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Interview   

Les révolutions de Refused


Depuis que Refused s’est reformé de façon inespérée en 2012, on peut dire qu’il prend son temps. Il lui a fallu trois ans pour enfin sortir son album de reformation, successeur du mythique The Shape Of Punk To Come sorti dix-sept ans plus tôt. Et si Freedom était un album de très bonne facture, c’était aussi, de l’aveu même du frontman Dennis Lyxzén, celui d’un groupe qui tâtonnait pour retrouver ses marques et n’avait pas encore toute l’énergie qui a fait sa réputation dans les années 90. Quatre ans plus tard – tout de même – Refused a revu sa copie et revient avec War Music : l’antithèse de Freedom.

Refused est remonté à bloc, brut de décoffrage, tout en conservant les spécificités qui font de lui un groupe singulier, marginal et anti-establishment y compris dans la scène punk hardcore. Refused hausse donc le ton avec sa musique mais aussi ses textes. Un appel à la révolution, à foutre en l’air le système pour, par-dessus ses ruines, en construire un nouveau, quel qu’il soit, du moment que c’est autre chose que ce qu’on a actuellement. Nous avons échangé sur tous ces sujets avec Dennis Lyxzén ci-après.

« Mon plus grand rêve dans la vie est de me réveiller un jour et que quelqu’un m’appelle et me dise : ‘Dennis, on n’a plus besoin de toi, on va bien !’ Mais ce n’est pas le cas avec le monde aujourd’hui. »

Radio Metal : 2015 a marqué le grand retour de Refused avec votre premier album en dix-sept ans, intitulé Freedom. Quel est ton sentiment, avec le recul, sur tout ce cycle d’album ?

Dennis Lyxzén (chant) : Plutôt bon ! Je veux dire que c’était un apprentissage. Comme tu viens de le dire, dix-sept ans séparent cet album et Shape Of Punk. Nous avons dû réapprendre à écrire de la musique ensemble et aussi peut-être, d’une certaine façon, tâtonner pour trouver la direction que prendrait le groupe. Je trouve que les chansons de l’album sont bonnes. Selon moi, c’était un album qu’il a été vraiment nécessaire de faire. Il est expérimental parce que nous avons essayé un paquet de trucs différents mais je trouve que l’expérience était sympa !

Tu as déclaré que vous n’aviez pas « joué le moindre concert durant la conception du dernier album. C’était beaucoup de temps passé loin du chaos addictif de [vos] concerts de reformations en 2012. » Penses-tu que vous aviez trop longtemps attendu avant de sortir cet album de reformation ?

Non, pas vraiment. Je pense que nous avions besoin de ce temps pour déterminer ce que nous voulions faire et comment nous voulions créer les choses. Quand on est dans une situation où on est à l’aise avec la musique qu’on est en train de créer, qu’on peut tester quelques chansons en live et qu’on peut ressentir le sens de tout ça, c’est toujours le mieux, mais dans cette situation… Je veux dire que le truc aussi, c’est qu’après les concerts de reformation, nous nous sommes un peu effacés, car nous ne voulions pas que les gens sachent que nous étions en train de faire un nouvel album [petits rires]. Nous voulions être secrets par rapport à ça. Nous avons fait ce que nous avions à faire. Mais ce qui s’est passé est qu’une fois que nous avons commencé à jouer les chansons de Freedom en concert, il nous est paru évident quelles étaient les chansons que nous aimions jouer en live et quelles étaient celles auxquelles le public réagissait de façon positive en live. Je pense que c’était le point de départ de War Music, en disant : « D’accord, c’est ça l’essence de Refused, c’est ce qu’on devrait essayer de faire avec Refused. »

D’ailleurs, tu as récemment qualifié Freedom d’album studio, majoritairement, et tu as dit que « quelque chose manquait quand [vous aviez] commencé à le jouer en live ». Est-ce que tu veux dire que vous avez ressenti de la déception en jouant ces chansons en concert ?

Pas de la déception… Enfin, bon, peut-être ! [Rires] Dans notre tête, si on crée une chanson pour laquelle on se dit « oh, cette chanson déchire ! » et qu’on commence à la jouer en concert mais que finalement on ne la ressent pas dans notre corps et que le public n’y répond pas très bien, évidemment qu’il y a un peu de déception. Mais comme je l’ai dit, je pense que la courbe d’apprentissage de la conception de l’album et ce que ça a signifié pour nous, peut-être que c’était ça la réussite. Evidemment, on a envie que chaque chanson qu’on écrit soit une tuerie mais tous ceux qui ont été musiciens savent que ce n’est pas vrai. On écrit les chansons, on se dit : « Oh, c’est génial ! » Et puis un an plus tard, on se dit : « Ce n’était pas génial » [petits rires]. C’est ça être une personne créative. Enfin, le truc qui est intéressant aussi, c’est que si les gens avaient réagi différemment, nous aurions ressenti les choses différemment vis-à-vis des différents types de chansons aussi, et peut-être qu’aujourd’hui nous sortirions un album très différent. Mais les gens ont réagi à certaines chansons, nous avons réagi à certaines chansons, et puis War Music est devenu ce qu’il est devenu.

Plus tôt cette année, tu as déclaré que le groupe travaillait sur « l’album que les gens voulaient que [vous] fassi[ez] la dernière fois ». Mais ce que les gens voulaient probablement que vous fassiez la dernière fois c’est The Shape Of Punk To Come part 2, or War Music n’est pas forcément cet album…

Non. Ceci, évidemment, est vrai, mais je pense que le problème quand on a un album comme Shape Of Punk est que les attentes irréalistes des gens sont très dures à contrecarrer. Si nous avions fait un Shape Of Punk part 2, alors les gens auraient dit : « Oh, ça sonne trop comme Shape Of Punk, je n’aime pas. » Ou si nous avions fait un album vraiment très différent et expérimental, les gens auraient dit : « Oh, c’est trop expérimental, ce n’est pas ce que je veux ! » Donc à ce stade, je pense, nous étions dans une situation où nous aurions pu leur donner des pépites d’or, les gens auraient quand même dit : « Non, ce n’est pas ce que je veux ! » [Petits rires]. Car ça va avec le fait d’avoir un album qui nous accompagne dans notre vie depuis aussi longtemps, avec toutes les émotions qui y sont rattachées et tout ce qu’on a vécu avec un tel album. Freedom était un peu une zone tampon. En plus, je pense que l’intensité, l’agressivité et la violence de ce nouvel album sont peut-être surtout destinées aux vieux fans de Refused. Car à bien des égards, il y a clairement des morceaux sur cet album qui me rappellent plus Songs To Fan The Flames Of Discontent que Shape Of Punk. Mais il possède une énergie et un focus que Freedom n’avait pas, selon moi. Je pense que Freedom partait un petit peu dans tous les sens parce que nous essayions de voir ce que nous voulions faire, alors que War Music est bien plus focalisé et direct.

