Lofofora, c’est déjà plus de vingt ans d’existence, de lutte, de colère mais aussi d’amour (si, si !). Amour pour ce public toujours au rendez-vous quel que soit le jour, quelle que soit l’heure pour leur offrir jusqu’à leur dernière goutte de sueur. Amour aussi pour les copains ; présents ou disparus, ils auront toujours une place pour eux sur scène, sur disque et dans leur cœur.
Mais Lofo n’a pas beaucoup de temps pour l’amour ou pour commémorer le passé (« La belle époque c’est demain », nous dit Reuno), car tant qu’ils auront la rage et des motifs de gueuler, ces gars-là auront de l’avenir et continueront de bétonner l’Hexagone sous des couches de rock dur.
Et la huitième couche vient d’être posée : L’Épreuve du Contraire, tout nouvel album studio qui vient de s’ajouter à la discographie du groupe parmi ses meilleurs opus, et au lendemain de la sortie duquel Reuno a accepté de se soumettre à l’épreuve de nos questions en direct dans l’émission Anarchy X. Et dans un dialogue décontracté, on n’est jamais très loin d’accoucher d’un philosophe. Si l’homme est en quête de sagesse, l’artiste doit peut-être souffrir et se battre ou s’identifier à ces taulards que le chanteur a côtoyé, nous raconte-t-il, chez qui il a trouvé des exemples de sages et auquel il rend hommage sur ce nouvel album. Il nous en parle ci-dessous ainsi que de ses autres groupes : Mudweiser et le Bal des Enragés, parmi d’autres sujets comme leur passage au Hellfest, la place de la création musicale dans les médias, les concerts-anniversaires et, avec quelques sanglots dans la voix, de Schultz (Parabellum) qui venait de nous quitter quelques jours plus tôt.
« Un artiste n’est pas forcément quelqu’un de très heureux du monde dans lequel il vit, sinon il n’aurait pas vraiment de raison de le réinventer. »
Ecouter l’audio :
[audio:interviews/2014/Lofofora (Reuno) – 2014.09.16.mp3|title=Interview Reuno (Fofofora)]Radio Metal : Le nouvel album L’épreuve du contraire vient de sortir, tout se passe bien ?
Reuno : Ça ne m’a pas fait trop mal dans un premier temps, donc c’est plutôt positif… D’après les premiers échos qu’il y a sur les réseaux sociaux, sur les chroniques qu’on a pu avoir, pour l’instant c’est tout bon. C’est que du bonheur, on a eu raison de le faire encore une fois, ça fait plaisir qu’il y ait très peu de remarques négatives sur ce disque et beaucoup d’engouement de la part du public. Ça nous conforte dans le fait de l’avoir fait de la sorte.
Tu dis que « ça ne t’a pas fait trop mal », tu veux dire qu’il y a des albums qui t’ont fait mal à sortir ?
Non, c’est juste que c’est un peu comme si j’accouchais d’un truc… C’était une plaisanterie mal placée, pardon je ne le ferai plus… (rires)
Et ça se passe même très bien au niveau des ventes puisque pour le moment l’album est n°1 des ventes mp3 dans la catégorie Hard-Rock Metal d’Amazon, n°4 sur iTunes…
Ha, je n’étais même pas au courant qu’on était si bien placés, mais ouais, carrément, ça fait plaisir.
Concernant le support physique, le label t’a-t-il communiqué des chiffres sur les ventes ou les précommandes ?
Ha non, si tu veux ça nous rapporte tellement peu d’argent de vendre des disques… On a envie d’en vendre pour que ça conforte la maison de disques dans le fait de nous produire des albums et qu’elle continue à le faire. Si je gagnais beaucoup d’argent et que je vendais des centaines de milliers de disques, je serais en train d’appeler mon label-manager deux fois par jour pour savoir combien va arriver sur mon compte en banque, mais non ça me soucie très, très peu en fait. Des fois c’est au bout de six mois que je vais demander combien d’albums on a vendu, je ne suis pas trop comme ça quoi…
Il y a donc une véritable relation de confiance avec le label At(h)ome, cela fait maintenant quatre ou cinq albums que vous êtes avec eux…
Oui, pas loin… Et c’est une confiance relativement réciproque puisque ça fait quand même deux albums qu’ils nous produisent sans quasiment rien entendre. On leur fait écouter quelques instrumentaux, on leur faire lire quelques textes et puis ils nous disent : « OK, on vous produit », donc je pense que c’est une chance unique et qu’il n’y a pas beaucoup de labels qui nous feraient confiance de la sorte, et ça fait plaisir évidemment.
Tu dis que sortir un disque vous rapporte très peu d’argent, est-ce que comme certains groupes aujourd’hui vous hésitez à créer un nouvel album alors qu’organiser une simple tournée serait peut-être plus rentable ?
