Avec Ascension, les Nantais de Regarde Les Hommes Tomber ont pris leur temps : cinq ans, de quoi tourner intensivement, se faire une place de choix dans la scène post-black française, signer sur Season of Mist, et peaufiner ce troisième album. De quoi aussi faire frémir les fans d’impatience après un Exile particulièrement remarqué… Dernier volet d’une trilogie entamée avec Regarde Les Hommes Tomber, plus résolument black metal que ses prédécesseurs, ce nouvel opus est celui d’un groupe en pleine possession de ses moyens qui a su tirer parti de ses premières expériences. Nous avons discuté de sa genèse et de la trajectoire du groupe avec T.C. (chant) et A.M. (guitare).
Disponibles et passionnés, les deux musiciens nous font entrer dans leur processus créatif, de la composition d’Ascension à l’élaboration des sets live, des tournées à leur collaboration avec Hangman’s Chair, de la Bible au black metal. De quoi passer du conflit à l’harmonie, et de la chute à l’élévation…
« C’est un peu naïf, mais nous essayons de rester dans quelque chose d’assez pur en termes de composition, où, avant tout, nous préférons nous dire : ‘Est-ce qu’on a quelque chose à dire ?’ Et si nous avons quelque chose à dire, nous le disons. »
Radio Metal : Lorsqu’on avait discuté avec J.J.S. à l’occasion de la sortie d’Exile, vous ne sembliez pas certains de continuer et de sortir un troisième album… Quels étaient vos doutes à l’époque ? Comment les avez-vous surmontés ?
A.M. (guitare) : C’est assez simple. Au début, Regarde Les Hommes Tomber a un peu commencé par accident. Je pense que c’est une histoire classique, c’est-à-dire que nous avons fait un premier album, sans savoir si nous allions en faire un second, et puis finalement, tout s’est bien passé, nous avons fait plein de concerts, et nous nous sommes dit qu’il fallait continuer. C’était pareil après la sortie d’Exile. Nous avions pas mal bossé sur cet album, ça avait été dur, et je pense qu’à la sortie, nous voulions juste profiter, faire des concerts et ne pas encore nous consacrer à la composition. Pour celui-ci, nous nous sommes remis à peu près dans le même état d’esprit. C’est-à-dire qu’une fois que nous avons clôturé tous nos concerts, nous nous sommes accordé un break pour réfléchir. Une fois que nous avons défini un moment où nous pouvions tous nous retrouver pour composer, nous avons attaqué le processus, et ça s’est fait comme ça.
T.C. (chant) : Nous ne sommes pas un groupe qui raisonne forcément sur le long terme. Nous raisonnons plutôt sur le moyen terme, en termes de cycles par rapport aux albums, tout simplement. Quand un album sort, nous n’avons qu’une envie, c’est de tourner, tout simplement.
A.M. : C’est ça. Mais nous ne composons pas des albums comme des excuses pour tourner. C’est juste que nous préférons nous laisser le temps pour réfléchir. Même par rapport à notre signature avec Season Of Mist, nous avons préféré attendre de composer les premiers morceaux avant de signer avec eux, plutôt que de signer un deal, et nous mettre la pression en nous disant : « Il faut qu’on honore ce deal et donc qu’on compose un album. » C’est un peu naïf, mais nous essayons de rester dans quelque chose d’assez pur en termes de composition, où, avant tout, nous préférons nous dire : « Est-ce qu’on a quelque chose à dire ? » Et si nous avons quelque chose à dire, nous le disons.
Vous avez toujours parlé de manière très élogieuse des Acteurs De l’Ombre, mais cette fois-ci, vous passez sur Season Of Mist. Pourquoi ? Qu’est-ce que ça a changé pour le groupe dans le processus créatif ?
Avec les Acteurs de l’Ombre, ça s’est fait très naturellement, parce que Gérald, le directeur du label – qui, je crois, était quasiment seul à travailler dessus –, nous avait démarchés juste après notre tout premier concert. Nous n’avions même pas de chanteur à l’époque ! Il était venu nous voir en nous disant : « J’ai adoré votre concert, je veux vous signer ! » Ce qui fait que nous nous sommes retrouvés très rapidement avec un label, un label qui était extrêmement motivé et qui s’est développé parallèlement à la carrière du groupe. Nous nous sommes rendu compte lorsque nous avons fait notre tournée européenne avec Der Weg Einer Freiheit que la tournée s’était super bien passée, mais que nous péchions un peu d’un manque de communication à l’étranger. Est-ce que c’est de la faute des Acteurs De l’Ombre ? Je ne sais pas. Déjà, nous avons un nom français, eux avaient un label avec un nom français, donc c’était un peu compliqué. Et nous nous sommes dit que Season Of Mist nous tournait autour depuis un moment, nous avions d’autres propositions, et en gros, notre objectif, c’est de développer le groupe le plus possible, c’est d’aller le plus possible à l’étranger, c’est ce que nous voulons vraiment faire avec Regarde Les Hommes Tomber, ne pas refaire toujours les mêmes choses. Ce qui fait qu’un deal avec Season Of Mist nous paraissait plus approprié, parce que déjà, ils nous ont fait une belle offre, nous les connaissions un peu, nous les croisions en festival. Tout s’est fait naturellement.
T.C. : Je pense que ça a été une évolution normale. Après, nous sommes conscients de tout ce que nous ont apporté les Acteurs De l’Ombre. Nous sommes évidemment conscients que nous n’en serions jamais là s’ils n’avaient pas été là pour nous épauler, c’est évident. Comme le dit Antoine, nous voulons évoluer, comme un groupe normal.
A.M. : Et il n’y a même pas eu d’animosité. Nous avons fait écouter notre album à Gérald dès que nous avons eu le master. Nous avons passé une soirée avec lui, il a adoré l’album. Nous avons passé un bon moment, c’était bien. De toute manière, dès que nous avons signé chez LADLO, Gérald nous avait dit : « Il faut que vous considériez mon label comme un tremplin vers d’autres choses. » Je pense que tout groupe veut se développer. Après, par rapport Season Of Mist, sur l’aspect créatif, il n’y a rien. Ils n’ont même pas écouté le master, ils n’ont rien demandé. C’est-à-dire que nous étions super libres.
Est-ce que ça change quelque chose dans vos têtes de passer du statut de gros groupe chez LADLO, à celui de groupe plus petit chez Season Of Mist ?
Ouais, forcément ! [Rires]
T.C. : Après, ça n’a pas forcément entaché le processus créatif, dans le sens où ce n’est pas un paramètre, ou une donnée que nous avons prise en compte dans la composition de l’album. Nous avons vraiment composé très librement, finalement, en étant inspirés par ce qui nous inspirait à l’instant-T. C’est vrai que c’est encore un peu tôt pour parler de ce paramètre…
A.M. : Forcément on le ressent, parce que c’est clair que chez LADLO, nous étions un peu les poulains. Là, chez Season, nous ne sommes qu’un petit groupe français parmi tant d’autres. D’un autre côté, c’est dur et c’est bien, parce que nous étions dans une position confortable et là, nous nous mettons en danger !
T.C. : C’est un peu le challenge aussi, c’est là que c’est intéressant.
« Chez LADLO, nous étions un peu les poulains. Là, chez Season, nous ne sommes qu’un petit groupe français parmi tant d’autres. D’un autre côté, c’est dur et c’est bien, parce que nous étions dans une position confortable et là, nous nous mettons en danger ! »
Vous aviez envie de tourner à l’étranger, ce que vous avez eu l’occasion de faire un peu. Est-ce que ça a été une expérience positive ? Qu’est-ce que vous en avez retiré ?
Ce sont des dates qui ne sont pas forcément évidentes en termes de conditions. Dans le sens où forcément, ça implique des allers-retours en van avec pas mal de route, ce n’est pas toujours simple. Mais après, c’est génial, parce que nous sommes toujours exaltés par ça, par le fait de partir loin, sur des pays frontaliers ou même ailleurs. C’est un truc que nous adorons, c’est vraiment sympa.
