On ne change pas une équipe qui gagne, comme le dit le frontman Joakim Brodén, en compagnie de son compère bassiste Pär Sundström, dans l’entretien qui suit. Sabaton revient avec son huitième album The Last Stand, à nouveau produit par Peter Tägtgren et Jonas Kjellgren, avec une pochette à nouveau signée Peter Sallaï et explorant à nouveau les guerres qui ont balisé notre histoire.
Mais n’allez pas croire que la carrière de Sabaton est un long fleuve tranquille, car non seulement le groupe a bien conscience de la nécessité et difficulté de trouver l’équilibre entre nouveauté et continuité, mais ils sont également parfois contraints d’essuyer des préjugés sur les thématiques abordés dans leurs albums, leur ayant déjà valu d’être censuré. Pas de quoi, pour autant, gâcher la bonne humeur tant réputée du groupe.
Les deux musiciens nous parlent donc de tout ceci et des spécificités du nouvel opus. A noter que le départ du guitariste Thobbe Englund n’avait pas encore été annoncé au moment où cet entretien a été fait.
« Tu ne peux pas gagner cette bataille, parce que cinquante pour cent des fans veulent que tu n’évolues pas trop vite, et les autres veulent quelque chose de nouveau en permanence. […] Tous les groupes ressentent cette pression : comment évoluer tout en restant les mêmes ? »
Radio Metal : Joakim, la dernière fois qu’on s’était parlé, tu nous avais dit que tu avais ressenti beaucoup de pression pendant l’écriture et la sortie de Heroes, pas seulement à cause du succès de Carolus Rex, mais aussi car c’était le premier album avec le nouveau line-up. Comment ça s’est passé cette fois avec The Last Stand, t’es-tu senti plus en confiance?
Joakim Brodén (chant) : Non, je pensais que ce serait le cas, mais en fait non, je ne me sentais pas plus confiant ! [Rires] Heroes s’est avéré être franchement bon. Nous voulons que chaque chanson de Sabaton soit la meilleure que nous ayons jamais faite, peu importe [avec quel membre du groupe j’écris]. En revanche, ce que j’ai beaucoup aimé cette fois-ci, c’est que nous pouvions inclure plus d’influences venant des autres membres du groupe. Parce que, quand nous avons fait Heroes, c’était le premier album avec le nouveau line-up, donc il fallait être sûr que ça sonnerait comme Sabaton, que nous pourrions prouver que Sabaton était toujours Sabaton. Maintenant, je pense qu’avec les concerts que nous avons faits et avec Heroes, putain, nous l’avons plutôt bien prouvé [petits rires]. Donc, cette fois, nous avons pu être un peu plus aventureux dans l’écriture et ce genre de choses. Mais non, ce n’est pas du tout devenu plus facile [rires].
Par ailleurs, comment Heroes a-t-il été reçu, en tant que premier album avec ce line-up ?
Très bien ! Au moins quatre-vingt-dix pour cent de ce que j’ai lu et entendu de la part des gens est très positif. Je suis très fier de cet album, en vérité, le fait que nous ayons pu être encore plus forts dans ces circonstances, et prouver que non seulement Chris, Thobbe et Hannes appartiennent pleinement au groupe, mais aussi que ce sont des putains de musiciens qui déchirent et jouent mieux que Daniel, Rikard and Oskar ! Je ne veux rien dire de mal sur eux, parce que nous étions les mêmes gamins quand nous avons démarré, à boire de la bière et écouter “Painkiller” ensemble, à l’époque. Mais tu sais, aucun de nous dans le groupe n’était vraiment, vraiment bon musicien, et quand nous nous sommes séparés, nous avons dû redéfinir le groupe pour pouvoir avoir de putains de bons musiciens dans le groupe. Ça a été à Pär et moi de nous mettre à niveau, nous avons dû également nous améliorer [petits rires].
