Au delà de la figure incontournable qu’il représente dans le monde du metal, Scott Ian est un touche-à-tout qui multiplie les expériences. La dernière fois qu’on lui a parlé, il était accompagné de Pearl Aday, son épouse, chanteuse et fille du célèbre Meat Loaf, pour nous parler de son projet rock Motor Sister. Mais ces dernières années nous l’avons également vu monter sur scène pour un spectacle parlé, dont il a tiré un DVD intitulé Swearing Words In Glasgow, ou jouer le zombie dans la série The Walking Dead (épisode 12 de la cinquième saison). Et malgré tout ceci, entre les incessantes tournées et même s’il aura fallu un peu de temps – cinq ans -, Scott Ian est parvenu à boucler un nouvel album avec Anthrax.
Là où Worship Music se voulait rassurant compte tenu du contexte branlant de sa conception, For All Kings se devait de faire plus que rassurer mais montrer que le groupe avait encore de nouvelles cartes à jouer. C’est plus ou moins chose faite avec un album dynamique présentant quelques petites surprises, parmi lesquelles des passages atmosphériques et autres développements qui frôlent le progressif, au milieu d’un assortiment heavy-thrash qui porte définitivement la marque du groupe.
C’est donc de la conception de cet opus que nous parlons avec Scott dans l’entretien qui suit, mais également des thématiques – les attentats de novembre venant naturellement dans la discussion – et plus généralement de son rôle de parolier, de Joey Belladonna – en tentant de le faire réagir à certains propos qu’a partagé le chanteur avec nous – et des trente ans de l’album Spreading The Disease, avec quelques réminiscences de 1985.
« Contentez-vous d’écouter et d’apprécier [rires]. C’est ce que je fais ! Lorsque j’écoute Iron Maiden, je n’analyse pas, j’écoute et je me fais plaisir, c’est tout. »
Radio Metal : Cette fois, votre nouvel album For All Kings a été fait dès le début avec Joey Belladonna dans le groupe et un line-up stable. Du coup, qu’est-ce que ça a changé par rapport à Worship Music ?
Scott Ian (guitare) : C’est simplement que nous avons pu être un groupe ! Nous n’avions plus vraiment à nous inquiéter de quoi que ce soit. Il y avait plein d’énergie positive et le succès de Worship Music ainsi que toutes les tournées que nous avons faites ont donné un bel élan au groupe. Nous n’attendions rien de particulier de Worship Music et au final il a vraiment parlé aux gens partout dans le monde. Cet album a permis à Anthrax de redevenir un groupe. Nous nous sentions vraiment bien par rapport au succès de Worship Music. Donc je crois que le fait de pouvoir s’identifier en tant qu’Anthrax, être un groupe et puis se mettre au travail a vraiment eu une influence positive sur nous.
D’après diverses déclarations, le groupe aurait écrit l’équivalent de deux albums pendant cette session d’écriture…
Non, non, non, à un moment donné nous visions vingt chansons mais nous n’en avons véritablement enregistré que quatorze, dont deux qui n’ont pas été terminées. Nous n’avons donc terminé que douze chansons.
Il se passe pas mal de choses dans cet album. Il y a des parties vraiment heavy, des parties thrash, des trucs plus atmosphériques et même des éléments plus prog. D’où tout cela vient-il ?
Je ne sais pas. Nous nous contentons d’écrire des chansons ! Nous faisons comme nous le faisions il y a trente ans : nous allons dans une pièce et nous écrivons de la musique que nous voulons entendre. Nous écrivons de la musique qui nous met la banane, qui nous donne envie de secouer la tête et qu’on entend nulle part ailleurs. C’est ça Anthrax pour nous et c’est ainsi que nous procédons depuis trente ans. Donc, je ne sais pas d’où ça vient ; ça vient de nous ! [Petits rires] C’est simplement ce que nous faisons !
Au sujet de ces éléments plus atmosphériques et progressifs, comme cette partie au milieu de « You Gotta Believe », est-ce que vous avez des affinités particulières avec les musiques progressives ?
Je ne sais pas ce qu’est la musique progressive ! Ça sonne comme du metal, pour moi, donc je ne sais pas… Tout sonne comme du metal à mes oreilles. Il y a plein de groupes de metal qui ont des parties plus calmes. Nous pensons juste en termes de dynamique.
Tu penses qu’on catégorise un peu trop le metal ?
Ouais, je pense que les gens l’analysent vraiment trop. Contentez-vous d’écouter et d’apprécier [rires]. C’est ce que je fais ! Lorsque j’écoute Iron Maiden, je n’analyse pas, j’écoute et je me fais plaisir, c’est tout.
Tu as qualifié l’album de « plus metal que [vous ayez] fait depuis très, très longtemps » et dit qu’il y a « bien plus de trucs thrash et heavy. » Mais d’un autre côté, il y a aussi bien plus de trucs mélodiques sur cet album. Etait-ce donc une volonté d’élargir la dynamique de la musique ?
