué avec nous, ça remonte peut-être même à l’album précédent ou au moins aux concerts après ça. Donc à un moment donné, si ce n’est plus amusant, si ça ne fonctionne plus, et si Ray n’est plus en mesure de se consacrer à quelque chose avec passion, ça finira pas se voir dans sa prestation. J’étais ami avec Ray avant, nous avons fait cette musique et je suis toujours ami avec Ray, et c’est ainsi. Nous avons fait de supers trucs ensemble et je ne lui souhaite rien que du succès.
Ray étant un grand chanteur ayant placé la barre assez haute, quelle était votre état d’esprit quand vous avez commencé à chercher un nouveau chanteur ? Etiez-vous confiants ?
Je ne dirais pas que nous n’étions pas inquiets. Je veux dire que Ray est évidemment un chanteur emblématique et il nous convenait particulièrement bien. Donc, nous avons passé en revue une liste de chanteurs, et on ne peut pas simplement avoir un bon chanteur dans ce groupe, car compte tenu des sujets sur lesquels nous écrivons, il faut que ce soit quelqu’un ayant une expression très émotionnelle, parce que soit tu ressens les paroles, soit pas. Donc nous avions besoin de quelqu’un qui n’est pas qu’un bon chanteur mais qui pourrait vraiment s’investir dans les thématiques des chansons et être crédible. Je ne veux pas balancer des noms, mais il y a des chanteurs… Tu sais, tu prends un groupe de power metal qui a un super chanteur lyrique, même s’il est excellent, ce n’est pas ce qui conviendrait le mieux à notre musique. Donc il nous fallait quelqu’un qui serait un super chanteur mais qui pourrait aussi vraiment s’engager émotionnellement dans sa manière de chanter. Et évidemment, Tom coche ces deux cases, et en plus, c’est quelqu’un que je connais depuis longtemps, et nous avons beaucoup de respect professionnel l’un envers l’autre ainsi qu’une amitié, et donc il était le nom en tête de liste et je trouve que ça a magnifiquement marché.
Tom vient de Suède alors que Redemption est un groupe américain. N’as-tu pas peur que, Tom et le groupe étant sur deux continents différents, cela complique cette collaboration, sans compter que Tom est très actif, à écrire et tourner, avec son groupe Evergrey ?
Ouais, écoute, c’est évidemment une considération à avoir et un défi, et c’est quelque chose dont nous avons dû discuter en amont. Mais, d’une certaine façon, ce n’est pas si différent de la situation avec Fates Warning. Je suis fan d’Evergrey et je respecte l’engagement de Tom envers ce groupe, et je sais que c’est prioritaire, mais je l’ai dit un peu plus tôt : ce n’est de toute façon pas comme si je pouvais partir tourner pendant quatre mois dans l’année. Nous sommes un groupe qui va faire un album tous les dix-huit mois et nous jouerons une douzaine de concerts en soutien de cet album avant de passer à la chose suivante. Donc ça devrait pouvoir coïncider avec les obligations de Tom envers Evergrey ainsi que ses autres contraintes dans la vie. Il a une famille, après tout, et d’autres projets musicaux. Par rapport à la logistique avec la Suède, c’est cher, il faut lâcher pas mal d’argent pour régler le problème et nous sommes en train de nous en occuper en ce moment-même, pour obtenir les visas et tous ces trucs. Effectivement, ça implique des coûts supplémentaires, donc c’est quelque chose à prendre en compte. Mais nous ne faisons pas ça pour l’argent, déjà [rires]. Ce serait bien plus facile si nous vivions tous à Los Angeles, mais ça ne concerne pas que Tom. Nous collaborons aussi avec Simone [Mularoni] de DGM et il vient d’Italie. Donc il est clair que c’est un effort, mais je trouve que ça en vaut la peine.
Vous avez aussi recruté Vikram Shankar aux claviers. Jusqu’à aujourd’hui, c’était majoritairement toi qui jouais le clavier, donc qu’est-ce qui vous a fait ressentir le besoin maintenant d’avoir un membre supplémentaire pour gérer ça ?
Ouais, nous avons eu un mec formidable, Greg Hosharian, qui a joué du clavier sur notre album Snowfall et il a tourné avec nous sur la tournée avec Dream Theater. Particulièrement en live, ça nous facilite vraiment les choses d’avoir un très bon claviériste, parce que je suis compétent mais je préfère jouer de la guitare, et je ne peux pas faire les deux, c’est sûr. Et nous ne voulons pas être un groupe qui balance un tas de trucs sur bande, car nous essayons de tout faire en vrai. Donc c’est quelque chose qui me trottait dans la tête depuis un moment. Nous sommes toujours en contact avec Greg et nous voulions voir s’il pourrait éventuellement revenir. En réalité, il se consacre à fond à la musique arménienne, autant populaire que classique, parce que son père était un compositeur et le chef d’orchestre d’un orchestre arménien à Los Angeles. Il se concentre donc là-dessus, ce que je respecte, et nous nous étions préparés à faire sans, comme nous l’avons fait sur les albums où je jouais les claviers et ensuite où nous trouvions une solution pour les concerts. Mais Tom m’a présenté Vikram, et j’ai tout de suite été époustouflé par son talent. Pas seulement au niveau de son jeu mais aussi de la composition. Nous avons donc trainé pendant un moment, et nous l’avons fait venir pour rencontrer le reste du groupe. Il a bricolé des choses sur notre album qui autrement était fini et il était évident que nous pensons de la même manière d’un point de vue composition. Donc si nous écoutions quelque chose, il l’assimilait en prenant la même direction que moi, peut-être un tout petit peu différemment. Le gars a étudié la musique de façon très intensive, donc d’un point de vue composition, j’ai trouvé que ce serait une super manière d’apporter de nouvelles idées au groupe. Donc il colle parfaitement et nous sommes incroyablement excités qu’il joue avec nous, et encore plus excités pour le prochain album qu’il soit impliqué dans l’écriture.
