L’édition 2012 du Rock d’Ay avait brassé de la poussière ardéchoise sous un soleil de plomb. L’édition 2013 a donc repris les mêmes bases : poussière et soleil. Au milieu des reliefs tortueux de l’Ardèche, des vignes et au bord de la fraîche rivière d’Ay se jetant en contre-bas dans le Rhône, cette soirée du 20 juillet se devait d’être placée sous le joug des décibels et du pogo. Et ça n’a pas manqué pour cette nuit qui s’est transformé en un truc fichtrement punk.
Crête dressée sur un crane poli, rangos remontées jusqu’aux genoux avec les chaussettes, Sarras (qui se prononce toujours « Sarra ») a dansé au rythme des sept groupes de cette nouvelle édition. Infrarouge, La Trime Team, Doberman [crew], Tayobo, Punish Yourself, Yurakane et Noein. Du punk à, quasiment, toutes les sauces ! Ainsi, le dimanche matin, gueule dans le seau, les pieds dans l’eau, le punk à chien chantait la complainte du punk abandonné.
Retour sur cette soirée de feu et d’étincelles.
Événement : Rock d’Ay
Date : 20 Juillet 2013
Lieu : Sarras (France)
Infrarouge est le genre de groupe auquel on adhère ou non. Pas de juste milieu pour ce combo qui marque clairement son bord politique par des textes engagés. Certes, la démarche peut paraître facile : cracher sur une société actuelle à coup de « fuck » peut sembler « puéril » et à des années lumières des quelques grands paroliers français (Gainsbourg ou Renaud, pour ne citer qu’eux). Or Infrarouge est un groupe de punk, et le punk se fiche de la potentielle finesse de ses textes. Ceux-ci doivent partir d’une traite. Ceux-ci doivent percuter de manière directe et franche. Infrarouge est punk. Direct, franc et fun. Alors, bien que la bande se soit – comme l’an passé pour Home Taping – produit devant un public encore réduit, la musique, le son et la présence scénique du groupe rendent la prestation plus qu’agréable. Car ça groove bordel ! Et pourtant le quintet n’a qu’un EP à sa ceinture. Mais c’est bien cette maigre discographie qui anime et semble motiver ce petit RATM français. Chaque titre, même devant un public absent, est défendu avec conviction et sincérité. Comme sur le titre « Infrarouge » clôturant ce premier set de la soirée où reggae, chanson française, rock à billy et rap sont venus se mêler au punk des rhône-alpins.
Un petit regard de côté afin d’observer la seconde scène. Plus petite, celle-ci accueille La Trime Team. Jamais les bords d’une scène n’ont dû sembler si proches pour le frontman de la « Team » : Flo. Le chanteur, imposant, semble en effet fort éméché. On ressent la difficulté de l’homme à construire des phrases simples dans son esprit. Difficulté accrue dès lors que celles-ci doivent sortir. Ce sont donc des mots éparses, parfois, des grognements qui s’échappent de sa bouche pour chacune de ses prises de parole. Musicalement, La Trime Team fait donc, là aussi, du punk. Légèrement old school, bestial (ces chœurs sur « J’ai Trop » !) et bien moite. Mais la sauce monte difficilement. Un petit truc manque. Un son trop épais et pas suffisamment distinct ? Peut-être… Pourtant, ça commence à bouger devant la scène. Et ça finit par être le bordel total en fin de show, où certains membres de l’audience viennent chanter sur scène avec le groupe. Esprit légèrement « je m’en foutiste », au diable les conventions ! Deuxième service de punk, certes moins convaincant, mais là aussi, on s’en fiche non ? Et puis quand le groupe dit : « on a une petite scène mais on a une grosse bite » tout est dit…
Il y a des groupes qui en imposent. Ces combos qui savent faire remuer un public, qui savent vous prendre aux tripes et vous fracasser. Doberman [crew] est de ce genre de groupe. Les Lyonnais sont sur scène et le public a clairement les yeux rivés sur celle-ci. Pas un cil n’est détourné de cette scène principale qui recevra l’une des meilleurs prestations de la soirée. Après quelques soucis de micro obligeant Keefran (chant) à prendre un micro fil, le concert démarre. Pléiade de décibels en approche. Percussion. Doberman [crew] c’est un Hardcore/Punk rapé soutenu par de nombreuses sonorités electro. Et Dieu que ça joue ! Le quatuor maîtrise son sujet. Au-delà des compos toujours bien senties et bien pensées, c’est l’énergie de Keefran qui saute au visage. Son impressionnant charisme, son sourire perpétuel et ses yeux scintillants (même si là on va s’éviter une quelconque conclusion sur le pourquoi du comment) sont communicatifs. Doberman [crew] porte véritablement bien son nom. C’est un chien (en même temps du punk sans chien hein !) qui, une fois qu’il vous a attrapé la jambe, ne vous lâche plus. Le concert passe à vive allure, piochant dans les deux opus du combo, la poussière vole devant une scène agrémentée de sublimes lightshow, après « Walk Or Die » on pourrait presque aller se coucher. Dans la jargon on nommerait cela un sans faute.