Nous, on aime faire des nouveaux morceaux, on s’ennuierait si on devait jouer les mêmes morceaux pendant dix ans d’affilée et puis on n’est pas un groupe de best-of de Lofo non plus.. Quand on part en tournée on n’essaie pas de jouer uniquement les morceaux que le public a envie d’entendre et c’est un peu une forme de respect qu’on a envers eux, d’essayer de leur proposer quelque chose d’un peu plus frais régulièrement.
C’est le deuxième album où la production est assurée par Serge Morattel, un attachement s’est créé avec lui ?
Déjà humainement il y a un truc qui s’est passé. Pour avoir discuté avec d’autres gars qui ont travaillé avec lui, avec Serge Morattel tu as l’impression d’avoir un membre supplémentaire dans le groupe qui pige vraiment où tu veux en venir, peut-être même mieux que toi parfois… Il sait bien te guider là où tu as envie d’aller, il voit la forme globale que tu veux donner et il sait vraiment bien coacher les musiciens. Et puis il est tout le temps en train de déconner donc ça fait dédramatiser. En fait, pas tout le temps, c’est pas non plus un bouffon, mais c’est un mec qui a un humour incroyable et, en même temps, c’est un grand professionnel. Il sait faire les deux donc ça lui use beaucoup d’énergie, il a une grande psychologie, il sait comment parler à chacun au sein d’un groupe donc c’est vraiment un plus. On était tellement content du son de Monstre Ordinaire qu’on s’est demandé qui pourrait surenchérir après ça, si ce n’est pousser le bouchon un peu plus loin avec lui. Il a été enchanté lorsqu’on lui a proposé de re-bosser avec nous donc c’était vraiment cool encore une fois.
On retrouve dans ce nouvel album les grands thèmes de Lofofora qui sont liés à ta colère envers ce monde de conneries, mais est-ce que finalement tu pourrais te passer de tout ce bruit et de ce sentiment de rage ?
Ouais, peut-être qu’un jour j’en aurai plein le cul, que je décrocherai les glands et que j’irai faire du blues à la campagne en n’allumant plus jamais la télé ni internet, en n’achetant plus aucun journaux pour savoir ce qu’il se passe et me contenter de vivre dans un petit milieu où la vie serait un petit peu plus paisible, je n’exclus pas un jour cette éventualité… Mais c’est vrai qu’aujourd’hui ça reste un moteur pour moi et que tout ce qui est rock énervé, punk, metal ou techno agressive, ça reste dans des univers hostiles. Quelque chose d’aussi joli que le blues est quand même né du fait qu’on ait enchaîné des esclaves et qu’on leur ait donné des conditions de vie impossibles. Toutes ces musiques-là sont en réaction à quelque chose. Je pense qu’un artiste n’est pas forcément quelqu’un de très heureux du monde dans lequel il vit, sinon il n’aurait pas vraiment de raison de le réinventer, que cela soit un réalisateur, un peintre ou un chanteur de rock.
C’est-à-dire que Lofofora ne pourrait pas exister sans ça ?
On ne se pose pas la question parce que d’ici à ce que ça soit « flower power » dans toute la planète, je pense qu’on a un petit peu de la marge, quoi… On aura le temps de maîtriser la guitare acoustique douze cordes et de jouer du djembé avant que ça se produise.
Est-ce que c’est ça finalement être artiste, convertir les ondes négatives en positives ?
Ouais, mais pas forcément positives, quand tu vois ceux qui font des films gores ou de la musique hyper agressive, le black metal, par exemple, ça n’a pas l’air super positif autour de la vibration. Et pourtant ça doit l’être pour certaines personnes, moi c’est pas trop ma came mais, oui, je pense qu’il faut avoir envie de repeindre le monde d’une couleur ou d’une autre pour écrire des bouquins ou pour monter sur scène, c’est obligatoire.
Tu penses que tu arriverais à vivre sans rien contre quoi lutter ?
Ouais, bien sûr. Un jour, je croiserai peut-être la sagesse, même si elle a l’air de m’éviter pour l’instant, je n’exclus rien, hein ! Je me réserve encore des surprises et c’est ça qui rend ma vie excitante.
« Je ne suis pas nostalgique. La belle époque c’est demain, je n’aime pas regarder dans le rétro et je ne dirai jamais ‘c’était le bon temps' »
Qu’est-ce qui te fait dire que tu n’as pas encore la sagesse justement ?
Parce que je suis un mec qui se met facilement en colère, même si je ne suis pas un colérique non plus, mais il y a pas mal de choses qui me font encore perdre mon sang froid.