« Les expériences des gens auront tendance à valider leur vision du monde, donc […] une personne avec un point de vue négatif dira ‘tout ira mal’, une personne avec un point de vue positif dira ‘tout ira bien’, et ça devient une sorte de prophétie auto-réalisatrice. »
Avec Long Night’s Journey Into Day, vous avez pris le nom de la pièce d’Eugene O’Neill Long Day’s Journey Into Day et l’avez inversé. Qu’est-ce que cette pièce représente pour toi ?
Merci d’avoir remarqué la référence, soit dit en passant, car parfois les gens ne pigent pas nos références. C’est marrant, j’étais au courant de l’existence de la pièce. Je n’ai pas vu le film ou lu la pièce jusqu’au bout. Je sais de quoi ça parle. Ce qui m’a le plus intrigué était simplement le titre et le fait que c’est cohérent avec… S’il y a un thème associé à notre musique, c’est qu’il y a des parts de la vie qui sont très dures, il y a la douleur, la perte, la lutte, la peur et toutes ces autres choses qui font que c’est un défi d’être un humain en bonne santé, mais il y a aussi des parts merveilleuses dans la vie, et on peut apprendre de presque n’importe quelle expérience, et si on s’ouvre comme il faut, la plupart des choses aboutissent à une conclusion assez merveilleuse. Du coup, ça colle à Long Night’s Journey Into Day, qui est un titre sympa que j’avais en tête. Voilà grosso-modo l’étendue du lien. Je l’avais dans ma tête depuis quelques années, nous cherchions des idées pour le nom de l’album et celle-ci est restée.
C’est important pour toi de prendre la vie pour ce qu’elle est, avec le bon et le mauvais ?
Chacun a sa propre psychologie. Ce que j’ai en partie appris de mes expériences est qu’il y a quelque chose dans le fait d’avoir un état d’esprit positif qui influe sur notre santé, parce que le cerveau est un organe parmi d’autres dans le corps et il interagit avec notre système immunitaire et d’autres choses, et ça influence certainement le reste de notre vie. Si quelqu’un est constamment dépressif, les autres gens ne voudront pas être dans son entourage, ce n’est pas marrant. Ça signifie que si on est constamment dans un état d’esprit négatif, ou s’il n’est pas agréable d’être à nos côtés, on aura moins d’opportunités, moins d’amitiés, moins de relations romantiques, moins d’opportunités de carrière et peut-être une relation plus compliquée avec notre famille. Donc je ne suggère pas que les gens doivent vivre en affichant un sourire stupide, mais lorsqu’on te dit que tu as une leucémie et que tu n’as plus que trois ans à vivre, soit tu dis « je vais tout faire pour combattre ça et vivre chaque jour », soit tu dis « l’univers, je t’emmerde » et restes très négatif, or ces gens ont tendance à ne pas très bien s’en sortir.
Mais si on idéalise trop la vie, il y a des chances qu’on se retrouve constamment face à des désillusions…
Je ne sais vraiment pas. Je pense qu’il y a des gens qui idéalisent la vie et eux-mêmes, et certains d’entre eux sont probablement déçus et d’autres ne le sont probablement pas. Et je pense qu’il y a des gens pessimistes qui pourraient être agréablement surpris de temps en temps… Ceci dit, ce qui est intéressant, maintenant que j’y réfléchis, car je n’avais pas vraiment de réponse toute prête à cette question… Je pense que si tu es une personne positive et que tu es agréablement surpris par quelque chose, ça aura un meilleur impact sur toi que si tu es quelqu’un de négatif et que tu es agréablement surpris ; tu te diras « bon, demain, ce sera de nouveau une journée merdique, » contrairement à une personne positive… Je suppose que les expériences des gens auront tendance à valider leur vision du monde, donc si on cherche à ce que quelque chose soit bon ou mauvais, et que ça l’est et tu y places tes attentes, une personne avec un point de vue négatif dira « tout ira mal », une personne avec un point de vue positif dira « tout ira bien », et ça devient une sorte de prophétie auto-réalisatrice.
Est-ce que ta vision de la vie serait une conséquence du cancer contre lequel tu t’es battu il y a quelques années ou ça date d’avant ça ?
Ça vient de la maturité, du fait d’avoir une famille et des enfants, et ces expériences qui te font un peu réfléchir sur la vie. Ca a très certainement été influencé par ce que j’ai vécu avec le cancer. Je pense que ce qu’il faut retenir est qu’il y a des millions de choses aujourd’hui susceptibles de t’énerver, et la plupart n’ont pas beaucoup d’importance. En particulier, j’ai une personnalité de type A et fut un temps où j’étais extrêmement impatient. Un exemple : dans ce pays, si tu laisses ta voiture dans un parking et que tu perds ton ticket, tu peux te retrouver à devoir payer vingt dollars au lieu de trois dollars. C’est le genre de chose qui pourrait vraiment t’irriter. Et ensuite, j’ai réalisé que ça n’a pas vraiment d’importance ; je préfèrerais ne pas me parquer avec les dix-sept dollars supplémentaires mais je ne vais probablement pas me rappeler que ça s’est passé deux jours plus tard, donc pourquoi m’énerver à propos de ça maintenant ? Et je pense qu’il y a beaucoup à dire sur les centaines de choses aujourd’hui qui peuvent nous embêter, sachant lesquelles importent vraiment et se concentrant dessus, et ne laissant pas le reste nous stresser. Aussi, je dis ceci en étant dans une situation très chanceuse, car il semble que le traitement contre le cancer a marché pour moi. J’ai donc conscience que c’est un peu plus facile d’être positif quand les choses marchent bien [rires].
