Chris S.R. et son groupe Schammasch font partie de ces artistes qui ont une haute opinion de l’art, qui y voient quelque chose de sacré, intellectuel, exigeant, dépassant le simple divertissement. Schammasch veut nous bousculer dans nos certitudes, nous faire réfléchir et éprouver de la beauté là où ne l’attend pas toujours. Polémique rien que par son format – un triple album -, Triangle est de ces œuvres à contre-courant des pratiques de consommation actuelles et qui ne tolère pas une écoute distraite. Mais la récompense peut être grande. Si, avec cet album, Schammasch a marqué les esprits en 2016, il surprend à nouveau en revenant à peine un an plus tard avec un nouvel EP, Hermaphrodite, premier d’une série basée sur Les Chants de Maldoror datant de 1869, ouvrage poétique d’Isidore Lucien Ducasse, mieux connu sous le pseudonyme de Comte de Lautréamont. Il ne faut pas se fier au format plus court : Hermaphrodite n’en est pas moins exigeant que Triangle, à bien des égards.
Nous avons donc repris contact avec Chris S.R. pour en apprendre plus sur cet EP et son rapport à l’oeuvre littéraire dont il s’inspire. Car, au-delà du caractère surréaliste de cette dernière, qui peut être facilement rapproché de la fibre artistique de Schammasch, l’Hermaphrodite en tant que texte et en tant que personnage est très révélateur du sentiment du frontman quant à sa place dans la société et la place de Schammasch parmi la production musicale actuelle. Chris S.R. fait partie de ces personnes qui vivent et respirent pour l’art, en témoigne le collectif SAROS qu’il a monté et dont il nous parle à la fin de l’entretien, ou encore ses paroles mystérieuses au sujet du prochain album qui risque une nouvelle fois de dérouter…
« Si une œuvre est plus longue ou que l’on met plus de temps à la comprendre que la plupart des autres œuvres, en quoi cela devrait-il être une mauvaise chose ? […] Ce n’est pas quelque chose de mal ! Et pourtant, c’est comme ça que beaucoup de gens ont vu Triangle. »
Radio Metal : Triangle est sorti il y a un an. Avec le recul, quel est ton regard sur cet album et comment il a été reçu par le public ? Parce que beaucoup de gens ont en fait découvert le groupe avec ce triple album.
Chris S.R. (guitare et voix) : Ouais, pour moi, c’est évidemment le plus gros truc que nous ayons fait jusqu’à présent et aussi celui dans lequel nous nous sommes le plus investi. Nous avons mis un paquet d’argent dans l’écriture, le processus en lui-même et la production. Avec ce nouvel album, c’était vraiment différent parce que, de bien des façons, nous avons eu moins d’efforts à fournir. Je peux cependant dire que Triangle reste mon œuvre principale jusqu’à présent et que je suis très content du résultat final. Le groupe a clairement franchi un palier avec cet album et j’en suis très heureux.
As-tu été surpris qu’un album aussi exigeant attire autant d’attention ?
Ouais, complètement, d’un côté. En fait, je savais qu’il était bon mais je ne savais pas à quoi m’attendre par rapport au côté prise de risques ; la durée, la pochette et tout ce genre de trucs c’était vraiment osé donc je ne savais pas trop quoi en attendre. J’ai été assez surpris, dans le bon sens, d’à quel point cela s’est bien passé au niveau des critiques et de toute cette énergie positive que nous avons reçu. Toutes les réactions étaient vraiment très, très positives tout du long et c’était évidemment une bonne surprise.
Vous avez récemment joué l’album en entier au Roadburn. Tu peux nous parler un peu de cette expérience ?
Ouais c’était vraiment quelque chose ! [Rires] Les préparatifs ont duré quelque chose comme six mois et c’était très chiant parce que, premièrement, nous nous sommes retrouvés à jouer avec un troisième guitariste pour la première fois pour tout ce concert. C’est quelque chose que, au passage, nous avons conservé depuis ce concert au Roadburn puisque nous sommes désormais un groupe à cinq avec trois guitares. Mais clairement, quand nous étions seulement quatre avec deux guitares, nous savions que cela serait quasi impossible de jouer convenablement Triangle en intégralité avec cette configuration et nous savions que nous allions devoir régler ce problème d’une manière ou d’une autre. Grâce à cette troisième guitare, c’était beaucoup plus simple de transposer le tout au format live. C’était un gros défi pour moi, en particulier la troisième partie avec tout ce côté ambiant car elle n’avait jamais été écrite pour être jouée sur scène. Je ne m’attendais pas du tout à ce que nous jouions quoi que ce soit de cette partie en live. C’était donc un sacré défi d’essayer d’apporter la même atmosphère et les mêmes émotions sur scène mais ça a très bien marché. L’expérience dans son ensemble a été incroyable, nous n’avions jamais vécu un truc pareil auparavant et le Roadburn est sans conteste un des meilleurs festivals en Europe voire dans le monde entier quand on parle de musique extrême. C’était donc vraiment un grand honneur et une super expérience, d’autant que le retour du public a également été immensément bon.