Et puis ce côté adolescent attardé…
Mais complètement ! Et puis c’est un petit peu de famille, j’avais un grand-père qui est parti il y a deux ans, il avait 94 balais et jusqu’au bout c’était vraiment un énervé et un révolté. Et quand je me rends compte de ça, je me dis que, putain, c’est pas demain la veille que je vais me calmer ! (rires)
Tu expliques dans « Chanson d’Amour » que, justement, tu n’arrives pas à en écrire car il y a trop de choses qui te mettent en colère à côté de ça, mais est-ce que tu as vraiment envie d’en faire ?
Ouais, bien sûr, j’aimerais écrire plus de chansons d’espoir, plus de chansons cool. Quand t’es avec une nana avec qui tu te sens bien et que ça te parait comme une évidence, t’aimerais bien, pourquoi pas, un jour lui écrire une belle chanson pleine de bons sentiments et puis tu ouvres la fenêtre et d’un seul coup tu vois un truc qui te retourne le bide et finalement tu as envie de chanter autre chose qui te parait plus urgent. C’est quand même une musique qu’on essaie de faire dans l’urgence, le rock c’est quand même une musique qui nait sur des charbons ardents et pas sous une couette confortable, ça devient de la pop sinon. (rires)
Tu continues à écrire tes textes à la dernière minute ?
Non, sur le précédent j’avais gambergé longtemps avant de tout écrire sur cinq-six semaines et là finalement je m’y suis pris un peu à l’avance. Tout simplement parce qu’à chaque fois j’ai envie de faire différemment quoi, c’est juste pour cette raison là que je m’y suis mis plus tôt. Et puis, des fois, ce côté inconfortable d’écrire tout à la dernière minute, c’est un peu angoissant, quoi… Je ne veux pas jouer le numéro de l’artiste maudit, il y a des gens qui souffrent bien plus que ça, mais c’était une situation pas vraiment confortable dans laquelle je me mettais. J’ai eu envie de gamberger et écrire un peu plus en amont, car mes textes bougent jusqu’au dernier moment. J’écris des choses et au moment où je fais la prise de voix c’est différent, il y a eu plein d’exemples sur le dernier album où au dernier moment c’est un autre mot qui est sorti plutôt que celui écrit sur le papier. Là je disais à Serge que finalement j’allais laisser ce mot là, car s’il sortait c’est qu’il sonnait mieux et que je le sentais mieux. Il y a une part de spontanéité qui doit être préservée, je pense.
Sur cet album il y a peut-être quand même une chanson d’amour, c’est « La Tsarine »…
Ouais, on va dire ça… (rires) Je crois c’est l’un des trucs les plus haineux que j’ai pu écrire dans ma vie mais, en même temps, ce n’est que la petite monnaie de la grosse pièce.
Un internaute sur le chat nous dit : « la sagesse n’est-elle pas dans la lutte ? », Reuno ?
Je ne suis pas sûr que le Dalaï-lama en ait cette conception. Je pense que ça vient plus dans le lâcher-prise que dans la lutte, la sagesse. Voilà, point. (rires)
En « autopilote » en fait ?
Ouais, peut-être quelque chose comme ça, mais bon pour se mettre en autopilote il faut déjà bien maîtriser le pilotage quoi, avoir une grande confiance globale en soi, dans le monde qui nous entoure, avant de lâcher les rênes. Je pense que la sagesse se situe plus dans le lâcher-prise que dans le combat, ou peut-être chez les samouraïs mais je n’ai pas étudié la question…
Un autre internaute nous dit : « qui n’a pas été fou ne saurait être sage, car on devient sage en surmontant sa folie »…
Eh ben, écoute, euh… Voilà. Qu’il aille se faire tatouer ça sur les avant-bras ou se faire un joli T-shirt ! (rires) C’est marrant qu’il dise ça parce que là je suis dans ma piaule et il y a une toile, peinte par une copine il y a au moins vingt piges, où il y a une espèce de masque africain rouge et bleu, ce n’est que longtemps après que j’ai compris que ça pouvait être ma tronche, et autour c’est marqué de manière très dissimulée « Masque d’un fou, les yeux fermés, les yeux ouverts, masque d’un sage » et tu peux le lire dans l’autre sens, pouf pouf, enfin bref… La sagesse et la folie, tout ça doit être un peu lié !
Ça pourrait t’inspirer pour une prochaine chanson ça non ?
Sur l’album précédent j’avais écrit une chanson qui s’appelait « Ma Folie », un peu comme une déclaration d’amour à la folie qui m’habite depuis si longtemps quoi…
Comme quoi Lofofora est doué pour les chansons d’amour…
Bah ouais, on est français ou on ne l’est pas, merde ! Le french lover, le french kiss, voyons ! Ça ne vient pas de Suisse non plus ! (rires)
« Je pense que ça n’arrivera jamais de faire un concert pour commémorer je ne sais pas quoi. Tout ça, ça m’emmerde, les anniversaires, les commémorations, tout ça c’est pour les militaires pas pour les rockeurs. »
Vous venez de sortir un clip, ce qui n’était plus arrivé depuis « Mémoire de Singes »…
Ouais, et même pour « Mémoire de Singes » le clip était sorti six mois après la sortie de l’album, ce qui était un peu dommage.