A.M. : C’est hyper excitant, et de toute manière, je pense que tout groupe vise ça. Nous avons eu de la chance avec Regarde Les Hommes Tomber, parce que j’ai beaucoup de potes qui jouent dans d’autres groupes, qui jouent beaucoup à l’étranger et très peu en France. Nous, ça a été l’inverse, au départ. Nous avons de la chance, parce qu’en France, nous avons de super conditions, nous avons un super public, mais à l’étranger, nous nous mettons un peu plus en danger. Mais ce qui est super intéressant, c’est que nous découvrons aussi un autre public, ce n’est pas forcément le même qu’en France, mais les réactions sont aussi élogieuses. Nous avons fait une tournée de quasiment trente concerts, c’était la première fois que nous faisions ça, en jouant tous les soirs, et le public était génial. C’est ce qui nous a encouragés à continuer et à nous dire qu’il y a vraiment quelque chose à faire, qu’il faut que nous nous bougions et que nous mettions tout en œuvre pour jouer un maximum, tourner un maximum, et pas juste en France. Nous apprenons beaucoup. Après ça reste un public metal. Un concert en France est quand même assez similaire à l’étranger, mais nous, dans notre manière d’aborder les choses, nous sommes un peu plus excités par ça. Je pense aussi que c’est aussi une espèce de complexe qu’ont beaucoup de groupes français. Nous sommes un grand pays, nous jouons beaucoup dans notre pays, et dès que nous jouons à l’étranger, nous sommes super excités, alors que les Suédois passent leur temps à jouer en dehors de chez eux. Nous allons essayer de mettre l’accent là-dessus. Nous comptons aussi sur Season Of Mist pour nous aider dans ce sens-là.
De quelle manière le public est-il différent à l’étranger ? C’est juste parce qu’ils vous connaissent moins ?
Nous avons joué devant des gens qui nous connaissaient moins, c’est sûr. Et puis en France, ce qui est un peu étrange, c’est qu’avec Regarde Les Hommes Tomber, nous avons vendu beaucoup de merchandising, ce qui est génial parce que ça nous a permis de faire des investissements dans du matériel, etc., grâce à cet argent. Mais ça nous attire aussi un public assez nouveau dans le metal, alors que nous faisons une musique qui n’est pas forcément facile d’accès, et j’avais été surpris, comme au Motocultor il y a quelques années, de voir beaucoup de jeunes avec nos T-shirts. Tandis qu’à l’étranger, le public est plus vieux. Et particulièrement quand nous allons jouer en Hollande – nous avons la chance d’avoir beaucoup de gens qui nous suivent là-bas –, le public est beaucoup plus vieux. C’est drôle, je ne sais pas pourquoi. Quelqu’un me disait : « C’est peut-être parce que le nom étant en français, en France, ça matche bien. » Après, nous n’avons pas énormément d’expérience non plus, mais c’est ce que j’ai pu constater.
T.C. : Nous aimons beaucoup jouer là-bas, en Hollande, parce que comme dit Tony, il y a un public là-bas qui nous suit pas mal, et c’est toujours un plaisir, les conditions d’accueil sont mortelles, c’est génial.
Thomas, tu es arrivé dans le groupe alors que la création d’Exile était déjà bien amorcée. Tout d’abord, comment ça s’est passé pour toi à cette époque ?
Ça s’est très bien passé ! Je connaissais les gars depuis quelque temps déjà. Pour la petite histoire, j’avais déjà fait une répète avec eux avant même qu’il y ait un chanteur dans le groupe.
A.M. : Quand nous avons commencé Regarde Les Hommes Tomber, nous n’avions pas de chanteur. Nous pensions vraiment que ça serait l’un de nous qui chanterait. Nous nous sommes rendu compte que ce n’était pas possible, nous avons fait plusieurs essais, et dans les essais que nous avons faits, il y avait Thomas. Nous lui avions dit : « Thomas, ta voix est super, mais il y a un autre mec qui nous avait contactés. » C’était Ulrich [Wegrich], qui était dans Otargos à l’époque, et nous, nous ne connaissions strictement personne dans la scène. Thomas nous avait dit : « Écoutez, ce mec a de l’expérience, prenez-le. » Donc là, nous nous disons : « Thomas est quand même super sympa ! » [Rires] Et après, une fois que ça ne l’a pas fait avec Ulrich et qu’il est parti, nous avons pensé à rappeler Thomas. Moi, je n’étais pas trop chaud à la base, parce que je me disais que c’était trop facile de se reporter sur la personne que nous avions testée juste avant. Et en fait, nous avons fait une répétition avec lui, et c’était nickel. Il n’y a même pas eu à tergiverser, en fait, c’était évident.
T.C. : J’étais hyper-content de rejoindre un groupe qui avait une bonne actu, et qui me plaisait aussi beaucoup musicalement. C’est à l’été 2014 que nous avons commencé les répètes. C’était pile sur la phase où le groupe composait Exile. Musicalement et humainement, ça a bien matché, ça a bien roulé, et à partir de là, c’était parti pour les concerts et le studio.
Comment as-tu été impliqué dans Ascension ?
Je n’ai rien composé musicalement. Par contre, j’ai fait un travail de chien sur le chant, j’en suis très fier ! [Rires] J’ai fait ça sur plusieurs mois pour réellement construire un truc qui soit narratif et fort dans l’intention, avec une espèce de séquençage du chant sur tel passage que je veux scander de telle manière, avec tel passage crié, tel passage plus parlé… De manière à créer une espèce d’architecture du morceau, uniquement pour le chant, en le considérant vraiment comme un instrument à part entière. Après, c’est vrai que c’était un peu frustrant pour moi parfois, parce que du coup, j’ai réellement pu opérer un placement définitif à partir de la fin de la composition, car vu que les textes racontent une histoire, il faut qu’ils se suivent. Et vu que nous n’avions pas la tracklist immédiatement en composant les morceaux, il a fallu attendre la fin de la composition globale des morceaux pour réellement avoir une idée précise du chant. Mais je l’ai quand même bossé largement en amont, et quand je suis arrivé en studio, j’étais fin prêt. J’étais vraiment déterminé. Après, ce qui était marrant en studio, c’est que finalement, le rail qui avait été posé en amont n’a pas forcément été suivi à la lettre, ce qui n’est pas plus mal. Je l’ai suivi, on va dire, à soixante-dix pour cent, et il y a eu trente pour cent, pas d’impro, mais de… Comment dire…
« Nous avons une manière de fonctionner qui est volcanique, on va dire ! […] C’est une vraie démocratie et du coup c’est le bordel ! Mais ce n’est pas très grave ! [Rires] »
A.M. : En fait, ce qu’il s’est passé, c’est que, pour revenir à Exile, quand Thomas est arrivé dans le groupe, il avait travaillé tout seul sur le chant puis nous l’avions bossé ensemble en studio. Nous nous étions un peu pris la tête lui et moi car nous n’étions pas forcément d’accord sur certains placements, nous avons bossé tous les deux. Et comme nous avons beaucoup joué pour Exile, chaque soir j’entendais Thomas tester des trucs à la voix, et je disais : « Putain, c’est vachement bien, t’as moyen de faire plein de trucs, t’es un super chanteur, faut exploiter ça ! » Et en fait, il a bossé de son côté, et juste avant de rentrer un studio, comme je suis un peu control freak, nous avons un peu bossé ensemble sur les placements de voix. Et après, en studio, il est arrivé avec les placements que nous avions définis, mais avec des voix complètement dingues. Et ce que nous avons fait, c’est que nous avons eu le temps de bosser de manière naturelle. Il refaisait plusieurs pistes de chant, et nous, nous écoutions, en disant : « Il y a ça à taffer, il y a ça à garder », comme le font beaucoup de groupes. Mais ce qui est super, c’est que Thomas bosse énormément, mais nous avons beaucoup parié sur l’improvisation, sur ce que transmet la musique au moment donné.
