Dans l’univers des groupes qui ont marqué de leur empreinte la fin des années 80 mais dont le soleil s’est soudain obscurci pour ne plus briller du tout pendant près de deux décennies, Sanctuary apparaît comme une formation miraculée. Né en 1985 à Seattle sous l’impulsion du chanteur Warrel Dane et du bassiste Jim Sheppard, le groupe sortit coup sur coup les deux albums Refuge Denied et Into The Mirror Black, deux opus qui se sont distingués par un thrash metal complexe, insaisissable (pour l’époque), teinté de heavy et de power metal. Splitté en 1991 pour cause de conflits internes, Sanctuary a aussi vu sa route barrée par l’avènement local d’un autre genre musical qui allait rafler toutes les mises. Pris au dépourvu lorsque la bise du grunge fut venue, les deux musiciens formèrent avec un certain Jeff Loomis le groupe Nevermore. Dix-huit ans après leur séparation, Dane et Sheppard ont décidé, avec le concours de leurs anciens collègues, de ressusciter cette vieille relique qu’est Sanctuary, conforté par la déroute de Nevermore un an plus tard.
L’œuvre de Sanctuary se mesure désormais à trois albums et trois identités propres, tant le groupe s’est renouvelé, abandonnant le thrash juvénile de Refuge Denied pour une musique progressive et foncièrement noire, que l’on peut relier d’une part à Seattle, ville d’origine du groupe, pluvieuse, nuageuse, cernée par les eaux du lac Washington et les montagnes, à portée de tir de l’Alaska, et d’autre part à l’âme tourmentée de son chanteur et parolier, qui a notamment connu ces dernières années quelques moments difficiles comme la dépression, l’alcoolisme, le diabète et le divorce avec son ami Jeff Loomis (qui faisait originellement partie de cette reformation, mais qu’il a simultanément abandonné en quittant Nevermore). L’atmosphère sombre se rapproche justement de la quasi dépression hivernale qui habitait Into The Mirror Black, bien qu’en l’occurrence la composition du groupe ait encore mûri.
Une évolution globale qui tient d’abord à l’évolution du chant de Dane qui jadis se rapprochait des timbres aigus croisés de Rob Halford (Judas Priest) et King Diamond sur Refuge Denied, et se retrouve désormais plus complet, plus rauque, plus rocailleux et plus maîtrisé grâce aux années Nevermore. Cette variation dans le larynx cumulée à des effets d’enregistrement tourne même à la schizophrénie vocale quand le frontman donne l’illusion d’interpréter différents rôles, comme en introduisant « Exitium (Anthem Of The Living) » sur un monologue prophétique d’une voix irradiée, passée sous électrolyse. Excellant dans une posture d’écorché vif, il délivre une voix ventrale suscitant un frisson exacerbé qui parcoure le corps, et dicte le tempo pesant de cet album baignant dans les prophéties eschatologiques – celles traitant de la fin du monde – un parfum aux saveurs d’Armageddon et de Désespoir qu’on hume à la contemplation de l’artwork signé Travis Smith et au travers d’une ambiance taciturne qui enveloppe dès les premières mesures du hit heavy « Arise And Purify ».
La musique se tend de manière croissante pour aboutir à un cœur d’album à fleur de peau dans lequel Dane, sous le prisme de l’Apocalypse, affronte ses démons, comme dans le glaçant mais non moins puissant « Frozen », ou le long des complaintes acoustiques « One Final Day (Sworn To Believe) » et « I Am Low », ce dernier formant une symbiose entre le folk d’Anathema et une power-ballad dans la veine de Metallica (« Nothing Else Matters »). La dimension onirique et dépressive n’est jamais rompue, même lorsque le tempo s’accélère. Si d’aventure la fin du monde ne survenait pas de manière imminente telle que prédite au sein du morceau éponyme « The Year The Sun Died » qui clôture le disque et agrémenté de froids arpèges, alors on pourra peut-être escompter un autre album, au moins de cette même trempe, si possible avant que sonne le glas du prochain quart de siècle.
Ecouter les morceaux « Exitium (Anthem Of The Living) » et « Arise And Purify » :
Album The Year The Sun Died, sortie le 6 octobre 2014 chez Century Media Records