Dans celui de « Contre Les Murs » on voit Lofofora sur un ring et l’entrainement d’un jeune boxeur, c’est un choix de thématique de votre part ou du réalisateur ?
Du réalisateur, à qui l’on a fait entièrement confiance. On avait maté des clips qu’il avait fait auparavant et on aimait bien le ton un petit peu dark qui se dégageait de ses clips, et en même temps plus cinématographique que publicitaire. La plupart des réalisateurs de clips font beaucoup de pubs aussi, et tu ne sais pas où commence la pub et où finit le clip. Je fais un peu une différence entre d’un côté le marketing et l’entertainment, et de l’autre la création artistique. Je ne mets pas trop ça dans le même panier, même si ça fraude et ça copule parfois de manière un peu bizarre. On avait bien aimé chez Guillaume… euh je ne sais plus, Panaracielo ? Il a un nom italien (Panariello) ! On aimait bien le style cinématographique et quand il nous a dit qu’il voulait faire un truc en noir et blanc, avec très peu de cuts, donc pas un plan séquence à chaque coup de grosse caisse comme c’est souvent le cas. Donc on était plutôt fan de voir qu’il voulait plutôt prendre le contre-pied, qu’il ne voulait pas qu’on bouge dans tous les sens, plutôt un truc assez posé. Je trouve que c’est pas mal car pour Lofo ça reste un morceau mid-tempo avec une énergie assez contenue et je trouvais que jouer cette carte du truc un peu pesant c’était plutôt une bonne idée, tous les membres du groupe étaient d’accord pour faire confiance à Guillaume. C’est comme quand tu bosses avec un ingé-son, tu ne vas pas toutes les trois minutes aller vérifier s’il a monté le bon bouton, il y a un moment où il faut savoir faire confiance. Du coup, on est très content du résultat, même si certaines personnes trouvent que ça tranche avec l’énergie du groupe sur scène, mais en même temps ce n’était pas un teaser ni une bande publicitaire pour vendre les concerts de Lofofora.
Quel est justement dans Lofofora la part d’entertainment et la part d’artistique ?
Nous, quand on conçoit le truc, jamais on ne se pose de questions, on essaie de faire les morceaux qui nous plaisent à nous, quoi… Jamais on ne se pose les questions « est-ce que ça va plaire ? », « est-ce que ça va vendre ? », « est-ce que c’est ce que le public attend de nous ? »… Ça, on en a un peu rien à carrer. Enfin non, on y pense mais une fois que c’est fait et enregistré. Ce n’est pas au moment où on le fait sinon c’est la pire des censures que tu puisses te faire, l’autocensure et l’autoformatage de « il faut que je rentre dans telle case qui m’est réservée », on s’interdit complètement de penser comme ça. Donc je ne sais pas où est la part d’entertainment dans Lofo, peut-être dans les concerts où j’ai un côté animateur du Club Med… non je déconne, mais où tu pousses les gens à pogoter ou à faire des circle-pits… C’est peut-être là la part d’entertainment mais je pense que ça ne va pas beaucoup plus loin.
Pourquoi ce thème de la boxe ? Est-ce que Lofofora s’apparente à de la boxe intellectuelle ?
Ouais, il y a peut-être un peu de ça, c’est boxer avec les mots quoi… Après je ne suis pas du tout boxe, même s’il y a quelques années je me réveillais la nuit pour voir les combats de Mike Tyson qui duraient une minute trente, j’adorais ça… Mais sinon Phil est plus fan de boxe. Après c’est plutôt la notion de combat, contre soi-même et contre le monde qui nous entoure. Ce clip je le vois comme ça, après chacun voit ce qu’il veut mais je lui trouve une dimension relativement poétique. Ça laisse de la place à l’interprétation de chacun sur ce que ça raconte, ce n’est pas un clip narratif, loin de là.
Il y a aussi ce côté chevalier sans armure, que l’on retrouve dans la chanson.