« Volonté » n’est pas le bon mot. Comme je l’ai dit, nous ne prévoyons rien. Nous n’avons pas une feuille de route lorsque nous nous mettons à faire un album. Nous ne nous disons pas que nous avons besoin de trois chansons rapides, deux chansons mélodiques et quatre chansons mid-tempo. Il n’y a pas de plan. Nous écrivons ce que nous écrivons, c’est tout ! Nous ne savons même pas ce que nous avons avant d’avoir sept ou huit chansons écrites, et alors on peut prendre un peu de recul et commencer à se dire : « Oh, ok, voilà à quoi va ressembler notre album ! » Ce n’est pas quelque chose à laquelle nous réfléchissons. Je ne sais pas comment on fait pour réfléchir à la musique ; pour moi, ce serait comme se forcer à faire quelque chose. Pour notre part, nous commençons avec un riff et ce riff nous dit : « Oh, ça sonne comme un riff rapide, » alors on le joue vite… Il n’y a rien que nous prévoyons, il n’y a strictement aucune réflexion, vraiment, par rapport à ça. Simplement, nous nous retrouvons dans une pièce et nous arrangeons de la musique qui, comme je l’ai dit, nous fait plaisir.
J’imagine que le secret pour faire de la bonne musique, c’est de rester instinctif…
Je ne sais pas ! Je ne sais pas quoi répondre à une telle question. Je ne connais pas le secret. Je ne connais pas la formule. Si je savais le secret, ça rendrait les choses tellement plus faciles [rires]. Tout ce que je sais, c’est comment nous faisons et comment ça fonctionne pour nous. C’est comme ça que j’écris. Je suis sûr que pour d’autres groupes c’est différent. Certains groupes ont probablement une vision claire de l’album qu’ils veulent faire. La seule vision claire que j’ai, c’est ce qu’est Anthrax, le fait que j’adore le putain de heavy metal et le fait que nous sommes un groupe de metal, donc c’est ce que nous faisons !
Il y a de super solos et parties leads sur cet album. Penses-tu que Jonathan Donais a apporté de la fraîcheur à l’album avec son travail sur les leads ?
Absolument ! Il a comme un sens inné de la mélodie qui, je trouve, fonctionne très, très bien avec la musique que nous écrivons. Nous lui envoyions de la musique arrangée qui n’avait encore aucun chant ou quoi, juste la musique, et il nous renvoyait des idées qui collaient parfaitement avec ce que nous faisions. Et il comprenait très, très bien ce que nous lui présentions. Et puis aussi live, il est super agressif sur scène, à headbanger comme un dément. Ça fait vraiment du bien d’avoir cette énergie sur scène à nos côtés. Nous n’avions jamais eu une telle énergie de la part d’un guitariste lead auparavant.
Il est d’ailleurs bien plus jeune que vous autres. Penses-tu que c’est la raison pour laquelle il a apporté une telle énergie ?
Je ne sais pas, peut-être ! En même temps, ce n’est pas comme si je n’avais pas d’énergie, donc… [Petits rires].
« Il y a plein de gens sur cette planète qui en bavent plus que d’autres. Donc peut-être que ce n’est pas à eux que je m’adresse. Quoi que si des réfugiés syriens écoutaient cet album, peut-être que ça les aiderait ! [Rires] »
Jay Ruston a une nouvelle fois produit l’album mais cette fois-ci, il était là depuis le tout début, pendant la phase d’enregistrement des démos. Quelle différence cela a fait ?
Je ne peux pas vraiment quantifier précisément… Evidemment, le gars sait comment super bien mixer un album. Il sait comment faire pour qu’Anthrax sonne incroyablement bien sur album. Ça sonne comme ce que nous entendions dans nos têtes, mais il était bien plus impliqué qu’un simple ingénieur. Il était présent depuis le premier jour d’écriture jusqu’aux touches finales du mixage de l’album, évidemment. Jay a cette capacité de créer un environnement qui te met vraiment à l’aise pour travailler et, à la fois, il nous pousse à travailler très dur et à sortir le meilleur de nous-mêmes. Mais d’une certaine façon, c’est très décontracté et facile. Il a créé une super atmosphère dans la pièce. Il est très bon lorsqu’il s’agit de nous aider à passer des obstacles, comme lorsque Charlie, Franky et moi travaillions sur quelque chose et peut-être que parfois nous arrivions à un point dans une chanson où nous ne savions pas quoi faire ou où aller. Par le passé, avant Jay, lorsque ceci se produisait, en général la journée s’arrêtait là. Parfois tu n’as pas d’idée pendant quinze minutes et alors nous sommes là : « Ok, c’est bon. Allons chercher à manger, on arrête. » Mais avec Jay, il nous maintenait concentré. Il changeait de sujet, nous commencions à parler d’autre chose, et puis vingt minutes plus tard, tout d’un coup, tu es à nouveau en train de travailler sur la chanson, quelqu’un trouve une idée et tu avances. Il était très bon pour nous maintenir sur le droit chemin. Ce n’est pas facile à faire avec nous et je pense que Jay est un atout et une personne très spéciale. Je suis vraiment content de l’avoir pour travailler avec nous.
D’ailleurs, il a dit à propos de ces enregistrements qu’il s’est « grosso-modo assuré que tout allait dans la bonne direction. » