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Interview   

Scarlean : la musique d’abord, l’amitié ensuite


Il aurait été facile d’employer le terme « âmes sœurs » pour titrer l’interview suivante. Car après plusieurs changements de line-up, Alexandre Soles semble avoir bel et bien trouvé les bonnes personnes pour faire passer un cap à la carrière de Scarlean. Le chanteur lui même avoue à demi-mot que le nom du second album du combo, Soulmates, pourrait presque résumer la dynamique actuelle du groupe. Pourtant, le terme « âme sœur » peut s’avérer trompeur. Dans son usage le plus courant, il évoque surtout l’amour ou l’amitié. Il serait difficile de l’utiliser pour décrire une connexion artistique pure, dénuée d’une quelconque connotation romantique ou amicale. Or l’art n’a pas forcément besoin d’amour ou d’amitié entre personnes, en témoignent les milliers de projets artistiques qui rassemblent, non pas des amis, mais des collaborateurs pour l’amour de l’art avant tout.

D’ailleurs, le mythe très français selon lequel un groupe, c’est d’abord une bande de potes, s’il est réel et peut aboutir à de belles choses, n’a pas fait que du bien au professionnalisme de la scène musicale. Alexandre, lui, se reconnaît bien plus dans une manière de fonctionner à l’américaine, où l’on recrute des partenaires compétents, travaille ensemble et (éventuellement) ensuite devient amis. Il nous raconte les rencontres qu’il a faites pour Scarlean et ce sur quoi elles ont abouti, en premier lieu un album où l’émotion et l’interprétation priment la technique.

« Je suis tiré vers l’avant par Olivier, par Michel, par Geo et par Fabien. Ils apportent tellement d’idées que du coup ça m’en donne d’autres, et j’ai envie de me dépasser pour être au niveau ! Maintenant, c’est moi qui cours derrière ! [Rires] »

Radio Metal : Le groupe a connu pas mal de changements de line-up au cours des dernières années. Vous avez eu quatre batteurs, quatre guitaristes, deux bassistes. Comment expliquerais-tu les changements qu’il y a eu au sein du line-up ?

Alexandre Soles (chant) : C’est assez simple. Nous avons fait un premier album en 2016 qui s’appelait Ghost, et qui a été entièrement fait avec moi et Geo à la guitare. À ce moment-là, nous n’avions pas de line-up. Nous sommes partis en nous disant : « On fait un album, et ensuite on cherche des musiciens. » Donc c’est ce que nous avons fait. Nous avons rapidement cherché des musiciens, nous avons trouvé des personnes avec qui nous avons pu faire pas mal live lors des premières années de Ghost. Après, il y a eu quelques départs liés à des choses toutes bêtes. Le batteur, Sylvain, a dû partir parce qu’il a déménagé à cause d’un boulot qui était un peu loin. Au niveau des guitaristes, c’est pareil, deux d’entre eux ont dû arrêter à cause de raisons familiales, c’était un peu compliqué de lier la vie musicale et la vie tout court. Ensuite, il y a eu quelques départs où ça ne fonctionnait pas spécialement au sein du groupe. Donc nous avons mis pas mal de temps à trouver un line-up stable et là, ça fait depuis 2019 que nous avons un line-up ultra-stable, qui fonctionne bien. C’est d’ailleurs avec ce line-up-là que nous avons fait le dernier album, Soulmates. C’est la première fois que tout le monde était vraiment investi dans le projet. C’est ça qui est intéressant aujourd’hui : tout le monde a une place importante dans le groupe et tout le monde s’y retrouve au niveau de la composition, au niveau des arrangements, etc.

