Avec Queensrÿche et Crimson Glory, Fates Warning fait partie du trio de tête des pionniers ayant posé les bases du metal progressif, quelques années avant que le genre soit popularisé par Dream Theater. Si le premier a connu une évolution artistique parfois décriée et le second une carrière peu prolifique, le troisième est resté une valeur sûre et le fier représentant d’une musique audacieuse, alliant un riffing metal inspiré à des structures inventives. En près de quarante ans de carrière, fidèle à la philosophie progressive, Fates Warning s’est affiné, affirmé, modernisé, mais chez de nombreux fans, le trio d’album initial – Night On Bröcken (1984), The Spectre Within (1985) et surtout Awaken The Guardian (1986) – revêt un charme et un caractère nostalgique particuliers.
Aujourd’hui, cet héritage des premières années, John Arch, chanteur originel du combo, le porte au sein du projet Arch/Matheos, en compagnie du guitariste-compositeur Jim Matheos toujours fidèle au poste dans Fates Warning. Nous avons profité d’avoir le chanteur au téléphone à l’occasion de la sortie de l’album Winter Ethereal pour effectuer avec lui un saut dans le temps, afin qu’il partage avec nous ses souvenirs de cette lointaine époque…
« Peu importe ce qu’on pense de cet album, je peux me souvenir du sentiment d’excitation et de camaraderie qui régnait entre nous parce que nous étions en train de faire quelque chose qui semblait compter. »
« Night On Bröken était notre première œuvre en tant que groupe. C’était notre toute première tentative pour écrire de la musique originale au lieu de jouer dans des bars et des clubs ou autres endroits. Je me souviens particulièrement de Jim [Matheos] disant : « Si on veut faire quelque chose, il faudrait probablement qu’on commence à écrire de la musique originale. » Il avait raison ! Evidemment, Night On Bröcken était quelque chose que nous avons fait sur nos propres deniers. Nous avons été en studio et nous avons payé quatre mille dollars pour commencer à enregistrer ce qui serait des démos [petits rires], de façon à ce qu’avec un peu de chance, une maison de disques puisse l’entendre. C’est comme ça que Metal Blade a entendu notre musique et ils ont bien aimé. Les thématiques, l’écriture… C’était très grossier. Il est clair que ce ne sont pas des professionnels expérimentés qui écrivent un album qu’on entend là-dedans [rires]. Nous étions des gamins et nous avions tous ce rêve en tête, c’était excitant. Peu importe ce qu’on pense de cet album, je peux me souvenir du sentiment d’excitation et de camaraderie qui régnait entre nous parce que nous étions en train de faire quelque chose qui semblait compter, par rapport à ce que nous faisions avant.
L’histoire derrière cette pochette bizarroïde, c’est qu’à l’époque, il n’y avait presque pas de budget, donc on cherchait des amis : « Ok, alors qui sait dessiner ? » C’était en fait un voisin à moi qui a dit qu’il pouvait peindre. Nous étions en retard sur le planning pour remettre l’artwork, donc nous lui avons donné le concept et il s’est lâché. C’était donc la première pochette, certaines personnes l’aimaient, d’autre ne l’aimaient pas… C’est presque comme si ce genre de pochette était la norme à l’époque, au début des années 80 ; c’était le genre de pochette qu’on voyait le plus. Donc nous regardions la pochette de l’album en critiquant. La maison de disques a dit : « Pourquoi ? Vous ne l’aimez pas ? » Metal Blade a finalement trouvé une autre pochette. Je ne me souviens plus si c’était juste avec la lune ou quoi… Il y a probablement trois versions différentes de cette pochette. Mais en y repensant, ce n’est pas très important. En fait, les gens en font des collectors : « J’ai la première ! » « Eh bien, moi j’ai la troisième ! » Je ne sais pas… [Rires] Tout ça est assez drôle.
« Nous compliquions les choses, mais nous le faisions exprès. Je ne sais pas si je m’en rendais compte à l’époque mais ça collait à mon style d’écriture plus que toute autre chose. Plus c’était compliqué, le mieux c’était pour moi. »
Ensuite, The Spectre Within était excitant parce qu’ayant été récupéré par Metal Blade, nous avons eu la chance de prendre l’avion pour aller en Californie, ça nous a tous ouverts à un autre paysage et à une nouvelle expérience. Nous allions dans de multiples studios et ensuite, il y avait le challenge : « Qu’est-ce qu’on va faire pour donner suite au premier album ? » Je me souviens avoir été très excité durant l’écriture de cet album, pas pour toutes les chansons mais la plupart. Je trouvais que c’était du beau travail. Nous commencions à prendre une forme musicale personnelle, qui nous appartenait. Nombre de comparaisons, comme Iron Maiden ou d’autres groupes, étaient encore là mais ça commençait à s’estomper un peu. Nous étions en train d’obtenir une reconnaissance comme étant un petit peu uniques. Donc c’était palpitant. En ce qui concerne les textes, je ne sais pas, c’est chanson par chanson, et ça dépend de ce que Jim écrivait et de ce qui me touchait. J’optais pour tout ce qui me semblait coller à la musique. Il n’y avait rien de très élaboré, mais la chanson « Epitaph », par exemple, pour une de nos premières chansons dans notre carrière, surtout quand on la jouait en concert, je trouve que c’est une super chanson, car elle est très émotionnelle. J’adore tous les changements qu’elle contient et encore une fois, nous étions des gamins, nous étions spontanés, nous étions excités, nous avions une vision biaisée, mais c’était quand même une vision.