T.C. : Ce qui était intéressant, c’était de partir d’un prisme déjà bien calibré en studio, pour ensuite laisser place à pas mal de spontanéité. J’avais pour objectif à la base de faire un chant vers par vers, très chapitré, et finalement assez peu spontané. Et Francis, en studio, avec qui nous avons bossé, m’a dit : « Non, tu fais trois one-shot, on prend le meilleur, et puis c’est tout. » Du coup, c’est cool, parce qu’au final, nous perdons peut-être un poil en puissance, mais par contre, en spontanéité, et en intention, je trouve que nous gagnons vachement.
A.M. : C’est ça. Et la musique exige ça. Je pense que ce que nous faisons exige ça. Je trouve que son chant, sur l’album, on dirait un peu un prophète qui déclame sa prophétie de manière complètement habitée. Le résultat est super, et je trouve que nous allons plus loin encore dans Regarde Les Hommes Tomber avec ce qu’il a fait sur cet album-là.
Le premier album avait été surtout le travail de J.J.S., alors que le deuxième a été un travail plus collectif. Est-ce que pour celui-là vous avez continué dans cette direction ? Quel est le déroulement du processus créatif et le rôle de chacun aujourd’hui ?
T.C. : Oui et non.
A.M. : Ce qui s’est passé, c’est que lorsqu’Exile est sorti, je venais de déménager à Paris pour le travail, et j’étais le seul membre du groupe à ne pas être avec eux. Pendant toute cette période-là, j’ai composé pas mal de trucs, pas mal de riffs, et quand je suis revenu m’installer à Nantes il y a un an, j’avais plein d’idées. Et en gros, ce que nous avons fait pour cet album-là, c’est que nous sommes toujours partis d’idées à moi. C’est-à-dire que généralement, j’échafaudais les quatre premières minutes du morceau, et ensuite, en répétition, avec J.J.S. et notre batteur, nous avons composé ensemble les suites des morceaux. C’était un travail qui était assez dur, parce que je pense que c’est la première fois que nous faisons autant tourner les morceaux en répète. Ça vient aussi de ma manière de composer, car je ne suis pas du tout du genre à composer avec une batterie électronique et plein de pistes chez moi… J’ai besoin du retour des autres, j’ai besoin juste de jouer la musique, plutôt que de travailler comme un geek chez moi, ce qui est l’inverse totale de J.J.S. C’est ça qui, je pense, est vraiment intéressant. Après, nous avons travaillé en répétition, puis en faisant tourner les morceaux sur quasiment un an, nous sommes parvenus au résultat final. C’est pour ça que les morceaux sont assez longs et, je pense, sont assez différents. C’est qu’à chaque fois, nous partions d’idées différentes et nous y mettions une autre intention. Nous avions une fin, un début, mais nous n’avions pas de milieu. C’était à nous de broder là-dessus. Moi, j’avais un but un peu caché, secret, c’était que je voulais que nous allions vers une direction plus extrême. Et avec le batteur, nous nous sommes vachement bien entendus là-dessus. Tandis que l’autre guitariste, au départ, nous avait dit qu’il voulait faire quelque chose de plus ambiant, mais au final, c’est l’évolution naturelle du groupe si on prend album par album. Je pense aussi que cette manière de fonctionner nous a évité de nous répéter, parce que quand tu n’as qu’une personne qui compose, c’est très dur de ne pas retomber sur ce que tu fais tout le temps.
T.C. : Ce qui est marrant, c’est que nous tendions vers quelque chose de plus extrême avec cet album mais après, on se rend compte mine de rien qu’il est assez accessible. C’est assez marrant, car nous voulions quelque chose de plus vénère, alors qu’au final, nous nous retrouvons avec un truc qui est, certes, plus metal dans la démarche, mais aussi plus catchy.
A.M. : Et rien n’a été tracé ! Même J.J.S., avant, je pense que quand il a composé le premier album, il avait juste une idée, c’était son idée personnelle, mais nous n’avions pas d’ambition autre que ça. Je pense que c’est ça qui fait la force du groupe. Déjà, nous composons pour nous satisfaire tous les cinq, ce qui n’est pas évident, et après, ça marche ou pas, on verra pour cet album. Nous avons fonctionné comme ça, cette fois-ci.
Ça n’était pas dur pour J.J.S. de laisser d’autres gens toucher à son bébé et se l’approprier ?
En fait, ce n’est même pas une question d’appropriation. C’est-à-dire qu’au tout départ, c’était son projet personnel, mais ensuite, à partir d’Exile, ça ne l’était plus. Et à partir du moment où nous avons commencé à jouer tous ensemble, ça a toujours été chacun qui amène sa pierre à l’édifice. Lui amenait la musique, moi j’amenais le concept, et après nous avons déroulé. C’est vrai que cette fois-ci, ce n’est pas lui qui était à l’origine des morceaux, mais ce n’est pas grave, parce qu’il a toujours participé à la composition, nous n’avons jamais composé dans son dos. Et pour cet album-là, nous avions fait des pré-productions chez Francis Caste, un mois avant. C’est-à-dire que le temps d’un week-end, nous avons enregistré tous l’album chez lui, quasiment en conditions live. Après, nous sommes revenus en studio pour faire l’enregistrement normal. En fait, J.J.S. a fait beaucoup d’arrangements studio. Ça m’a pas mal dérangé parce que ça ne correspondait pas vraiment à l’idée que j’avais sur l’album mais en fait, c’est génial, parce qu’il a amené sa pierre à l’édifice, il a ramené sa patte, et c’est ce qui fait que ça sonne comme du Regarde Les Hommes Tomber.
« Plus nous jouions, plus nous accélérions les tempos, plus ça devenait extrême, sans, je pense, trahir les bases de Regarde Les Hommes Tomber qui sont avant tout les émotions. »
Justement, c’était le sens de ma prochaine question : comment faites-vous pour conserver votre patte, votre identité, sans avoir cette espèce de processus plus introspectif qu’avait Regarde Les Hommes Tomber au début pour J.J.S. ?
T.C. : Je pense que c’est un truc que nous n’intellectualisons pas beaucoup, finalement. Ce que nous composons, nous le faisons avec le cœur, et avec ce que nous écoutons sur l’instant aussi. Nous sommes forcément nourris de plein d’influences assez variées. Dans la compo, nous ne pensons pas à : « Il faut sonner comme ça, il faut suivre ça. » En fait, nous nous en foutons, c’est spontané.
A.M. : C’est aussi le fait que nous soyons des musiciens, tout simplement. Bien sûr, nous composons dans l’optique que ça sonne comme du Regarde Les Hommes Tomber, parce que nous avons tous eu d’autres expériences, mais ce qui est fort dans Regarde Les Hommes Tomber, c’est que lorsque j’amenais des idées, des riffs, je savais très bien qu’après ça allait être modifié par les autres. Il faut garder cette ouverture d’esprit. Il faut aussi toujours se dire que, par exemple, tu as un morceau sur l’album où le batteur fait quelque chose à la batterie et tu as quelque chose de différent qui naît ; tu as J.J.S. qui fait une mélodie, là mon riff va sonner de manière différente, et ça nous ouvre des portes. C’est comme ça que nous avons travaillé. Il y a beaucoup de groupes qui fonctionnent avec un mec qui fait tout de A à Z, et puis tu as d’autres écoles, comme la nôtre, où il faut rester ouvert. Ce qui est assez dur quand tu fais une musique comme du black metal. Surtout que dans cet album-là, il y a plus de riffs, donc c’est plus dur que si tu fais du stoner, où tu peux faire tourner des riffs sur la gamme pentatonique pendant des heures, c’est assez simple. Pour nous c’est plus compliqué. Ce qui fait que nous avons vraiment travaillé les enchaînements de morceaux. En fait, nous avons essayé de travailler pour que chaque morceau soit hyper-cohérent, que chaque riff s’enchaîne bien, que l’émotion soit la même. Nous parlions beaucoup d’émotions et nous disions : « Là, c’est la pénombre, c’est la noirceur, on retourne ensuite vers la lumière. » Nous avions notre base. Déjà, rien que le fait que ce soit moi qui compose plus sur cet album-là, ça nous ouvre plus de portes, mais c’est aussi à moi de m’adapter dans ma manière de composer pour que ça plaise aux autres. Donc c’est une espèce de maelstrom d’idées !