Michel est à la guitare depuis 2017. Depuis début 2019, Fabien nous a rejoints à la batterie. C’est un ami de longue date avec qui nous avons joué pendant au moins dix ans dans une autre formation, qui s’appelait Aquilon. A la basse, il y a Olivier, qui nous a apporté énormément. C’est un ami de longue date aussi et c’est lui qui a réalisé notre premier clip, donc il est aussi bassiste en plus d’être réalisateur. Ce qui a été super intéressant dans le renouvellement du line-up, c’est que nous avons vraiment cherché des personnes qui étaient passionnées de leur instrument. Par exemple, Olivier est fan de tout ce qui peut être jazz, groove, et au niveau de la basse, il a apporté énormément de choses sur le dernier album – d’ailleurs ça s’entend pas mal –, du slap, du tapping… Donc ça a apporté une nouvelle couche de musicalité et d’harmonie. Fabien, à la batterie, est aussi notre ingé son, c’est lui qui a enregistré l’album. Il a enregistré l’album, mais ce n’est pas lui qui joue, car c’est Éric Lebailly, ancien batteur d’Adagio, qui a joué avec Stuart Hamm et pas mal de beau monde. C’est un ami proche de Fabien car ils ont travaillé la batterie dans la même école, donc ils ont un jeu très similaire. Ça a permis à Fabien d’enregistrer tout l’album, d’enregistrer un batteur sans avoir à faire des allers-retours entre la console et la batterie, ce qui aurait été galère. Du coup, Fabien avait décodé toutes les parties de batterie pour les donner à Éric, qui les a jouées de manière parfaite, de la même manière que Fabien les joue live. C’était un vrai bonheur que de travailler comme ça. Là, ça fait un peu plus d’un an que nous travaillons tous ensemble, et nous nous sommes vus à peu près trois fois par semaine pour arranger l’album, pour arranger les morceaux, pour composer, pour avancer, et ça fonctionne !

Ça n’a pas été source de frustration, dans ces premières années, que le line-up change à ce point-là ?

Pas spécialement, parce que ça nous a quand même permis d’avancer. Nous avons fait de belles dates, nous avons fait de jolies choses tout au long de ces changements de line-up. Après, nous avons toujours été meneurs avec Geo au niveau de la composition. Nous étions déjà partis à la base comme ça sur Ghost, donc ça n’a pas changé grand-chose à ce niveau-là. Les seules choses qui ont vraiment évolué, c’est le fait d’avoir des gens qui sont impliqués et qui apportent vraiment des choses que nous n’avions pas avant. Donc pas vraiment de frustration.

Penses-tu que ça soit un peu plus difficile de recruter avec un album déjà prêt ou, au contraire, est-ce plus simple pour trouver la perle rare ?

C’est à double tranchant. Je dirais que c’est plus difficile dans le sens où tu attends quelque chose. Toi, tu as déjà fait l’album, donc tu attends un jeu spécifique, tu attends une implication, tu attends pas mal de choses, et comme tu t’es énormément impliqué dans la production d’un premier album, tu attends des gens qui s’impliquent de la même manière que toi. Mais a contrario, tu te rends aussi beaucoup plus rapidement compte des personnes qui peuvent vraiment correspondre à ton groupe, parce que les gens qui entrent dans le groupe entrent dans quelque chose d’existant, avec un fonctionnement, une manière de faire, et s’ils arrivent à entrer dans ce moule-là et qu’ils apportent en plus leurs connaissances, leur faculté à faire de la musique, c’est que du bonheur. C’est un peu ce qui nous est arrivé. Nous sommes tombés sur des gens qui aimaient le projet, qui aimaient la musique et qui ont vraiment suivi le chemin que nous avions tracé. Je dirais que c’est plutôt positif.

Vu que tu décris ça maintenant comme un vrai groupe, la dynamique au sein du groupe en termes de leadership a-t-elle changé ?