Tom était déjà connu pour chanter au sujet de la condition humaine et il apporte clairement une mélancolie supplémentaire inhérente à sa voix et sa façon de chanter. Dirais-tu qu’il apporte une nouvelle dimension à ces thèmes dans Redemption, qu’il est encore plus en phase avec ce que tu veux véhiculer avec ta musique ?
Comme je disais plus tôt, c’est certainement un facteur important et ce qui fait en partie de Tom un chanteur parfait, le fait que nous écrivons au sujet des mêmes choses et qu’il chante avec une immense conviction émotionnelle. Je blague un peu en disant que la météo à Los Angeles est plus sympa qu’à Göteborg, donc nous avons une fin heureuse dans certaines de nos chansons [rires]. J’ai donc dit que ce sera comme Evergrey mais en trente pour cent moins déprimant. C’est super que nous choisissions tous les deux d’écrire au sujet des mêmes concepts. Tom n’a pas envie de chanter à propos de dragons et de licornes, et je n’ai pas envie d’écrire ce genre de textes. Donc, il est clair que ça aide que nous venions tous les deux du même monde.
Tom est un compositeur et guitariste très complet. Est-ce que ça a fait une quelconque différence au niveau de la composition de l’album ?
Ca a fait une petite différence et ça fera une plus grande différence à l’avenir. Nous avons dû être conscients de ne pas sonner exactement comme Fates Warning lorsque Ray chantait avec nous. Nous ne voulons pas non plus sonner exactement comme Evergrey. Je ne pense pas que Tom veuille sonner exactement comme Evergrey. Ce qui m’a en partie convaincu qu’il rejoigne le groupe est que c’était une occasion d’aller plus loin et faire les choses un peu différemment. Donc, il ne veut pas jouer de la guitare pour nous et ça n’est pas un problème, et il ne veut pas être un compositeur principal, et je pense que c’est une bonne chose parce qu’il faut que ça sonne comme Redemption. Il faut que je sois le point de départ. Mais il est venu et a opéré quelques changements dans une ligne de chant ici et là, et a ajouté un paquet de trucs en termes de chœurs, de questions-réponses et d’arrangements. Je crois que c’est à ce niveau qu’il aura la plus grande influence. Donc entre son influence ici et celle de Vikram là, je pense que ça sonnera toujours comme Redemption, car ça commencera avec mes idées. Mais je pense que ça amènera à des choses nouvelles et intéressantes.
« Je blague un peu en disant que la météo à Los Angeles est plus sympa qu’à Göteborg, donc nous avons une fin heureuse dans certaines de nos chansons [rires]. J’ai donc dit que ce sera comme Evergrey mais en trente pour cent moins déprimant. »
C’est important pour toi que la musique de Redemption commence avec tes idées ?
Pas d’un point de vue égoïste mais pour s’assurer que nous sonnions comme Redemption. Même quand nous évoluons, les idées initiales devraient probablement commencer avec moi, mais je suis très ouvert d’esprit et intéressé par voir comment Vikram et Tom changeront les choses. Ils sont tous libres d’apporter des idées à Redemption. Lorsque Bernie jouait de la guitare avec nous, s’il avait une idée pour une chanson, je ne voulais jamais qu’il se dise : « Bon, est-ce que je donne ça à Agent Steel – qui est son autre groupe – ou je le donne à Redemption ? » Pareil pour Ray. Grand dieu, s’il était arrivé avec une idée de chanson, qu’il était crédité comme en étant l’auteur, et que quelqu’un d’autre s’était mis en colère parce qu’il ne l’avait pas donné à Fates, ça aurait été une mauvaise situation. J’ai donc toujours senti que je devais y être ouvert, mais ne pas demander d’idée initiale aux autres, ensuite envoyer même les toutes premières ébauches de chansons à mes collègues et leur demander leur avis. Donc ce sera plutôt : j’aurais trois idées à moitié formées, je les ferais passer à Vikram en disant « construisons à partir de ça, » et ensuite peut-être que tous les deux nous obtiendrons quelque chose, et ensuite nous le donnerons à Tom, qui l’arrangera un peu plus, et après nous l’enverrons aux autres, et nous finirons tous le travail, ferons des changements ici et là.
On dirait que tu as durcis le ton au niveau des riffs. Je ne suis pas sûr si ce sont les riffs eux-mêmes qui donnent cette impression ou la façon dont Jacob Hansen a produit l’album, mais était-ce délibéré d’avoir ce côté plus heavy, plus tranchant ?
