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Chronique   

Schammasch – Hearts Of No Light


« L’art est là pour élargir les horizons, ouvrir à de nouvelles perspectives. S’il ne remplit pas ce rôle, que pourrait-il faire ? C’est son vrai but et aussi celui d’exprimer la beauté de la vie et de la mort, d’être un reflet de l’existence. » Chris S.R. nous exposait ainsi sa noble vision de l’art qui est incarnée à tous les niveaux dans son projet Schammasch. Après avoir démarré une série d’EP conceptuelle, le groupe est revenu en studio pour nous proposer son quatrième album et le premier d’un nouveau diptyque. Ambitieux, avant-gardiste, intellectuel ou profondément spirituel… Que peut-on attendre du successeur du très acclamé mais surtout massif Triangle ? Une chose est sûre, Schammasch n’a certainement pas décidé de se conformer à ce qu’on peut attendre de lui avec Hearts Of No Light qui, thématiquement, se montre bien plus pessimiste que son prédécesseur, plongeant l’auditeur dans les flammes d’une apocalypse annoncée. Musicalement, Schammasch ne respecte que ce qu’il considère comme sacré, à savoir sa vision de l’art.

Les notes de piano de la pianiste classique Lillian Liu qui introduisent « Winds That Pierce The Silence » en ouverture de ce Hearts Of No Light offrent un bref aperçu des nouveautés auxquelles l’auditeur peut s’attendre. Néanmoins, ce dernier se retrouve rapidement en terrain familier avec les couches superposées de guitare et les percussions qui servent l’atmosphère de cérémonie occulte dont Schammasch est passé maître en la matière. Le groupe ne se trahit pas non plus avec « Ego Sum Omega » : un black metal singulier, dynamique, riche en détails harmoniques, qui s’achève sur des arrangements de cuivres grandioses et élégants. S’enchaîne alors subtilement, par un jeu de croisement des atmosphères, l’interlude « A Bridge Ablaze ». On y retrouve le savoir-faire des Suisses dans leur mise en ambiance introspective, avec voix parlées presque susurrées, chœurs liturgiques, résonances de piano et boucles synthétiques. La transition vers la piste suivante est cette fois-ci plus franche, sans pour autant perturber l’auditeur : « Qadmon’s Heir », à la fois cynique et fédérateur, dans une veine proche du premier disque de Triangle, fait office de titre fort. Plus agressif et corrosif sur le plan musical – quoique là encore non dénué d’un important travail sur l’atmosphère ritualiste, notamment son dernier tiers –, il l’est également dans son propos. Chris S.R. scande avec amertume l’anaphore « and we did come », fustigeant la propension de l’homme à perpétuellement construire pour détruire.

Si « Rays Like Razors » s’inscrit dans la continuité, rappelant toutefois davantage Contradiction par son riffing hypnotique, Schammasch ne se contente pas de s’illustrer dans ce que son public connaît déjà de lui. Ainsi, « I Burn Within You » a le rôle de couper le cordon et lance le début des expérimentations inédites. Il s’agit d’une pièce avant-gardiste, légèrement psychédélique, sur laquelle le combo est assisté par Aldrahn de Dødheimsgard au timbre théâtral et perturbé (surtout lors d’un break seulement accompagné du piano). Avec toute son excentricité, son rythme saccadé, ses chœurs et sa mélodie puissante et cathartique, le morceau prend aux tripes. S’ensuit « A Paradigm Of Beauty », sans doute le titre le plus inattendu. L’atmosphère black occulte glisse, par une progression habilement échafaudée, vers un rock gothique entraînant, à la croisée de Sisters Of Mercy et The Devil’s Blood. Célébrant – et nous envoûtant au passage – la déesse de la créativité, C.S.R. alterne entre voix saturée et un chant clair « catchy » qu’on ne lui connaissait pas encore.

De retour sur les fondamentaux de Schammasch et entamant une longue trajectoire descendante, « Katabasis » résume finalement l’album. Le morceau concilie les facettes ambiantes et agressives, en conservant une âme ténébreuse et planante. Ceci nous amène au titanesque épilogue « Innermost, Lowermost Abyss » qui rejoint l’essence de The Supernal Clear Light Of The Void (la troisième partie de Triangle qui, en revanche, se voulait ascensionnelle) et de l’EP The Maldoror Chants: Hermaphrodite. Le morceau, long de quinze minutes, développe une fusion d’un dark ambient froid, de guitares acoustiques parfois inspirées du flamenco et de percussions tribales, consolidée par l’artiste multi-talentueux Dehn Sora qui a apporté sa contribution et sa vision. La conclusion de Hearts Of No Light nous tire lentement et doucement vers le fond, là où la solitude se fait vertigineuse et éternelle, dans les abysses de notre ego (comme l’annonçait « Ego Sum Omega », que le groupe traduit dans le contexte de l’album par « le ‘je’ est à la fin »).

Fin du quatrième chapitre marqué par quatre coups de percussion finaux. L’auditeur en ressort à nouveau avec l’étrange sensation de ne pas avoir vécu une simple écoute, mais une véritable expérience ; ésotérique par certains aspects, comme dans la façon dont le groupe utilise les symboles et les images qu’il nous appartient d’assembler pour en révéler le sens. En dépit de sa densité et de sa longueur, rien n’est laissé au hasard et tout est minutieusement pensé, élaboré et mesuré, ce qui rend la performance de Schammasch impressionnante. Libre, hétérogène là où Triangle restait compartimenté, laissant parfois sans repère dans sa propre méditation, Hearts Of No Light trouve sa logique et franchit un nouveau palier dans la discographie des Suisses. Il reprend les marques des œuvres passées tout en élargissant encore les horizons, dans l’objectif de toujours repousser les barrières au profit de l’expression et de la réflexion.

Clip vidéo de la chanson « A Paradigm Of Beauty » :

Clip vidéo de la chanson « Rays Like Razors » :

Album Hearts Of No Light, sortie le 8 novembre 2019 via Prosthetic Records. Disponible à l’achat ici



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