Elle a évolué. Elle n’a pas complètement changé, je reste quand même le moteur de tout ça. La différence, c’est qu’aujourd’hui j’ai vraiment des gens avec moi qui supportent des choses que personne ne supportait avant. Pas dans le sens de me supporter moi, mais d’aider ! [Rires] Du coup oui, là, nous avons une vraie dynamique. Quand nous partons sur quelque chose en disant : « Tiens, on pourrait faire ça », tout le monde s’implique et y va de son idée. Du coup, nous sommes partis sur quelque chose où je reste la voix du groupe, mais c’est la voix de tous, en fait, maintenant. Oui, ça a quand même pas mal évolué à ce niveau-là. Comme tu disais tout à l’heure, nous sommes un vrai groupe, nous avons une vraie cohésion.

« On fait de la musique, et je prends ça comme un sport en équipe. […] L’idée, c’est d’être le plus fort possible, d’apporter le meilleur de ce qu’on peut. L’amitié, ça vient après. »

Même si tu restes le moteur du groupe, dirais-tu qu’avec l’arrivée de ces nouveaux membres et la formation du vrai groupe, l’identité du projet a un petit peu changé ?

Elle a même plus qu’un petit peu changé, elle a énormément changé ! Là, du coup, il y a une force de proposition. Donc il y a des musiciens dans le groupe qui sont vraiment expérimentés et qui apportent des choses. Quand tu as des gens qui connaissent bien leur instrument, tu n’as pas besoin de leur apprendre à jouer des parties, ce sont eux qui vont arriver avec des parties neuves, fraîches, que tu vas pouvoir écouter. Quand je vois Olivier, le bassiste, nous lui avons donné carte blanche. Pour le dernier album, nous lui avons donné les pistes, il a entièrement remanié les parties, nous lui avons dit de se faire plaisir, de vraiment faire comme il le sentait… Quand nous avons reçu les bandes et que nous avons répété les choses entre nous, nous nous sommes aperçus que c’était une vraie plus-value. Donc là, nous sommes vraiment à l’écoute les uns des autres et nous sommes même demandeurs. C’est carrément évolutif.

À t’entendre parler, tu as presque l’air surpris de travailler avec des gens qui maîtrisent leur instrument, et qui connaissent les morceaux quand ils arrivent… Est-ce que ça veut dire que par le passé, tu es un peu tombé sur des musiciens qui ne bossaient pas trop ?

En fait, je pense que c’est un peu le problème de la musique. C’est toujours compliqué de se juger soi-même. Des fois, tu tombes sur des gens – des gens qui n’ont pas intégré le groupe, que nous avons juste auditionnés – qui sont persuadés d’avoir un très bon niveau et qui finalement ne sont pas si bons que ça. À côté de ça, tu as des gens qui arrivent dans le truc de manière ultra-humble et qui maîtrisent leur truc. Finalement, je pense que les gens qui maîtrisent, ils ne se posent pas la question. Ils jouent, et voilà. C’est vrai que nous sommes tombés sur pas mal de gens qui avaient peu de marge de manœuvre, nous ne pouvions pas leur en demander plus. Aujourd’hui, j’ai même envie de dire qu’ils me tirent moi vers l’avant, en tant que chanteur. Je suis tiré vers l’avant par Olivier, par Michel, par Geo et par Fabien. Ils apportent tellement d’idées que du coup ça m’en donne d’autres, et j’ai envie de me dépasser pour être au niveau ! Maintenant, c’est moi qui cours derrière ! [Rires]

C’est un discours qui revient souvent. En général, plus tu tombes sur des musiciens expérimentés, qui ont un gros niveau, plus ils sont humbles, parce que justement, ils ont réalisé que tu ne peux pas tout apprendre…

Et quand tu es humble, tu as soif de connaissances. Ce n’est jamais fini, la musique. On n’arrivera jamais au bout, même au bout de notre vie. C’est là que c’est intéressant.

Dans les communiqués de presse, et dans ce que tu dis à propos de ce nouveau line-up, l’adjectif qui revient le plus souvent est « soudé ». Est-ce que le Soulmates du titre de l’album, c’est vous qu’il décrit ?

