Rotting Christ est un groupe pour le moins singulier dans le paysage black metal, grâce à une musique très personnelle aux influences étonnantes. Or chaque album de Rotting Christ est avant tout issu d’un travail de son maître à penser Sakis Tolis, pour ainsi dire, seul. C’est ce qu’il nous a avoué, interrogé il y a quelques semaines : « Je fais toujours tout par moi-même ; je suis le seul compositeur, donc oui, forcément c’est personnel. Avant que je ne commence à enregistrer quoi que ce soit, d’abord je commence par me parler et me demander : ‘As-tu quelque chose à dire ? Ressens-tu des vibrations ? Est-ce que ça a un sens d’aller de l’avant avec un autre album et de la nouvelle musique ?’ Et ensuite je vais de l’avant avec quelque chose de neuf. »
C’est d’autant plus le cas pour ce dernier opus Κατά Τον Δαίμονα Εαυτού que Sakis a comme d’habitude composé seul, mais qu’il a également enregistré seul (hormis la batterie qui est toujours l’œuvre de son frère Themis Tolis), le line-up de Rotting Christ ayant presque intégralement changé. L’homme nous a parlé de cette expérience particulière, avouant avoir fourni un grand effort afin d’éviter de se répéter : « La seule raison expliquant pourquoi l’enregistrement et la composition de l’album a pris tant de temps, c’est parce que j’ai déjà onze albums et celui-ci se devait d’être différent, d’avoir quelque chose d’unique, quelque chose qui pouvait ajouter un plus à l’histoire du groupe. J’ai donc prêté beaucoup d’attention à ça et beaucoup réfléchi. Je suis entré dans une sorte de méditation pour voir si j’avais des choses à dire. Donc après avoir passé beaucoup de temps dans cette méditation avec moi-même, je suis arrivé avec cet album. Je voulais créer quelque chose qui méritait d’être sorti. »
Ce qui en est sorti, au final, est particulièrement sombre, probablement plus encore que pour les précédentes œuvres de Rotting Christ. A ce titre, Sakis reconnaît qu’il n’y a bien que la noirceur et la tristesse qui lui inspirent de la musique : « La réflexion que j’ai eu était très profonde et ce qui en est ressorti était très sombre. Je ressens ça et c’est la raison pour laquelle j’ai affirmé une telle chose. Et si tu écoutes les chansons, à mon avis, tu n’y trouveras rien qui te fera sourire. Lorsque je souris, malheureusement, je ne peux pas créer. Lorsque je souris, je veux simplement discuter avec mes amis et boire des bières. Mais lorsque je ne me sens pas très optimiste, je veux juste créer de la musique. […] Tu sais, tout le monde a ce côté sombre profondément enfoui en lui. Si tu sondes en toi, tu trouveras des choses très pessimistes et sombres bien cachées. Tout le monde à ça au plus profond de lui-même et je ne fais que révéler et explorer ça à travers ma musique. OK, je ne suis pas quelqu’un de très optimiste, je vois beaucoup de choses de manière négative, mais j’aime répandre ces sombres sentiments avec ma musique. »
Pour autant, il ne faut pas comprendre par là que Sakis est un être particulièrement triste ou négatif. Enfin, des fois je me sens joyeux, je suis une personne normale ! » s’exclame-t-il avant de poursuivre, « mais d’après moi, la joie ne peut produire de musique alors que la décadence, elle, crée de la musique. Les situations difficiles créent de la musique. Lorsque tu te sens mal, tu peux créer de la musique. Toutes ces choses sont les meilleurs catalyseurs pour créer de la musique à mon avis. »
Selon son créateur, l’album « est un voyage à travers les connaissances des anciennes civilisations, à travers l’occultisme qui a émergé de la face sombre de chacune d’entre elles. Il y a des référence aux anciennes civilisations incas et mayas (ndlr : le titre « Yumen – Xibalba » est une partie d’un ancien rituel maya) jusqu’aux anciennes civilisations grecques et slaves. » Le mysticisme ancien exposé et qui semble être au cœur de ce qui a inspiré Sakis n’est, d’une certaine manière, pas sans rappeler ses compatriotes de Septic Flesh. D’ailleurs, les deux groupes ont au moins comme point commun une musique noire au caractère immédiatement reconnaissable et un sens de l’arrangement massif. Pour autant, Sakis nie toute ressemblance avec ses compatriotes : « Nous somme bons amis. Ils ont créé leur propre style de musique et je ne pense pas que notre musique soit similaire à la leur. Ils font quelque chose de différent mais j’aime ce qu’ils font. »
L’album se termine avec un titre appelé « 666 » qui aura éveillé notre curiosité car on imaginait mal un homme aussi raffiné que Sakis user d’un tel cliché. « C’est un titre artificiel que notre label a créé de manière à ce que vous puissiez le lire. En réalité ça s’appelle « Χ Ξ Σ », ce qui représente, en grec ancien, le nombre de la Bête, l’équivalent à 666. Nous n’appellerions jamais un titre ainsi. « 666 » en soit est tellement pauvre, tellement plat. Ce sont les trois lettres grecques de l’apocalypse qui signifient 666″.