War Music n’est pas aussi audacieux en termes d’exploration musicale que l’était The Shape Of Punk To Come. Est-ce que ça voudrait dire que vous êtes encore un peu timides à cet égard ?

Non, parce que c’est comme ça, selon nous, que l’album devait être, et si nous avions balancé des trucs expérimentaux juste pour avoir des trucs expérimentaux, ça aurait été un peu prévisible, je dirais. Et je trouve que la démarche imprévisible que nous avons eue de faire un album qui soit aussi concis et économique, c’est autre chose et c’est ce que les chansons méritaient. Peut-être que le prochain album sera super expérimental, je ne sais pas. Nous suivons notre esprit créatif. Ce que les gens aiment dans Shape, ce sont les trucs entre les chansons, les étranges interludes et les différentes parties, et nous en avons parlé, mais nous nous disions : « Pourquoi on ferait ça ? Car c’est un peu ce que les gens attendent de notre part. » Donc nous avons pensé : « Restons concis, restons dans la simplicité et restons putain de directs. »

« Je suis là aujourd’hui grâce au punk, grâce aux Dead Kennedys ou aux Clash, grâce à ceux qui m’ont parlé de politique quand j’étais gamin. Je crois qu’il y a un pouvoir dans la musique qui est très direct et imminent. »

Etait-ce important pour vous, à ce stade, de montrer aux gens que le temps n’avait pas détérioré l’énergie et l’intensité que vous aviez dans les années 90 ?

Oui. Je le crois. Enfin, pas seulement pour les gens autour de nous mais aussi pour nous, afin de montrer que nous étions capables d’avoir cet élan et cette énergie, et cette colère, car c’était selon moi un aspect important de ce que nous étions en tant que groupe dans les années 90. Il y avait beaucoup de colère et de frustration. Je pense que transmettre ceci à nous-mêmes et aux gens avec War Music est important. Et c’est tellement le foutoir dans le monde aujourd’hui qu’écrire un album comme celui-ci semblait avoir du sens, pas seulement d’un point de vue créatif et musical, mais aussi idéologique.

Est-ce dur de revenir après autant d’années, avec le monde qui a évolué, et de toujours être un groupe pertinent ?

Oui, mais je pense que c’est une épreuve qui concerne tous les groupes, pas seulement ceux qui reviennent. Mais oui, le monde change incroyablement vite, la façon dont on consomme la musique est très, très différente d’il y a vingt ans. C’est dur, mais comme je l’ai dit, tout le monde est concerné et la pertinence est quelque chose qu’on doit décider pour soi-même, si ça a du sens. Nous voulons nous sentir pertinents pour nous-mêmes avec nos idées politiques, notre musique, notre créativité. Je veux dire qu’on ne peut jamais décider à la place des autres s’ils ont l’impression qu’on est pertinent ou s’ils pensent qu’on a toujours le truc. C’est aux gens d’en décider, mais je pense que pour nous-mêmes, c’est important de ressentir qu’on avance, qu’il y a toujours un progrès dans notre créativité.

C’est intéressant de voir que votre album précédent s’appelait Freedom alors que celui-ci prend le contrepied en étant intitulé War Music. D’une certaine façon, les deux albums sont liés et opposés à la fois, comme le yin et le yang…

Je sais ! [Rires] Honnêtement, c’est marrant parce que les approches des albums étaient très différentes, elles étaient opposées. Pour Freedom, nous sommes allés en Amérique, nous avions un producteur américain, nous étions à Los Angeles pendant six semaines pour enregistrer ; War Music, nous l’avons fait nous-mêmes, Dave [Sandström] et Kris [Steen] l’ont produit, nous avons enregistré dans de petits studios dans les environs de Stockholm avec des amis. Comme je l’ai dit, l’intensité et le focus sur War Music sont bien plus élevés. Freedom partait un peu dans tous les sens parce que nous tâtions le terrain. Ce qui est drôle, c’est qu’il a fallu deux ou trois mois après avoir décidé d’appeler l’album War Music pour que nous remarquions : « Oh attends, c’est l’inverse de Freedom ! » Parce qu’au départ, ce n’était pas l’intention. Nous aimions juste le titre. Nous trouvions que le titre se liait bien à l’album et à ce qu’il représentait. On choisit ces titres parce que la musique ou l’idée nous fait ressentir quelque chose, est c’est marrant que nous ayons choisi un titre qui était en fait l’opposé du dernier album sans même y avoir pensé, ce qui en dit long sur la musique que nous avons créée sur cet album [rires].

« Blood Red » est la première chanson que vous avez terminée pour l’album, la première que vous avez jouée en concert tirée de cet album et le premier single que vous avez sorti. Elle est venue d’un riff que vous avez joué durant des balances. Tout le monde autour de vous dans la salle s’est arrêté pour regarder le groupe jouer… Dirais-tu que ce moment précis a défini tout l’album ?

Dans une certaine mesure. C’est un de ces moments où… Je veux dire que c’est arrivé quelques fois dans notre carrière où un riff ou une idée devient la clé pour avancer. Kris a tendance à sortir ces riffs qui poussent tout le monde à s’arrêter et à dire : « Attends, tu peux rejouer ça ?! » Je me souviens en 97, il était là : « J’ai ce riff avec lequel je bricole un peu » et il nous a montré le riff de « New Noise ». Tout le monde était là : « Oh ! » C’était pareil quand nous avons commencé à travailler sur… Bon, avant que nous commencions à travailler sur Freedom, les autres gars m’ont demandé : « Tu as envie de faire un nouvel album de Refused ? » J’étais là : « Oh, wow, ce serait fou » et puis ils m’ont joué le riff d’« Elektra ». J’étais là : « Oh, ouais ! Si on a des riffs comme ça, on fera un nouvel album. » On a toujours besoin de ce petit riff qui, en quelque sorte, ouvre la porte. C’est la clé pour connaître la direction à prendre. Et « Blood Red », c’était un de ces moments où c’est, genre… Le groove de ce riff et la façon dont il sonnait, c’était : « Oh, c’est super. Si on peut utiliser ça comme point de départ, je pense qu’on sera en bonne forme. » C’est drôle aussi parce que la chanson qui ouvre les vannes n’est pas forcément celle qui définit l’album, mais il est clair que c’était un moment clé pour déterminer la direction de l’album.