La vérité sur cette chanson, c’est que j’ai eu l’opportunité de travailler avec des prisonniers pendant un peu plus de deux ans. Je faisais enregistrer des disques à des mecs qui étaient en maison d’arrêt, des endroits où tu passes généralement plus de dix ans. Ça ne s’entend pas dans le texte et ça ne se voit pas dans le clip, mais c’est en pensant à ces mecs-là que j’ai écrit cette chanson. Tout à l’heure on parlait de sagesse, là-bas j’ai rencontré des mecs que la société estime important d’enfermer, on ne sait pas si c’est pour les punir ou tenir à l’abri les braves gens honnêtes, et qui pourtant faisaient preuve d’une infinie sagesse dans la taule et ça c’est vraiment le truc qui m’a le plus étonné. Des gens qui savent que s’ils veulent garder leur cerveau à peu près intact au moment de la sortie, ils doivent prendre du recul sur ce qui leur arrive, et pour moi c’est une grande preuve de sagesse.
Doit-on en déduire que c’est souvent dans l’épreuve que l’on acquiert la sagesse…
Oui, au même titre que l’on apprend quasiment que de ses erreurs. Quand on ne se trompe pas, on ne sait pas ce qui peut mal aller et on a du mal à rectifier le tir. C’est indispensable à tout apprentissage je crois. Putain, c’est intello comme radio Radio Metal, bordel ! (rires)
Pour la première fois Lofofora a été programmé au Hellfest cette année, il était temps, non ?
Je crois que c’est parce que Ben Barbaud n’aime pas trop les groupes français et encore moins les groupes qui chantent en français. Donc du coup il n’y avait pas de place pour nous jusqu’à maintenant. J’espère qu’il révisera sa pensée, il y avait aussi Tagada Jones qui jouait cette année et j’espère qu’on aura l’occasion d’y retourner, que ce soit sur la Mainstage ou ailleurs. On n’arrête pas de nous appeler dans les canards ou les webzines « les piliers », « les patrons », « les précurseurs » et en même temps c’est la première fois qu’on jouait là-bas, on se demandait si on puait pas un peu de la gueule à un moment donné. Mais finalement non, on y est allé et on aimerait bien y retourner. On y était aussi déjà allé l’année précédente avec le Bal des Enragés. On avait également joué pour le Fury Fest, apparemment on « pèse sur la scène metal française » donc c’était un peu bizarre de ne pas y être présent et j’espère que Monsieur Barbaud aura changé d’avis, que ça vaut le coup de programmer Lofo ou d’autres groupes français.
Ce n’était pas un peu frustrant de ne jouer qu’une demi-heure et le matin ?
Ouais, complètement, c’est l’heure à laquelle tu sors du lit normalement le dimanche, quoi… Aller jouer à cette heure-là c’était un petit peu bizarre, et faire une setlist de trente minutes quand t’as une centaine de morceaux à ton actif et que tu dois en choisir six ou sept… C’était un petit peu rageant, quoi. Mais je crois qu’on a réussi à placer huit ou neuf morceaux quand même.
Vous avez quand même réussi à mettre un beau boxon dans le public…
Oui, apparemment. J’ai pas mal d’amis qui sont bénévoles tous les ans sur le Hellfest et ils étaient étonnés de voir autant de monde à cette heure-là, donc ça fait plutôt plaisir. Surtout le troisième jour où les mecs ont déjà un peu la tête dans le cul quand même.
Et ce petit featuring de Maxime Musqua ?
Ouais, bah, écoute, il y a des gens qui ont dit : « Comment ? Vous avez fait venir ce mec de Canal +, le grand Satan ! » Bon, OK. Nous, si on l’a fait, c’était pour faire la promo, je te le dis franchement, j’en ai rien à carrer du Petit Journal. On a tellement peu d’exposition médiatique et elle se rétrécit au fil du temps. Je ne parle pas que pour Lofofora, hein, quand j’étais môme il y avait trois ou quatre chaînes de télévision et il y avait quand même une émission qui nous faisait découvrir chaque semaine des groupes de rock français. Aujourd’hui, il y a trente chaînes, ou je ne sais pas combien, et il n’y a aucune part réservée à la création musicale pseudo amateur ou en passe de devenir professionnelle. C’est un peu relou pour tous les jeunes groupes qui débutent et évidemment pour les « confirmés » comme nous. On a profité de cette exposition médiatique en se disant qu’il y aurait comme ça plein de gens qui sauront qu’on existe encore.
« J’ai du mal à considérer ça comme ma profession même si c’est ça qui me fait gagner ma vie tant bien que mal. C’est surtout ce qui me rend libre, c’est plus comme ça que je le conçois que comme une profession, c’est plus mon moyen d’évasion. »
Tu trouves ça frustrant que ce genre soit si peu représenté dans les médias ?
Je ne suis pas désolé qu’il n’y ait pas de chanteur de metal en France qui ait une Ferrari et des piscines comme aux États-Unis, je ne veux pas la vie de Lars Ulrich…
Mais en termes de représentation médiatique tout simplement ?