Pas vraiment ! [Rires] Le titre de l’album a une tout autre signification, mais c’est vrai que maintenant que tu le dis, ça pourrait !

On reviendra sur le sens de ce titre plus tard. Pour rester sur cette idée d’âme sœur, un groupe, ce n’est pas seulement une relation entre collègues, il faut vraiment une vraie connexion artistique. Dirais-tu que pour monter un groupe, il faut trouver des sortes d’« âmes sœurs » artistiques ?

Je pense, oui. Ce que j’ai souvent tendance à dire, c’est qu’avant de faire de la musique entre amis, il faut faire de la musique entre musiciens, et l’amitié vient après. On a souvent tendance à dire : « On joue ensemble, donc on est les meilleurs potes de la Terre, ça y est, on est un groupe. » Mais en fait, la réalité est tout autre. La réalité, c’est qu’on fait de la musique, et je prends ça comme un sport en équipe. On est une équipe, on se voit de temps en temps pour s’entraîner, puis de temps en temps, il y a de la compétition, donc pour nous, c’est les concerts, tout simplement. L’idée, c’est d’être le plus fort possible, d’apporter le meilleur de ce qu’on peut. L’amitié, ça vient après. C’est ce qu’il s’est passé avec l’album, nous nous sommes tellement bien entendus musicalement et le processus d’enregistrement de l’album s’est passé tellement bien que nous avons une vraie amitié qui s’est créée. Après, Geo, je joue avec lui depuis presque vingt ans maintenant, donc l’amitié était déjà là ! Avec Fabien, nous avons joué dix ans ensemble avant et nous avons toujours eu de très bonnes relations, même à la fin du groupe dans lequel nous étions avant. Nous nous sommes toujours suivis, nous avons toujours beaucoup discuté. Avec Michel, qui est là depuis 2017, nous avons, en plus de la musique, pas mal de choses en commun au niveau artistique, il y a plein de trucs qui nous lient. Avec Olivier, c’est pareil, vu qu’il avait fait nos clips. Ce ne sont que des gens qui étaient là depuis toujours, et avec qui, aujourd’hui, nous avons décidé de monter des choses. Donc l’artistique a créé l’amitié.

Il y a quelques mois, on avait parlé à Peter Scheithauer de Last Temptation qui était parti travailler aux États-Unis, et il disait exactement ce que tu dis. Là-bas, tu as vraiment une hygiène de travail par rapport au monde du spectacle qui est tout à fait différente de celle de la France. Il disait qu’en France, on a un peu trop tendance à vouloir devenir copains et faire de la musique ensemble, alors qu’aux États-Unis, tu fais un projet, tu bosses et après, éventuellement – car ce n’est même pas obligé –, tu deviens pote.

Oui, c’est ça. Quand ça arrive, quand tout le monde est ami, c’est super. Mais moi, je suis persuadé qu’on peut faire de la musique sans forcément être ami avec les gens avec qui on joue, même si, pour moi, c’est un gros plus, parce que forcément, l’échange est beaucoup plus simple et tout est beaucoup plus fluide. Mais c’est vrai qu’une amitié… Les petites histoires de la vie, ça peut aussi venir entamer le reste. C’est pour ça qu’il faut être prudent avec ça et ne pas s’immiscer dans la vie des uns et des autres. Nous sommes ultra-respectueux de la vie des uns et des autres, nous avons tous une famille, des enfants, donc nous essayons de respecter tout ça et de faire en sorte que chacun s’y retrouve. Je donne un exemple tout bête : quand nous faisons un concert, nous nous mettons tous d’accord pour que ça ne pose de problème à personne ; quand nous faisons une répète, nous nous organisons pour que tout le monde soit bien, pour qu’il n’y en ait pas un qui ait à se déplacer alors qu’il doit gérer son fils… Donc nous faisons attention à tout ça, et nous préservons tout cet aspect familial, parce que pour nous, c’est super important, et c’est ce qui fait que nous avançons de manière sereine.