Jusqu’à maintenant, Joakim, tu as été le principal compositeur du groupe. Est-ce que la façon de composer a évolué pour cet album ?
Pas tellement, c’est toujours moi qui écris la plupart des trucs, même si je n’écris plus autant tout seul. Des gens comme Chris ou Thobbe, chacun d’eux a écrit une chanson avec moi. Nous en avons même commencé une avec Hannes, mais nous ne l’avons jamais finie car nous ne pouvions pas aller plus loin, mais elle est mortelle ! Elle sera probablement sur le prochain album, je pense.
Vous avez une fois de plus travaillé avec Peter Tägtgren et Jonas Kjellgren pour ce nouvel album, comme vous l’aviez déjà fait pour Carolus Rex et Heroes. Peter Sallaï, qui a fait les pochettes à la fois pour Carolus Rex et Heroes, a aussi travaillé avec vous sur cet album. Pensez-vous que vous avez développé une relation spéciale avec eux ? Comment décririez-vous ces relations ?
Pär Sundström (basse) : Peter, bien sûr, travaille avec nous depuis longtemps. Même avant qu’il fasse des albums avec nous, il était là en arrière-plan, il nous aidait avec des sons de guitare, des sons de batterie ou quelques enregistrements. C’est clair que son frère [Tommy Tägtgren] a produit nos premiers albums. Après quelques albums, il était devenu naturel que Peter prenne en charge la production. C’est très facile de travailler avec lui. Il vit très près de nous, seulement à quarante-cinq minutes de ma ville. C’est pratique. Mais c’est aussi confortable d’avoir quelqu’un que nous connaissons si bien, du coup nous ne sommes pas nerveux en studio. Et Peter sait qu’il peut repousser nos limites encore plus loin. Il n’a pas besoin de se sentir gêné, embarrassé ou qu’il ait peur de dire à quelqu’un « ce n’était pas assez bon, je sais que tu peux faire mieux ». Donc, c’est à la fois pratique et très bien pour la prestation de chaque personne, que tout le monde puisse évoluer dans le studio, et Peter lui-même doit aussi beaucoup évoluer. Même si, quand nous arrivons dans le studio, il ne peut rien faire sur les chansons, elles sont déjà ce qu’elles sont, donc ce qu’il va pouvoir faire est d’en tirer le maximum. Sa mission est de produire le meilleur son qu’il ait jamais fait pour Sabaton. Donc même si nous arrivons avec des chansons de merde, il aura toujours la même mission [petits rires]. Mais ça veut dire qu’il doit se dépasser encore plus que quiconque, et c’est ce qu’il a fait ! Le nouvel album sonne mieux que tous les autres, en termes de son à proprement parler. Et après, l’avenir nous dira si ce sont les meilleures chansons, et je pense que les fans devront se faire leur propre opinion, mais au moins, il sonne mieux que tous les autres. Donc Peter a gagné, et on verra si nous avons gagné ! [Petits rires]
Joakim : Exactement ! Je veux dire, c’est difficile de juger un album qu’on vient juste d’enregistrer. Donc, ça ne dépend pas uniquement de nous, je pense que c’est à l’auditeur de décider quel album est le meilleur. Le seul moyen de savoir si un album était bon ou pas, c’est d’attendre cinq ans et de voir combien de chansons sont encore dans la setlist, et là tu sais si l’album est bon.
Pär : Peter Sallaï, le designer, avait aussi un gros défi, parce que ça fait maintenant quelques albums qu’il travaille avec nous, et il a dû s’améliorer aussi. Définitivement, il a réussi ! Il a fait le meilleur travail qu’il ait jamais fait.
Joakim : Ouais, et de loin, je pense que c’est la plus jolie pochette d’album que nous ayons eue, c’est la plus cool.