Vous aviez déjà dit après la sortie d’Exile que vous vous étiez plus pris la tête pour l’élaboration du disque que pour le premier, sans doute pour ça…
Nous avons fait beaucoup d’interviews avec Thomas, et tout le monde nous en parle. Et à chaque fois, nous nous disons : « Putain, en fait, on s’est taillé une de ces réputations…» Nous avons une manière de fonctionner qui est volcanique, on va dire ! Mais c’est comme ça que nous sommes !
T.C. : C’est ça ! C’est une vraie démocratie et du coup c’est le bordel ! Mais ce n’est pas très grave ! [Rires]
A.M. : L’album, nous l’avons surtout composé à trois, Thomas est arrivé à la fin, et Thomas, par rapport à Exile, il a beaucoup plus travaillé. Il est arrivé avec un univers beaucoup plus enrichi. Et ensuite, je pense que ça ne nous bloque pas, c’est notre manière de fonctionner. Et quelquefois, c’est dur, c’est vrai, mais c’est comme ça que nous fonctionnons. Cet album-là, c’était aussi un vrai exutoire pour beaucoup. C’est vrai que des fois, en répétition, nous nous défoulions un peu. C’est aussi pour ça que notre album est assez intense. C’est aussi ça qui fait notre force, je pense.
Du coup, vous avez mis quatre ans, l’album précédent étant sorti en 2015…
Réellement, entre l’écriture du premier morceau et l’enregistrement, il y a eu un peu moins d’un an. C’est juste que nous n’avons rien fait pendant un moment, mais une fois que nous nous sommes mis dans le processus, c’est allé assez vite.
T.C. : C’est aussi qu’en tournant pas mal pour Exile, nous nous sommes rendu compte que nous étions un groupe qui ne parvenait pas à composer en tournée. Nous avons besoin, finalement, de nous retrouver entre quatre murs pour qu’il y ait une espèce d’alchimie, d’émulsion qui fasse que nous arrivions à créer de la musique. C’est vrai qu’il y a pas mal de groupes qui arrivent à faire ça sur la route, en composant en loges ou dans le van. Nous, nous n’y arrivons pas. Il nous faut du temps pour ça, il nous faut du temps pour créer quelque chose qui soit viable.
A.M. : Oui, mais ça changera peut-être dans le futur, parce qu’à cette époque-là, je n’habitais pas à Nantes avec les autres membres du groupe, et nous ne pouvions pas répéter. Tandis que là, peut-être que nous y arriverons. Je pense que le secret des groupes qui fonctionnent, c’est de beaucoup répéter, et là, nous allons essayer de nous remettre là-dedans, de beaucoup jouer, même si nous allons faire beaucoup de concerts, histoire de garder quelque chose. Et peut-être qu’il en naîtra de nouveaux morceaux rapidement.
Antoine, tu parlais d’exutoire. Tu as apparemment perdu ta mère durant le processus de composition. Ça a forcément dû jouer sur tes émotions. Est-ce que tu penses que ça a eu un impact sur ce disque et ton approche de celui-ci ?
Ma mère était très malade pendant le processus, c’était une période extrêmement compliquée, parce qu’en plus, je changeais de vie, j’ai déménagé, etc., c’était très dur. Je pense que d’une certaine manière, oui, il y a quelque chose qui a joué. En plus, ma mère m’encourageait énormément au niveau du groupe, elle écoutait tous les trucs que nous composions, elle était très présente. En plus, elle était prof de danse, donc c’était aussi une artiste. Je pense que oui, indubitablement, ça a joué. C’était très dur, c’était une période vraiment horrible. Je suis très content que l’année 2019 soit passée. 2020 c’est super, il y a la sortie de l’album, nous avons plein de choses positives qui arrivent. Et même si l’enregistrement s’est très bien passé, je suis content que ça soit derrière nous. Là, je n’aurais pas envie de me retaper un mois de studio !
T.C. : Moi non plus ! [Rires]
« J’ai toujours considéré qu’il y avait quelque chose de magique autour du groupe, dans les textes, le concept, dans ce à quoi ça faisait appel. »
On dirait que vos albums sont de plus en plus black. Tu penses que c’est la meilleure catharsis ?
A.M. : La meilleure, je ne sais pas. Ça dépend des émotions de chacun, ça dépend des individus. C’est un peu moi qui ai tiré le groupe vers cet aspect-là, parce que ça me semblait être l’évolution logique. Déjà, nous, plus nous jouions, plus nous accélérions les tempos, plus ça devenait extrême, sans, je pense, trahir les bases de Regarde Les Hommes Tomber qui sont avant tout les émotions, en tout cas ce qu’on peut ressentir quand on écoute notre musique, quelque chose d’« atmosphérique ». Pour moi, à l’heure actuelle, le black metal est le meilleur vecteur de ces émotions-là, même si avec Regarde Les Hommes Tomber nous serons toujours un groupe étrange dans cette scène-là, parce que nous ne nous sommes jamais dit : « On veut sonner comme tel ou tel groupe, on veut jouer avec tel groupe, on veut être perçus comme ça. » Ça paraît naïf, mais nous voulions juste faire de la musique. Ça me rappelle ce que disait Gojira, ça m’énervait de les entendre dire ça [petits rires], mais ils disaient : « Nous ne sommes pas un groupe de metal, nous sommes un groupe de musique. » J’avais envie de leur dire : « Les gars, arrêtez ! » Je ne dirais pas ça, mais chez Regarde Les Hommes Tomber, ce qui compte c’est le concept, et le ressenti que nous voulons transmettre.
T.C. : Après, c’est clair que le black metal est un vecteur idéal pour ça, mais c’est vrai que nous cherchons avant tout une transcendance, c’est le but d’une démarche globale. Après, oui, le black, c’est idéal pour ça, mais ça pourrait être autre chose.
A.M. : Moi, j’écoute énormément de black metal, c’est la scène que je préfère. Mais Thomas a raison. Ça s’est fait de manière naturelle, tu ne peux pas calculer. Et puis dans Regarde Les Hommes Tomber, j’ai toujours considéré qu’il y avait quelque chose de magique autour du groupe, dans les textes, le concept, dans ce à quoi ça faisait appel, et je trouve que le black metal est le meilleur moyen d’exprimer ça.
Est-ce que le succès d’Exile vous a apporté de la sérénité ou au contraire une pression supplémentaire ?
T.C. : « Sérénité » n’est pas forcément un terme hyper-adéquat [rires]. Personnellement, c’est clair que ça m’a mis beaucoup de pression du fait qu’il y ait eu un succès autour de cet album. Forcément, nous savons que nous sommes attendus au tournant. Donc forcément, la composition du troisième n’a pas forcément été évidente, parce qu’il ne faut pas décevoir, tout simplement. Même si nous ne faisons pas de la musique pour les gens mais avant tout pour nous-mêmes, nous savons aussi que nous sommes attendus au tournant, et qu’il ne faut pas se craquer.
A.M. : Oui, il y a forcément de la pression, ce n’est pas possible sinon. Il y avait de la pression, mais il y a aussi tous les enjeux en dehors du groupe qui concernent le business, etc., qui sont super chiants. En fait, il a fallu que nous nous concentrions vraiment sur la musique. C’est pour ça qu’au début de l’interview, je te disais que nous ne préférions pas signer un deal avec Season Of Mist tant que nous n’avions pas composé. Et il y a beaucoup de gens qui venaient nous voir en nous disant : « Bon, les gars, faudrait peut-être vous dépêcher », etc. Et nous nous sommes dit : « Non, c’est nous qui allons définir notre propre agenda, et nous le ferons quand nous serons prêts. » Par contre, à partir du moment où nous avons attaqué la composition, nous savions très bien qu’il fallait que ça nous plaise. Nous ne pouvions pas nous dire : « On va faire ce morceau-là, il marche, ça marchera, on s’en fout. » Avec Romain, notre batteur, nous nous étions dit : « On n’en a rien à foutre, il faut que ça nous plaise à mort, il faut qu’on en soit sûrs, sinon on ne fait pas d’album, on s’en fiche. » Ce n’est pas le groupe qui nous fait bouffer, donc… C’est pour ça que nous étions assez satisfaits du résultat, parce que nous nous sommes dit : « Putain, on a réussi à le faire ! » [Petits rires]. Après, c’est au public de juger, mais nous nous sommes dit qu’au moins, nous étions arrivés à bout du truc.