« Le morceau, il ne faut plus le jouer, il faut l’acter. »

À force de travailler avec des musiciens, de recruter des musiciens, le côté « on devient potes d’abord et après on bosse », à terme, c’est quelque chose qui peut devenir un peu agaçant quand tu veux faire avancer des projets. Et finalement, quand tu commences à auditionner des gens, on devient presque un peu méfiant quand ils ont l’air trop sympas au début. Tu cherches avant tout à voir si la personne est capable d’être pro et carrée…

Oui, je comprends ce que tu dis. C’est exactement ça. Quand nous auditionnions, nous ne cherchions pas autre chose que des musiciens, donc derrière, la vie des uns des autres, ce n’était pas forcément ce qui nous intéressait au départ. J’ai auditionné certains musiciens qui au bout de deux répètes commençaient à critiquer le jeu de l’un, de l’autre… Ça, ce sont des choses qui ne me conviennent pas du tout. Je pars du principe que nous pouvons tous parler, tous ensemble. Quand nous avons quelque chose à nous dire, nous n’hésitons pas à nous le dire. Si nous ne sommes pas d’accord avec une décision ou quoi, nous le disons, mais ça reste ultra-sain. Ce n’est pas une critique juste pour blesser. C’est une critique pour avancer, du genre : « Est-ce que tu ne penses pas que, peut-être… » Et des fois, non, on pense quelque chose, et en fait on a tort. Que ce soit moi ou un autre, personne n’a la vérité finale. C’est l’échange qui fait ressortir le meilleur. Il faut être humble par rapport à ça.

Apparemment, sur les trois ans de composition qu’il a fallu, vous avez passé presque un an uniquement sur les arrangements. Peux-tu me parler plus de ce travail sur les arrangements ?

Pour résumer, la composition se fait vachement autour de la voix. Nous avons même pas mal de chansons qui ont été composées sur une guitare sèche et une voix. Avec Geo, nous axions vachement les choses sur couplet/refrain pour avoir une structure, une base solide. Le fait d’avoir eu des gens comme Olivier, Michel et Fabien avec nous, dès que nous avons commencé à arranger les choses, nous avons tout de suite vu que tout devenait beaucoup plus fort et que ça prenait une dimension complètement différente. A partir de là, nous nous sommes dit : « OK, on reprend tous les morceaux de A à Z, et tout le monde y met de sa personnalité. » Ça a vraiment été le leitmotiv du truc et c’est ce qu’il s’est passé. Nous nous sommes vus au moins trois fois par semaine pendant un an, à évaluer chaque morceau, à réfléchir au relief… Nous avons beaucoup travaillé l’aspect vivant, l’interprétation. Parce qu’un riff, n’importe qui peut le jouer. Par contre, l’interpréter, en fonction de ce qu’on raconte dans un texte, en fonction de l’intensité qu’on veut y mettre, ce sont des choses dont on n’a pas forcément conscience. On s’aperçoit que parfois, avec deux accords qui sont joués complètement différemment, tu peux arriver à faire un morceau. Nous avons beaucoup travaillé ça, le relief et la vie, et pendant un an, ç’a été ça. A la fin, nous avions nos morceaux qui étaient maquettés et nous nous sommes dit : « Là, c’est bon, on tient quelque chose, on va aller au bout de ce truc-là. »

Le paradoxe des arrangements, c’est que c’est quelque chose qui est finalement accessoire par rapport à la base, à ton riff, à ta suite d’accords, etc., pourtant, ça peut faire toute la différence. Comment marche cette magie-là ? C’est une question de relief, d’interprétation, de bon goût ?