Du coup, à partir de ce moment, de cette première chanson, comment l’album s’est-il développé ?

C’est une question intéressante parce que, comme je l’ai dit, nous avons procédé à l’inverse du dernier album, pour lequel nous avions beaucoup répété, et nous étions allés en Amérique quand les chansons étaient plus ou moins finalisées. Cette fois, il y a eu bien plus de travail créatif en studio. Nous avions par exemple une moitié de chanson en entrant en studio et nous avons commencé à travailler sur cette moitié de chanson. Ensuite, à la fin, t’es là : « Oh, c’est pas mal » et tu continues de bricoler… Kris et Dave ont tous les deux beaucoup travaillé sur les arrangements, et à mi-chemin… Tu sais, c’est comme quand tu as toutes ces idées que tu essayes, « voici un riff, voici un autre riff, voici une idée, voici une chanson… », à mi-chemin dans le processus, nous sentions que nous étions en train de réaliser, je dirais, non pas un album de hardcore, mais un album très concis et très économique et efficace. Nous nous disions : « Eh bien, ceci pourrait en fait être quelque chose de très différent de Freedom », à cause de l’intensité. Pareil quand nous avons écrit les textes, nous nous sommes posés, nous disions : « Ne faisons pas des paroles trop intellectuelles, mais au contraire très directes et très brutes », car ça collait à la musique. Pendant que nous enregistrions, nous savions : « On va faire un album très agressif et très violent, alors faisons en sorte que ça se retrouve partout. »

« La politique est un jeu à la vision limitée et aux rêves limités. Ce qu’il y a de génial avec l’art, c’est qu’on peut exagérer, on peut rêver en grand, et par conséquent je ne me suis jamais engagé pour devenir un politicien. »

Vers la fin du processus, tu as déclaré que « à la manière typique de Refused, ça s’est étalé sur une longue période de temps, personne n’a apprécié le processus de conception de l’album et ça a été éreintant ». Qu’est-ce que tu voulais dire ?

En gros, que ça avait pris beaucoup de temps. Quand on fait un album de façon un peu plus éparpillée… Tu sais, il y a une session ici et une session là, et ensuite je dois prendre l’avion pour Stockholm et faire un peu de chant, et je retourne à la maison, et deux semaines plus tard Dave m’appelle, genre « il faut qu’on refasse le chant », et tout un tas de travaux de ce type. Quand tu crois avoir fini, il y a toujours plus à faire [rires]. Quand tu travailles et que tu penses avoir maintenant terminé, tu rencontres des amis et tu leur dis : « Je pense que l’album est presque fini », et là il faut en fait encore cinq mois pour tout finir. C’est un processus qui peut être assez éreintant et en partie agaçant. Kris et Dave sont des perfectionnistes. Ils ne laissent pas des trucs en disant : « Ok, je pense que ça sera suffira. » Moi, je suis plutôt du genre à dire que c’est suffisant [rires], mais pour Kris et Dave, ce n’est jamais suffisant. Quand l’album était masterisé, ils ont encore trouvé le moyen de changer l’intro d’une chanson. Je veux dire que c’était fini, tout était fini, et là ils disent : « Bon, on va juste changer cette intro. » Moi, je suis là : « Vous vous foutez de moi, n’est-ce pas ? » Aussi, en raison de nos vies, il a fallu… Je veux dire que de la première session d’enregistrement jusqu’à la sortie de l’album, presque deux années se sont écoulées ! C’est un long processus de travail pour un album. Enfin, ce n’est pas comme si nous travaillions dessus tous les jours, mais c’est une longue période à avoir ça qui te trotte dans la tête. Tu essayes de faire d’autres trucs et ensuite tu es rappelé auprès de Refused, et t’es là : « Oh merde, je pensais qu’on en avait fini avec ça. »

Au final, penses-tu que Refused a besoin de « souffrir » en donnant naissance à un album pour que celui-ci soit spécial ?

[Rires] Peut-être ! Je ne sais pas. Nous plaisantions là-dessus quand nous avions presque fini, nous étions là : « Je suppose que c’est le processus que nous devons traverser pour que ce soit spécial. » Enfin, j’aurais aimé que ça ne soit pas comme ça, mais peut-être que ça fait partie du moteur créatif qui fait que c’est intéressant, le fait qu’il y ait des frictions, qu’il y ait un tas de trucs autour desquels il faut manœuvrer. Peut-être est-ce la raison pour laquelle certaines musiques semblent plus intéressantes ou plus… Tu les ressens plus, en gros. Donc peut-être que le fait de ne pas prendre de plaisir pendant qu’on conçoit l’album fait partie intégrante du processus [rires].

Dans le clip de « Blood Red », on voit le Refused d’aujourd’hui jouer pendant qu’une vidéo du Refused des années 90 est projetée sur vous. Qu’est-ce la symbolique là-derrière ? Est-ce pour créer un pont entre le passé et le présent, ou est-ce plus pour mettre en lumière l’évolution du groupe ?

Je pense que c’est un petit peu des deux. Nous avons vécu une drôle d’aventure. Nous étions un groupe de hardcore. Nous jouions face à cent cinquante gosses dans un centre de jeunesse. C’est un peu ça notre background. Et avec « New Noise » et Shape Of Punk, nous sommes devenus un groupe de rock avec une certaine envergure, qui nous dépassait. Pour nous et pour plein de gens, c’était un peu bizarre, mais ça voulait aussi dire qu’un tas de gens qui aimaient notre groupe n’avaient aucun lien avec notre passé. Ils ne nous avaient pas connus en tant que groupe hardcore D.I.Y. Donc je pense que dans le clip, nous voulions aussi montrer que les idées politiques qui ont façonné le groupe, et notre background dans le punk et le hardcore, c’est quelque chose que nous portons toujours avec nous, et que c’est un aspect très important de ce qu’est ce groupe. Car je pense que tous les gens qui sont là à dire « oh j’adore ‘New Noise’, Refused c’est cool », peut-être qu’ils n’ont pas vraiment conscience de notre passé. C’était donc important pour nous de leur montrer que ceci est notre background, c’est de là que nous venons ; les idées politiques qui vous gonflent là maintenant, ce sont les mêmes idées qui ont fait de Shape Of Punk l’album que vous adorez [rires].