Tu viens de dire que vous aviez un troisième guitariste, il s’agit de John B n’est-ce pas ? Donc il fait partie du line-up officiel désormais ?
Oui, tout à fait. Nous l’avons annoncé il y a quelques semaines de cela. Nous avons également effectué deux soirées de lancement pour Hermaphrodite avec lui en troisième guitariste. Nous nous sommes dits après le concert au Roadburn que nous allions continuer ensemble et voir comment ça allait se passer par la suite avec trois guitares, parce que jouer Hermaphrodite sur scène avec seulement deux guitares, c’est quasi impossible. Nous avons donc simplement poursuivi avec John. Il correspond vraiment bien au groupe, pas seulement en tant que personne mais aussi musicalement. Il n’y avait objectivement aucune raison de le laisser partir parce que l’alchimie est juste parfaite ! Nous nous sommes retrouvés à lui demander « tu veux nous rejoindre de façon permanente ? » et il n’a pas hésité une seule seconde. Super dénouement ! Cela nous donne également plus de possibilités pour le futur, notamment pour les lives parce que notre musique est, en grande partie, toujours composée de plus de trois lignes de guitare et ça a toujours été dur de jouer certaines parties avec seulement deux guitares. Je me sens désormais plus libre dans le choix des chansons à jouer sur scène.
Et John va-t-il également participer aux enregistrements en studio ?
Eh bien, le plan est qu’il fasse quelques-unes des parties de guitare mais pour tout ce qui est studio et écriture, c’est en grande partie mon boulot comme c’est le cas sur chaque album depuis le début. Les autres font leurs propres parties mais au final je fais une grande partie de ce boulot et même certaines de leurs parties parfois. John va donc simplement nous aider en studio mais ça ne fera pas une grosse différence par rapport à avant.
Hermaphrodite est le premier d’une série d’EP que vous avez prévu de sortir en parallèle de vos futurs albums. Ils seront tous basés sur « Les Chants de Maldoror » du Conte de Lauréamont. La dernière fois que l’on s’est parlé, tu nous as dit que c’était quelque chose que tu voulais faire depuis très longtemps, traiter de cette histoire. Qu’est-ce que ce livre représente pour toi ?
Tout d’abord, la liberté. La chose principale par rapport à ce livre, pour moi, a toujours été la liberté illimitée qu’il représente, la liberté artistique, ainsi que la liberté morale et ce genre de choses, le fait de briser les chaines de la société actuelle et celle de l’époque lorsqu’il a été écrit. C’est ce qu’il a toujours été pour moi en premier lieu. Toutes les autres choses qu’il représente, comme toute la perversité et toute la négativité, la grande qualité d’écriture, etc., ça venait toujours après. Il y a beaucoup de choses dans ce livre qui me fascine mais au départ, ça a toujours été la liberté qu’il représente.
« L’art est là pour élargir les horizons, ouvrir à de nouvelles perspectives. S’il ne remplit pas ce rôle, que pourrait-il faire ? C’est son vrai but et aussi celui d’exprimer la beauté de la vie et de la mort, d’être un reflet de l’existence. »
Quand et comment as-tu eu l’idée de faire une série d’EPs basée sur ce livre ?