T.C. : Après, nous espérons que les gens aimeront cet album. Nous, en tout cas, il nous plaît à mort. Et tous les cinq, nous sommes d’accord pour dire que nous nous sommes défoncés pour cet album, nous avons littéralement mis nos tripes dedans. C’est un peu cliché à dire, mais putain c’est tellement vrai !
Vous avez beaucoup tourné pour Exile, comme vous l’avez fait remarquer : est-ce que ça a été bénéfique pour l’album, notamment par rapport à l’énergie que ça peut apporter, à votre cohésion, ou bien ça a été compliqué de vous y remettre ?
A.M. : Les meilleurs moments du groupe, c’est sur la route. C’est là qu’il y a le moins de prises de tête… Moi, je vois les prochains concerts comme des vacances. Nous avons fait le plus dur. Même si le fait de composer, c’est dur, mais nous prenons du plaisir quand même ! Mais nous avons fait le plus dur, nous avons dû gérer plein de merde concernant le merchandising, etc., nous avons vraiment eu beaucoup de taf, ce qui fait qu’une fois que la machine sera lancée, c’est que du plaisir, c’est que de l’éclate. Et surtout, ce qui est hyper-intéressant, c’est que ça te permet de revisiter ta musique, car pour moi, les morceaux ne sont jamais réellement finis lorsqu’ils sont en studio, et ça va nous permettre de revisiter tout ça, de découvrir de nouvelles choses, en les jouant, et aussi peut-être de détester certains titres, on verra ! [Petits rires] Mais en tout cas, les concerts, pour moi, c’est le meilleur truc.
T.C. : Pour moi aussi. C’est vrai que c’est là que nous prenons le plus de plaisir, finalement.
A.M. : Et nous faisons tout, aussi, pour que ça soit le cas. Nous nous entourons des bonnes personnes, nous essayons de passer un cap supérieur au niveau du matériel, etc., au niveau logistique aussi, pour que ça ne soit que du plaisir, et que ça ne soit pas quelque chose de rébarbatif, où nous nous dirions : « Putain, ce week-end, je pars trois jours ! » C’est toujours éreintant de te taper dix heures de route dans la journée, mais si tout est bien prêt, vu que c’est notre objectif, ça reste un plaisir.
Vous l’avez dit, cet album est plus extrême, mais on peut remarquer un côté plus accrocheur, comme par exemple quand arrive cette partie à la batterie simple, très rock, binaire dans « A New Order ». Est-ce que ça pourrait être une des retombées de vos expériences live ?
Ces deux passages de batterie, je sais exactement pourquoi je les ai mis. Ça n’a rien à voir avec les concerts. Par exemple, sur « A New Order », le passage qui est un peu dansant au milieu du morceau, c’est une idée que j’avais avec ce riff. Tout le monde m’a regardé bizarrement la première fois que j’ai proposé ça en répète, en me disant : « Mais qu’est-ce c’est que ce truc ? » Mais moi, je trouvais ça génial. Pour « The Renegade Son », l’origine du truc, c’est que j’ai un frère un peu plus jeune que moi, je suis très proche de lui, il est dans la scène aussi, et je lui ai fait écouter ce riff-là. Il m’a dit : « Ça serait génial de mettre à la batterie, un truc à la Bathory, hyper-rock, sur ce riff ! » Et je me suis dit que ça serait génial et que ça serait une super idée ! C’est comme ça que ça s’est fait. Mais ça n’était absolument pas une volonté de… On est vraiment dans l’aspect créatif. C’est vrai qu’avant même que tu poses la question, je ne me suis jamais dit : « Ça va être efficace en concert. » Mais c’est vrai que ça va péter…
« J’appelle ça un syncrétisme Regarde Les Hommes Tomber : nous avons tous des trucs, il y a des messages cachés, c’est ce qui est super. Moi, je déteste les concepts. Je pense que la musique, l’art en général doit être libre. »
T.C. : Après, c’est vrai que nous prenons du plaisir à prendre le contre-pied de ce qui se fait en tendances…
A.M. : Oui, puis même par rapport à ce que nous avons déjà fait dans le groupe.
T.C. : C’est ça. J’aime bien le fait de… Je ne vais pas dire « faire un truc qui n’a jamais été fait », car forcément, beaucoup de choses ont été dites, mais l’idée que tu peux très bien être créatif en faisant un truc qui paraît complètement « what the fuck » au départ, et puis qui, finalement, est cohérent.
A.M. : Moi, je voyais plutôt ça comme les origines du black metal, dans les années 1980, la première vague, avec des batteries beaucoup plus simples sur certains passages, qui sonnent efficaces. J’aime bien ce côté brut. Tandis qu’avant, nous étions beaucoup dans la retenue. JB de Svart Crown m’avait dit : « Vos concerts sont mortels, mais quelquefois, j’ai l’impression que ça ne part pas vraiment, qu’il n’y a pas l’explosion qu’il faut. » C’est vrai que sur cet album, nous sommes passés un peu au-dessus, il y a de vrais moments, je crois… En tout cas, on verra en concert comment les gens réagissent à ça.
Vous disiez que vous voyiez les choses à moyen terme. À quel moment le concept de la trilogie s’est-il imposé ?
Je pense que c’est à partir d’Exile. Quand nous avons fait le deuxième album, notre parolier, Henoch, qui est un ami avec qui nous travaillons depuis le début du groupe, nous avait dit que si nous continuions, il avait de quoi échafauder pour faire une trilogie. C’était intéressant, puis c’était aussi l’idée de trilogie, le chiffre « 3 »… Ça nous paraissait un peu évident. D’un autre côté, ce qui m’embête un peu, c’est qu’il ne faut pas non plus que ça nous mette la pression pour le prochain, en nous disant qu’il faut tout détruire par rapport à ce que nous avons fait précédemment. Là, nous travaillons encore avec les mêmes artistes pour cet album-là, la thématique est la suite du précédent… Au moins, nous sommes allés au bout du processus.
T.C. : Il y a une petite nuance par rapport aux deux précédents. Là où Henoch a écrit les textes sur le premier album et le deuxième, sur le troisième, il était aussi le parolier, sauf que sur le premier et le deuxième, il a vraiment eu une inspiration des mythes bibliques, mais en s’inspirant réellement de ce qui avait été écrit. Là, c’est très différent. Il a été complètement démiurge par rapport à tous ces mythes-là, en écrivant lui-même une histoire, une espèce de fable…
A.M. : … qui nous correspondait. Sur le dernier morceau d’Exile, il a commencé à raconter quelque chose, et il est allé au bout de cette idée-là sur cet album-là. Tout en sachant – si je mets des nuances – que ce n’est pas un album-concept. Comme disait Thomas, nous avons fait attention à ce que les paroles se suivent, à ce qu’il y ait une vraie logique, mais nous n’avons pas composé par rapport aux paroles. Ce qui est intéressant, c’est que dans Regarde Les Hommes Tomber, au niveau du concept, tu as plusieurs facettes. C’est-à-dire que les paroles ne sont pas forcément liées à la pochette des albums, mais ça fait partie de tout cet univers.
Comme ce n’est pas vous qui écrivez vos textes, est-ce que ses textes sont une source d’inspiration pour vous ou est-ce qu’ils n’arrivent qu’une fois que la musique est écrite ?
T.C. : En fait, nous lui envoyons les intrus, et lui voit comment il agence les choses en termes narratifs. Il a besoin de la musique pour s’immerger dans l’évolution du morceau et de l’histoire. Après, justement, l’artwork vient en support de ça, c’est-à-dire qu’il n’y a pas forcément de lien direct, mais l’artwork d’Ascension, c’est en gros « A New Order », c’est le feu qui célèbre l’arrivée de Lucifer et Lilith au paradis, et leur intronisation. C’est le début de l’album.
