L’année 2018 fut un cru particulièrement prolifique en termes de sorties death technique, prouvant que les groupes de la nouvelle génération ne manquaient pas de créativité et ne se contentaient pas de marcher dans les pas de leurs aînés. Parmi ces combos, Rivers Of Nihil avait ramené une certaine fraîcheur, par un vent d’automne, avec son dernier disque Where Owls Know My Name. Et pour cause, cet album audacieux condensait expérimentation et fusion des genres avec une justesse et une énergie impressionnantes. Les Américains étaient de passage à Paris le 3 octobre dernier pour interpréter leur dernière offrande dans son intégralité, l’occasion pour nous de revenir sur un album ambitieux à travers le regard du spectateur dans les conditions du live.
Ce groupe, qui ratisse large sur le plan de ses influences musicales, s’accompagne de camarades d’horizons divers et variés. Ainsi, les planches du Gibus ont accueilli le death progressif de Black Crown Initiate, le blackgaze des Danois de MØL, et le melodeath à la suédoise de Orbit Culture. Retour sur ce programme éclectique et chargé avec des groupes exclusivement formés après 2010.
Artistes : Rivers Of Nihil – Black Crown Initiate – Møl – Orbit Culture
Date : 3 octobre 2019
Salle : Le Gibus
Ville : Paris [75]
Orbit Culture
Cette soirée, qui met en avant la jeune génération du metal extrême, s’ouvre avec les Suédois d’Orbit Culture. Avec deux albums à son actif, le groupe est essentiellement là pour servir du punch plus que de la technique. On y retrouve donc l’influence de la scène groove metal, portée notamment par des Lamb Of God entre autres compères. Si les compositions restent assez conventionnelles, on peut relever quelques inspirations à la Gojira dans la recherche du jeu de batterie, sans pour autant atteindre le niveau de Mario Duplantier, mais qui saura apporter une certaine couleur à une musique qui sonne résolument moderne. Les passages qui pencheront du côté du thrash, notamment sur le chant, ne seront pas spécialement servis par un bon son et peineront à avoir un impact sur l’audience, en particulier pour la voix qui sera difficilement audible par rapport au reste des instruments.
Heureusement, la tendance s’inversera sur les passages axés death qui eux seront plus efficaces, rappelant même des sonorités à la Amon Amarth, et cela se verra sur la manifestation du public. Le jeune combo joue le jeu en étant communicatif avec le parterre parisien et l’engouement du bassiste sur scène amènera à une certaine sympathie à leur égard. Même si leur performance n’est pas forcément des plus mémorables, en partie à cause d’un son vraiment moyen, elle n’est pour autant pas déplaisante, car on peut faire l’aveu que certains riffs sont assez redoutables. A voir ce que le groupe proposera par la suite.
Setlist Orbit Culture :
Redfog
Nensha
Sun Of all
Svartport
Saw
MØL
Autre registre avec les Danois de MØL qui ont su ramener une petite fan base dans cette affiche hétérogène. Le groupe a peu de temps devant lui mais a néanmoins tous les arguments pour convaincre. Tout d’abord parce que le combo évolue déjà dans un style très populaire cette dernière décennie, à savoir le post-black/blackgaze se situant dans la droite lignée d’un Deafheaven. MØL fait partie du clan des groupes avoisinant les Ghost Bath, Harakiri For The sky et Numenorean pour ne citer qu’eux… Ils ont pour point commun d’apporter la petite touche en plus, la cerise sur le gâteau, qui les distingue des autres en créant son aspect atypique tout en gardant les codes de base de ce nouveau sous-genre du metal extrême. Parfois contesté, ce post-black post-2010 est à la fois intimiste et explosif en gardant en son sein une grande mélancolie. MØL respecte le cahier des charges en conservant un style vestimentaire qui fait très « propre sur soi », avec des musiciens qui se déchaînent et tournent régulièrement le dos au public en jouant les âmes incomprises tout en exécutant leurs parties dans des mouvements cathartiques et libérateurs. Derrière les fûts, le batteur Ken Klejs se montrera studieux et paraîtra en retrait, comme le veut la coutume. C’est évidemment au frontman que se juge généralement ce genre de prestation, et le moins que l’on puisse dire est que le vocaliste Kim Song Sternkopf porte la douleur sur ses épaules.