Comment comparerais-tu le Refused des années 90 et celui d’aujourd’hui ?

Nous sommes mieux habillés aujourd’hui [rires]. Je pense que nous sommes plus focalisés… quand nous sommes focalisés. Parce que l’un des aspects qui ont fait que Refused était génial dans les années 90, c’est que nous ne faisions rien d’autre que Refused vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Nous vivions et respirions pour Refused. C’était assez dément. Nos vies ne ressemblent plus à ça maintenant. Les gens ont des familles et différents projets, différents groupes et différentes vies. Donc quand nous sommes dans Refused, nous sommes bien plus focalisés, ce qui confère un feeling un peu différent. Aussi, dans les années 90, nous partions un peu dans tous les sens parce que nous débordions d’énergie, mais je pense que notre façon de jouer ensemble et nos liens sont bien plus forts aujourd’hui que dans les années 90. Il nous manque par contre cette énergie juvénile parce qu’on ne peut pas la reproduire. Il y a une autre énergie qui est mise à contribution quand on vieillit. En dehors de ça, je pense qu’il y a des bons et des mauvais côtés au fait de vieillir, c’est-à-dire qu’on a de l’expérience et une meilleure capacité de concentration.

A quel point avez-vous évolué par rapport à votre vision du monde, de la politique, etc. ?

On évolue constamment, ce qui selon moi est important quand on grandit et acquiert une personnalité. Je pense avoir beaucoup évolué. Quand tu es dans un groupe qui tourne et voyage à travers le monde, tu as l’opportunité de voir le monde, de vivre un tas de choses différentes. Donc tu changes constamment, tu essayes constamment d’être créatif, tu essayes constamment d’avancer, et c’est pareil avec tes idées politiques, c’est pareil avec ta façon de voir la musique et ta façon de voir le monde. Il est clair que nous avons beaucoup changé. Et même si le nouvel album est très radical et tranchant comme une lame de rasoir dans ses idées politiques, je crois aussi qu’il y a une compréhension de la vue d’ensemble et une compréhension du type de bataille qu’on doit mener, et ainsi de suite. Quand on est jeune, on peut passer des mois à se battre contre un code-barres sur un album ou des conneries comme ça qui n’ont pas d’importance. Il faut prendre du recul.

« Dans le cas de plein d’autres types de musique, les gens restent assis et applaudissent, mais dans le punk et le hardcore, la réaction est vraiment violente. C’est comme si tout ton corps convulsait et que tu perdais la boule. Je trouve ça magnifique. »

L’album s’intitule donc War Music : êtes-vous en guerre, qu’elle soit artistique ou idéologique ?

Il y a certains aspects de la vie qui, selon moi, équivalent à une guerre. Par exemple, vivre une existence normale dans le monde d’aujourd’hui est semblable à un état de guerre pour plein de gens. Aussi, nous voulions un titre qui refléterait l’époque dans laquelle on vit et qui est dingue. Je trouve que le titre War Music résume assez bien 2019 et les deux ou trois dernières années.

Tom Morello a dit que « c’est une époque dangereuse qui requiert des chansons dangereuses »…

Oui, je suis d’accord. Avec l’état actuel du monde, nous avions vraiment envie de passer à la vitesse supérieure et de hausser le ton par rapport à la politique. Tout d’abord, il y a tant choses qui sont dites et tant de stupidités sur le monde que pour couper à travers tout ça, il faut le crier encore plus fort. Nous avons ressenti une certaine responsabilité à cet égard, à cause de l’état actuel du monde. Je veux dire que j’aurais aimé… Mon plus grand rêve dans la vie est de me réveiller un jour et que quelqu’un m’appelle et me dise : « Dennis, on n’a plus besoin de toi, on va bien ! » Mais ce n’est pas le cas avec le monde aujourd’hui. Donc il faut hausser le ton, être focalisé et essayer de taper dans le mille.

Tu as déclaré qu’il « est clair depuis un certain temps que le soleil se couche sur [vos] convictions ». Mais ne penses-tu pas qu’il faille un coucher de soleil pour avoir un lever de soleil ? Je veux dire, par exemple, il a fallu un Harvey Weinstein pour voir la parole des femmes se libérer, et les choses commencent à changer maintenant, semble-t-il…

Dans une certaine mesure, oui. Je crois vraiment que tu as raison et je crois au dicton qui dit que l’obscurité précède toujours l’aube. Je pense que ce que nous essayons de dire, c’est… Enfin, nombre de ces idées dont nous parlons, nous les prenons pour acquises parce que nous avons grandi avec elles. Nous parlons de solidarité, d’égalité, et ainsi de suite. Ces idées sont rarement remises en cause aujourd’hui. Tu crois qu’une certaine idée ou idéologie est quelque chose que tout le monde peut soutenir, mais vu le monde actuel, ce n’est pas le cas. Plein de gens ne soutiennent pas du tout ces paroles ou ces idées, parce que nous vivons dans un monde égoïste et cynique. Mais oui, je pense que parfois il faut un Trump ou un Boris Johnson ou qu’il faut la montée au pouvoir d’un fasciste ou d’un mec d’extrême droite pour en quelque sorte voir où on a envie d’aller avec le monde. Si collectivement, en tant que personnes, on regarde le monde et qu’on dit : « Ouais, il n’y a pas de problème de justice », alors on a le monde qu’on mérite. Je pense que personne sur cette planète, en dehors des très, très riches, ne croit que le monde va bien. Je pense que c’est pareil pour tout le monde d’un bout à l’autre du spectre politique. Ça veut dire que quelque chose doit changer. On verra ce que ça sera et on verra ce qui se passera avec les choses qu’on voit autour de nous.

Tu as dit que tu croyais encore que ça pouvait être guéri. Penses-tu que Refused fait partie du remède ? Penses-tu que vous pouvez faire la différence ?