« On ne peut apprendre qu’une chose de l’Histoire, c’est que l’Homme ne peut pas apprendre de l’Histoire [petits rires]. »
Pär : Nous lui avons donné une idée d’à quoi nous voulions que ça ressemble, genre : « Ça devrait être une ultime bataille. Il y a quelques personnages au milieu, mais ils ne devraient pas être tous de la même époque, ils devraient représenter les différentes batailles dont on parle dans l’album. » Et au moment où nous l’avons contacté, nous n’avions pas encore écrit tout l’album. Nous savions seulement qu’il y aurait des batailles dans l’album. C’est pourquoi il y a un samouraï, il y a les hussards ailés qui sont là, et il y a aussi les spartiates, et un soldat américain… Ce sont les seules choses dont nous étions sûrs quand nous avons eu l’idée pour l’album. Aussi, nous ne voulions pas…
Joakim : Nous avons aussi ajouté des choses au design de base, nous lui avons demandé d’ajouter des trucs. Je crois que le samouraï est arrivé à la fin, c’est ça ?
Pär : Ouais. Nous ne voulions pas non plus tout représenter sur la pochette, parce qu’il devrait toujours y avoir des surprises à l’intérieur.
Avez-vous aussi continué à travailler avec eux pour que l’auditeur sente un lien et une continuité entre ces albums ?
Joakim : Non, ce n’était pas du tout ce que nous avions en tête. Nous pensons simplement qu’il fait des pochettes qui déchirent, en fait ! C’est aussi simple que ça. Nous ne pensons pas du tout, concernant le travail sur les pochettes, que tout devrait être dans la même veine. Je veux dire, nous voulons juste la meilleure pochette, celle que nous ressentons être la plus connectée à l’album. Tu [Pär] avais contacté d’autres gars aussi. Nous avons essayé de travailler avec d’autres gars pour cet album.
Pär : Ouais, nous en avons essayé quelques autres.
Joakim : Mais au final, tout le monde dans le groupe a dit : « C’est toi le meilleur Peter, vas-y ! »
Vous avez déclaré que « vous vous sentiez très à l’aise [à l’idée] de revenir au même endroit, avec les mêmes personnes ». Avez-vous besoin de ce type de confort à ce stade pour faire de la musique ?
Non, pas vraiment, je n’en aurais pas besoin. Mais tant que nous avons une équipe gagnante qui est toujours intéressée et motivée, alors nous devrions continuer comme ça. « Ne change rien qui ne soit pas cassé », tu sais. Si un jour, nous sentons que nous devenons trop à l’aise avec Peter, ou si nous voyons que Peter ne fait pas assez d’efforts – je veux dire, Peter Tägtgren ou Peter Sallaï, peu importe lequel des deux – alors, ce sera le moment de changer les choses. Mais tant que ça marche, pourquoi devrions-nous changer d’équipe ? [Petits rires]
Vous avez dit que « les fans reconnaitront le son de l’album comme du Sabaton, mais nous avons vraiment le sentiment d’avoir emmené les choses plus loin cette fois-ci ». A quel point est-ce difficile de trouver l’équilibre entre développer son propre son et le faire évoluer de manière à ne pas être trop prévisible ?
Eh bien, tu touches là la chose la plus difficile pour n’importe quel musicien, pas seulement pour Sabaton. Mec, tu ne peux pas gagner cette bataille, parce que cinquante pour cent des fans veulent que tu n’évolues pas trop vite, et les autres veulent quelque chose de nouveau en permanence. Nous sommes tous des personnes différentes, c’est une chose naturelle. C’est l’équilibre le plus difficile à trouver : essayer que les fans et nous-mêmes soyons heureux en même temps. Et comment pouvons-nous écrire une chanson qui est super-Sabaton et que nous n’avons pas déjà écrite ? Je veux dire, si tu ne fais que ça, il n’y aurait qu’une seule dimension au groupe. Certaines choses, qui se sont avérées être du Sabaton, étaient un risque, un développement, plus tôt dans notre carrière. Regarde aujourd’hui : les gens voient « Ghost Division » comme une chanson typiquement Sabaton, mais avant The Art Of War, nous n’avions jamais rien fait de semblable. Donc, en même temps que tu développes certaines choses, tu définis le groupe pour ce qu’il est. Je veux dire, « Cliffs Of Gallipoli » est un exemple de chanson différente qui a marché. Donc nous avons un passif de faire des chansons, et…
Pär : “The Final Solution” !