Oui, je pense. Je vais te donner un exemple tout bête, mais c’est ce qui fait qu’un morceau comme « Come As You Are » de Nirvana, ultra-basique, ultra-simple, fonctionne. C’est qu’au-delà de quelque chose de simple, tu vas le faire jouer par n’importe quel groupe, tu n’auras jamais cette intensité-là, parce que tu vas avoir une vraie authenticité derrière. En fait, le morceau, il ne faut plus le jouer, il faut l’acter. Ce n’est pas juste lire une tablature, c’est le vivre. Donc l’arrangement va amener toute la dimension à un morceau. Un morceau avec deux accords, un couplet et un refrain, il peut être exceptionnel, mais on va peut-être passer à côté si derrière, il n’y a pas tous ces arrangements-là qui vont le sublimer. Pour moi, c’est comme de la cuisine gastronomique. Exemple à la con, mais tu vas manger une entrecôte-frites dans une brasserie et manger la même dans un resto étoilé, c’est la même chose, c’est la même base, mais par contre, ça va être travaillé vraiment différemment. Tu vas essayer de sublimer au maximum. Sans dire que ce que nous avons fait a sublimé, mais en tout cas, ça a grandement amélioré le message.

De ce que j’ai lu, les trois mots d’ordre de cet album pour vous, étaient : puissant, émotionnel et original. Ce que je remarque quand je lis ces adjectifs, c’est que ce sont surtout des adjectifs sur le « comment jouer », et non pas le « quoi jouer », à part peut-être pour l’originalité. J’ai l’impression qu’il y a eu un vrai questionnement là-dessus…

Oui, complètement. L’émotion, ça a été la ligne directrice de tout cet album. Nous avons voulu que les gens comprennent ce que nous voulions dire, que ça soit palpable. Nous avons fait énormément attention à l’interprétation. Par exemple, au niveau du chant, je suis vraiment entré dans mes textes. Je suis allé beaucoup plus loin que ce que j’avais fait jusqu’à maintenant. J’ai poussé les choses, j’ai essayé d’exprimer les choses au maximum, avec le plus d’authenticité possible et d’imaginer que ça sorte vraiment de moi. Nous avons tous fait ça, sur cet album-là, c’était vraiment ultra-important. Puissant émotionnellement aussi, et original, parce que nous avons du mal à nous mettre une étiquette. Aujourd’hui, on nous a qualifiés de rock/metal alternatif, donc on va dire que c’est l’étiquette que nous avons essayé de garder, parce que finalement, elle est assez vague, elle veut tout et rien dire, donc ça nous correspond pas mal ! Nous allons taper dans énormément d’influences. Il y a un fond très metal, mais je ne pense pas que nous ne fassions que du metal. C’est cette largeur-là que nous avons voulu exprimer par ces trois mots.

Ça me fait penser à une anecdote. Quand Manu Katché a été recruté par Sting pour enregistrer pour la première fois la batterie sur un de ses albums, il était encore jeune et un peu impressionné par Sting. La session d’enregistrement commence, Manu Katché joue, il joue bien, car c’est Manu Katché, il a un gros niveau, mais il ne se sent pas très bien, il est un peu coincé, pas à l’aise. Sting voit ça, il entre dans la salle où Katché enregistre et il demande à relancer l’enregistrement. Et au moment où Manu Katché commence à enregistrer, Sting se met à faire le con devant lui, à danser, etc. et apparemment, c’est quelque chose qui a vraiment sublimé le jeu de Katché. C’est là qu’il s’est dit que Sting avait tout compris. Il s‘agit vraiment d’être dans le lâcher-prise.

Complètement. C’est exactement ça, c’est le lâcher-prise. Je pense que ça se ressent dans n’importe quelle forme d’art, que ce soit la musique, la peinture, le théâtre… Tu peux vite être dans quelque chose de faux quand tu dois juste lire une tablature ou lire un scénario et l’appliquer… C’est pour ça que j’ai tendance à dire qu’il ne faut pas être scolaire lorsque l’on pratique un art, parce qu’on tombe vite dans la technique, dans la précision, alors que parfois, certaines imperfections apportent le tout. Dans certains films, il y a des actrices ultra-belles, ultra-maquillées, parfaites à l’écran, et à côté de ça, tu vas avoir des actrices qui vont être beaucoup moins mises en beauté et qui vont être dix fois plus puissantes à l’écran. Ça change tout. L’authenticité, c’est ça qui fait tout.