C’est difficile à dire. J’avais d’ailleurs oublié que je t’en avais parlé l’année dernière ou même que je bossais déjà dessus au moment de l’interview. Cela faisait longtemps que j’avais en quelque sorte cette idée de retranscrire en musique ce passage avec l’Hermaphrodite. Je crois que l’idée m’est venue à peu près au moment où je travaillais sur Contradiction, mais ce n’était qu’une idée un peu vague, une sorte de vœu pieux. Je n’avais pas vraiment prévu de faire quoi que ce soit de ça avant un moment. Après que nous ayons sorti Triangle l’année dernière, j’ai commencé à travailler sur de nouveaux trucs et à réfléchir à de nouveaux éléments conceptuels et ce genre de choses, et c’était très clair pour tout le monde dans le groupe que ça allait être dur d’enchaîner après Triangle parce que c’était une œuvre vraiment massive. C’est toujours difficile de trouver quoi faire après avoir accompli quelque chose d’aussi imposant artistiquement. Tu as toujours besoin de trouver un moyen de t’y remettre et ça n’était pas évident. Nous voulions faire quelque chose de plus court, moins monolithique d’un point de vue artistique, et c’est là que nous avons eu l’idée de faire un EP. J’ai donc commencé à travailler sur de la musique et, à un moment donné, j’ai commencé à penser un peu plus à des titres et des concepts, et c’est là que je suis soudainement revenu sur cette idée d’Hermaphrodite. Ce n’était pas prévu de faire tout l’EP sous cette bannière, pour ainsi dire, mais simplement de l’avoir comme titre et peut-être d’écrire une chanson sur le sujet mais c’est tout. Au final, l’idée de faire une série d’EP basée sur le livre a émergé de cette idée de départ. Je dirais que ça s’est fait comme une évolution naturelle. C’est pour moi devenu très clair et évident que c’était la voie à suivre.
Tu as dit que ce livre avait été une inspiration pour Schammasch depuis Contradiction. Comment s’est-elle manifestée dans votre musique ?
Je dirais que ça a eu un énorme impact sur ma façon d’écrire la musique, particulièrement pour les paroles bien sûr, car ça m’a aidé à trouver mon propre univers au niveau de l’écriture des textes lorsque je travaillais sur Contradiction. Il faut dire que, lorsque j’ai lancé le groupe, c’était toujours quelque chose de compliqué de rentrer dans l’écriture des textes ou trouver la manière qui me paraissait juste. Le livre de Maldoror m’a aidé à trouver tout cet univers. J’ai également récupéré des parties directement du livre. Même sur Contradiction, tous les textes lus sur la dernière chanson, intitulée « JHWH », ont été plus ou moins récupérés depuis le livre.
Le Conte de Lautréamont est un des pères du surréalisme. Est-ce que tu vois un lien entre ce mouvement artistique et ta propre conception de la musique qui est parfois qualifiée d’avant-gardiste ?
Ouais, totalement. Je veux dire, il s’agit encore de cet esprit de liberté qui navigue autour du groupe, et tout le mouvement surréaliste est lui aussi beaucoup basé sur la liberté, surtout artistique, évidemment. Je pense que nous sommes des messagers de cette liberté artistique. Donc oui, une connexion est totalement possible. Mais d’un autre côté, j’essaie toujours d’éviter de donner une quelconque appellation au groupe. Je pense que c’est toujours un peu dangereux de coller une étiquette sur les choses. Je pense que cela serait exagéré de me considérer comme un artiste surréaliste mais c’est définitivement une grande inspiration pour moi. Je ne veux en aucune façon me limiter ou limiter le groupe à une certaine description.
Hermaphrodite est une histoire à part de la trame principale. Pourquoi avoir commencé par ce passage où Maldoror n’apparaît même pas ?
Comme je l’ai dit, c’est comme ça que l’idée globale de faire une série d’EPs m’est venue, à travers le fait d’appeler l’EP Hermaphrodite. C’était le premier moment où j’ai vraiment pu penser au concept dans son ensemble. Ce n’était donc pas une question de savoir où, ou avec quelle partie du livre commencer, car cela n’aurait pas commencé du tout sans ce passage. Ce n’était pas vraiment une décision consciente, elle est sortie d’elle-même de cette partie du livre. C’est elle qui est restée ancrée dans ma tête, la plus importante. Ça a toujours été quelque chose des plus inspirants pour moi et c’est pour ça que c’est resté coincé dans ma tête toutes ces années.
Dans l’histoire, le personnage de l’Hermaphrodite se sent très seul et l’on en apprend plus sur son conflit intérieur dans un monde qui ne le comprend pas. Est-ce que tu t’identifies à lui d’une certaine façon ?