Nous essayons toujours de trouver le son que nous entendons dans nos têtes. Geddy Lee de Rush a dit « on ne finit jamais un album, on nous l’enlève. » Donc nous entendons toujours des choses que nous voulons changer et améliorer, et nous poursuivons cet objectif. Nous sommes un groupe très difficile à mixer. Laisse-moi revenir en arrière. Je pense que ce qui en partie fait de notre son ce qu’il est, est que nous combinons ce riffing très heavy et agressif avec des mélodies fortes, et nous avons suffisamment de technicité pour qu’on nous qualifie de metal progressif, mais toujours au service de la chanson, ce n’est pas deux minutes à ne faire que des gammes. Et ensuite, il y a ce côté cinématographique dans certains de nos trucs, avec des cordes et éléments orchestraux. Tous ces ingrédients doivent s’imbriquer pour que ça sonne comme nous. Il n’y a pas tant de groupes qui ont ce niveau de riffing agressif et de mélodie. Evergrey en est un exemple, justement. Un groupe comme Nevermore : un riffing vraiment heavy, un côté relativement mélodique. Mais il n’y a pas énormément de groupes dans cette veine et j’aime l’unicité que ça nous donne. Jacob a un son relativement moderne dans ses mixes qui est phénoménal. Nous avons dû pas mal ajuster ça parce qu’il y a trop de choses qui se passent dans Redemption. On ne peut pas nous mixer comme on mix un album d’Amaranthe ou d’Evergrey. Pour qu’un album soit heavy, généralement, tu as la basse qui fait la même chose que la guitare, or c’est rare que nous fassions ça. La partie la plus heavy sur notre album est sur la reprise de U2, le dernier couplet où c’est juste « tam-tam-tam-tam-tam », mais la basse joue la même chose que la guitare et c’est vraiment heavy, même si ce n’est pas un riff particulièrement agressif. Mais sur le reste de l’album, en grande partie, la basse joue en contrepoint avec la guitare, elle ne joue pas la même ligne, c’est un instrument à part entière. C’est aussi une basse six-cordes, ce qui signifie que les basses fréquences empiètent sur les fréquences de la grosse caisse et les notes aigues empiètent sur les fréquences de la guitare. C’est donc difficile de mixer tout ça et obtenir cette combinaison de puissance et de quelque chose de chaleureux, et il faut aussi qu’on comprenne tous les instruments en même temps, ça a donc pris longtemps à mixer. Ceci dit, je trouve vraiment que le résultat que nous avons obtenu est un son très heavy qui laisse quand même de la place à la mélodie et permet d’entendre toutes les parties.
Mais d’un point de vue composition, as-tu l’impression d’avoir durci le ton au niveau de ta guitare ?
Certaines de nos chansons sont assez agressives et directes, et avec le titre d’ouverture sur cet album, je voulais foutre un bon coup dans les dents des gens et déclarer que nous avons une énergie renouvelée avec notre nouveau chanteur et que nous ne sommes pas prêts de disparaitre. C’est exactement comme quand « Neon Knights » était la première chanson post-Ozzy que les gens ont entendu de Black Sabbath, une chanson qui te prend à la gorge. Nous avons donc toujours eu des chansons comme ça, et sur notre précédent album, la chanson éponyme est assez heavy dans cette veine. La chanson « Thirty Silver » est assez heavy aussi. Et ensuite, nous avons des chansons qui sont un peu plus du metal mélodique, et « Someone Else’s Problem » sur cet album tombe un peu dans cette catégorie, tout comme « Damaged » sur l’album précédent. Et puis nous avons des choses plus progressives et cinématographiques dans des chansons comme « Indulge In color », ou la chanson éponyme sur cet album. Il y a plusieurs choses différentes. Le riffing et les chansons heavy ont toujours été là. C’est la production, je pense, qui est un peu plus costaude cette fois.
Tu as déclaré que « souvent, le moteur derrière certaines de [vos] plus longues chansons n’est pas la musique mais les mots. » Dirais-tu que faire de la musique est ta façon de structurer ta réflexion et donner du sens aux mots ?
Les gens ont dit que c’était autobiographique, or ça ne l’est pas, si ce n’est l’album qui a été influencé par mon traitement contre le cancer, et même là, j’ai pris des mesures pour essayer de faire en sorte que ça ne parle pas que de moi, car nous essayons vraiment d’écrire à propos de choses communes à tout le monde. Donc, j’espère que tu n’auras jamais à affronter le diagnostic d’un cancer, mais à un moment donné, en étant un être humain intelligent, il arrivera quelque chose qui te fera considérer ta propre mortalité. Aucun de nous ne vivra éternellement. Et donc le fait d’être face à face avec ça est quelque chose dans lequel tout le monde se reconnaîtra à un moment donné. Comme « Someone Else’s Problem », ça parle de l’idée que quand on a une relation avec quelqu’un, et ça pourrait être une relation romantique, amicale, familiale ou professionnelle, on a tendance – surtout lors de la période d’état de grâce initiale – à se trouver des excuses pour le comportement des gens qui pourrait nous embêter. Et lorsque cette relation prend fin pour je ne sais quelle raison, il se peut qu’on passe en partie à côté de ça, mais on a aussi conscience que maintenant, on n’a plus à gérer ces soucis, c’est désormais le problème de quelqu’un d’autre. Je suis marié depuis vingt-cinq ans, donc ce n’est évidemment pas à propos d’un mariage qui a échoué, parce que je n’en ai aucune expérience. Mais je pense qu’on peut tous s’identifier à ce concept parce qu’on l’a tous vécu à un moment dans notre vie. Mais pour ce qui est de comment ça se créé, tout dépend de la chanson. Généralement, j’écris d’abord la musique, et ensuite j’aurais une mélodie par-dessus laquelle je vais chanter des bêtises. Et il se peut que j’aie une idée de titre pour la chanson ou de sujet que je veux que la chanson traite, et ensuite j’écrirais les paroles en dernier. Très rarement, il y a des fois où j’aurais une mélodie et des paroles dans ma tête, et ensuite j’enroulerais le reste de la chanson autour de ça. Les idées pour les chansons… Il se peut que je sache que je veux écrire une chanson à propos de trahison, d’abord, par exemple. J’aurais ça en tête pendant que j’avance et forme les textes pour ça, mais généralement les paroles viennent à la fin.