A une large échelle, probablement pas [petits rires]. C’est un peu naïf de le croire, mais à plus petite échelle, oui. Je suis là aujourd’hui, en train de te parler de politique grâce à la musique. Je suis là aujourd’hui grâce au punk, grâce aux Dead Kennedys ou aux Clash, grâce à ceux qui m’ont parlé de politique quand j’étais gamin. Je crois qu’il y a un pouvoir dans la musique qui est très direct et imminent. Je crois vraiment qu’il y a un pouvoir dans la musique qui peut nous faire changer d’avis et changer notre façon de voir le monde. Je ne pense pas qu’on puisse changer le capitalisme en jouant dans un groupe de rock, mais si on peut faire prendre conscience aux gens qu’il y a d’autres façons de voir le monde, qu’il y a d’autres façons de regarder les structures économiques, culturelles et politiques, alors peut-être que quelqu’un de plus intelligent et meilleur que nous prendra ça et en fera quelque chose. Ensuite, ensemble, on pourra changer le monde.

Enfin, ce dont vous parliez dans les années 90 peut toujours s’appliquer aujourd’hui, ce qui veut dire que pas grand-chose n’a vraiment changé ou progressé…

Je sais ! Enfin, comme tu l’as dit, il y a des choses qui sont en train de bouger. Si on regarde la montée de ce nouveau mouvement féministe avec l’explosion de #metoo qu’il y a eu, la montée de la conscience climatique, la montée du véganisme et ce genre de chose… Il y a clairement plein de choses qui vont plus ou moins dans le bon sens, mais il y a aussi beaucoup de reculs, parce que dès que quelque chose comme ça se produit, les gens qui sont à des positions privilégiées se sentent menacés et ensuite ils veulent repousser les choses. Il y a donc des lueurs d’espoir dans cette obscurité. Enfin, oui, le paysage politique a changé pour le pire. Par exemple, les divisions entre l’Occident et l’Orient ont changé pour le pire, les divisions entre les riches et les pauvres ont changé pour le pire, les divisions entre les gens ordinaires ont changé pour le pire, mais il y a aussi des choses qui sont mieux qu’il y a vingt ans.

Juste avant de te parler, j’étais en train de travailler sur une autre interview avec Mark Tremonti d’Alter Bridge. Dans cette interview, il disait : « La seule façon de créer un changement serait que je me retire de la musique, me mette à la politique et que je mette les choses en branle en agissant vraiment, au lieu de n’être qu’un gars qui fait du rock et que personne ne prendra au sérieux. Autrement, ça ne créera aucun changement. Ça ne fera qu’énerver des gens, d’une façon ou d’une autre. Si tu veux changer des choses, ne t’en plains pas – fais-le ! » Qu’en penses-tu ? As-tu songé à faire de la politique ?

Si c’est ainsi que vous voulez amener le changement, c’est super. Mais non, je n’ai jamais pensé à faire de la politique. Je pense que la politique est un jeu de compromis. La politique est un jeu à la vision limitée et aux rêves limités. Ce qu’il y a de génial avec l’art, c’est qu’on peut exagérer, on peut rêver en grand, et par conséquent je ne me suis jamais engagé pour devenir un politicien. Je crois aussi qu’un des énormes problèmes est que même si je devenais un politicien, il y a une grosse limite à ce que je pourrais vraiment changer, car les politiciens, même si on aime les blâmer, ce n’est pas eux qui dirigent le monde. Le capital dirige le monde. L’argent dirige le monde.

« Nous étions tellement ancrés dans cette scène punk hardcore, que c’était notre façon de dire : ‘On ne veut plus faire partie de ça. On veut créer notre propre truc, on veut créer de la musique sans contrainte.’ Donc le fait d’appeler l’album The Shape Of Punk To Come était un gros ‘fuck you’. »

Tu as aussi déclaré : « D’une certaine façon, j’ai toujours l’impression que personne ne veut entendre ce que j’ai à dire. » Est-ce pour cette raison que tu le dis encore plus fort ?

[Rires] Peut-être, c’est possible, oui ! Enfin, j’ai toujours du mal avec l’idée que ma voix compte, car j’ai grandi en tant qu’enfant issu de la classe ouvrière, avec le sentiment que personne ne va écouter ce que j’ai à dire [rires]. Donc dès que j’ai l’opportunité de parler, je veux saisir cette opportunité, et comme je l’ai dit, j’ai du mal avec cette idée que… Car il y a aussi que je n’ai jamais eu envie d’être un meneur, je n’ai jamais voulu être quelqu’un dont les gens disent : « Oh, écoute-le, il a toutes les réponses », parce que ce n’est pas le cas. Mais je me rends bien compte que j’ai plein d’idées et, comme j’ai cette plateforme en tant que musicien, plein de gens peuvent m’écouter. Il y a donc un peu un côté conflictuel en moi. Mais je pense aussi que ça pousse à crier encore plus fort, parce qu’il y a ce besoin de s’exprimer et ensuite, avec un peu de chance, les gens s’approprieront une partie de ce que je dis et l’injecteront dans leurs propres idées et s’instruiront… [petits rires].

Dans « Violent Reaction », tu chantes : « Cette dictature semble être l’accord le plus sûr. » Tu en as déjà un peu parlé juste avant, mais on est censés vivre dans une démocratie où les gens votent pour la direction que doit prendre leur société. Penses-tu que la démocratie ne fonctionne pas, que c’est une dictature déguisée ?

Oui. Je le crois. Enfin, je vis en Europe occidentale, donc ça va. Je crois qu’un des problèmes, c’est exactement ça : cette dictature semble être l’accord le plus sûr. C’est intrinsèque au capitalisme, le fait qu’il nous dise : « Ce n’est pas parfait, mais c’est le mieux que l’on ait. » Et alors tout le monde est là : « Je suppose que c’est le mieux que l’on ait. » Et le capitalisme nous dit : « Bon, vous savez, on ne tue pas les gens à coup de machette, comme ils l’ont fait au Rwanda. On les tue avec des frappes de drone, c’est plus humain. » Et on est là : « Oh ouais, je suppose que c’est mieux. » Le capitaliste repousse sans cesse plus loin l’acceptation de ce qu’il peut faire, et plein de gens sont très investis dans cette idée que c’est le mieux que l’on ait. Or je ne crois pas que ce soit le cas. Si ceci est le mieux que l’on ait, il faut vraiment qu’on passe la seconde, parce qu’on a donné cent cinquante ans au capitalisme pour prouver que cette économie du ruissellement va marcher, or elle ne marche pas. Comme je l’ai dit, tout n’est pas noir, mais on vit dans un monde où tout est dicté par l’économie, tout est dicté par l’argent et par qui en reçoit les bénéfices, qui gagne cet argent et qui tire profit de nos divisions. On doit y réfléchir. Je suis un démocrate, je crois en la démocratie, je crois en l’idée qu’on devrait avoir une voix pour dire ce que l’on veut, mais c’est très délicat quand le capital dicte la vraie démocratie, car on n’a pas notre véritable mot à dire en matière d’économie. L’autre chose, c’est que tant que l’on vivra dans un monde où on nous lave constamment le cerveau en disant que c’est la seule solution que l’on ait, les gens ne verront rien en dehors de ça, et alors comment voter pour quelque chose qui n’existe pas ?