Totalement ! C’est aussi probablement la raison pour laquelle ce passage a habité mon esprit de manière aussi marquante et pourquoi j’ai choisi de l’utiliser comme concept principal pour un album. On peut ressentir énormément d’émotions au travers de cette histoire, on la retrouve de manière très présente dans notre quotidien de la société moderne. Par exemple, rien que le fait d’être considéré comme différent dès qu’on ne ressemble pas à ce que la masse des gens représente. Je veux dire, il y a plein de points de vue différents sur la question mais pour moi, c’est quelque chose de très présent dans ma vie, qui navigue toujours autour de moi et c’est évidemment pour cela que je m’identifie à cette personnalité.
Que veux-tu dire par « quelque chose de très présent dans ma vie » ?
Tu sais, ce sentiment que tu n’arrives pas vraiment à trouver ta place dans la société. J’imagine qu’il y a beaucoup d’artistes qui ressentent la même chose parce que la plupart d’entre eux doivent lutter pour payer leur loyer ou vivre en gagnant de l’argent de manière générale. Toutes ces choses sont très importantes quand l’on veut faire partie de la société. Mais la grande majorité des artistes essaient d’échapper à ce rôle, celui de marionnette de la société, et pourtant on finit par y être contraints. Il faut se battre contre ça tous les jours, en particulier si on a un boulot au quotidien qu’on ne fait pas par volonté mais par obligation afin de payer nos factures d’une manière ou d’une autre. Cela créée une sortie de situation très contradictoire parce qu’on est forcé de faire quelque chose dont on ne veut pas, de faire partie intégrante de la société et d’y jouer un rôle qui, par rapport à ce qu’on ressent, ne devrait pas être le vôtre. C’est tout du moins comment je me sens lorsqu’on me parle de boulot quotidien et ce genre de trucs. C’est de cette façon que je relie l’histoire à ma propre vie ou à la vie dans la société moderne en général.
« J’écris grâce à ce que j’appellerais une sorte d’inspiration spirituelle. Ça me tombe un peu du ciel, parfois pendant plusieurs jours d’affilée ou parfois pas du tout pendant des mois. »
On pourrait même appliquer cette idée de l’Hermaphrodite à ton travail artistique en lui-même car il va en quelque sorte à l’opposé des standards artistiques que l’on peut observer aujourd’hui, même dans le metal.
Ouais, tout à fait ! Mais c’est aussi ça le truc, il y a beaucoup de business dans le metal et la musique en général aujourd’hui. Autrement dit, dans la grande majorité des cas, il ne s’agit plus de véhiculer des messages mais plus de chercher à faire du commercial et faire semblant d’être quelqu’un ou quelque chose que l’on n’est pas. Je pense que c’est ce qui fait de Schammasch une sorte de présence étrangère, d’une certaine façon, car nous essayons de ne pas suivre les codes dictés par le business, ni les soi-disant règles artistiques. Je pense donc que nous sommes à part ou que nous pouvons être vus comme tel dans l’univers du metal. Entre nous, ça peut paraître arrogant ou que j’ai l’air de penser que nous sommes plus importants que beaucoup d’autres groupes, etc. mais, en réalité, nous faisons des trucs qu’énormément d’autres groupes n’oseraient pas faire. Mais je pense que tu as raison oui, complètement.
Je sais que vous avez déjà reçu des critiques sur la forme et la structure de cet EP. Est-ce que tu penses que c’est à cause du fait que, avec le temps, les gens ont réduit leur perspective sur l’art ?
Ouais, bien sûr. Ils ont également réduit le temps qu’ils souhaiteraient consacrer à l’art. Je pense que, de nos jours, l’art est plus quelque chose qui doit être consommé que sur laquelle on réfléchit ou que l’on admire. C’est ça le vrai problème, je pense. L’art ne devrait pas être quelque chose que l’on consomme mais que l’on contemple. C’est probablement pour ça qu’il y a une grande dévalorisation de ce que l’art devrait être ou comment il est considéré aujourd’hui. Je parle encore une fois de Triangle mais, même si le résultat a été très positif pour nous, nous avons aussi entendu de nombreuses critiques sur la durée de l’album. Ca n’a jamais été un problème pour moi ! Si une œuvre est plus longue ou que l’on met plus de temps à la comprendre que la plupart des autres œuvres, en quoi cela devrait-il être une mauvaise chose ? Simplement parce que vous devez y investir plus de temps et que les gens aujourd’hui n’y sont plus habitués ? Ce n’est pas quelque chose de mal ! Et pourtant, c’est comme ça que beaucoup de gens l’ont vu. C’est un très bon exemple de la façon dont les choses fonctionnent de nos jours, c’est moins facile à consommer que d’autres travaux et ça en fait, en quelque sorte, quelque chose de moindre valeur que le reste pour certaines personnes. Je pense que c’est un très bon exemple.