« Il y a des groupes, et je tairais leur nom, chez qui tu entends qu’ils ne se refusent rien. […] Ils ont vraiment besoin d’un producteur qui vienne leur dire : ‘Vous n’avez pas besoin de ça, telle section devrait être deux fois plus courte, tette section devrait être plus concise.' »
Il y a une diversité de longueurs de chansons, y compris des chansons assez longues, comme vous en avez toujours eu, mais tu as déclaré que tu ne veux « jamais qu’une chanson donne l’impression de se traîner, qu’elle fasse quatre ou quinze minutes. » Trouves-tu que c’est un défaut courant chez les groupes de progressifs ?
Ouais. Parfois, il y a de longues chansons qui sont absolument fantastiques. Voilà un exemple : l’album The Divine Wings Of Tragedy de Symphony X a une chanson de vingt-trois minutes, ou « the Odyssey » est une autre de leurs chansons, et lorsque ça fonctionne, c’est génial. Il y a des groupes, et je tairais leur nom, chez qui tu entends qu’ils ne se refusent rien. Il peuvent par exemple avoir une intro de deux minutes dans une chanson, pendant laquelle ça ne fait que faire monter la tension, et ils ont vraiment besoin d’un producteur qui vienne leur dire : « Vous n’avez pas besoin de ça, telle section devrait être deux fois plus courte, tette section devrait être plus concise. » Ta capacité de concentration flanche, et c’est beaucoup demander à l’auditeur. Nous commençons toujours en pensant que nous allons faire un album de cinquante-trois minutes et nous nous retrouvons avec soixante-cinq minutes ; je ne crois pas que nous ayons du remplissage, mais j’ai toujours conscience que c’est beaucoup pour la concentration de l’auditeur. Surtout quand c’est de la musique comme la nôtre qui repose beaucoup sur un investissement émotionnel, disons-le ainsi. Mais les chansons sont aussi longues qu’elles ont besoin de l’être, musicalement et au niveau des textes. Si nous avons une chanson au sujet d’une personne qui vit une terrible perte, et ensuite nous mettons ça en perspective et en tirons les leçons, ce n’est pas possible que ça se passe en seulement un couplet. « Oh, j’ai perdu ce truc, c’est vraiment horrible, c’est morne, oh mais tout va bien maintenant. » Il faut une série de prises de conscience et emmener l’auditeur à travers ce processus, et parfois ça prend dix minutes.
As-tu l’impression que par le passé vous avez été coupables de faire trainer une chanson ?
Je pense que sur notre… Bon, j’essaie de l’éviter, pour être honnête avec toi. Je ne compte pas vraiment notre tout premier album. Ça fait longtemps que je ne l’ai pas réécouté. Il y a deux chansons longues là-dessus, je pense que peut-être l’une d’elle traîne un peu. Si on considère le nouvel album, je ne pense pas du tout que « Long Night’s Journey Into Day », qui est la chanson la plus longue avec ses dix minutes trente environ, traine. Je pense qu’elle se termine avant qu’on s’en rende compte. Dans notre album précédent, il y a la chanson la plus longue que j’ai jamais écrite, et ça faisait un moment que nous n’avions pas fait une très longue chanson, donc c’était amusant d’essayer d’en faire une, et je pense qu’elle fonctionne, en grande partie ; en tout cas, je ne me suis jamais vraiment lassé de l’écouter. J’espère que les gens non plus [rires]. Je suppose que tout est dans l’oreille de celui qui écoute. Ceci dit, avec un peu de chance, ça fonctionne.
« The Echo Chamver » se focalise sur la façon dont les réseaux sociaux ont poussé les gens à ne dialoguer qu’avec ceux qui ont le même point de vue, et on ne met plus l’accent sur le fait d’apprendre de ceux qui ont un point de vue différent. Vois-tu les réseaux sociaux comme une régression ?
Il est certain que ça permet le comportement que tu viens juste de décrire et c’en est un mauvais composant, ce n’est pas une bonne chose. Ceci dit, on ne peut pas vraiment revenir en arrière. Je pense aussi que les réseaux sociaux permettent plein de choses merveilleuses. Il y a un fan de Redemption, un musicien fantastique qui s’appelle Terek Shehabi et vit en Syrie, et ce n’est pas comme si nous étions des amis proches, mais les réseaux sociaux offrent une opportunité de se lier à quelqu’un d’une culture totalement différente et de développer notre préoccupation pour son pays, son peuple et sa famille, d’avoir ce genre de connexion et peut-être partager un peu d’optimisme avec quelqu’un dans une situation très difficile. C’est un aspect des réseaux sociaux qui est merveilleux. Ca a donc le pouvoir de nous connecter mais ça a vraiment le pouvoir de nous diviser. C’est aux gens de garder en tête que l’on partage cette planète avec ceux qui ne sont pas forcément d’accord avec nous, et qu’on se rend bien plus service en trouvant des points communs qu’en revenant à un genre de tribalisme intellectuel où tout est « nous contre eux » et tous ceux qui ne sont pas d’accord avec nous sont soit Hitler, soit Satan [rires].
Ceci est en réalité seulement votre seconde chanson socio-politique dans la carrière du groupe. Es-tu prudent lorsque tu écris des chansons qui touchent à des thèmes politiques ?