Si jusqu’à présent, Rotting Christ a donc représenté l’exutoire de Sakis seul, l’homme n’est pas pour autant fermé à l’idée de laisser la possibilité à ses musiciens de s’impliquer plus : « Ce serait quelque chose de très bien pour moi car, dans la mesure où je fais tout moi-même, je n’ai pas assez de temps pour faire quoi que ce soit d’autre dans ma vie personnelle ! Bien sûr j’aimerais les voir s’impliquer dans la musique. Mais tout d’abord, ils devront confronter leurs idée au style de Rotting Christ. Ce serait facile pour moi de leur demander de me donner des chansons et de les enregistrer mais la tâche n’est pas aussi facile de leur côté. ». Il est à ce titre particulièrement enthousiaste à propos de ce nouveau line-up, notamment d’un point de vue scénique : « Nous avons deux nouveaux membres dans le groupe que nous avons annoncé. Et crois-moi, de ce que les gens disent et de ce que j’ai vu sur scène, ces mecs bottent sérieusement des culs ! Ils me font croire que nous traversons notre meilleure période en termes de prestation scénique. ».
En fin d’entretien, nous sommes revenus brièvement sur la polémique concernant Dave Mustaine et Megadeth, ayant refusé de jouer à l’affiche d’un concert grec en 2005 du fait de la présence de Rotting Christ et du blasphème que représente le nom du groupe pour le croyant qu’il est. Depuis, les deux groupes n’ont jamais eu aucune interaction. « Quelqu’un m’en a parlé et j’ai pensé que c’était dommage parce que ceci ne correspond pas à l’esprit du metal. Le conservatisme n’a rien à voir avec l’esprit du metal. Ça m’attriste. Mais en dehors de ça, je n’en ai plus rien à foutre ».
D’ailleurs, malgré un nom de groupe franchement agressif, Sakis n’est pas aussi radical qu’on pourrait le croire vis-à-vis des croyances religieuses. C’est ce qu’il a démontré lorsque nous l’avons fait réagir sur les récents événements au Vatican : « Je n’en ai rien à faire du pourquoi le pape démissionne. Pour moi, il n’y a pas de pape et il n’y a pas de religion organisée. Il y a des croyances. Je les respecte. Mais tout ce qui est organisé et qui à trait aux croyances est de l’exploitation. […] Tout le monde a le droit de croire en ce qu’il souhaite croire. Je ne peux forcer personne. Ce serait très fasciste. Je ne suis pas ce genre de personne. Mais lorsque c’est organisé, lorsque tu me dis ce en quoi je dois croire, alors tu me trouveras contre toi car mon principal moteur, ma maxime fétiche, c’est ‘non serviam’. »
Et Sakis de répéter, pour conclure l’entretien : « Gardez l’esprit en vie. Élevez le vrai esprit metal underground. Jusqu’à ce que nous nous rencontrions, restez ‘non serviam’. »
Entretien réalisé le 4 mars 2013 par téléphone.
Retranscription et traduction : Spaceman
Site internet officiel de Rotting Christ : www.rotting-christ.com
Album Kata Ton Demona Eaftou, sorti le 1er mars 2013 chez Season Of Mist
Que de sages paroles!
Et puis très bon album, évidemment…
Entièrement d’accord avec tout ce qui a été dit précédemment…énormissime cet album!
Bonjour,
Un putain d’album, trés au dessus de tous ce qu’il se fait, et je me reconnai un peux dans ce qu’il dit
Sakis est un compositeur absolument génial.
Toi même tu sais ; )
il est vraiment tres tres bon cet album