Pour Hermaphrodite, je n’ai pas lu tant de critiques que ça pour être honnête. Pas autant que sur Triangle tout du moins. C’était en gros ce à quoi je m’attendais. Jusqu’ici, c’est du cinquante-cinquante dans les réactions que j’ai pu observer. Certains l’ont compris, d’autres non. J’ai entendu ou lu des trucs comme « ce n’est plus vraiment du metal » ou « ce ne sont plus vraiment des structures de chansons » ce qui est absolument correct. Je suis tout à fait d’accord sur ces points car ce n’est pas ce que ça devrait être. Ce n’est pas supposé être un album de metal ou des chansons mais l’expression audio de ce que vous pourriez lire.
Bien qu’il ne fasse qu’un tiers de la durée de Triangle, cet EP est tout de même une œuvre exigeante. Tu penses que l’art doit l’être ?
Bien sûr ! C’est pour ça qu’il est là. C’est ce qu’il devrait être au plus profond de son essence. Le pouvoir de l’art réside dans le fait qu’il fait tomber des barrières et détruit certaines vues, limites ou chaînes de tellement de manières différentes. C’est pour moi la vraie valeur de l’art. Il est là pour élargir les horizons, ouvrir à de nouvelles perspectives. S’il ne remplit pas ce rôle, que pourrait-il faire ? Je veux dire que, pour moi, c’est son vrai but et aussi celui d’exprimer la beauté de la vie et de la mort, d’être un reflet de l’existence. Si l’art ne représente pas ces choses-là, alors c’est de la simple consommation et je ne pense pas que ce soit son rôle.
Mais du coup, tu n’écoutes jamais de la musique simplement pour te divertir ?
Pour être honnête, non, plus vraiment désormais, aussi étrange que cela puisse paraître ! [Rires] Quand j’écoute de la musique, je le fais en grande partie pour me mettre dans un autre état aussi bien mental que physique, probablement. Je me pose rarement pour écouter de la musique juste parce que je n’ai rien d’autre à faire. La plupart du temps il y a un but derrière. Ça sonne peut-être un peu trop dur si je dis que l’art doit passer outre les barrières ou détruire certains points de vue, ce genre de chose. Peut-être que tout dans l’art n’est pas fait pour ça mais le nôtre l’est en tout cas et je pense que beaucoup de musique dans le metal fait semblant ou essaye de faire de l’art. C’est en tout cas le chemin que j’estime que l’art extrême devrait prendre.
Mise à part ton identification avec l’Hermaphrodite, est-ce que tu penses que ce texte est plus pertinent que jamais dans la société d’aujourd’hui ?
Je pense que c’est vraiment quelque chose à considérer car, pour autant que je sache, la société n’a jamais été aussi ignorante ou aveugle aux éléments extérieurs. Enfin, on peut dire qu’il y avait beaucoup d’inculture au Moyen-Age [petits rires] au travers du terrorisme ou du pouvoir religieux parce que les gens n’étaient pas conscients de beaucoup de choses. Aujourd’hui, les gens sont ou devraient être conscients des choses qui se passent et décident d’y être aveugles, de fermer les yeux sur beaucoup de ces choses. C’est difficile de mettre des mots sur toute cette situation, de dire quelque chose qui ne pourrait pas être compris d’une autre manière que celle voulue. Je pense d’ailleurs à la déclaration que j’ai écrite et qui se trouve sur le CD lui-même, tu voudras peut-être y jeter un coup d’œil parce que c’est globalement une version courte de mon ressenti intérieur sur ce sujet. Je l’ai écrite après qu’Apple Music et Sony ont refusé de sortir le CD à cause de la vue – en dessin ! – d’un appareil génital sur la pochette. Du coup, nous avons dû le censurer avec un sticker. Tout en moi se battait contre ça, donc cette déclaration est ma réaction à ce sujet. C’est assez important, je pense, que les gens soient conscients de ces choses-là.
« Il y aura probablement un élément central qui sera totalement nouveau pour le groupe et changera énormément notre son […]. Cette fois encore, je ne sais pas du tout comment les gens vont le prendre [rires]. Mais c’est toujours ce qu’il y a d’intéressant avec ces trucs-là, pas vrai ? »
On peut entendre plusieurs mouvements différents dans cet EP, en passant de l’ambiant pour retourner au black metal avec « Chimeral Hope ». Ces mouvements sont-ils là pour suivre ceux de l’histoire qui sont parfois plus concentrés sur l’esthétique et d’autres fois symboliquement violents ?