« J’ai tendance à dire qu’il ne faut pas être scolaire lorsque l’on pratique un art, parce qu’on tombe vite dans la technique, dans la précision, alors que parfois, certaines imperfections apportent le tout. »

Vous avez collaboré avec Anneke Van Giersbergen. Le profil que tu viens de décrire lui correspond bien : elle n’a pas une technique vocale de dingue non plus, mais elle a une authenticité quand elle chante qui est assez folle. Votre musique a une base rock et metal, mais c’est très aventureux car ça part sur le jazz, le progressif et le trip-hop. J’imagine que c’est ce côté hybride qui vous a amenés à elle ? Car pour le coup, même si on l’a découverte dans le metal, elle fait vraiment beaucoup de choses…

Oui, complètement. Je la suis depuis vingt-cinq ans, depuis le premier album de The Gathering auquel elle a participé, Mandylion. Déjà, dans The Gathering, ça avait beaucoup évolué, jusqu’à How To Measure A Planet? où c’était justement beaucoup plus trip-hop, plus ambient… J’ai toujours été fan de sa manière d’interpréter les choses, donc oui, ça a été une évidence, lorsque nous avons réfléchi à un feat., de l’appeler, et je pense que c’est ce qui a fait qu’elle a collaboré avec nous. Elle a certainement senti aussi une certaine similitude dans l’approche et c’est ça qui a fait qu’elle a plongé ! [Petits rires]

Dans une interview tu disais que tu aimais beaucoup le texte de « Perfect Demon » parce que ça correspond bien à ton univers, il est très adapté à ta personnalité avec un aspect lunatique et changeant. Et quand tu parles de « Wonderful Life », tu parles un peu d’ironie et de contraste, tu dis que c’est brillant et sombre à la fois. Dirais-tu que cette ironie, ce contraste, c’est ce qui domine dans vos atmosphères ?

Oui, complètement. D’ailleurs, le nom de l’album, Soulmates, « âmes sœurs », c’est ce que ça décrit. Sur la pochette, on voit ce personnage qui est un peu sombre et cette petite fille, ils sont dos à dos, et c’est la dualité. D’un côté, il y a des émotions négatives, et de l’autre côté, des émotions positives qui se tournent le dos et qui ont parfois du mal à cohabiter. Donc « âmes sœurs », c’était plus dans le sens de deux émotions dans un être et comment elles peuvent arriver à cohabiter ensemble. « Perfect Demon », c’était tout à fait ça aussi, dans le sens où le début du texte dit quelque chose et le deuxième couplet dit son inverse.

Dans la version originale de « Wonderful Life » par Black, l’ironie et la noirceur n’étaient pas aussi poussées que dans la vôtre. Est-ce que vous sentiez qu’il y avait déjà une ironie dans le morceau original ou bien c’est quelque chose que vous vouliez amener ?

Ce morceau, je l’ai toujours pris de manière ironique, parce que le texte de « Wonderful Life » parle beaucoup de solitude, de quelqu’un qui est un peu seul et qui essaye quand même de dire que la vie est belle. On a cette personne qui est un peu admirative de ce qui l’entoure, elle parle des oiseaux dans le ciel, de la mer, du vent dans ses cheveux… Elle profite de tout ce qui l’entoure, mais elle reste quand même assez seule. Donc le refrain dit : « Pas la peine de courir, de se cacher, c’est une belle vie. Pas la peine de pleurer, de rire, c’est une belle vie. » Ça reste assez ironique, ce sont des choses opposées, mais qui sont quand même là, et l’idée de notre reprise était de l’accentuer. Et ça allait très bien avec la thématique de l’album.