Joakim : Oui, “The Final Solution”, c’est aussi une très bonne chanson qui a marché. Mais sur le même album, nous avions la chanson « Wehrmacht » que j’aime beaucoup, en fait, mais la plupart des fans ne l’aiment pas tellement. Donc, il faut que nous avancions prudemment avec ça. Et ce n’est pas spécifique à Sabaton ; tous les groupes ressentent cette pression : comment évoluer tout en restant les mêmes ? C’est la chose la plus difficile, en fait, de devoir prendre des risques. C’est un combat permanent. Mais je pense, comme je l’ai dit, que nous ne sommes pas les mieux placés pour juger l’album, si ce sera un super album ou un bon album. Je sais que c’est un bon album. Si c’est un super album, l’avenir nous le dira. Mais je peux certainement dire que sur cet album, nous ne sommes pas restés uniquement dans le même style de chansons. Nous repoussons quelques limites ici et là cette fois-ci. Donc c’est un peu les montagnes russes, il y a quelques surprises là-dedans. Je ne dis pas que c’est du hip-hop, personne ne sera choqué [petits rires], mais il y aura des surprises.
Pär : “The Lost Battalion” est un petit choc, parce que ce titre n’a même pas de batterie. C’est une boîte à rythme samplée de sons de guerre, c’est assez surprenant.
Joakim : Ouais, certains l’ont réalisé sur ce single, “The Lost Battalion”, les gens disaient : “Oh c’est étrange, c’est un drôle de son de batterie !” Et bien, ce n’est pas de la batterie ! La grosse caisse est une mitrailleuse de calibre cinquante, la caisse claire est un pistolet de calibre neuf millimètres et la charleston est une baïonnette qui rentre dans la chair. Donc en fait, il n’y a pas de batterie, c’est ça le truc !
« Certaines personnes disent que nous glorifions la guerre. Pas du tout ! […] Si nous faisions seulement les choses super héroïques, alors oui, nous glorifierions la guerre. Mais tel que le mélange est maintenant, je pense que nous atteignons un assez bon équilibre. »
Apparemment, le concept de dernier combat vous a toujours fascinés l’un et l’autre, ce qui en faisait un choix évident pour vous. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette fascination ?
Pär : C’est quelque chose de traditionnel sur laquelle nous avons bien aimé écrire sur l’album Heroes. Nous aimons chanter à ce sujet, c’est un thème parfait pour le heavy metal aussi. Parce que dans un sens, tu peux mettre du désespoir dans le heavy metal, c’est bourré d’émotions. Tu peux mettre à la fois du désespoir et de l’explosion dans les chansons. Et ça convient très bien au thème des derniers combats. Il y a beaucoup de désespoir là-dedans. Le heavy metal a tout ça, et aussi des gros trucs épiques qui pouvaient aller là-dedans.
Joakim : Ca convient à notre musique, et aussi c’est cool de se concentrer sur un évènement qui en fait… Ce n’est pas seulement des statistiques, c’est de l’histoire aussi. Si tu couvres une grande bataille, une campagne sur plusieurs jours, ça devient impersonnel. C’est juste, deux-cent-mille personnes ici, contre cent-cinquante-mille là, les troupes bougent vers l’arrière… Ici, c’est une histoire intéressante et, ce n’est pas obligé, mais les derniers combats ont d’habitude quelque chose de dramatique en eux, avec les changements, les fluctuations de la guerre. Et de ce point de vue, j’aime vraiment ça parce qu’il peut y avoir un long prélude avant. Personne, à part les spartiates, j’imagine [petits rires], n’arrive dans une bataille en sachant qu’ils vont perdre. Il y a toujours une histoire avant ça. Donc nous parlons et chantons à propos de la conclusion dans cet album mais, pour les gens qui veulent en savoir plus, il y a toujours une raison pour laquelle c’était un dernier combat. Et comprendre comment c’est arrivé, ça peut être intéressant.