Je ne crois pas. Je ne compose pas de la musique de cette manière et, surtout, je ne me pose pas devant un bureau en pensant à la façon dont je pourrais créer de la musique à partir de telle phrase ou telle partie du texte. C’est plus quelque chose qui se déroule en parallèle mais de manière indirecte. La musique est une partie et un univers et les paroles en sont d’autres. Au final, j’essaie simplement de les assembler de la meilleure manière possible et je dirais que ça se fait toujours de manière inconsciente. Ça se fait très naturellement, c’est ainsi que je travaille. Il n’y a pas d’énorme plan derrière. J’ai aussi plus ou moins créé toute la partie musicale avant d’écrire les paroles ou avant d’essayer de calquer ces paroles ou les écrits du bouquin sur la musique. Toute la musique était plus ou moins écrite avant tout ça. Ça devrait te donner une idée plus claire de la façon dont ça fonctionne pour moi.
Donc tu ne t’es pas directement inspiré des émotions du texte et de l’histoire pour écrire la musique.
Je ne pense pas que l’on puisse le formuler comme ça. J’écris grâce à ce que j’appellerais une sorte d’inspiration spirituelle. Ça me tombe un peu du ciel, parfois pendant plusieurs jours d’affilée ou parfois pas du tout pendant des mois. Comme je l’ai dit plus tôt, je ne me pose pas pour essayer de créer quelque chose. Je laisse le truc venir. C’est quelque chose que j’essaie de faire mais pas sur lequel je travaille à l’aide d’un plan défini. Je laisse le truc venir. Je pense qu’il s’agissait de la meilleure manière de travailler sur tout ça pour moi car, comme évoqué plus tôt, pour moi ce livre, c’est pour beaucoup de la liberté et un flux, en particulier le style d’écriture qui est très fluide et qui n’est parfois basé sur aucun plan. Tout du moins, on peut penser qu’il n’y a aucun plan, car c’est vraiment chaotique. Selon moi c’était un peu la méthode à adopter tout comme le fait de rendre hommage au style, au ressenti du livre, de laisser l’inspiration venir naturellement et de ne pas me limiter en quoi que ce soit ou limiter le flux en ayant un plan ou des pensées à propos de ça.
C’est un peu surprenant, dans le sens où, lorsque l’on écoute l’EP, on peut entendre un fort sentiment de solitude et d’isolation ce qui est un thème central dans l’histoire…
Ça n’a pas été fait de manière consciente. On pourrait dire que c’était fait exprès mais pas de manière directe, à travers des pensées ou des plans. Ça s’est fait au niveau spirituel et émotionnel, je dirais. [Réfléchis] C’est également compliqué de mettre des mots là-dessus. Si tu essaies de créer quelque chose à partir flux et que tu sais déjà ce que tu veux, tu sais dans quelle direction le flux ira. Ensuite, je pense que ton subconscient sait où aller et c’est probablement ce qui m’a mené à créer les atmosphères de certaines parties.
On peut clairement entendre des éléments issus de Triangle dans cet EP. Est-ce que tu penses qu’il n’aurait jamais pu voir le jour sans l’expérience de Triangle ? Est-ce que Triangle vous a ouvert de nouvelles perspectives pour créer une œuvre telle que cet EP ?
Oui, absolument. En particulier lorsque l’on pense aux éléments ambiants. C’est quelque chose que j’ai appris à plus ou moins gérer au travers de Triangle, comment les créer et les intégrer au reste de la musique. Du coup, ça a un peu fusionné avec le reste, contrairement à ce qui s’est passé sur Triangle car l’ambiant était majoritairement séparé du reste de la musique, du véritable rock basé sur la guitare. En construisant toute cette partie ambiante sur Triangle, j’ai probablement développé la capacité à bien gérer le côté ambient. Et je pense que ça s’est très bien passé, que ça s’est très bien marié dans l’EP, à tel point que, comme écrit dans beaucoup de critiques, on ne peut plus vraiment distinguer quoi est quoi. C’est comme un grand flux et c’est ce que je voulais atteindre.