Au départ, vous étiez partis sur une autre reprise, qui était « Eleanor Rigby » des Beatles. Ce n’est plus d’actualité ?

Non ! [Rires] Nous avons fait une maquette, nous l’avons enregistrée… J’aimais bien le texte, mais c’était bien moins fort que « Wonderful Life », donc nous avons laissé tomber l’idée. Nous avions maquetté le morceau, mais ça restait un petit peu plus classique. C’est une chanson qui est un peu plus dure à tordre… Donc ce n’est plus d’actualité.

Sur la pochette, on retrouve le personnage qui avait déjà été créé pour Ghost. Tu as décrit ce personnage comme un observateur à travers lequel tu t’exprimes sur le monde, une sorte de personnage un peu omniscient. Ce personnage n’est pas tout à fait toi, c’est un personnage qui a plus de hauteur. Est-ce que, pour incarner ce personnage, tu arrives à prendre le recul nécessaire pour juger le monde et pour te juger toi-même en tant que personne ?

Comme la musique est mon exutoire, lorsque je suis en phase de composition ou d’écriture, j’essaye justement de me détacher pas mal de ce que je pense, de ce que j’ai en tête, et j’essaye de me mettre un peu plus à la portée du monde, de me concentrer sur les émotions des autres. Je ne sais pas si j’y arrive très bien, mais en tout cas, je fais mon maximum pour ça.

Ces moments te poussent-ils à te remettre toi-même en question ?

Complètement. D’ailleurs, ça fait évoluer mes textes dans ce sens-là. L’écriture d’une chanson peut me provoquer l’écriture d’une autre, parce que justement, je me dis : « Tiens, ça, je le voyais comme ça, mais en y réfléchissant, peut-être qu’il y a quelque chose d’autre à voir là-dedans. » C’est un peu l’idée. L’idée, c’est de dire qu’on peut difficilement juger les gens sans être à leur place, parce qu’on ne voit que leur masque, on ne voit que la façade.

Les chœurs sur « Haters », « Perfect Demon » et « The Smell Of The Blood » sont assurés par Jessie, ton épouse. Elle ne fait pas partie du groupe, elle collabore simplement avec vous pour placer sa voix. Peux-tu nous parler d’elle en tant que musicienne et de son parcours ?

C’est une ancienne violoniste qui a fait le Conservatoire pendant douze ans, je crois. Elle est issue d’une famille d’artistes, le papa est trompettiste, la sœur est chanteuse et la maman était meneuse de revue. Elle a toujours chanté, elle a d’ailleurs un projet avec la compagne de Michel, notre guitariste, qui chante aussi. J’ai souvent fait des choses avec ma femme sur des morceaux, des reprises, des choses comme ça, et du coup, j’ai dit : « Allez, sur cet album-là, j’aimerais bien une présence féminine là, donc est-ce que ça te branche ? » Ça la branchait bien, donc nous nous sommes dit : « Allons-y ! ».

Il n’y a jamais eu de projet entre vous deux pour écrire des choses ensemble ?

Ce sont des choses auxquelles nous pensons souvent. Nous n’avons pas beaucoup de temps pour ça, nous avons un fils qui a deux ans, donc des fois c’est un peu compliqué [petits rires]. Mais je pense que c’est quelque chose que nous ferons dès que nous arriverons à trouver un peu plus de temps, certainement dans un autre style, peut-être un peu plus trip-hop. Mais oui, c’est quelque chose que nous allons faire.

Interview réalisée par téléphone le 27 mars 2020 par Philippe Sliwa.
Retranscription : Robin Collas.
Photos : Michel Canavaggia (1) & Mr Cana Photgraphy.

Site officiel de Scarlean : www.scarlean.com.

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