Vous parlez de différentes batailles historiques sur l’album. Comment les évènements que vous avez choisis sont-ils connectés à vous ?
En fait, nous ne nous y sommes pas vraiment connectés… Mais nous avons choisi ceux que nous trouvions les plus fascinants, intrigants et dont nous étions les plus passionnés. Et il y a aussi le fait que nous avions beaucoup d’histoires que nous voulions raconter, mais la musique ne correspondait pas. C’est important pour nous que la musique et les paroles parlent le même langage émotionnel. Pour chaque album que nous faisons, il y a quelques héros, quelques derniers combats ou quelque chose de l’empire suédois que nous avons dû laisser à l’écart, parce que nous n’avions jamais la musique qui allait avec.
Voyez-vous des leçons à tirer et des parallèles à faire entre la vie de tous les jours et ces derniers combats ?
Pär : S’il y en avait, si nous pouvions changer le monde avec notre musique, ce serait super ! [Petits rires] Cependant, je pense qu’il y a beaucoup de gens qui ne font pas attention et qui ne changeront pas, et ils n’écoutent pas nos chansons, et ce sont les dirigeants de ce monde ! Et ils seront toujours en train de se battre, et je pense qu’on ne verra pas la fin de la guerre d’ici très longtemps malheureusement.
Joakim : On ne peut apprendre qu’une chose de l’Histoire, c’est que l’Homme ne peut pas apprendre de l’Histoire [petits rires].
Pär : On devra faire face encore longtemps à des guerres et malheureusement nous ne manquerons pas de récit de guerre dans le futur. Nous continuons à écrire sur l’Histoire, nous écrivons des choses qui se sont passées, qui sont déjà faites, et les évènements d’aujourd’hui pourraient façonner les albums de demain.
Pär, tu as déclaré que « [vous] av[ez] plusieurs idées d’albums à travailler. Puisqu’il y a une infinité d’angles et de façons de voir la guerre, [vous] ne tomber[ez] malheureusement jamais à court d’idées. » N’est-ce pas émotionnellement trop difficile d’écrire constamment sur un sujet aussi sombre que la guerre, mais aussi de lui rendre justice sans tomber dans la caricature ?
Eh bien, je pense que nous l’avons très bien fait. Il y a eu des gens qui disaient : « Vous vous moquez des gens dont vous parlez parce que vous faites du heavy metal et vous le faites avec un sourire sur votre visage quand vous êtes sur scène. » Mais en fait nous avons reçu tant de retours de soldats dont nous parlons, de leurs enfants, petits-enfants, des historiens, des professeurs… Ces gens disent tous une chose en commun, qui est : « La façon dont vous le faites, dont vous racontez les histoires, est inspirante. » Et c’est une très bonne façon de partager ces histoires avec des gens qui n’en avaient jamais entendu parler auparavant.