Est-ce que tu as déjà des idées ce sur quoi seront basés les prochains EPs, au niveau des passages des Chants de Maldoror et à quoi la musique ressemblera ?
Je sais, au moins, déjà pour le prochain, oui, mais je ne vais te le dire [rires]. Parce que je ne sais pas combien de temps ça va nous prendre de travailler sur le prochain EP. Pour le moment, j’ai commencé à travailler sur le prochain album complet et cela sera probablement seulement après ça que je me repencherai sur les EP, mais je n’en ai aucune idée au final. Franchement, ça pourrait prendre plusieurs années comme une seule, aucune idée. Du coup, je n’ai pas vraiment envie d’en dire trop à ce sujet. Par contre, je connais déjà le nom du prochain et quelle partie il concernera mais c’est à peu près tout. Il est fort possible que ça soit encore plus orienté ambiant parce que la partie dont il sera inspiré a une ambiance qui irait parfaitement avec ce genre-là. C’est donc une possibilité. Mais je ne vais clairement pas me restreindre à une quelconque idée arrêtée sur la manière dont il devra sonner. Et je n’ai également aucune idée de combien d’EPs nous aurons au final. Ça pourrait être seulement deux comme dix, je n’en sais rien, et c’est ce qui est vraiment intéressant pour moi, enfin, c’est un des trucs intéressants ; j’essaie toujours suivre mon ressenti intime, pour ainsi dire. Mais les albums, c’est toujours quelque chose de différent. Pour un album, j’ai besoin d’avoir déjà, au moins, un sentiment général, un concept et un plan de travail, contrairement à un EP. C’est encore une fois une question de liberté ici et c’est vraiment intéressant comme jeu de comparer les travaux et idées derrière un album à ceux derrière un EP.
« L’un de mes objectifs est aussi de survivre en tant qu’artiste et de m’éloigner le plus possible d’un boulot classique car c’est vraiment quelque chose que je ne supporte pas, qui empoisonne mes pensées à tous les niveaux. »
Et du coup, que peux-tu nous dire sur le prochain album ?
Il y a des trucs que je pourrais dire mais je ne suis pas vraiment sûr si je devrais parce que nous sommes encore à un stade très précoce. Mais, ce que je peux dire c’est qu’il sera probablement produit pour la fin de l’année prochaine, donc début 2019 dans les bacs. C’est le planning que je me fixe mais c’est, comme toujours, pas vraiment gravé dans le marbre. Ça pourrait évidemment se dérouler autrement. Je prévois aussi de travailler avec un producteur différent, un nouveau avec qui nous n’avons jamais travaillé jusqu’à présent, et j’essaie en ce moment de rentrer en contact avec lui, mais je ne vais évidemment pas dire qui c’est [rires]. Ça devrait être une approche très intéressante si ça se passe de la manière que j’imagine que ça va se passer. Ça va être une approche totalement différente comparée à ce que l’on a fait jusqu’à maintenant. Il y aura probablement un élément central qui sera totalement nouveau pour le groupe et changera énormément notre son, je pense. Donc ouais, ça va être une approche très intéressante. Cette fois encore, je ne sais pas du tout comment les gens vont le prendre [rires]. Mais c’est toujours ce qu’il y a d’intéressant avec ces trucs-là, pas vrai ? J’essaie systématiquement de me mettre au défi ainsi que les gens qui apprécient ce que nous faisons en tant que groupe. C’est l’une des motivations de Schammasch, d’aller plus loin et de franchir des barrières pour garder la flamme. Je ne pourrais jamais refaire quelque chose comme ce que j’ai fait sur Triangle parce que c’est complet, jamais je ne reviendrais dessus. Ce n’est tout simplement pas ce qui me motive en tant qu’artiste.
Ça a l’air mystérieux mais intéressant…
Ça n’a pas vraiment pour but d’être mystérieux ou quoi que ce soit mais je ne veux pas en dire trop sur les choses dont je ne suis pas encore certain. C’est mieux de garder ça au chaud pour le moment.