Le problème n’est-il pas aussi, surtout, que beaucoup de gens ne sont pas très instruits en matière d’économie ?

Oui, bien sûr, mais c’est aussi une façon de contrôler les gens. Plein de choses autour de nous sont des mécanismes de contrôle et oui, bien sûr, les gens ne sont pas très instruits en économie. Ils ne sont pas très instruits au sujet des structures du monde dans lequel on vit, mais c’est une superbe façon de maintenir les gens dans l’ignorance. Ceci est, bien sûr, problématique. Le capitalisme est un système qui n’a pas envie que les gens aient connaissance des structures politiques qu’ils mettent en œuvre sur eux. Ça fait partie du monde dans lequel on vit. Surtout maintenant avec cette économie des réseaux sociaux où tes intentions politiques sont déterminées par Twitter, où le gros titre d’un article est tout ce que les gens lisent. Ça pose un énorme problème, parce que nombre de ces problématiques dont nous parlons maintenant sont super complexes, elles sont très, très difficiles, et elles nécessitent beaucoup de temps pour être comprises, et les gens n’ont pas le temps et l’énergie, et les gens ne veulent pas se pencher sur ces questions difficiles, et alors leurs idées politiques deviennent très creuses.

War Music est clairement un appel à la révolution et tend à légitimer la violence (« Violent Reaction », « I Wanna Watch The World Burn »). Penses-tu que la violence soit la seule solution maintenant ?

Non. Je déteste la violence. Je trouve que c’est un énorme problème dans la culture masculine. Mais je ne crois pas non plus qu’on changera le monde en restant assis au coin du feu. Je crois qu’il y a une réalité dans les structures des pouvoirs en place, et j’ai du mal à voir les un pour cent simplement dire : « Oh, désolé, on avait tort. Partageons équitablement. » Je n’y crois pas. J’essaye d’être réaliste à ce sujet et au sujet des opportunités ou des alternatives qu’on aura à l’avenir, mais je n’aime pas du tout la violence. Je souhaite qu’on puisse faire une révolution sans la moindre violence, mais je ne crois pas que ce soit possible. Si on veut vraiment changer le monde dans lequel on vit, si on veut vraiment mettre fin au capitalisme en tant qu’idée, je ne pense pas que ce sera une transition douce vers quelque chose de différent.

Si les gens se mettent à faire la révolution, penses-tu vraiment que ça mènera à un monde meilleur ? Je veux dire que l’humanité a toujours été constituée de gens avec des façons de penser et de voir le monde très différentes. L’humanité n’est-elle pas condamnée au dysfonctionnement, d’une façon ou d’une autre ?

Oui, bien sûr [rires]. Je pense que c’est l’une des caractéristiques des humains, mais j’ai l’impression que si l’on vit dans un monde qui ne bénéficie qu’à un pour cent de la population, alors c’est tellement biaisé et mal foutu que tout ce qu’on essaiera sera probablement mieux. Je ne pense pas qu’il y aura un système parfait. Je ne crois pas que l’utopie existe, mais je pense vraiment, comme je l’ai dit, que si ceci est ce qu’on pense avoir de mieux, alors on doit essayer bien plus fort. Et je crois vraiment que parfois il faut faire table rase et tout réduire en cendres pour pouvoir créer quelque chose de radicalement nouveau et différent. Quand je dis « réduire en cendres », je parle d’une métaphore ou d’un état d’esprit. Je pense que parfois, il faut faire table rase et dire : « Recommençons de zéro et voyons ce qu’on a. » Rien ne garantit que ça ira bien mais au moins on essaierait.

« A l’époque de la séparation, nous nous détestions mutuellement, c’était horrible [rires], car nous tournions trop et nous n’avions aucune vie en dehors du groupe. […] Nous trouvions tous que Refused nous freinait, alors que maintenant, nous trouvons que Refused nous donne un point d’ancrage [rires]. »

D’un autre côté, penses-tu que les gens soient prêts pour une révolution ? N’ont-ils pas encore trop à perdre dans nos sociétés consuméristes ? Car si on regarde dans l’histoire, les révolutions ont été menées par des gens qui n’avaient rien à perdre.

Oui. Peut-être qu’aujourd’hui c’est beaucoup demander [rires]. Mais si on regarde tout ce qui se passe dans le monde, rien que le fait qu’un tas de gens de ma génération – peut-être notre génération – doivent cumuler deux jobs et ne peuvent malgré tout pas se payer un endroit convenable où vivre dans une grande ville – ils vivent en banlieue et les deux tiers de leur économie sert uniquement à vivre –, c’est un énorme problème. C’est une part très importante de notre manière de vivre, où rien n’est sûr. Les gens vivent des vies incertaines, et ils paient bien trop pour vivre. On entend parler de la crise climatique, qui est un truc super important et qui est largement un produit de l’économie de croissance continue du capitalisme, où le capital doit sans cesse augmenter. On a déjà pris plus qu’on peut se le permettre. Une troisième chose, c’est la montée de la droite ou de l’ultra-droite, peu importe, le fascisme et le nazisme. Toutes ces choses combinées… Je veux dire qu’il ne faudra pas longtemps avant que les gens trouvent qu’on n’a rien à perdre, parce qu’on a presque rien. Peut-être pas aujourd’hui, on n’est pas prêts, mais je pense que dans un futur proche quelque chose va se rompre. Ce que c’est, on verra, et pourquoi, on verra aussi, mais je pense vraiment qu’on est sur la voie d’une totale autodestruction.

Ces dernières années, on a vu le grand retour de nombreux groupes rock des années 90 engagés à gauche, comme Refused mais aussi les gars de Rage Against The Machine dans Prophets Of Rage. Penses-tu que l’état actuel du monde est comparable à ce qu’on a connu dans les années 90 ?