Ha oui, mais la représentation médiatique c’est uniquement quand tu rapportes beaucoup d’argent que les médias vont parler de toi. Mais je coupe court à ça car on a quand même eu une chronique dans Voici ! Ça va venir vous inquiétez pas les mecs ! Bientôt vous me verrez dans un jacuzzi avec Nabilla !
Le salut du metal passera donc par Voici, c’est ça ?
Ouais, c’est génial quoi, merci, c’est Voici qui sauve le metal en France, t’as vu ! (rires)
Il y a dix ans, à Lyon, vous remplissiez le Transbordeur (1500 personnes) en tête d’affiche avec Watcha et Aqme, et vous passiez même à la télévision dans Top of The Pops sur France 2, et aujourd’hui vous ne faîtes que le Ninkasi (500 personnes) et vous n’avez aucune couverture médiatique généraliste, qu’est-ce qui a changé selon toi ?
Alors là, je ne sais pas. Déjà, c’est la crise mon bon monsieur ! Les gens sortent moins je pense, où ils vont peut-être plus voir des concerts à 80€ au Stade de France. Non, je ne sais pas… Les goûts musicaux changent, il y a eu une décennie où les gens écoutaient plus du rap ou d’electro, à un moment le rock c’est revenu, là apparemment c’est le come-back des années 90, peut-être que ça sera notre tour d’être à nouveau branchés, je n’en sais rien. Il n’y a pas non plus énormément d’autres groupes metal français qui sont capables de remplir le Transbo aujourd’hui, je pense. Le public ne nous a pas laissé tomber, on n’a pas à se plaindre de ce côté-là, peut-être qu’il y avait une émulsion à ce moment-là, c’était un plateau avec plusieurs groupes qui fonctionnaient quand même.
C’était l’époque des tournées Sriracha, c’est ça ?
C’est ça, à l’époque on avait une structure et on essayait de faire bouger des trucs, mais ça fait une petite dizaine d’années qu’on a mis la clef sous la porte. Il y avait des gens au sein du collectif qui avaient envie d’autre chose et de faire cavalier seul.
C’était une belle époque et des sacrées tournées, tu dois en avoir un bon souvenir ?
Ouais, mais je ne suis pas nostalgique. La belle époque c’est demain, je n’aime pas regarder dans le rétro et je ne dirai jamais « c’était le bon temps », je ne suis pas comme ça.
On se doute donc de ta réponse pour la question suivante, l’année prochaine c’est les vingt ans de votre premier album…
Oh putain…
Vous comptez fêter cet anniversaire sur scène ?
Oh non, non, non, c’est bidon quoi… Franchement à quinze ans je voulais faire du rock pour faire du bruit, un peu faire chier les parents parce que je reconnaissais là un son qui correspondait à ce que j’avais dans la tête, à une envie de changer les habitudes et les éviter aussi. Donc faire la tournée de l’album qu’on a fait il y a vingt ans, je trouverais ça franchement ridicule. S’il y a un groupe que j’adore et que j’ai adoré c’est Helmet, ils ont fait une tournée où ils jouaient tout Meantime et je n’y suis pas allé parce que… (il soupire) Je trouve ça un peu glauque. Est-ce qu’on demande à un réalisateur, vingt ans après son premier film, de faire la suite ou de le refaire à nouveau ? Ça n’a aucun sens. Après les gens font ce qu’ils veulent.
C’est devenu une mode, les remakes, les reboots…
Ouais, mais c’est bon, à un moment si tu te prétends créatif en tout cas il faut créer et pas bégayer tout le temps. Même s’il y a des groupes qui ont un peu enregistré deux mille fois le même morceau, et peut-être que nous on en fait un petit peu partie car on retrouve toujours un peu les mêmes thèmes et les mêmes ambiances qu’on revisite peut-être en permanence, on essaie dans la mesure du possible de se renouveler. Rejouer un album qu’on a écrit il y a vingt ans je le vivrais trop mal, le sentiment de déjà-vu me met dans un sentiment de malaise bizarre, je n’aimerais pas ça du tout. Il en est hors de question, ça sera sans moi ! (rires)
Avec le come-back des anciens membres !
Ouais, mais non, d’ailleurs on le regrette avec Phil mais on n’a aucun contact et ça ne s’est pas toujours bien terminé avec les anciens membres de Lofo donc… Je pense que ça n’arrivera jamais de faire un concert pour commémorer je ne sais pas quoi. Tout ça, ça m’emmerde, les anniversaires, les commémorations, tout ça c’est pour les militaires pas pour les rockeurs. Je ne sais pas qui disait ça « les anciens combattants quand ça défile ça va, c’est quand ils se racontent que ça devient chiant ». C’est un petit peu ça.
Ça avait l’air de te foutre une claque quand on t’a dit que votre premier album allait avoir vingt ans…
Ha ouais ! Je compte pas moi.