A.M. : C’est drôle, parce que ce n’est même pas ça, la pochette…
T.C. : Comment ça ? [Rires] C’est le symbole…
A.M. : Oui, c’est le symbole, c’est ce que toi tu y vois. La pochette, nous avons beaucoup travaillé avec le bassiste là-dessus, et ce n’était pas ça, l’idée que moi j’avais. Mais c’est très bien !
T.C. : Tu vois, tu en es témoin : nous voyons chacun pas mal de choses dans ce groupe, nous analysons tous différemment [rires].
A.M. : Moi, j’appelle ça un syncrétisme Regarde Les Hommes Tomber : nous avons tous des trucs, il y a des messages cachés, c’est ce qui est super. Moi, je déteste les concepts. Je pense que la musique, l’art en général doit être libre. J’aime beaucoup l’art contemporain, car il y a la vision de l’artiste, et ensuite, il y a ce que chacun y met derrière. C’est ça, Regarde Les Hommes Tomber. Nous faisons appel à quelque chose de mythologique, d’ésotérique, et je pense que chacun a sa vision du truc.
Du coup, tu peux donner la tienne ?
Moi, c’était par rapport au mot « ascension », c’était l’idée de la flamme… La flamme, c’est limite primitif, c’est le feu, c’est l’endroit où tu avais le vieux du village qui allait raconter des choses aux jeunes, c’est l’endroit où on est décontracté, près du feu, il se passe quelque chose, c’est aussi là où les rites de passage se faisaient. Ça a toujours eu une symbolique extrêmement puissante. C’était un peu ça, l’idée que j’avais derrière cette pochette. Surtout, c’est aussi de faire une suite par rapport à la précédente, on y retrouve quelques personnages. Mais d’un autre côté, je n’ai pas non plus envie d’en dire plus, parce que comme je te disais, je n’aime pas trop les concepts fermés. C’est assez large, et puis je trouve ça sympa d’imaginer ce qu’on peut y mettre derrière.
« J’en ai un peu marre des groupes de black metal qui passent leur temps à se lamenter, et je suis admiratif des groupes plus jeunes dans la scène actuelle qui sont sur un délire de puissance, de domination quelquefois aussi, mais c’est l’idée de se battre, d’avoir quelque chose de dur, et qu’on va y arriver. »
T.C. : Comme dit Antoine, c’est là que c’est intéressant aussi. Henoch écrit les textes de manière à ce qu’il y ait une cohésion globale par rapport à l’artwork, à ses paroles et puis à la musique. Après, c’est toujours intéressant que chacun y voie ce qu’il veut y voir. C’est là que c’est sympa. Ce n’est pas figé.
A.M. : Ce qui compte en premier, c’est la musique. Le concept, je l’imaginais en jouant cette musique-là, et après tout découle de ça. Mais quelquefois, ce ne sont pas des trucs super écrits. C’est plus des images. Et puis moi, j’aime bien les symboles, parce que ça permet d’exprimer beaucoup de choses avec quelque chose de très graphique. Nous avons tourné autour de tout ça depuis les débuts du groupe.
Thomas, vu que c’est Henoch qui écrit les textes, comment abordes-tu ton travail qui est du coup celui d’un interprète ?
T.C. : Complètement, oui ! Je l’aborde plutôt sereinement. Quelque part, bizarrement, ça m’enthousiasme d’être seulement interprète et non pas réellement créateur par rapport à ces textes-là, dans le sens où je peux me focaliser vraiment sur l’interprétation et l’émotion à faire passer. Avec lui, forcément, nous nous faisons des réunions pour disséquer les textes et voir comment ça se passe, qui parle à tel instant, quel est le personnage qui narre l’histoire, ce genre de chose… Derrière, une fois que j’ai tous ces éléments-là, je peux me concentrer réellement sur le type de voix que je veux utiliser, sur l’émotion à transmettre, sur tout ça. Du coup, c’est génial, parce que finalement, mon travail est divisé par deux, et je peux me concentrer vraiment sur ma moitié, et du coup, bien la faire.
La dernière fois, J.J.S. nous avait dit que thématiquement, ce qui vous intéressait dans la Bible et la mythologie, c’était que ça montrait l’autodestruction perpétuelle de l’humanité. Comment Ascension s’inscrit-il là-dedans ?
A.M. : C’est un peu différent. Est-ce que c’est né au moment où nous l’avons composé ? Si tu veux, pour Ascension, c’est moi qui suis à l’origine du titre, et c’est ce que je disais juste avant, le feu est un symbole de puissance, et c’est un symbole plutôt positif. Donc Ascension, il faut voir ça un peu comme une revanche. J’en ai un peu marre des groupes de black metal qui passent leur temps à se lamenter, et je suis admiratif des groupes plus jeunes dans la scène actuelle qui sont sur un délire de puissance, de domination quelquefois aussi, mais c’est l’idée de se battre, d’avoir quelque chose de dur, et qu’on va y arriver. Bien sûr, l’album se termine sur la phrase « Regarde les hommes tomber », parce que c’est la fin du cycle. Mais j’ai trouvé le titre Ascension, et après, je me suis dit : « C’est marrant, parce que le groupe s’appelle Regarde Les Hommes Tomber… » [Petits rires] Il y a une espèce de fatalité, c’est incroyable, il y a quelque chose de magique ! Et en fait non, ça collait parfaitement à l’histoire qui avait été écrite, et c’était bien cette idée de fatalité, mais ça a aussi un double sens. L’ascension, c’est aussi par rapport à ce que nous sommes nous, à ce que nous avons réussi à faire avec cet album-là, et vers où nous voulons aller. C’est une sorte de mantra. Ça reste une musique extrêmement sombre, qui est dure, mais je n’ai pas envie de parler de la destruction de l’humanité sans cesse. On est dans quelque chose de plus inspirant.
T.C. : Nous ne sommes pas sur un délire nihiliste en soi. La musique d’Ascension est largement plus épique que ce qui a été composé sur les deux précédents, donc je pense qu’on peut dire ça. Les paroles sont extrêmement lyriques, épiques, comme la musique, voilà.
A.M. : En fait, sur Exile, on était sur une espèce de bruit de fin du monde, parce que les morceaux étaient super lancinants, il n’y avait pas trop de riffs, c’était une espèce de maelstrom qui avançait. Celui-ci comporte plus de riffs, peut-être plus de passages épiques, et c’est un nouveau chapitre du groupe qui s’ouvre aussi. Je pense que c’est un peu pour ça que j’ai choisi ce titre. Je trouvais le terme d’ascension assez ésotérique, et en plus, l’ascension vers la chute, c’est complètement paradoxal. Mais ça me fait aussi penser à la Kabbale juive, qui est une réinterprétation des textes où tu as l’idée qu’à travers la chute, tu vas t’émanciper d’un pouvoir divin qui est incarné par Dieu, et tu vas apprendre à te connaître toi-même en touchant le fond. Ce qui fait que cette chute-là est positive, ce n’est pas le fait de se dire : « Je déprime, je me taillade les veines, la vie c’est pourri. » Non, c’est plutôt : « Je vais toucher le fond pour revenir avec quelque chose de beaucoup plus époustouflant. » C’est un peu dur pour moi d’en parler, mais c’est un peu ça la thématique qui tourne autour du nom de cet album.
Pour la première fois, vous avez des paroles en français…
T.C. : Oui ! C’est la toute première fois, et ce qui est marrant, c’est que nous avons fait le constat à la fin du studio que nous aurions peut-être dû faire tout l’album en français. Parce que nous étions vraiment satisfaits de cet aspect-là, dans le sens où ça donnait beaucoup plus de corps au texte dans ce qu’il pouvait dégager. Finalement, nous n’excluons pas à l’avenir de ne faire que du français. Ça ne nous paraît pas déconnant.
A.M. : C’est aussi un clin d’œil à la scène black metal française, avec beaucoup de groupes qui chantent en français. C’est vrai que même dans la scène black en général, beaucoup de groupes chantent dans leur langue maternelle, ça a plus d’impact. D’ailleurs, Thomas me disait en studio que c’était beaucoup plus facile pour lui. Ce qui fait qu’à l’avenir, on verra, mais nous risquons de ne faire que ça.