Certaines choses, oui c’est sûr. Comme je l’ai dit plus tôt, je pense que certaines choses sont un peu mieux que dans les années 90, et d’autres sont pires. Enfin, la montée de la droite et des politiques conservatrices est clairement très similaire aux années 90. Je soutiendrais quand même que c’est pire aujourd’hui, car dans les années 90, on avait le souvenir de l’autre, l’autre étant l’Europe de l’Est, ou l’Union soviétique, peu importe ce que c’était. Plein de gens avaient cette idée qu’il existait quelque chose en dehors du capitalisme. Je ne suis pas en train de dire que c’était bien, mais dans notre tête, on pouvait imaginer quelque chose qui était différent. Durant les vingt dernières années, plein de gens ont grandi sans avoir jamais vécu l’autre, ils n’ont jamais vu autre chose que le capitalisme. Donc je pense vraiment que c’est pire maintenant qu’il y a vingt ans.

Dans le livret de l’album, chaque chanson est associée à des citations. Quelle était l’idée là-derrière ?

Quand on écrit une chanson, on n’a qu’un temps limité pour faire passer notre message [rires], et nous voulions juste dire : « Si vous aimez cette chanson, si vous saisissez l’idée, voilà quelques citations qui vous permettront de creuser plus loin ou d’avoir un peu plus de viande à ronger autour de l’os de la chanson. » Car souvent, ces citations résument la chanson mieux que la chanson elle-même [rires]. Donc si vous lisez la citation et dites « oh, ça a du sens », alors vous pouvez lire la chanson et vous dire : « Ouais, d’accord, je vois de quoi il parle. » C’est donc simplement une manière d’instruire les gens, et si ça les intéresse, ils peuvent aller un peu plus loin dans notre monde, pour ainsi dire.

Je suppose que ça a impliqué pas mal de recherche pour trouver toutes ces citations…

Pas tant que ça, car David et moi sommes des lecteurs. Nous sommes des gens du siècle dernier, nous lisons plein de livres. Donc nous récoltons les citations et les idées. Dès que je lis quelque chose d’intéressant, je le note. J’ai donc envoyé un texto à David et j’ai dit : « Peut-être qu’on devrait mettre des citations dans l’album. » Vingt minutes plus tard, il m’a envoyé vingt citations et je lui en ai envoyé vingt. Donc c’était facile, car toutes ces citations font partie de… Tu sais, j’ai des calepins et j’ai une application pour prendre des notes sur mon iPhone. Tout est là-dedans, parce que nous recueillons tout le temps ces idées. Quand nous lisons quelque chose, nous sommes là : « Bordel de merde ! C’est bon ! » et alors nous le notons.

Sur un autre sujet, War Music, en tant que titre, peut aussi être vu comme un clin d’œil à la violence qui peut régner dans le pit lors d’un concert de Refused ou, en l’occurrence, à n’importe quel concert de punk hardcore. Je veux dire que ce n’est pas une coïncidence si la scène punk hardcore au Hellfest s’appelle la Warzone. Quel est ton sentiment par rapport à cette frénésie dans le pit ?

C’est assez intéressant parce que nous sommes un groupe très féministe, nous parlons beaucoup de genre et de féminisme, or le pit est vraiment bourré de testostérone [rires]. Ça fait donc un joli contraste. Dans un monde qui – on en a parlé – est un peu déglingué, c’est une super libération. C’est la même libération que je ressens quand je suis sur scène. Ça t’explose complètement la tête de façon très physique, et j’aime ça ! Quand j’étais un jeune punk, j’aimais beaucoup cette idée parce que je débordais d’énergie et d’agressivité, et l’évacuer avec d’autres gens, sachant qu’il y a quand même des règles et des codes dans le pit, c’est assez génial, en fait. Quand nous voyons comment les gens répondent physiquement à notre musique, c’est génial ! Je veux dire que dans le cas de plein d’autres types de musique, les gens restent assis et applaudissent, mais dans le punk et le hardcore, la réaction est vraiment violente. C’est comme si tout ton corps convulsait et que tu perdais la boule. Je trouve ça magnifique.

N’y a-t-il jamais eu des moments où tu as eu peur que les gens se blessent ?

Oui, quelques fois ! Je suis là : « Oh attendez ! Ralentissez ! » Nous essayons de dire aux gens d’être respectueux et de faire attention aux uns aux autres mais, oui, parfois ça peut devenir assez dingue !

« Nous sommes le genre de groupe qui, lorsque la révolution se produira, dira : ‘Mais attendez une seconde…’ C’est dans notre nature en tant que personnes et en tant que groupe de vouloir toujours suivre notre propre chemin et faire notre propre truc. »

L’année dernière a marqué les vingt ans de votre classique The Shape Of Punk To Come. Quel est ton sentiment sur cet album et son succès, avec le recul ?

Excellent ! C’est un super album. Quand il est sorti et que nous nous sommes séparés, c’était difficile de s’y identifier parce qu’il était tellement bizarre, mais maintenant, quand je l’écoute, je trouve que c’est un super album. Enfin, évidemment, si nous avions fait ces chansons aujourd’hui, nous les aurions faites différemment, mais je comprends pourquoi les gens l’aiment [petits rires]. Nous ne nous attendions pas à ce que cet album ait une telle influence, évidemment pas. Quand on crée, ce qui nous intéresse, c’est toujours d’aller de l’avant, de passer à l’album suivant, au truc suivant… Enfin, quand on écrit de la musique, on a évidemment envie que les gens l’apprécient et soutiennent ce qu’on fait, mais au final, c’est impossible d’anticiper ou de prévoir que tel album va tout changer. Nous ne savions pas… Enfin, nous savions que nous tenions un album qui était différent et qu’il était vraiment cool, mais… Ça aurait pu prendre n’importe quelle tournure. Je veux dire que si nous n’avions pas fait un clip pour « New Noise », peut-être que rien de tout ça ne se serait passé. Tout est une question de circonstances [petits rires].

Vous vous êtes séparés juste après la sortie de The Shape Of Punk To Come. Ça signifie que vous n’avez pas vraiment profité du succès qu’a recueilli cet album les années qui ont suivi. N’était-ce pas un peu frustrant ?

Oui. Bon, je pense que c’était frustrant parce que j’avais un autre groupe. J’avais commencé un nouveau groupe qui s’appelait The (International) Noise Conspiracy, nous étions en tournée, et pendant que nous tournions et essayions de nous faire un nom, c’est là que Refused a décollé. C’était super frustrant parce que c’était genre : « Attendez, pourquoi vous me parlez de cet album vieux de deux ans ? C’est quoi ce bordel ? J’ai sorti un nouvel album depuis. » Donc ça c’était très frustrant. Et c’était un peu étrange de faire partie de la réussite d’un groupe dont plus personne ne faisait partie [rires].

