Saturnalia Temple a un statut un peu à part parmi les groupes de doom psychédélique. Les Suédois ne parlent d’ailleurs pas de doom à leur sujet, mais de « black magic metal ». L’imagerie occulte n’est pas révolutionnaire dans ce style, au contraire même, mais dans le cas de Saturnalia Temple, il ne s’agit ni d’esthétique, ni de parodie, ni de façon de parler. En effet, le groupe est emmené par le prolifique Tommie Eriksson, qui compte à ses faits d’arme ses participations à Therion (à la guitare et/ou à la batterie), à The Tower (à la batterie), ainsi qu’un projet dark ambient, Lapis Niger, mais aussi la co-fondation avec six autres musiciens (à la tête desquels Thomas Karlsson, qui a participé à Therion lui aussi et dirige désormais la chaire d’ésotérisme occidental de l’Université de Stockholm) de l’ordre ésotérique du Dragon Rouge. Ainsi, si Saturnalia Temple référence abondamment symboles religieux et/ou occultes, ce n’est pas pour des raisons esthétiques, mais parce que la musique du groupe est envisagée comme une manière de transmettre les préceptes de l’ordre, rien que ça.
Le terme de rituel dont on a usé et abusé ces dernières années pour parler de performances live semblait dans leur cas être vraiment approprié, c’est donc avec pas mal de curiosité que nous avons profité d’un passage à Nimègue au Pays-Bas pour voir ce que donnait le doom narcotique du groupe en chair et en os.
Artiste : Saturnalia Temple
Date : 27 février 2016.
Salle : Merleyn
Ville : Nimègue (Pays-Bas)
La soirée devait être ouverte par les Hollandais de Ggu:ll dont nous avions assisté à une performance à l’occasion de l’Incubate Festival dans leur ville d’origine, Tilbourg, mais l’un des guitaristes du groupe s’étant porté pâle au dernier moment, trop tard pour permettre à l’organisation de trouver un remplacement, nous ne verrons que les Suédois ce soir. Si cette tournée intitulée de manière adéquate « Black Sea Of Power » a pour but de faire valoir son deuxième album, To The Other, Saturnalia Temple a aussi, et en plus d’Aion Of Drakon, son premier opus, une démo mémorable, UR, deux EPs et un split à son actif, ce qui autorise à s’attendre à une set-list variée.
Montant donc sur scène à une heure avancée, devant une salle curieuse bien que peu remplie, le groupe a malgré tout déployé ses oripeaux : symbole de Saturne – évidemment – sur les amplis, statue mystérieuse, encens s’échappant des yeux d’un crâne posé sur un autel, bougies… De quoi poser l’ambiance avant que les premières notes ne retentissent. C’est « Mount Meru Is Tall » qui ouvre les hostilités : les Suédois commencent par le début de leur carrière, et après quelques minutes de riffs hypnotisants, la voix se fait entendre, incantatoire, rauque et noyée sous la reverb’, semblant, à dessein on imagine, venir d’ailleurs. Très vite, la tête nous tourne un peu : si le doom est connu pour fonctionner remarquablement bien avec certaines substances psychotropes, Saturnalia Temple va plus loin et tend à reproduire ou susciter des états modifiés de conscience avec sa seule musique, pour un résultat parfois spectaculaire.
Le groupe impressionne en effet par les effets générés avec des moyens somme toute limités : trois musiciens sur scène, des visuels très abstraits, des riffs simples, (très) lents et assénés comme des coups de massue, et de long solos psychédéliques et distordus. À ce titre, on pense à un groupe comme Urfaust, qui lui aussi s’illustre par sa capacité à déployer des atmosphères riches et denses avec une batterie très simple, quelques riffs et une voie habitée. La limite de ses groupes étant évidemment que reposant beaucoup sur les circonstances, leur alchimie est fragile, et varie grandement d’une date à l’autre, d’un titre à l’autre, et même d’un spectateur à l’autre, sa concentration étant l’une des clés de la réussite de l’expérience, car c’est bien d’expérience qu’il s’agit. Ainsi, si nous avons été transportés par un « Aion Of Drakon » extrait du très réussi (et hélas peu représenté) album éponyme et littéralement stupéfiant, nous sommes restés plus circonspect devant le très long « March Of Gha’agsheblah » qui clôturera un set en forme de voyage dans les entrailles de la bête. To The Other était dûment représenté, avec « March Of Gha’agsheblah » donc, mais aussi un « To The Other » habité, et un « Snow Of Reason » porté par une basse vrombissante et addictive.
Force est de constater qu’après que les derniers échos se sont fait entendre, le retour à la réalité ne se fait pas sans à-coup. Un concert de Saturnalia Temple est une expérience unique et méditative bien que (parce que ?) potentiellement exigeante. Les préceptes de l’ordre du Dragon Rouge nous semblent toujours assez ténébreux, mais nous continuerons à en fréquenter les Saturnales avec plaisir.
Set-list (sous réserve) :
Mount Meru Is Tall
To the Other
Aion Of Drakon
Snow Of Reason
Dreaming Out of Death
March Of Gha’agsheblah
Live report : Chloé Perrin.