Mais nous nous plus, on est encore comme des adolescents qui suent pour la première fois dans la fosse de Lofofora.
C’est gentil parce que moi je suis encore comme un jeune con qui transpire sur toi ! (rires !)
Tu nous a déjà d’ailleurs postillonné dessus au premier rang d’un concert…
Ha mais je suis désolé, je le vis mal depuis ! (rires)
On voit que Lofofora est bien implanté sur les réseaux sociaux maintenant alors que vous n’aviez pas l’air d’en vouloir au départ ?
On ne voulait surtout pas s’en occuper. Sur Facebook pour ne pas le citer, faut pas que j’y aille trop souvent ça finit en messages privés où je dis aux mecs : « si tu veux on se voit en face à face et on en cause », et généralement les mecs répondent jamais… Je l’ai déjà fait plusieurs fois, pour te dire à quel point la sagesse n’est pas encore chez moi, et je ne dois pas y trainer trop souvent. La page où il y a aujourd’hui 40 000 et quelques personnes, c’est des fans de Suisse qui avaient lancé ce truc-là. A la sortie de Monstre Ordinaire, le label nous a dit de faire un Facebook et personne n’avait envie de s’en occuper, on s’est dit qu’il y en avait un. J’avais d’ailleurs poussé un coup de gueule sur le site de Lofofora en disant « attention c’est pas nous le Facebook » car j’avais pas du tout envie de mettre mon nez là-dedans. Apparemment c’est devenu indispensable sinon tu n’existes pas. On a donc fini par céder et des fois c’est marrant. Mon téléphone, je ne sais pas comment on dit ça, mon « smartefaune » est connecté à Instagram et ça c’est plus un mode d’expression qui me colle mieux. Mettre juste une image avec une phrase en dessous et après je laisse causer, je m’en cogne. Sinon alimenter le Facebook, c’est Jo qui s’en occupe, je lui tire mon chapeau car c’est un mec vraiment trop cool, et David qui lui file un coup de main de temps en temps. Moi je m’en occuperais pas c’est certain, ce serait complètement laissé à l’abandon. J’ai pas de Facebook perso, c’en est hors de question, je n’ai pas à savoir que mes potes bouffent de la pizza et que untel est en colère contre ceci cela, les gens se traitent d’enculé au bout de trois lignes parce que quelqu’un fait des fautes d’orthographe. Quel petit monde, quel petit monde rétréci ! Et compter son nombre d’amis, moi je préfère les compter dans la vraie vie, il se passe déjà suffisamment de choses pour que j’ai besoin d’être accro à un truc pareil. Mais bon, après les gens font ce qu’ils veulent, je peux peut-être passer pour un vieux con réac’ aux oreilles de certains en disant ça mais c’est pas grave…
(A propos de Schultz) « C’est pas un vide qu’il a laissé le gros, c’est un cratère. On a tous un cratère dans le cœur en ce moment. »
C’est vrai que les gens osent dire beaucoup de choses qu’ils ne diraient jamais dans la vraie vie…
Mais oui ! Les gens ils se mettent une tête de chat en avatar, ils s’appellent DarkVador28 et puis ils se prennent pour les rois du monde alors que la plupart c’est des boutonneux qui habitent chez papa maman et qui viennent donner la leçon à tout le monde, ça me casse les couilles franchement. Je préfère la vraie vie, il y a une vraie confrontation qui est plus excitante quand même. Il y a un truc super trompeur dans tout ça, et c’est ça qui m’agace.
Le truc c’est que dans la vraie vie il faut s’assumer…
Bah oui ! Bah voilà ! Un autre truc qui me choque, le tableau de Gustave Courbet « L’origine du Monde » où tu vois un sexe féminin au milieu d’une touffe assez fournie, cette image a été censurée sur Facebook alors qu’il y a des tas de profil de nazis, c’est incroyable quoi… Rien que pour ça, ça pue, il y a trop de gens infréquentables, en même temps il y a la Terre entière ! Et je ne veux pas être une statistique, Facebook c’est comme répondre à un sondage permanent sur toi-même. Enfin c’est bizarre, ça me fait peur. On like et on a des friends. C’est bon, moi avec mes amis on sait se dire qu’on s’aime quand c’est le moment venu et ça me suffit largement.
Et parlant d’amis, on va casser un peu l’ambiance…
Oui, je me doutais que ça allait venir à un moment.
Ce week-end ton pote Schultz de Parabellum est décédé, tu veux dire deux mots ?
C’est un frangin qui est parti, il était dans le Bal des Enragés avec toute la bande des Parabellum, des Tagada Jones, Stéphane de Loudblast, Poun de Black Bomb A, Klodia de Punish Yourself, on formait une putain de famille, quoi…
Qu’en est-il du Bal des Enragés après ça ?