Si dans ses interludes avec le public il emploiera un ton relativement solennel et serein, il en sera bien autrement dans ses moments de lâcher-prise… Ce dernier fera le travail en se montrant très démonstratif avec des levers de pied de micro en poussant ses cris les plus passionnés, traversant furieusement la foule dès le deuxième morceau, n’hésitant pas à saisir plus tard la tête d’un spectateur pour le prendre à témoin de sa souffrance. Dans un autre registre la démarche scénique fera penser à celle des Japonais de Envy connus pour se montrer expressément émotionnels sur scène en n’étant pas avares en termes d’intensité. Le jeu de lumière s’accordera au style musical en battant entre le chaud et le froid, avec notamment un violet assez vif pour jouer encore un peu plus sur la carte de l’émotion. Le public sera quant à lui très réceptif face aux Danois qui, malgré la jeunesse du projet, semblent déjà bien rodés avec une assurance certaine sur la mise en scène. Nul doute que le nom de MØL continuera à se faire connaître dans les prochaines années…
Setlist MØL :
Penumbra
Atacama
Ligament
Bruma
Jord
Black Crown Initiate
Revenons vers le death metal, cette fois-ci progressif, avec Black Crown Initiate qui, depuis sa formation en 2013, ne cesse de faire parler de lui. Ce qui interpellera en premier lieu, dans la performance des Américains, n’est pas la technicité des musiciens, ni la longue barbe bien entretenue du guitariste Andy Thomas… Non, ce qui saisit d’emblée les spectateurs est le regard pénétrant du chanteur James Dorton. Pas de doute : s’il vient sur scène, c’est qu’il en veut. Et il va en avoir, car les musiciens ne sont pas là pour déconner, même si la bière semble quand même couler à flot et que le sourire presque délirant de James peut porter à confusion. Sur le temps de set qui leur est donné, ils feront venir trois des musiciens de Rivers Of Nihil pour les accompagner tantôt aux chants, tantôt au saxophone comme pour le dernier morceau avec « Matriarch ». Musicalement, on est dans un mix rappelant quelques morceaux des vieux albums Opeth mais qui présente des cassures propres à la nouvelle scène death technique US, avec en ligne de mire Allegaeon, Fallujah, et bien sûr leurs amis headliners de la soirée.
L’ensemble est carré et est servi par un bon son, le seul bémol à souligner est peut-être le chant clair d’Andy qui fait parfois défaut et semble ne pas toujours être parfaitement juste. Les musiciens sont évidemment pris par leur propre jeu mais restent en contact constant avec le public, présentant des mimiques qui rappellent les tocs des plus grands jazzmans. Notons aussi une troublante ressemblance, reposant à la fois sur le physique et sur l’attitude générale, entre le bassiste de session Nick Miller et Simon Bouteloup de Kadavar… Mais passons l’anecdote et revenons du côté de la foule qui s’énerve, comme si elle n’avait d’autres choix, face à un groupe qui met la pression et amène au combat, en toute amitié bien sûr. Ainsi, les pogos se porteront bien pour le grand plaisir des musiciens qui se donnent à deux cents pour cent. Black Crown Initiate n’était pas seulement un groupe de chauffe pour Rivers Of Nihil, mais faisait quasiment office de co-headliner. Quoi qu’il en soit, le combo semble se dessiner une bonne carrière devant lui et ce live destructeur en est une bonne promesse.
Setlist Black Crown Initiate :
A Great Mistake
Years In Frigid Light
Stench of the Iron Age
Ghosts She Sends
Matriarch
Rivers Of Nihil
Alors que Rivers Of Nihil s’apprête à arpenter les planches du Gibus, le bassiste Adam Biggs s’approche du micro pour annoncer une mauvaise nouvelle : le second guitariste Jon Topore ne pourra pas être présent ce soir pour des raisons médicales. Mais comme dit le célèbre proverbe, « the show must go on ». Les Américains feront donc sans (ou plutôt « sample »), et débarquent tout de même pour mettre une sacrée patate au Gibus. Avant de démarrer les hostilités en jouant le dernier disque dans son intégralité, ces derniers décident de commencer par un apéritif assez rude avec « Soil & Seed » tiré du premier album, histoire de dire bonsoir, et de remuer le public parisien déjà chaud comme la braise. Pas de doute, la salle est à cran pour recevoir les Américains.
Peu de temps avant le début du concert, l’organisateur nous faisait part de son étonnement face à « la hype autour du groupe » qui ouvrait pas plus tard que l’année passée pour Revocation. Il est vrai que Where Owls Know My Name a fait énormément de bruit en peu de temps, et a fait passer le groupe sous les feux des projecteurs. Mais finalement cela n’était pas si imprévisible que cela, car cet album avait tous les ingrédients pour sortir du lot : il allie metal moderne et technique sans pour autant être pesant à la longue, une harmonie mélodique avec les parties de saxophone toujours du plus bel effet dans le metal extrême, et ses effets de surprise avec notamment quelques expérimentations électroniques. Selon le dossier de presse de l’album, alors que les prédécesseurs The Conscious Seed Of Light et Monarchy étaient respectivement centrés sur les thèmes du printemps et de l’été, Where Owls Know My Name représente l’automne. Bien que cette saison soit généralement associée à la mort, pour le groupe l’automne sert de renaissance. C’est donc un album qui se veut émotionnel, sur la perte, le vieillissement, en atteignant un point où la mort devient une partie beaucoup plus présente de nos vies. Avec cette tournée, Rivers Of Nihil propose une sorte de face B de cet opus. Le groupe lui rendant grâce en le métamorphosant en une forme bien plus brute, plus redoutable, et qui durcit son propos.