Joakim : Nous les racontons depuis différents points de vue aussi. Certaines sont écrites très héroïquement, certaines sont extrêmement déprimantes, et c’est ainsi que l’histoire évolue. Certaines personnes disent que nous glorifions la guerre. Pas du tout ! Peut-être si tu écoutes tel couplet ou tel refrain dans une chanson, mais écoute tout l’album ! Nous voulons raconter des histoires issues de l’Histoire militaire de tous les points de vue et de tous les angles. Peu importe si ça implique un changement émotionnel de l’histoire, si c’est heureux ou triste, ou héroïque, ou agressif, ou s’il faut changer de quel côté sont tous les combattants, ou les camps politiques, ou passer d’une nation à l’autre. Nous voulons chanter sur le point de vue que nous trouvons le plus intéressant. C’est aussi une chose qui, je pense, préserve l’intérêt de ce thème. Parce que si nous faisions uniquement les chansons tristes ou les trucs déprimants, alors nous serions affectés par ça aussi. Et j’imagine que si nous faisions seulement les choses super héroïques, alors oui, nous glorifierions la guerre. Mais tel que le mélange est maintenant, je pense que nous atteignons un assez bon équilibre. Je ne pense pas que tu devrais voir ça comme de la propagande. Nous racontons des histoires, disons que nous avons une collection de films, et nous voulons avoir une histoire différente à raconter sur chaque petit film. Donc cet album a, je crois, onze pistes, dix chansons, donc nous avons dix courts-métrages qui expliquent ce qui s’est passé, de la manière que nous trouvions la plus fascinante.
« Il n’y a jamais quelqu’un qui dit ‘oh je suis triste, Sabaton, vous m’avez déçu ou blessé’, presque jamais. Mais c’est toujours un connard posé là qui pense : ‘Oh, quelqu’un pourrait être offensé !’ Et c’est un putain de problème ! [Petits rires]. »
Je vais prendre l’exemple que tu donnais, que certains fans pensent que vous glorifiez la guerre…
En fait, ce ne sont pas les fans, ce sont d’autres personnes !
Effectivement. N’avez-vous jamais eu peur que les gens interprètent mal vos paroles et que ça se retourne contre vous ?
Ouais, il y a eu des gens qui nous ont mal compris, nous avons eu des concerts annulés, nous avons été interdits dans certains pays, nous avons eu des problèmes pour sortir des albums. Lorsque nous avons essayé de sortir Primo Victoria, le distributeur allemand ne voulait pas le sortir, parce qu’il y avait le mot « Nazi ». Ils pensaient que c’était de la propagande nazie. Nous avons dû leur envoyer les paroles, ensuite ils ont dit : « Ah, ok, c’est bon ! » Donc ça nous arrive tout le temps ! Mais le problème c’est que nous n’avons que très rarement offensé qui que ce soit, il n’y a jamais quelqu’un qui dit « oh je suis triste, Sabaton, vous m’avez déçu ou blessé », presque jamais. Mais c’est toujours un connard posé là qui pense : « Oh, quelqu’un pourrait être offensé ! » Et c’est un putain de problème ! [Petits rires]. Tu es là genre : « Allez, laisse les gens gérer ça eux-même ! » Nous chantons une chanson super heavy sur comment Adolf Hitler est arrivé au pouvoir. Elle s’appelle « Rise Of Evil ». Les gens nous ont dit : « Vous ne pouvez pas jouer cette chanson en Allemagne ». Et devine quelle chanson les gens en Allemagne nous demandent tout le temps de jouer : celle-là ! Nous l’avons jouée, bien sûr, à l’époque, mais c’est étrange, parce que c’est toujours le tourneur, ou le promoteur, ou l’hôte du festival ou quelqu’un impliqué avec les politiciens locaux, qui est là : « Oh, vous ne pouvez pas faire ça, c’est trop sensible ». Les gens nous ont dit : « Ne jouez pas ‘Attero Dominatus’ à Berlin » parce que nous chantons « Berlin brûle ». Mais crois-moi, la première chose que nous avons faite quand nous sommes venus à Berlin, nous avons joué « Attero Dominatus » et, putain, ils ont adoré ! Donc je veux dire, personne n’est presque jamais offensé. C’est toujours quelqu’un qui a une certaine position qui pense : « Je ne veux pas offenser les gens. » Bordel, il ne va rien t’arriver si tu es offensé ! Tu n’es pas mort !