Le titre de l’album suggérait que vous redéfiniriez le punk-hardcore pour les années à venir. Etait-ce vraiment votre objectif ?

Non, pas du tout. Le titre de l’album, en gros… Il aurait pu s’appeler Fuck You ; ça aurait très bien pu être son titre aussi. Nous étions tellement ancrés dans cette scène punk hardcore, que c’était notre façon de dire : « On ne veut plus faire partie de ça. On veut créer notre propre truc, on veut créer de la musique sans contrainte. » Donc le fait d’appeler l’album The Shape Of Punk To Come était un gros « fuck you ». Et puis, ironiquement, ça a fait dire aux gens : « C’est à ça que va ressembler le punk à l’avenir ! » Or nous sommes là : « Non, c’est juste nous en train d’essayer de créer de la musique. »

Quel est ton sentiment sur l’état du punk vingt ans plus tard ?

Ça va. Si on prend la peine de chercher, il y a de la super musique partout. Il y a du très bon punk et du très bon hardcore. Je pense que le punk, en tant qu’idée, est toujours pertinent, c’est un langage qui reste valable. Donc je pense qu’il y a encore plein de bonne musique.

Vu que vous en êtes maintenant à votre second album depuis que vous vous êtes reformés, on dirait que c’est parti pour durer. Penses-tu que vous soyez dans une meilleure situation aujourd’hui qu’en 98 ?

Oui, c’est sûr. Je le crois. Je le sais ! [Rires] On ne peut pas savoir ce que l’avenir nous réserve, mais j’ai l’impression que nous avons beaucoup d’énergie créative, nous voyons le monde un peu différemment, nous voyons le groupe un peu différemment, donc je pense qu’il y a clairement encore du potentiel pour que nous perdurions longtemps, si nous le souhaitons. A l’époque de la séparation, nous nous détestions mutuellement, c’était horrible [rires], car nous tournions trop et nous n’avions aucune vie en dehors du groupe. Nous partions dans des directions différentes, nous voulions des choses différentes dans la vie, nous voulions des choses différentes en politique, nous voulions des choses différentes en musique. Quand on est jeune, on avance à une autre cadence. Nous trouvions tous que Refused nous freinait, alors que maintenant, nous trouvons que Refused nous donne un point d’ancrage [rires].

Vous avez été élevé au véritable punk et hardcore, et ça fait toujours partie de vous. D’un autre côté, vous n’avez jamais été un groupe de punk hardcore typique. Vous avez toujours un peu ébranlé le genre avec votre créativité musicale et même avec vos accoutrements de scène classieux. Est-ce que Refused est anti-establishment y compris dans l’establishment des mouvements punk et hardcore ?

[Rires] Oui ! C’est vrai parce que nous sommes le genre de groupe qui, lorsque la révolution se produira, dira : « Mais attendez une seconde… » C’est dans notre nature en tant que personnes et en tant que groupe de vouloir toujours suivre notre propre chemin et faire notre propre truc. Comme je l’ai dit, pendant longtemps, nous faisions vraiment partie d’une scène – ou peu importe comment on appelle ça – et je pense que ça nous a rendus très méfiants. Donc oui, tu as raison. Je pense que nous allons toujours vouloir essayer de faire les choses à notre façon et opérer différemment de la plupart des autres groupes et des autres gens.

Vous semblez beaucoup vous soucier de vos looks et de votre façon de vous habiller, de vos artworks, de photos, etc. Tu as même dit qu’il y avait clairement une arrière-pensée. Du coup, quelle est l’idée derrière l’image du groupe ?

Ça avait déjà commencé dans les années 90. Si tu regardes The Shape Of Punk To Come, nos looks à l’époque, c’était clairement… D’abord, l’idée est en partie d’essayer de voir l’effet produit si nous nous habillons différemment : est-ce que les gens nous écouteront différemment ? C’était presque une expérience pour dire : « D’accord, si nous nous habillons comme ça, comment les gens nous percevront en tant que groupe ? Est-ce qu’ils vont écouter différemment ce que nous avons à dire ? » Et puis, pour ma part, c’est devenu une obsession pour les vêtements qui dure depuis plus de vingt ans [rires], ce qui n’était pas vraiment l’intention de départ, mais je me suis beaucoup intéressé à la culture Mod et Northern Soul, à porter des costumes et des chemises chics, et c’est ce que je porte tout le temps. C’est simplement mon look, notre look. Nous n’essayons pas de faire quelque chose qui ne nous ressemble pas. Parfois, un gars monte un groupe et met un jean mal fichu et un vieux T-shirt punk, et t’es là : « Ouais, tu n’as pas porté une seule fois ce T-shirt en vingt ans, pourquoi le portes-tu maintenant ? » Nous trouvions simplement que notre look reflète qui nous sommes.

Du coup, est-ce que les gens vous ont écoutés différemment parce que vous vous habilliez différemment ?

Aujourd’hui, je ne sais pas, parce qu’ils ont pris l’habitude de nous voir comme ça, mais avant, oui. Les gens nous percevaient différemment à la fin des années 90 quand nous avons commencé à avoir une autre allure. Ça a eu un vrai impact. Surtout, peut-être, les gens en dehors de la scène punk hardcore, ils étaient là : « Oh attends, ce ne sont pas des punks normaux. » Je pense que ça a été extrêmement important pour nous. Il y a une idée qui veut que le punk soit une sorte de sous-culture. Je veux dire que si tu débarques avec un crête… Je n’ai rien contre les crêtes ou l’attirail punk, mais si tu débarques habillé en parfait punk et que tu as envie de parler de politique, plein de gens seront là : « Ouais, mais tu n’es pas réaliste parce que regarde ton allure. » Je pense que c’est en partie le problème avec la culture des jeunes et les sous-cultures en général. Quand nous arrivions et parlions de ces problématiques, nous n’avions pas ce look, et les gens nous écoutaient différemment.

Interview réalisée par téléphone le 27 septembre 2019 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Elin Berge (1), Tim Tronckoe (2, 5 & 7) & Sara Almgren (3, 6 & 8).

Site officiel de Refused : www.officialrefused.com.

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