« L’ascension, c’est aussi par rapport à ce que nous sommes nous, à ce que nous avons réussi à faire avec cet album-là, et vers où nous voulons aller. C’est une sorte de mantra. Ça reste une musique extrêmement sombre, qui est dure, mais je n’ai pas envie de parler de la destruction de l’humanité sans cesse. »
Vous parliez du fait de mettre en valeur le côté narratif de vos chansons. Comment concevez-vous vos setlists en live ? Faut-il que vous gardiez l’ordre ?
C’est une très bonne question, parce que nous sommes pile là-dedans ! Nous avons fait une setlist la semaine dernière, que nous allons re-tester tout à l’heure… Honnêtement, c’est dur. Nous ne nous attendions pas à ça. C’est-à-dire que lorsque nous avons dû bâtir la setlist pour les prochains concerts, nous nous sommes rendu compte que ça n’était pas évident. Déjà, nous ne voulons pas jouer trop longtemps. Nous verrons, mais nous avons du mal à dépasser une heure de set. Nous avons peur que ça soit lassant au bout d’un moment. Le problème, c’est que les morceaux d’Ascension sont très longs, ce qui fait que ça ne laisse pas beaucoup de place. Et là, nous avons fait un choix, pour l’instant, qui est de virer tous les morceaux du premier album, de ne faire qu’Exile et celui-ci, de faire ça un peu en deux temps. En fait, déjà avant les paroles, notre musique est narrative. Et comme notre musique raconte un peu une histoire, Henoch s’est inspiré de ça pour écrire toutes ses paroles, et nous essayons de retrouver ça sur nos concerts. Avec Regarde Les Hommes Tomber, je pense que notre force était vraiment d’avoir un début et une fin, d’avoir quelque chose de cohérent. C’est pour ça que nos chanteurs ne s’adressaient pas au public entre les morceaux, parce qu’il fallait que ça soit comme une « pièce de théâtre ». Nous essayons de refaire ça sur cet album-là, sans tomber – chose hyper-importante pour moi – dans le cliché groupe de metal, où on joue le morceau A, B, C, D, entre chaque morceau quatre coups de charley, et on y va. Là, nous allons essayer de travailler les transitions, pour vraiment retrouver cet aspect narratif en concert.
T.C. : L’aspect narratif se retraduira plus musicalement, parce que c’est dur d’avoir une narration construite en puisant dans différents albums. C’est impossible. Par contre, pour nous, ce qui est hyper-important, c’est d’avoir une logique, une narration construite, pour que même musicalement ça raconte une histoire, avec des transitions bien placées, des morceaux parfois réinterprétés avec des passages rallongés ou réduits… Ça dépend.
A.M. : Justement, nous sommes sur la fin d’un morceau… Nos fins de morceaux sont des fois un peu chaotiques, nous aimons bien laisser traîner. Souvent, le batteur laisse traîner, en répète, et là, nous sommes sur quelque chose de bien !
T.C. : En fait, nous construisons un set comme un morceau à part entière, comme une pièce…
A.M. : Comme un album ! Et c’est dur, parce que nous pensions avoir fait le plus gros du travail, mais nous nous rendons compte que nous avons encore beaucoup de boulot !
Vous avez fait une résidence à Stéréolux où vous avez pu justement travailler tout ça, les lumières, etc. Est-ce que le live est l’incarnation ultime de Regarde Les Hommes Tomber ? Vous avez ça en tête tout le long ?
J’avais ça en tête pendant très longtemps, parce que je composais moins. Et là, comme j’ai beaucoup plus participé à ce processus-là et que nous avons beaucoup travaillé en studio, je ne suis plus trop sûr maintenant, mais je pense que de toute manière, ça le sera toujours, parce que c’est là que nous avons les versions les plus abouties de nos titres. Et comme le disait Thomas, nous allons essayer de reconstruire une nouvelle narration durant nos concerts. Et j’espère que ça sera le cas, parce que ça demande beaucoup de boulot. Là, nous travaillons sur les lumières, nous voulons passer un cap par rapport à ça. Dans l’idée, j’aimerais que nos concerts soient l’aboutissement ultime.
Vous avez travaillé avec Førtifem une fois de plus pour la pochette. Il y a toujours un peu le côté gravure dans les textures, mais elle s’émancipe de Gustave Doré. Comment bossez-vous avec eux ?
Cette fois-ci, c’est très simple. Nous leur envoyons des idées, ils nous font des propositions. Ce sont eux qui nous ont fait une première proposition. Leur style a évolué, c’est clair. Nous n’avons pas forcément anticipé ça au départ. Leur style est différent du précédent, mais bon, c’est comme ça. Après, c’est très simple, nous leur donnons des idées, ils nous font des propositions, nous leur faisons des retours, nous sommes très chiants, assez exigeants… En plus, j’ai toujours un peu besoin de temps pour vraiment me décider sur quelque chose. Il faut que je revoie plusieurs fois le visuel afin d’être sûr de mon idée. L’idée de base, c’était de faire un dé-zoom de la pochette d’Exile, comme la pochette d’Exile est une sorte de dé-zoom de celle du premier album. C’est vraiment un triptyque qui se suit, avec une nouvelle étape, et quelque chose de plutôt mystérieux. Moi, je voulais l’idée du feu, l’idée de cette flamme, puis après, ils ont échafaudé quelque chose autour, tout simplement. De toute façon, pour cet album-là, et même pour Exile, ça s’est fait un peu dans la douleur, parce que nous n’avions pas beaucoup de temps, nous avions plein de deadlines à respecter, c’était insupportable. Et puis ils nous connaissent bien, c’est l’avantage. Nous voulions à nouveau travailler avec eux parce que ça nous semblait logique d’aller au bout, de respecter ce chiffre « 3 », ce triptyque. Et là, nous avons hâte d’avoir les trois pochettes d’album les unes à côté des autres !
Tu parles de chiffre, et il se trouve que c’est trois fois sept chansons. « 7 », ce n’est pas rien comme chiffre non plus. Vous avez fait exprès ?
Évidemment !
Savez-vous déjà vers quoi vous allez aller pour le prochain album ?
Je sais que j’ai déjà des idées, j’ai déjà des riffs, j’ai des trucs, un peu. Mais d’un autre côté, je ne pense pas que ça va être possible, mais je fantasme un peu sur l’idée de… Enfin, ça paraît complètement idiot, parce que nous venons de signer avec un gros label, donc forcément, nous avons des engagements à respecter, mais moi, j’aurais bien voulu faire un EP avec des trucs un peu différents, des morceaux doom, des morceaux très longs, faire un peu une pause, et se dire : « On se fait plaisir. » Parce que nous nous prenons pas mal la tête sur la composition, et là, nous partirions sur quelque chose de beaucoup plus libre. Mais je ne sais pas si ça serait possible, on verra. Après, c’est clair que cet album-là annonce aussi de nouvelles choses. C’est-à-dire que nous aimons bien les titres à tiroirs, avec beaucoup de riffs, ce côté extrême, ce côté épique, ce côté plus black metal dans l’approche. Je pense que nous allons rester là-dessus, mais ça va évoluer au fur et à mesure.
T.C. : Après, nous ne fermons absolument aucune porte. Nous écoutons tous des choses très différentes, black metal ou non, les influences sont assez vastes. Donc c’est vrai que nous ne nous fermons pas de porte.
A.M. : Mais je pense que nous ferons toujours du black metal. Ça, c’est sûr, mais l’approche sera peut-être différente.
T.C. : Voilà. Après, ça reste hyper-ouvert.
« L’ascension vers la chute, c’est complètement paradoxal. Mais ça me fait aussi penser à […] l’idée qu’à travers la chute, tu vas t’émanciper d’un pouvoir divin qui est incarné par Dieu, et tu vas apprendre à te connaître toi-même en touchant le fond. Ce qui fait que cette chute-là est positive, ce n’est pas le fait de se dire : ‘Je déprime, je me taillade les veines, la vie c’est pourri.’ Non, c’est plutôt : ‘Je vais toucher le fond pour revenir avec quelque chose de beaucoup plus époustouflant.' »
On vous avait parlé avant votre concert avec Hangman’s Chair : comment ça s’est passé ?