Ouais, je ne pense pas que nous soyons nécessairement un groupe politique et ça me va parce que si je fais une déclaration politique, à moins que ce soit un sujet qui me passionne vraiment, je dois peser le pour et le contre, « est-ce que ça vaut le coup de s’aliéner certaines personnes ? » Si j’ai un point de vue avec lequel d’autres gens ne sont pas d’accord et que j’insiste dessus et en fait mon identité, ça va à l’encontre de l’idée de former un public et de s’y connecter. Mais la chanson « Leviathan Rising » est le plus proche que j’irais de faire une déclaration au sujet de mes opinions politiques, c’est-à-dire que la liberté est ce qui sépare les gens des animaux, que c’est le concept le plus important dans une civilisation, et que les efforts pour restreindre cette liberté, qu’ils soient économique ou sociaux, vont à l’encontre de ma philosophie quant à la façon dont les êtres humains devraient vivre. C’est suffisamment abstrait, j’espère, ce qui fait que ça peut faire réfléchir des gens mais ça n’énervera pas grand monde. « The Echo Chamber » ne parle pas d’un point de vue politique particulier mais c’est juste une vision sociologique et sociétale, et il s’agit d’encourager les gens à se rassembler et trouver des points communs, au lieu de se focaliser sur, comme je l’ai dit, ce tribalisme et cette diabolisation de tous ceux qui ont une opinion différente.
« Indulge In Color » est une suite à « Black And White World » de Snowfall On Judgment Day. Comment as-tu abordé cette suite ?
Encore une fois, c’est venu du titre. Il y a deux ou trois ans – je ne sais pas, j’ai oublié quand j’ai trouvé ça à l’origine -, je suis tombé sur la phrase « indulge in color », et j’ai pensé que c’était une métaphore intéressante pour dire de vivre la vie à fond, et ça créait un contraste intéressant avec « Black And White World », tout du moins le début. J’ai donc eu l’idée d’utiliser ce titre, et puis j’ai pensé : « Et si j’essayais vraiment d’en faire pas forcément une suite mais au moins un morceau qui accompagne ‘Black And White World’. » J’ai donc pensé : « Revenons sur ‘Black And White World’ et prenons une ou deux idées dans la chanson pour les utiliser comme graine pour ceci, et voyons où ça nous mène musicalement. » Donc, sur différents instruments, de façon sensiblement différente et avec un rythme sensiblement différent, le tout début utilise un thème d’ouverture provenant de « Black And White World », et ensuite ça décolle. En dehors de l’idée de la phrase « indulge in color », qui n’est d’ailleurs jamais utilisée dans la chanson mais on dit des choses comme « I will live in color », les paroles sont venues à la fin. Mais je trouve que cette chanson se place parmi les toutes meilleures que nous ayons jamais faites. J’adore cette chanson !
« C’est aux gens de garder en tête que l’on partage cette planète avec ceux qui ne sont pas forcément d’accord avec nous, et qu’on se rend bien plus service en trouvant des points communs qu’en revenant à un genre de tribalisme intellectuel où tout est ‘nous contre eux’ et tous ceux qui ne sont pas d’accord avec nous sont soit Hitler, soit Satan [rires]. »
A propos de cette chanson, justement, tu as déclaré que « rêver est essentiel pour réaliser la beauté de la vie ». Et l’album se termine avec Tom répétant « osez rêver » lors d’un final extatique. Est-ce, au bout du compte, ce que vous essayez de faire avec l’auditeur : le faire rêvasser pour réaliser la beauté de la vie ?
Ouais, il y a un peu de ça. Je veux dire que ce soit l’apprentissage personnel, l’avancement de notre carrière, le fait d’avoir une vie de famille heureuse, le fait de créer de l’art ou de laisser son empreinte sur le monde, quoi que ce soit, ça nécessite d’envisager quelque chose de plus gros, de mieux ou un plus grand défi. Il y a une part d’ambition. Encore une fois, j’avais écrit la musique et j’étais en train de faire mes idioties avec les mots, et ce truc de « continuer à rêver » est venu tout d’un coup, et j’ai réalisé que ça pourrait former ce grand thème et qu’on pourrait le développer encore et encore pour en faire ce qu’on appelle notre grand final. Je trouve que le résultat est super. Ça m’est venu et ça a ensuite pris vit tout seul. Mais je trouve que c’est une fin vraiment cool pour l’album.
« Eyes You Dare Not Face In Dreams » se concentre sur les doutes qui remplissent le vide lorsque quelqu’un manqué d’intégrité. Est-ce quelque chose que tu as toi-même déjà ressenti ?
Non. En fait, c’est plus dirigé vers certaines personnes que j’ai croisé et qui ne sont pas de bonnes personnes, et je pense malheureusement que tout le monde tombe sur des gens qui les discrédites, les trahissent ou ne sont pas fidèles. A un moment donné, il faut se regarder dans le miroir ; certaines personnes en sont capables mais si j’avais entubé quelqu’un, je ne pourrais pas vivre avec cette idée. Je pense que la plupart des gens corrects ont ce sens de l’intégrité. Ça vient à l’origine d’un poème de T.S. Eliot, qui est celui utilisé dans le film Apocalypse Now, ça s’appelle Les Hommes Creux. Il y a une phrase là-dedans, « Les yeux que je n’ose pas rencontrer dans les rêves », c’est donc cette notion d’avoir une conscience et de reculer de peur devant nos pires actions.
Comment sais-tu que ces gens manquant d’intégrité ont des doutes ?