Dur, dur de repasser sur la seconde scène où Tayobo s’apprête à ouvrir feu. Pourtant, les Limougeauds sont loin d’être mauvais, bien au contraire. Le groupe offre un set propre, assez technique, bien barré (certains plans font littéralement penser à du Mr Bungle). De plus, Tayobo est le premier groupe de la soirée à s’ouvrir à des horizons extra-punk. Ce qui ne fait pas de mal dans cette programmation axée crêteux. Un peu core, un peu néo, un peu thrash, Tayobo alterne les goûts et couleurs. Et s’il est peut-être délicat de rentrer immédiatement dans le show, des titres comme « Bras Cassés » s’avèrent toutefois efficaces et accrocheurs. Un concert simple, sans fioritures mais une musique peut-être encore trop personnelle au groupe la rendant par instant difficile d’accès. Dans tous les cas, le groupe attise la curiosité et là est peut-être sa plus grande réussite en ce soir du 20 juillet.
Les gars de Punish Yourself au Rock d’Ay c’est comme les aventures de Martine. Punish Yourself joue à la pétanque derrière les scènes, chemises ouvertes et sandales. Punish Yourself pogote sur le concert de Yurakane qui fera suite au leur. Punish Yourself par ici, Punish Yourself par là. Indéniablement, le combo était détendu avant de grimper sur scène. Et Punish, sur scène, c’est toujours quelque chose. Ce soir encore le concert en a mis plein les mirettes de chaque spectateur, même des non-officiels. Plusieurs voitures s’étant arrêtées sur un flanc de la montagne parallèle à la scène depuis lequel on devait, probablement, avoir une vue parfaite sur ces étranges personnages verts, jouant avec du feu ou s’amusant à faire des étincelles avec une ponceuse. Ouverture du show sur « Gun ». Le son est parfait, et ce, même sans protections auditives. Les mélodies indus des français laissent monter une tension palpable. L’ambiance est électrique, les corps bien imbibés d’alcool se lancent comme des sacs sans âmes sur les barrières. Ça bouge dans tous les sens dans cette fosse au dessus de laquelle se forme un épais nuage de poussière. Pêle-mêle, le combo peinturluré distille classique sur classique : « Suck My T.V. », « Smeya », « Zombie Room (all you zombies) » ou encore « (Let’s Build) A Station in Space ». Le concert est une véritable épreuve physique. C’est à se demander ce que certains voient du show tant les pogos ne savent prendre de répit. VX en véritable frontman monte sur les retours aux abords des barrières de sécurité formant le pit photo. Le chanteur, chapeau vissé sur le crâne, joue avec son public sans avoir à lui donner quelconque directive. Punish Yourself ne parle pas, Punish Yourself agit. Le groupe quitte la scène sur deux petites raretés issues de ses premières heures, ovations du public, remerciements et on reste dans le tempo en se dirigeant sur la seconde scène.
Les Palois de Yurakane sont de loin, avec Noein, la formation la plus éloignée musicalement parlant de l’affiche de cette soirée. Et pourtant, la foule répond encore présent lors de ce show millimétré. Profondément influencé par la musique de Lamb Of God, Yurakane officie dans un metal moderne qui a le sens du riff et, de la mélodie. Armé de son premier opus, The Awakening, le combo démontre que c’est sur scène que sa musique prend vie. Pas de couac, pas de baisse de régime. Yurakane avance sans lever le pied. Et même si le son est quelque peu faiblard, les compos résonnent et accrochent rapidement l’oreille. Inutile de préciser que d’avoir les membres de Punish Yourself à ses pieds, en train de pogoter, doit incontestablement vous débrider. « We Don’t Need » résonne sur scène et fait chanter le public qui se donne à fond. Gros accueil de la part de ce dernier qui sera récompensé par la venue de Max, chanteur de Coredump en guest sur l’un des titres. Cependant, on ne peut qu’espérer revoir le groupe sur une scène un peu plus large. Malheureusement, la petite taille de cette seconde scène a véritablement restreint les musiciens (de toute la soirée) dans leurs mouvements. Yurakane, vainqueur du tremplin organisé quelques mois plus tôt afin de décrocher cette place sur l’affiche, se retrouve au final fort généreusement récompensé. Un groupe à voir sur scène, assurément.
C’est lessivé que le public se présente devant la dernière formation de la soirée : Noein. Si le public tire la langue, Noein est littéralement sur-boosté. Et c’est cette énergie scénique qui va définitivement mettre les derniers survivants les deux genoux au sol. Noein évolue entre death, indus et metalcore. Un mélange qui a de quoi réveiller plus d’un comateux. Le son est fort, très fort sur cette scène principale. Les riffs sont propulsés à vive allure et la batterie s’applique à marteler le tout avec sauvagerie et précision. Cependant, la batterie deviendra vite sur-mixée. Les riffs de guitares et de basse se perdent dans le tout, et seule Jenni (chant) arrive à rivaliser avec Sylvestre caché derrière ses fûts. Heureusement, et malgré l’heure tardive, le concert se regarde avec plaisir. Ça joue bien, ça bouge bien et le combo veut véritablement la tête des festivaliers. Jenni ne cesse de haranguer cette foule quelque peu débauchée. C’est dur de demander un dernier wall of death arrivé à bientôt trois heures du matin. Et pourtant la chanteuse n’en démordra pas ! Noein apparaît comme le bon élève de la soirée après une nuit punk ! Et là encore, ça fait une belle bouffée d’oxygène ! Les Rouennais quittent enfin la scène en ayant fait une forte belle impression mais il est grand temps d’aller sous la tente pour s’y effondrer de sommeil !
Photos : Claudia Mollard (Page Facebook)