Si vous planifiez de le sortir comme tu as dit pour début 2019, ça fait un sacré bout de temps à attendre…
Vraiment ? [Rires] Parce que nous avons reçu beaucoup de critiques à propos du temps que nous avons pris pour sortir un nouvel EP après Triangle, en gros une année, et beaucoup de gens ont estimé que ce n’était pas assez ! Donc, au final, tu ne fais jamais les choses correctement pour tout le monde. Ta manière de faire sera toujours la mauvaise pour plein de gens. Je me fiche de ce genre de choses mais je sais que ça va me prendre plus de temps pour me remettre à écrire comme il faut et me remettre dans le bain de la production par rapport au temps qu’il a fallu entre Contradiction et Triangle, et aussi entre Triangle et Hermaphrodite. Parce que beaucoup de choses ont changé dans mon quotidien : ça fait un moment maintenant que je n’ai pas eu de boulot à temps plein et j’essaie de travailler sur plein d’autres trucs que je fais liés à l’art. Mon rôle dans mon collectif artistique me prend beaucoup de temps en ce moment et ça change plein de choses pour moi en tant que musicien parce que j’ai besoin d’investir énormément de l’énergie créative que je possède dans d’autres projets artistiques. Ca va limiter le temps que je suis capable de passer à écrire des chansons et, pour Schammasch, j’ai évidemment besoin de plus de temps pour m’y mettre et le faire correctement. Je veux aussi prendre mon temps parce que, si je ne le fais pas, il y a de grandes chances que je n’aime pas le résultat final et n’ai évidemment pas envie d’en arriver là.
Tu as mentionné les critiques à propos de la sortie trop précoce de votre EP et pourtant, vous vouliez le sortir en février à la base !
Ouais, en effet ! [Rires] Eh bien, je ne m’attendais pas vraiment à ce que les gens soient agacés ou perturbés par cette sortie parce que c’est clairement quelque chose de vraiment très différent de Triangle et de tout ce que l’on a fait jusqu’ici ou d’un cycle typique et habituel de sortie d’album. Je ne m’attendais pas à ce que ce soit un problème s’il n’y avait que peu de temps entre ces deux sorties mais, de toute évidence, pour beaucoup de gens c’en été un. Du coup, je ne sais pas quel est le problème avec ça [rires]. Je ne suis pas dans la tête des gens, donc je ne peux pas vraiment m’en soucier.
Tu as parlé de tes autres projets artistiques. Tu peux nous en dire plus à ce sujet ?
Ouais, c’est un collectif d’art nommé Collectif SAROS. Je travaille dessus depuis fin 2015. L’idée est venue de celle de faire mes propres designs de t-shirt et aussi de commencer à faire de la sérigraphie, ce qui m’a donné plein d’autres idées artistiques. J’ai commencé à faire de la gravure de crânes, je suis vraiment à fond là-dedans en ce moment, ça m’éclate et c’est aussi un des trucs principaux que je fais au sein du collectif. Comme il s’agit d’un collectif, il y a bien sûr d’autres gens impliqués. C’est une sorte de groupe d’artistes issus de domaines artistiques complètement différents et qui est en train de grandir. L’idée principale derrière ça est simplement d’avoir un groupe d’artistes capables de fournir des services du début à la fin. Par exemple, si tu es un groupe et que tu as besoin de produire un album, tu auras aussi besoin d’une pochette, de photos, de promotion ou peut-être d’aide pour trouver un label, ce genre de choses. Je fais en sorte de rendre la réalisation de tout ça possible sous un seul projet. C’est ça l’idée, offrir une large gamme de services à des artistes. Ça commence à très bien prendre d’ailleurs, ça s’est vraiment bien développé ces derniers mois. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai besoin de passer beaucoup de temps dessus. Ce projet me guide en quelque sorte vers de nouveaux champs artistiques qui sont vraiment intéressants pour moi et inspirants pour Schammasch également. Ca me montre beaucoup d’autres univers et possibilités artistiques, ce qui est super pour moi. L’un de mes objectifs est aussi de survivre en tant qu’artiste et de m’éloigner le plus possible d’un boulot classique car c’est vraiment quelque chose que je ne supporte pas, qui empoisonne mes pensées à tous les niveaux. J’essaie donc vraiment de rester loin de ça. C’est une super sensation que d’être capable de se faire de l’argent avec son art [petits rires], car tu peux imaginer qu’en tant que musicien ou membre d’un groupe de cette taille, il y a beaucoup d’argent à se faire. C’est un changement bienvenu pour moi de vraiment voir de l’argent ressortir d’un contrat ou d’un boulot artistique que je fais parce que ça n’arrivait pas souvent jusqu’à maintenant !
Interview réalisée par téléphone le 28 août 2017 par Nicolas Gricourt.
Retranscription et traduction : François-Xavier Gaudas.
site officiel de Schammasch : schammasch.com.
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