Vous avez pour habitude d’écrire les paroles ensemble. Pouvez-vous me dire comment cette collaboration fonctionne entre vous deux ?
Pär : En général, nous avons une idée que nous trouvons ensemble à propos du sujet des paroles. Et je collecte beaucoup d’idées au fil du temps. Je reçois beaucoup d’emails de fans et je les collecte dans une sorte de bibliothèque. Et ensuite, quand Joakim travaille sur les chansons, très souvent, nous ne parlons même pas des sujets jusqu’à un peu avant que nous ne commencions à enregistrer, peut-être un mois avant. Ensuite nous faisons le point en disant : « Voilà le type de sujets qu’on a, voilà le genre de chansons qu’on a. » Et nous essayons de les mélanger. Il y aura toujours des chansons qui fonctionnent immédiatement, il y en aura certaines qui ne colleront pas du tout et il y en aura qui fonctionneront peut-être. Et après ça, nous devons continuer à chercher, évidemment, et remplir l’album. Et les paroles définitives sont écrites presque à la dernière minute, lorsque nous avons la passion pour ça. Donc nous avons seulement des petites idées pour commencer, et ensuite nous faisons des recherches, ensuite immédiatement il faut que nous écrivions les chansons. Donc ça se passe pendant l’enregistrement, donc assez tard.
On peut entendre de gros cris de guerre spartiates dans « Sparta » ou de la cornemuse écossaise sur « Blood Of Bannockburn ». Avez-vous essayé de vous laisser influencer musicalement par les contextes culturels de ces batailles, de manière à ce que l’auditeur soit dans l’ambiance de ce dont traitent les paroles ?
Joakim : Dans un sens, ouais, nous essayons d’incorporer ça de plus en plus, notamment maintenant que nous nous orientons vers une zone géographique et historique plus large. Nous avons presque deux-mille-cinq-cents ans de guerre, qui se passent parfois au Japon, parfois en Afrique… Donc quand c’est possible d’ajouter ça, et quand ça ne détruit pas la chanson ou quand ça ne la détourne pas de l’esprit de Sabaton, nous essayons d’ajouter ces éléments pour, en fait, mieux faire ressentir le contexte. Par exemple, pour la chanson « The Lost Battalion », comme il y a une mitraillette et un pistolet neuf millimètres, ça veut dire que nous n’aurions pas pu faire cette chanson à propos de Sparte, parce que cela aurait été inadapté. Donc ça se passe pendant la première guerre mondiale.
Dans l’ensemble, l’album est assez diversifié, et on peut entendre quelques nouveaux sons, comme ceux que j’ai mentionnés, mais aussi de l’orgue Hammond, par exemple, ou une batterie qui sonne presque industrielle sur « The Lost Battalion », comme vous l’avez expliqué. Comment avez-vous incorporé ces sons dans la formule Sabaton habituelle ?
Pär : Par exemple, dans « Blood Of Bannockburn » nous avons un orgue Hammond. Nous avons un avocat qui travaille pour nous depuis 2010, et il a dit : « Un jour si vous faites une chanson avec de l’orgue Hammond, il faut que je vienne en jouer. » Parce que c’est un joueur de Hammond. Il a un vieux Hammond B3, donc il l’a amené, et c’est un sacré machin à amener, mais il voulait jouer sur l’album. Donc nous avons pu le faire jouer, et ensuite, c’est devenu l’instrument principal de cette chanson, jusqu’à ce que je sois plus ou moins en train d’en écrire les paroles. Et nous en parlions, nous disions que nous pouvions peut-être ajouter de la cornemuse parce que la chanson allait être sur l’Ecosse. Donc à la dernière minute de l’enregistrement, nous y avons ajouté de la cornemuse, pour enrichir l’atmosphère de la chanson.