Très bien ! La préparation en elle-même nous a un peu fait peur à la base, parce que c’était pile sur la période où nous étions en studio. En gros, nous étions en studio tout le mois de juillet, et le concert était en septembre. Du coup, il fallait que nous répétions en amont pas mal avec Hangman pour bien caler le set. Nous nous disions : « Putain, ça va être horrible, on aura le studio plus les répètes avec eux ! » Nous abordions ça de manière un peu craintive ! Et au final, nous sommes arrivés en répète avec eux, et ça a matché humainement à mort, musicalement aussi, et nous avons vu que nous étions vraiment là de manière récréative, finalement. Nous étions là « pour nous amuser ».
A.M. : Comme dit Thomas, ça s’est bien passé parce que ça nous a sortis de notre processus de compo sur Ascension. En fait, nous avons bossé avec Hangman’s Chair, c’était mon idée parce que je connaissais un peu Medhi [Birouk Thépegnier], nous nous sommes rencontrés en concert, j’aimais beaucoup ce qu’ils faisaient, ils aimaient bien ce que nous faisions, nous avions des groupes que nous adorions en commun… Et puis nos deux univers n’ont rien à voir, mais il y a quelque chose de musical, une cohérence qui s’opère entre les deux. Le truc, c’est que nous les avons rencontrés que lorsque nous étions en studio, nous avons calé deux week-ends de répète lorsque nous étions à Paris. Au début, ça fait peur, parce que nous nous retrouvons tous ces musiciens ensemble dans la même pièce, en nous disant : « Qu’est-ce qu’on va faire ? » En fait, nous avons trouvé une solution de manière très rapide, et nous nous sommes éclatés à faire ça. Et c’était génial ! En plus, moi qui aime bien revisiter nos morceaux, là c’était incroyable, parce que tu vas bosser avec des gens qui vont te dire : « Écoute, moi, ton morceau, je le verrais comme ça. » Et en plus, nous avons tiré profit du fait que nous avions beaucoup travaillé en répétition pour la composition d’Ascension, nous étions prêts mentalement et chauds, surtout Romain, J.J.S et moi. Ce qui fait que nous savions rebondir sur une idée : quelqu’un balançait un riff, je trouvais une mélodie, ensuite ça s’enchaînait avec quelque chose à la batterie…
T.C. : Et surtout, c’était hyper-agréable de sortir la tête du guidon. Nous écoutions les compos d’Ascension pendant un mois tous les jours, à s’en faire péter le cerveau, et finalement, sortir de ça pour finalement revisiter des chansons que nous avions déjà composées plusieurs années avant « à la manière de », et bosser des compos d’Hangman mais en les retravaillant, c’était hyper-exaltant. Et justement, c’était même récréatif.
A.M. : C’est super. Par exemple, nous avons joué le morceau « Naive » de Hangman’s Chair, qui est sûrement leur gros tube à l’heure actuelle, et déjà, c’était trop cool de jouer ce morceau, de le jouer avec eux. En plus, nous avons joué nos morceaux avec leur accordage… Et je pense que la collaboration a marqué parce que ce qui est drôle, c’est que nous avions la tête dans le guidon : il fallait que nous travaillons l’album, que nous travaillons cette collaboration, et cette collab aurait pu être une grosse galère, parce que nous aurions très bien pu nous dire : « Putain, comment on va faire ? Est-ce qu’on va y arriver ? » Il ne fallait pas que nous passions pour des escrocs devant le public. Nous avons travaillé ça comme un groupe de rock, nous avons vraiment travaillé tous ensemble dans la même pièce, et la veille du concert, le bassiste de Hangman’s Chair me demande : « Mais tu penses que c’est bien, ce qu’on fait ? » Je lui ai dit : « Ouais, je pense que ça va le faire. » Et c’est pour ça que nous avons été extrêmement étonnés du retour du public, parce que déjà, sur scène, les gens étaient fous, et quand nous sommes sortis de scène, nous nous sommes dit : « Ah ouais, il s’est vraiment passé quelque chose ! », alors que nous n’avions pas calculé ça. Nous étions un peu dans le truc, on nous a fait cette proposition, c’était un peu un délire de musicien quoi ! Même nous, ça faisait un moment que nous n’avions pas fait de concert, nous travaillions sur notre nouvel album… C’est con, mais j’avais même oublié qu’il y avait des gens qui étaient là pour nous écouter !
T.C. : Ce qui a vachement aidé aussi, c’est que Medhi et Clément [Hanvic] de Hangman ont réussi à gérer une petite résidence de trois jours, juste avant la date, aux Cuizines, à Chelles, une super salle où nous avons pu bosser quelques jours avant le set, pour vraiment bien le définir et bien le calibrer. Et nous avons été aidés aussi du fait que les gars d’Hangman sont super pros. Ce sont de vrais bosseurs, ce sont des mecs super sympas… C’est génial !
Allez-vous jouer le même set au Roadburn ?
A.M. : Au Roadburn, nous avons dix minutes de set en plus, donc là, il faut que nous trouvions quelque chose à faire ! [Rires] Il y aura encore la vidéo aussi. Et là, c’est un rêve, c’est un truc de dingue ! Nous faisons un set Regarde Les Hommes Tomber où nous allons jouer Ascension en entier le samedi, et le dimanche, nous faisons le set avec eux sur la mainstage. Donc c’est un peu un truc de dingue ! Nous sommes hyper-contents de le faire, ça va être génial. Nous avons un peu la pression parce que le Roadburn, c’est un sacré truc. Et aussi, je peux te l’annoncer parce que ça va sortir, mais nous allons refaire ça au festival de Dour, en Belgique. À la base, cette collaboration devait se faire juste pour le concert. Le soir même, nous avons eu plein de propositions, et nous étions un peu gênés, parce que nous nous demandions s’il fallait garder ça avec le côté un peu magique du truc, en se disant : « On l’a fait une seule fois, on le fait qu’une seule fois. » Et quand le Roadburn te demande de le refaire, tu te dis : « Ah ouais ! Bon, je pense qu’on va le refaire ! » [Rires].
T.C. : Du coup, au final, on fera ça trois fois, mais je ne pense pas qu’il y aura de quatrième. Nous voulons quand même garder un petit aspect un peu pur, magique, de ce moment-là.
A.M. : Ça dépendra des propositions. Il n’y a rien de calculé. Encore une fois, nous n’avions rien calculé.
T.C. : Ce qui était super sympa aussi, c’était d’être à neuf sur scène ! C’était dingue, parce que sur une formation metal classique, tu es quatre ou cinq, grand max. Et là, il y avait en plus une configuration en arc de cercle, donc ça participe bien au côté un peu cérémonial du concert. C’était génial d’être tous sur scène.
Maintenant, qu’est-ce qui s’annonce pour vous ? J’imagine que vous allez beaucoup jouer après la sortie de l’album…
A.M. : Nous avons une vingtaine de dates de prévues. Ce que nous espérons, c’est juste de jouer le plus possible, faire le plus de concerts possible, aller plus loin, redécouvrir nos morceaux… J’attends aussi la réaction des gens.
T.C. : C’est vrai que dans l’immédiat, nous avons quelques retours des premières chroniques de webzines, de magazines. Là, nous sommes surtout pressés d’avoir les réactions en direct, en live, des gens.
A.M. : C’est ce que je disais aux gars la semaine dernière, je leur disais : « Vous vous rendez compte, on va jouer ces morceaux-là devant un public ! » Ça fait tellement longtemps que nous les travaillons, que ça va faire plaisir. Bon, après, c’est l’histoire de tous les groupes, c’est toujours pareil. Mais nous avons hâte de jouer ça en concert.
Interview réalisée par téléphone le 17 février 2020 par Chloé Perrin.
Retranscription : Robin Collas.
Photos : David Fitt.
Facebook officiel de Regarde Les Hommes Tomber : www.facebook.com/rlhtband.
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