Il existe dans le firmament musical des groupes mythiques. C’est souvent la rencontre entre des personnalités différentes, souvent bien trempées, qui par leur complémentarité engendrent des instants de magie pure. Malheureusement ce genre de symbiose peut parfois être brisée par un drame et être ainsi appelée à disparaître à jamais… Ces groupes nous les connaissons tous et il n’est pas question ici de les énumérer et encore moins de faire leur apologie. Il est question de l’après. Un après où rares sont les exemples de rémission totale.
C’est aujourd’hui un cas d’école que nous étudions : Led Zeppelin. Nombreux sont les fans qui attendent, guettent au gré des interviews, une potentielle reformation qui n’arrivera sans doute jamais – malgré celle éclair qui s’était produite à l’occasion d’un concert hommage à Ahmet Ertegun, fondateur d’Atlantic Records, au O2 Arena de Londres le 10 décembre 2007. Récemment une intox montée de toute pièce par The Mirror voulait que Robert Plant ait refusé un contrat de 640 millions d’euros, au grand désarrois de Jimmy Page et John Paul Jones qui auraient, eux, soi disant déjà signé. L’information a depuis été démentie par l’attaché de presse du chanteur et Richard Branson lui-même, l’entrepreneur qui aurait formulé l’offre. Mais, si on y a cru, c’est qu’au fond c’était plausible – et probablement parce que beaucoup en rêvent. Pour comprendre pourquoi il faut avant tout saisir un point essentiel de l’histoire des relations entre Jimmy Page et Robert Plant.
Sont-ils aujourd’hui toujours en osmose comme à la grande époque du sex, drugs & rock’n roll ? Aujourd’hui l’un est un dandy voyageur, qui va de l’avant et avec succès offre des albums variés et créatifs. L’autre essaie inlassablement de faire son « retour vers le futur ». Dans les 70’s, Led Zeppelin était un groupe soudé qui, avec sa fascination pour l’occultisme, les drogues et l’amour libre, composait des tubes à la volée ou revisitait avec brio voire se réappropriait totalement des standards du blues (« Babe I’m Gonna Leave You », « Dazed And Confused », « Whole Lotta Love » et ses emprunt à Willie Dixon…).
Page est connu pour son goût de la drogue (dans Guitar World en 2003, il déclarait : « Pour moi, les drogues étaient une part intégrale du truc, depuis le début, jusqu’à la fin »), de l’extravagance et du show. Mais le revers de la médaille pour lui est d’avoir, vraisemblablement à cause de la cocaïne et de l’héroïne, perdu son trait de génie petit à petit ainsi que son influence dans le groupe. Notamment sur les albums Presence (1976) et In Through The Out Door (1979). Cela a aussi provoqué le déclin de son jeu de guitare au fil des années. Ce n’est finalement qu’au travers de quelques revivals et autres collaborations avec de grand noms du hard blues, tel que son album avec David Coverdale ou un album live avec les Black Crowes revisitant les standard de Led Zep, que Page fait encore parler de lui depuis vingt ans. Et encore, Walking Into Clarksdale, son dernier opus de chansons originales, date de 1998, en collaboration avec… Robert Plant. Jimmy Page n’a jamais vraiment su dépasser son passé et poursuivre sa propre histoire. Encore aujourd’hui, si le guitariste fait l’actualité, foulant même les plateaux télé, c’est pour avoir chapeauté de nouvelles rééditions des albums du Dirigeable, la publication de ses mémoires ou pour un « projet » de groupe où il précise bien qu’il jouera « tous les morceaux qui ont marqué [sa] carrière depuis [ses] débuts avec The Yardbirds. » Le temps faisant, Page ne se serait-il pas réduit à un businessman profitant de la remise au goût du jour de l’ensemble des groupes de l’époque glorieuse du rock n’ roll et la mode du « vintage » qui frappe le rock actuellement ?
De son côté Plant a vécu plusieurs épreuves au cours de sa carrière zeppelinienne qui l’ont assagi. Entre accident de voiture et perte d’un enfant, il s’est éloigné de cet univers superficiel qu’est le star-system et le monde du show-business. Au fil des années c’est un véritable retour aux sources qui s’est opéré pour lui. Ses voyages lui ont permis de confirmer son goût pour l’ouverture, la musique du monde et sa capacité à faire voyager son public. Tout cela sans délaisser son premier amour qu’est le blues. Tout cela dans une certaine confidence. Point de concert qui ont pour vocation de remplir les stades où les plus grandes salles. Plant aime les têtes à têtes et l’intimité avec son public dans un but unique : lui offrir une aventure musicale qui lui permettra de traverser les frontières. C’est presque une initiation chamanique qui nous est offerte avec des albums tels que Mighty Rearranger et Lullaby And… The Ceaseless Roar. Sans compter les expériences live qui ont accompagnés ces deux albums, incluant quelques reprises de Led Zeppelin, certes, mais totalement remodelées, une manière pour lui de dire que sa musique ne sera jamais figée dans le passé.