« Le heavy metal a toujours marché par cycles. Et je pense que maintenant, il sera de plus en plus gros, enfin, il est déjà plus gros que jamais. »
Vous avez des sons très années quatre-vingt dans votre musique, notamment dans une chanson comme « The Last Battle ». A quel point la musique des années quatre-vingt vous a-t-elle inspiré ?
Beaucoup ! C’est la période durant laquelle nous avons grandi, donc bien sûr c’est beaucoup d’influences que nous avons emmagasinées. Quand tu es plus jeune, c’est beaucoup plus facile d’assimiler des influences, et ça reste plus longtemps. Donc, même si nous étions plus jeunes dans les années quatre-vingt, certaines chansons qui sont sorties à ce moment-là nous collent encore à la peau, parce qu’elles sont assez difficiles à sortir de nos têtes. Ensuite je pense que toute la décennie des années quatre-vingt était une bonne période, il y a eu beaucoup de bonne musique faite à cette époque, la musique a atteint de nombreux sommets.
Joakim : Beaucoup de bon heavy metal a été fait pendant cette décennie. Je veux dire, sûrement dans les années soixante-dix également. Mais après le début des années quatre-vingt-dix, ça a été mort pour quelques années. En général, je pense, évidemment, chaque chose a son moment, mais regarde le hard rock/heavy metal : c’est super de la fin des années soixante au début des années soixante-dix. Ensuite, à la fin des années soixante-dix, le punk est arrivé, et ensuite il y a eu la NWOBHM, du point de vue anglais. Ca a duré jusqu’à la fin des années quatre-vingt/début des années quatre-vingt-dix mais à ce moment-là, tout a changé. Et je pense, honnêtement, que le heavy metal ne s’en est pas remis pendant quelques années. Je pense que ça a pris jusqu’à… Je veux dire, évidemment, des groupes comme Iron Maiden qui font leur reformation, ça a aidé. Mais je pense, peut-être, que c’était autour de 2008/9/10 que ça a commencé à revenir après ces années noires, si l’on peut dire [petits rires]
Pär : Le heavy metal a toujours marché par cycles. Et je pense que maintenant, il sera de plus en plus gros, enfin, il est déjà plus gros que jamais.
Vous allez partir en tournée avec Accept en première partie. Qu’est-ce que ça fait d’avoir un groupe de heavy metal aussi légendaire comme première partie ?
C’est super ! Et ce sera bien pour les fans, tous les soirs, parce qu’ils vont avoir une super bonne soirée. Ils vont avoir une super bonne et longue soirée de super chansons ! Et bien sûr, pour nous, ce sera un bon échauffement que d’être à côté de la scène à écouter nos chansons préférées de notre jeunesse. Ensuite nous monterons sur scène et nous ferons tout pour nous assurer que les fans nous apprécient.
L’an dernier, Joakim, alors que tu étais saoul, tu as perdu un pari et tu devais aller au concert de Trondheim en Norvège à pieds. Comment ça s’est passé ?
Joakim : [Petits rires] En fait, je n’ai pas pu finir, malheureusement. J’ai du en abandonner une partie car il pleuvait fort et j’ai eu beaucoup de fièvre et la grippe, en fait. Donc le choix était : finir la marche ou… je veux dire, en gros, risquer de devoir annuler le concert, ce qui n’aurait pas été cool. Donc malheureusement, je n’ai pas pu finir. Peut-être faudra-t-il que je finisse cet hiver à ski, ou quelque chose du genre ! [Petits rires]
Est-ce que ça t’a dissuadé de parier quand tu es saoul ?
Oui, carrément ! [Rires]
Interview réalisée en face à face le 22 juin 2016 par Valentin Istria.
Fiche de questions : Philippe Sliwa & Nicolas Gricourt.
Introduction : Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Aline Meyer.
Photos : Ryan Garrison (3), Tim Tonckoe (1 & 5) & Severin Schweiger (2 & 6).
Site officiel de Sabaton : www.sabaton.net
Acheter l’album The Last Stand.