Sur scène, le leader et vocaliste Jake Dieffenbach ne s’économise pas. Dans sa longue tenue noire, il assume pleinement son rôle de frontman en donnant le ton et sautera de partout dès le premier morceau. Malgré le physique sympathique de ce dernier, qui aura régulièrement les yeux à peine ouverts au-dessus de sa moustache finement taillée, sa posture autoritaire et son style de bagarreur de rue imposent d’eux-mêmes les mouvements dans la foule sur « The Silent Life ». Son chant semble encore plus incisif sur scène qu’en studio, ce qui ne manquera pas de provoquer quelques frissons, ou envies de violence, selon les tempéraments. Evidemment, le public attend avec une certaine impatience les parties enivrantes du saxophone de Zach Strouse, qui donne une teinte si singulière aux compositions du groupe. Mais le saxophone se différencie du studio, car il ne vient pas pour adoucir les ardeurs de la foule. Non, Zach Strouse n’est pas un sage. Partisan du calme avant la tempête, il continue à motiver les troupes même lorsque qu’il ne joue pas pour qu’elles se défoulent.
Côté audience, le public répond bien pour les pogos, les circle pits et autres joyeusetés qui ne démotivent certainement pas le groupe malgré la chaleur. Malheureusement, ce qui devient un peu trop habituel pour le public parisien refait un peu surface avec certains individus assez insupportables qui montent sur scène pour danser pendant le solo de saxophone, ce qui ne manquera pas d’énerver Zach qui poussera le soûlard dans la foule, légèrement agacé (nous avons bien dit qu’il aimait la ferveur du public, pas l’irrespect). Mais ce n’est pas le comportement de certains, ou les blagues lourdes d’une frange du public qui feront baisser la température de la soirée, puisque Rivers Of Nihil émet une prestation quasi sans faille malgré l’absence d’un de leurs guitaristes. Une petite coquille se fera entendre sur « A Home » mais celle-ci sera rapidement pardonnée puisque le groupe exécute sans faiblir. Pourtant, les membres ont parfois l’air bien épuisés tellement ils donnent d’eux-mêmes, notamment le chanteur qui se mettra en retrait, s’essuyant dans sa serviette (et renforçant ainsi son image de boxeur de rue), mais ce dernier reviendra toujours en pleine forme sur scène pour mener la danse en applaudissant avec le poing.
Adam Biggs ne manquera pas d’impressionner avec sa performance quasi olympique, entre gros mouvements scéniques, technicité, et alternance entre chants criés et chants clairs. L’album s’écoule en entier, et même le morceau industriel « Terrestria III: Wither » se montrera sous un autre jour puisque ce qui figurait comme un instrumental électronique sera l’occasion pour la salle, et pour le groupe, de se déchaîner dans des grands mouvements qui suivent le rythme de la musique. « Capricorn / Agoratopia » clôture l’album dans une grande osmose où le public semble conquis, au vu des réactions de certains qui découvrent cet opus pour la première fois. Ainsi, l’audience ovationne les Américains qui le méritent. Mais avant de quitter les planches parisiennes, la formation revient avec l’énergie qui lui reste pour faire un détour par Monarchy en jouant en rappel le morceau « Sand Baptism », histoire de provoquer une dernière fois le public dans un dernier affront.
Rivers Of Nihil a été une révélation en 2018, le groupe fait office de confirmation en 2019. La soirée proposée démontre que cette décennie a révélé de nouveaux talents et que, plutôt que de vivre dans l’éternel passé supposé être l’âge d’or du metal extrême, il vaut mieux nous tourner davantage vers ce qui se fait à notre époque actuelle et regarder déjà de quoi demain sera fait. L’ère extrême 2010 laissera incontestablement des traces indélébiles dans l’histoire du metal.
Setlist Rivers Of Nihil :
Soil & Seed
Cancer / Moonspeak
The Silent Life
A Home
Old Nothing
Subtle Change (Including The Forest Of Transition and Dissatisfaction Dance)
Terrestria III: Wither
Hollow
Death Is Real
Where Owls Know My Name
Capricorn / Agoratopia
Sand Baptism
Report : Jean-Florian Garel
Photos : Matthis Van der Meulen