Deux chemins et deux états d’esprits très éloignés l’un de l’autre qui ont aujourd’hui du mal à converger de nouveau. L’un court après sa gloire d’antan sans chercher à offrir à son public ce que la maturité et l’expérience pourraient lui permettre d’expérimenter et apporter de neuf, quand l’autre fuit les tapis rouges et les caméras. Plant est dans l’expérimentation auditive et sensorielle et laisse son instinct le guider au détriment de toute logique. Point de jugement porté ici car il n’est pas judicieux de laisser planer le doute qu’il pourrait envisager une reformation un jour – le concert de 2007 et une déclaration en 2013 où il affirmait au 60 Minutes australien qu’il ne ferait rien en 2014, sous entendant une ouverture et renvoyant la bille à ses collègues – pour le lendemain faire une croix dessus, réduisant à « zéro », en avril dernier auprès de The Pulse Of Radio, les chances que cela se produise. Il est aisé d’imaginer le désappointement que cela représente pour Page et Jones. Mais cela éclaire un point capital qui permet de nous donner une raison de ne pas regarder en arrière. La question que nous pouvons nous poser est : que pourrait amener de bon la réunion de deux personnalités musicales aujourd’hui tellement opposées qu’elles ne semblent plus rien avoir en commun ? Difficile de voir comment, en tirant chacun la couverture de son côté, une nouvelle collaboration entre eux pourrait déboucher sur des créations qui feraient honneur au génie passé de Led Zeppelin, même avec le sage et talentueux John Paul Jones en guise d’arbitre…
Ne serait-il pas préférable de laisser Robert Plant à sa créativité et ses réinventions, tout en s’accrochant à cet espoir de voir Jimmy Page reprendre sa carrière en main et proposer de nouvelles choses avec le groupe qu’il projette aujourd’hui de former ? Plant lui-même, qui a toujours été ouvert à une collaboration acoustique avec le guitariste, disait à The Telegraph en septembre dernier : « Il devrait aller de l’avant et faire quelque chose, c’est un superbe talent. C’est ça qui est triste à propos de Jimmy, il sait que je suis ce gars-là, je suis son pote, mais la chaleur dont il a besoin pour apprécier le monde est déjà là. Aller, vas-y et donne nous ça ! » Et il faut croire qu’après toutes ces années Jimmy Page commence à se faire une raison. « J’ai énormément de musique que j’ai écrit sur la guitare acoustique, » disait-il à RollingStones.com en mai dernier, « des tas et des tas. Et maintenant je dois me bouger pour en faire quelque chose, et ça ne prendra pas longtemps. » Attendons donc du concret…
Bon article. Pour moi la principale question est surtout de savoir ce qu’apporterait une reformation. Pour les live, franchement, si c’est pour voir un massacre comme pour Black Sabbath, c’est pas la peine. Quant aux albums, bah déjà je vais faire mon rabat-joie mais sans John Bonham c’est plus vraiment Led Zep (et pour le coup on peut vraiment le dire, surtout que si je dis pas de bêtises ils n’ont pas enregistré d’albums studio depuis son décès). Donc bon, vu les différends musicaux des musiciens restants, à part l’argent, je vois mal ce qui pourrait justifier une reformation.
Enfin bon, j’espère que j’aurais plus l’occasion de lire des conneries comme « Quelque chose nous dit qu’on aurait peut-être réfléchi un peu plus » (je ne citerai pas la source) en parlant de Plant qui aurait refusé le fameux gros chèque inexistant, surtout que s’il avait signé uniquement pour ce chèque on l’aurait traité de vendu. Et puis s’il avait réellement refusé, il aurait sûrement eu ses raisons. M’enfin.
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Article intéressant. Mais ça ne pose pas explicitement une question très importante : est-ce qu’une reformation est une bonne idée ? Oui, on évoque ici les différences entre Plant et Page; oui pointe du doigt qu’un seul des deux attend quelque chose.
Mais est-ce qu’une reformation ne serais pas décevante ? Idem que pour Pantera : est-ce que Pantera avec Wylde peut fonctionner ? Si Vinnie Paul se pose la question, c’est qu’il faut bien que quelqu’un le fasse…
C’est bien de dire qu’ils sont fatigués ou en forme ou quoi, mais ça ne dit pas vraiment si l’alchimie peut encore être présente.
Personnellement, je préfère qu’il ne se passe rien plutôt que d’avoir des shows flottant et des albums b-side style « The Endless River »…
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Ben je pense que c’est assez explicitement adressé :
« que pourrait amener de bon la réunion de deux personnalités musicales aujourd’hui tellement opposées qu’elles ne semblent plus rien avoir en commun ? Difficile de voir comment, en tirant chacun la couverture de son côté, une nouvelle collaboration entre eux pourrait déboucher sur des créations qui feraient honneur au génie passé de Led Zeppelin, même avec le sage et talentueux John Paul Jones en guise d’arbitre… »
Non ? 😉
Je suis tout à fait d’accord de ce point de vue la, mais c’est ce que j’entendais par là. Je pensais pas à la façon dont chacun allait retrouver de « l’espace », sa place, mais vraiment plus l’alchimie.
Soundgarden a eu quelques flottement en 2011 en reprenant, qu’ils ont vite chassés. C’est pas juste des questions d’ego mais si la magie n’est plus là. Enfin, je fais la différence, c’est pas pour critiquer mais ajouter une nuance, mais je suis d’accord que l’idée est similaire…