Comme je leur ai dit, c’est pas un vide qu’il a laissé le gros, c’est un cratère. On a tous un cratère dans le cœur en ce moment.
C’est vrai que « Cayenne » était toujours un grand moment des concerts du Bal des Enragés…
Ouais, ça restera un hymne à jamais. Ce mec-là, il n’est pas prêt de mourir dans nos cœurs et dans celui d’un paquet de monde. Demain je serai à ses funérailles et on sera nombreux. Je pense à lui toute la journée en ce moment. Dans ce boulot là, il n’y a pas de collègues de bureau, les gens soit tu les aimes soit tu ne les aimes pas. Lui on était un paquet à l’adorer, c’était un mec avec un cœur énorme, avec un charisme incroyable, une des seules personnes qui savait vraiment ce que c’est que le rock’n’roll dans ce pays. Il me disait : « Les jeunes c’est bien ils savent rocker mais ils oublient de roller quand même… » Ce mec c’était un bluesman, un rock’n’roller, un grand monsieur. J’ai fini des soirées dans un resto marocain à Montreuil où à 2h du matin il disait : « Patron, une guitare ! » et l’instant d’après tout l’air autour prenait feu et c’était magnifique… Ça fait un putain de vide, merde. Et sinon pour le Bal des Enragés on reprendra en 2016. Après on ne sait pas qui il y aura, il y aura probablement « remaniement de personnel », peut-être les copains qui seront des ex-Parabellum. Faut quand même savoir qu’il y a un enculé – dommage que j’ai pas son nom parce que je l’aurai lâché sans vergogne – qui a présenté ses condoléances en message privé aux gens de Parabellum en présentant ses services pour pouvoir remplacer Schultz, deux jours après sa mort, en disant que c’était pas un problème et qu’il connaissait les paroles. Nan, mais t’y crois… Franchement. Dans la vraie vie je ne pense pas qu’il serait venu trouver les copains des Parabellum, il aurait perdu une rotule dans la seconde. Voilà, enfin bref, pouf, pouf.
En ce moment, tu es donc à fond avec Lofofora, mais qu’en est-il de Mudweiser ?
On a fait un concert fin août à Montpellier avec les copains, dans une petite taverne du meilleur goût. Il est aussi prévu qu’on enregistre un 45 tours parce qu’on aime bien faire autrement, quoique il y a plein de gens qui font aussi des 45 tours. On va enregistrer deux titres, certainement en début d’année prochaine et on fera une tournée au printemps donc il faut que je m’arrange avec les copains de Lofo pour prendre une quinzaine de jours. Après on fera des dates par-ci par-là car les copains de Mudweiser ont des vrais métiers donc ils ne peuvent pas s’arrêter forcément comme ça.
Cela veut dire que toi tu n’as pas un vrai métier ?
Ah bah non, non ! C’est pas un vrai métier ça ! (rires) Un vrai métier je sais ce que c’est, mes parents et mes grands-parents ils en ont fait, ils ont été boulangers, ouvriers, des vrais métiers quoi ! Ou tu transpires pour de vrai ! Bon, on transpire aussi pour de vrai quelque part, mais tellement j’aime ça que quelque part j’ai du mal à considérer ça comme ma profession même si c’est ça qui me fait gagner ma vie tant bien que mal. C’est surtout ce qui me rend libre, c’est plus comme ça que je le conçois que comme une profession, c’est plus mon moyen d’évasion. Les bons accidents de la vie ont fait que les deux se sont combinés en un seul et ça me va très bien comme ça, mais j’ai jamais l’impression d’aller bosser, si tu veux. Mais bon, c’est réservé aux gens qui ont la chance de faire ce qu’ils aiment, et tant mieux pour nous.
Dernière question d’un internaute, est-ce que Lofofora prévoit des featurings pour la tournée ?
On a été l’un des premiers groupes dans le rock français à avoir pas mal de guests dès le premier album. Par exemple, sur le morceau « PMGBO » avec Manu de LTNO, Mouss des Mass Hysteria… On avait aussi fait le morceau « Torture » avec King Ju de Stupeflip sur l’album Mémoire de Singes. Là, ça fait deux albums où on n’y a carrément pas pensé. Après, si Serge Morattel vient au concert du Trabendo à Paris ou vient nous voir sur une date près de la Suisse, il pourra venir faire la deuxième guitare sur « Contre Les Murs ». Il y a que ça de prévu comme guest pour l’instant.
Interview téléphonique réalisée le 16 septembre 2014 par Spaceman & Animal.
Retranscription : Le Phasme.
Introduction : Animal.
Photos promotionnelles : Eric Canto.
Site internet officiel de Lofofora : www.lofofora.com
Super interview ( 1 an après ) Merci!
Une interview très très complète bravo !