Après, on passe à Awaken The Guardian. Je me souviens quand nous nous sommes mis à écrire cet album et quand nous établissions des objectifs… Les éléments que nous apprécions le plus en tant que groupe étaient les harmonies de guitare, les puissants duels de leads qui s’harmonisent, les power chords qui s’harmonisaient, les changements de signature rythmique, les riffs de dingues que nous faisions… Nous compliquions les choses, mais nous le faisions exprès. Je ne sais pas si je m’en rendais compte à l’époque mais ça collait à mon style d’écriture plus que toute autre chose. Plus c’était compliqué, le mieux c’était pour moi. C’est simplement ce qui m’inspire à écrire. Je me souviens être entré en studio et avoir travaillé sur cet album, et plein de choses sur cet album se produisaient spontanément. En fait, nous travaillions très dur en studio – nous avions tous fait nos devoirs avant de nous mettre sur les vrais enregistrements, mais nous travaillions quand même beaucoup sur des changements et autres –, mais surtout pour les parties de guitare, c’était très spontané et nous aimions beaucoup ça. Ensuite, avec mon chant, c’était pareil. Je laissais plus ou moins la musique [me guider]. J’étais très spontané et je pense que certains des trucs que j’ai faits spontanément sont probablement parmi les meilleurs que j’ai faits sur l’album.
« Je me sentais en plutôt bonne forme vocalement, peut-être en trop bonne forme parce que je chantais trop aigu [petits rires]. Oh mon Dieu ! [Rires] […] Mais ça ne change rien et ça n’invalide rien. C’est juste qu’à mesure qu’on avance on essaye de s’améliorer sur des choses qu’on faisait dans le passé et dont on n’est pas spécialement fiers. »
Je me sentais en plutôt bonne forme vocalement, peut-être en trop bonne forme parce que je chantais trop aigu [petits rires]. Oh mon Dieu ! [Rires] Quand j’entre entre studio, je suppose que je suis dans l’instant présent et il est avant tout question de ressentir la musique, d’envoyer de l’énergie et de la puissance, et c’était comme ça. Quand j’étais en studio pour cet album, je ne sais pas, je me sentais bien et je me suis vraiment poussé le bouchon. Et c’était dans l’air du temps aussi : tout le monde chantait aigu, Crimson Glory, Geoff Tate, tout le monde chantait dans la stratosphère ! Mais si je pouvais revenir en arrière, il est clair que je le ferais un peu différemment. Mais l’album est ce qu’il est, on ne peut pas remonter le temps et se critiquer à ce moment-là, il faut juste l’accepter. Oui, je pense que sur cet album, c’était probablement un peu trop aigu, ça allait un peu trop loin. Certaines personnes l’ont fait remarquer, je comprends complètement, et d’autres ne m’embêtent pas avec ça, ils aiment bien ; certaines personnes peuvent passer outre et apprécier l’album pour ce qu’il est. Au fil des années, j’ai essayé de changer un petit peu la tonalité de ma voix, sans doute sans grand succès. J’ai par exemple essayé cette fois [avec le nouvel album d’Arch/Matheos] de maintenir certaines fréquences qui n’étaient pas aussi nasales et agaçantes. Il y a un certain registre dans ma voix… Je peux m’en rendre compte et l’entendre maintenant ; je ne pouvais probablement pas l’entendre à l’époque mais maintenant si. Mais ça ne change rien et ça n’invalide rien. C’est juste qu’à mesure qu’on avance on essaye de s’améliorer sur des choses qu’on faisait dans le passé et dont on n’est pas spécialement fiers.
Un autre souvenir que j’ai – je ne sais plus quelle est la chronologie –, c’est que quand je suis rentré en studio pour chanter, j’étais en retard parce que les guitares avaient mangé une partie de mon temps. Une nuit, j’étais en train de chanter et je crois que ça faisait quatorze heures d’affilé que je chantais – je sais, c’est ridicule –, prise après prise. Je crois qu’il était deux heures du matin, j’étais tellement explosé et vanné, mais nous étions à la bourre et il fallait que je finisse, donc je ne sais pas où j’ai été chercher l’énergie, mais j’ai été chercher ça très profondément en moi [rires], et c’est ce qui est sorti. C’était les premières prises et c’est ce qui est resté. Nous étions très excités par cet album, et des amis de Brian [Slagel] chez Metal Blade sont venus au studio. Nous écoutions tout l’album… Je ne crois pas qu’il était masterisé à ce moment-là, mais nous avons pu écouter l’album entier dans un contexte différent. Au lieu de travailler, maintenant nous écoutions. Depuis la table de mixage, ils ont laissé tourner, nous avions des gens dans le studio, et je me souviens simplement des visages, tout le monde écoutait attentivement, ce qui est une bonne chose. Est-ce que tu as déjà fait écouter quelque chose à quelqu’un et il n’arrête pas de parler tout du long ? C’est la pire insulte que quelqu’un peut te faire [rires]. Genre : « Tu voulais écouter ou pas ?! » Donc, bref, tout le monde écoutait avec beaucoup de concentration, affichant un petit sourire bête sur le visage. Donc arrivé à la fin, tout le monde disait : « Wow, c’est vraiment cool mec. C’est très bon ! » C’était le premier indicateur qui nous faisait penser que nous avions un bon album. Et on connaît la suite ! »
Propos recueillis par téléphone le 5 juin 2019.
groupe honteusement sous estimé…..triste
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Très juste, henry.
Trois albums cultes des années 80. Merci pour les souvenirs radio metal.
Pour autant, le dernier album Arch / Matheos « Winter Ethereal » est incroyablement excellent. Le meilleur album du genre de l’année à mon goût.
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