Ils n’en ont probablement pas mais j’aimerais croire que si. Ça rend la vie plus facile à vivre [rires]. Mon optimisme ne va pas plus loin que ça, je suis aussi réaliste.
D’après ce que j’ai lu, la chanson « impermanent » parle d’apprendre à s’adapter, et réaliser que la vie est une question de développement, de changement et de tirer le meilleur de l’instant. On aurait presque pu prendre ça pour une définition de votre musique ! Dirais-tu que cette dernière est vivante ?
Je ne sais pas si je serais aussi prétentieux. Je sais en revanche que notre musique a la capacité de se connecter aux auditeurs de manière assez profonde. J’ai entendu de la part de suffisamment de gens qu’ils ont trouvé des choses dans notre musique qui les ont touché, émus ou donné de la force d’une façon ou d’une autre pour savoir qu’elle a vraiment cette capacité. Mais les gens sont également exaltés par de la musique sans parole, donc la musique elle-même est une forme créative très puissante. Si tu y réfléchis, à travers le monde, chaque culture réagit à la musique, ce qui en fait un petit élément intéressant par rapport à ce qu’est être humain. Je pense que, parce que nous chantons au sujet de choses de la vraie vie avec lesquelles les gens peuvent compatir, notre musique est encore plus aisément capable de se connecter que si on chantait au sujet de monstres dans l’espace.
Tu l’as mentionné plus tôt : vous avez une reprise de « New Year’s Day » de U2 dans l’album. C’est probablement plus surprenant de voir une reprise de U2 que de The Who, comme vous l’aviez fait sur l’album précédent, mais elle colle parfaitement au style de Redemption. Qu’est-ce que cette chanson représente pour vous et comment s’insère-t-elle dans l’album ?
Le plus important est qu’elle représente ce qu’est une bonne composition. Nous avons une tradition qui fait qu’à presque chaque album, nous enregistrons quelque chose auquel on ne s’attendrait pas de la part d’un groupe de heavy metal. Mes deux chansons préférées sont sans doute « Hallowed Be Thy Name » d’Iron Maiden et « Subdivisions » de Rush. Je n’ai pas besoin d’entendre un groupe de heavy metal faire ces chansons. Premièrement, elles sont parfaites telles qu’elles sont. Deuxièmement, stylistiquement, elles n’ont pas besoin d’être beaucoup modifiées et elles sonneront toujours beaucoup comme l’original. J’ai donc envie de faire quelque chose qui sorte un peu des sentiers battus. Nous avons fait The Police, nous avons fait Tori Amos, nous avons fait The Who la dernière fois… Ça, c’était presque opportuniste parce que cette chanson en particulier, je trouve, est la plus grande performance vocal dans l’histoire du rock de la part de Roger Daltrey. On ne peut pas vraiment bien faire cette chanson à moins d’avoir un chanteur incroyable. Ça fonctionnait bien avec Ray faisant les parties qu’il a faites, mais pour vraiment crier comme si on craquait et avoir ce grain dans la voix et cette sorte d’investissement émotionnel total… Nous avons eu l’opportunité de travailler avec John Bush d’Armored Saint qui correspond à ce profil, et je trouve qu’il a tout déchiré. Mais nous avons toujours essayé de choisir une chanson des années 70 ou 80 qui soit simplement une bonne chanson durable. J’étais en train de conduire, « New Year’s Day » passait à la radio, et je me disais : « Tu sais quoi ? Ça pourrait marcher ! » Et nous essayons parfois des choses qui ne marchent pas ; il y a trois ou quatre chansons que nous avons enregistré et elles sonnent soit trop fantaisistes, soit trop évidentes, soit il n’y a pas de déclic. Mais nous avons essayé ceci et ça fonctionne vraiment très bien ! Le fait de reprendre des chansons, c’est juste pour s’amuser. Je trouvais vraiment super quand Iron Maiden à fait une reprise de « Cross Eyed Mary » sur l’album Piece Of Mind ; c’est une chanson que j’adore et ça m’a aussi introduit à Jethro Tull – c’était il y a longtemps. Quand j’entends un autre groupe faire une reprise, c’est marrant de savoir quelles pourraient être certaines de leurs influences ou qui ils respectent ou ce qu’ils considèrent être une bonne chanson, vraiment simplement savoir qu’ils se font plaisir à rendre hommage d’une certaine façon à de la bonne musique. Donc c’est amusant !
« Tous [dans le groupe] sont très talentueux, mais j’ai écrit toute la musique et je paye tout, alors ils ne peuvent pas me jeter dehors [rires]. »
Le guitariste soliste Bernie Versailles est encore en train de se remettre de son anévrisme, il n’a donc toujours pas pu participer à l’album. Tout d’abord, comment va-t-il ?
Merci de le demander. Il a eu un anévrisme cérébral très sérieux et a été dans le coma pendant environ un mois. Nous étions très inquiets qu’il ne survive pas ou qu’il soit à jamais en assistance respiratoire ou qu’il ne puisse plus marcher… Donc, il va bien, il est en état de « fonctionnement », il vit avec sa famille et on s’occupe de lui. Il n’est pas en position à ce stade de pouvoir jouer de guitare à un niveau professionnel. Là tout de suite, il a besoin de se concentrer pour continuer à se rééduquer et travailler sur sa mémoire et d’autres choses qui ont été impactées. Mais il est en vie, avec sa famille et est pris en charge, ce qui est bien.
Simone Mularoni et Chris Poland sont tous les deux de retours en tant qu’invités pour s’occuper des leads sur l’album. Pourquoi ne pourrais-tu pas t’en charger toi-même ? Tu ne te sens pas suffisamment sûr de toi ?
As-tu écouté ce que ces gars jouent ? Je ne peux pas jouer ça ! [Rires] C’est marrant : Simone ne peut pas jouer les parties de Chris et Chris ne pourrait pas jouer celles de Simone. Ce sont deux guitaristes très différents stylistiquement et ils sont aussi différents de moi. Je veux dire que je peux jouer un peu, mais ces gars sont des virtuoses. Quand Bernie jouait dans le groupe, je disais toujours que j’étais un peu comme Dave Mustaine et lui Marty Friedman. Nous avons d’ailleurs travaillé sur quelques chansons avec Marty Friedman, ce qui m’a encore plus donné l’impression d’être Dave Mustaine dans l’équation. J’ai toujours un peu ce rôle. Simone est un des guitaristes les plus doués au monde ; les trucs qu’il fait sont juste techniquement dingues. Il vient d’une éducation classique et de l’école à la Yngwie Malmsteen, Michael Romeo, mais il a aussi un sens de la mélodie phénoménal et un côté à la Michael Schenker pour ce qui est des magnifiques aspects mélodiques de ses solos. Chris Poland est incroyablement unique ; il vient de la fusion des années 70, le Mahavishnu Orchestra, John Mclaughlin, Allan Holdsworth, et ces guitaristes de fusion comme Scott Henderson qui joue une musique totalement différente et pense l’instrument autrement. Ça apporte vraiment un côté inattendu à notre son. En gros, je les ai tous les deux fait jouer sur tout l’album, et ensuite j’ai pu sélectionner les parties qui fonctionnaient le mieux, parce que parfois, Chris joue des trucs qui sont un tout petit peu trop barrées, et il y a des choses comme son solo dans « Indulge In Color » qui est à la fois dingue, un jeu fusion qui shred, mais c’est incroyablement expressif et juste très beau. J’ai une chance incroyable de travailler avec ces deux gars, tout comme je le suis pour tout le monde dans ce groupe. Tous sont très talentueux, mais j’ai écrit toute la musique et je paye tout, alors ils ne peuvent pas me jeter dehors [rires].
Qui joue ces parties en live ?
Tout dépend de la partie. La plupart de ce que Chris joue sur l’album, nous le donnerons à Simone, car il va venir jouer avec nous sur nos dates en soutient de cet album, nous sommes très excités, bien que… Pas que je veuille gâcher la surprise, mais nous étions en train de répéter une de nos anciennes chansons et Simone n’était avec nous, il y avait juste Vikram, moi, notre bassiste Sean et notre batteur Chris, et Vik avait appris le solo de Bernie note pour note et déchirait comme un malade sur son clavier en le jouant. Il n’y a vraiment aucune limite parce que lui et Simone peuvent jouer n’importe quoi, donc on verra où nous allons avec ça, mais ça devrait être marrant.
Tu as déclaré que peu après Progpower, tu imagines que vous vous remettrez à écrire de la nouvelle musique, car tu as déjà formé quelques concepts de chansons. Peux-tu nous donner une première idée de ces concepts ?
J’ai un genre de bibliothèque d’idées. Si je suis en train de conduire et que je trouve quelque chose, je le chanterais dans mon téléphone portable et je me l’enverrais par email, ou si je suis posé chez moi, que je m’entraine ou même si je suis en train de composer une chanson et que j’ai une partie qui ne colle pas à cette chanson en particulier, je la mets de côté pour plus tard. J’ai donc une longue liste de trucs ; ce sont plus des idées que des concepts totalement formés. Et je n’ai pas envie de trop m’avancer parce que, tout d’abord, je veux passer nos prestations live, et ensuite me poser tranquillement et travailler avec Vikram sur des choses. Donc on verra comment ça prendra forme. Je pense que ça sonnera frais et neuf en raison des influences de Vik et Tom sur la composition, en plus des contributions habituelles de Chris et Sean. Ca sonnera toujours comme Redemption mais je pense que ça sera encore plus intéressant.
Tu as aussi dit que ton « but est de laisser passer bien moins de temps entre les albums cette fois. » Or Long Night’s Journey Into Day sort deux ans après The Art Of Loss, ce qui est un temps standard entre deux album. Tu trouves que c’est encore trop long ?
Non. Je trouve que deux ans est une bonne période. C’est dur de systématiquement trouver de la super musique. Je pense que tu prends le risque d’accabler les gens avec trop de trucs mais aussi, il ne faudrait pas prendre la moindre idée que tu as et l’enregistrer, il faudrait que ce soit tes meilleures idées. Vu que Tom a Evergrey, Simone a DGM, j’ai mon boulot, tout le monde a d’autres contraintes… Ce n’est pas comme si nous pouvions finir une tournée et ensuite passer les six semaines suivantes en studio à jammer. Ce n’est de toute façon pas comme ça que nous composons. Donc ça arrivera quand ça arrivera. Deux ans c’est bien. Nous avons eu une plus longue pause entre This Mortal Coil et The Art Of Loss parce que nous avons sorti un DVD live et nous avons dû gérer la maladie de Bernie. Nous tombons généralement sur quelques coups durs, mais entre dix-huit mois et deux ans est une bonne cadence.
Interview réalisée par téléphone le 23 juillet 2018 par Nicolas Gricourt.
Transcription : Raphaëlle Pérez & Nicolas Gricourt
Traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Stephanie Cabral.
Site officiel de Redemption : www.redemptionweb.com
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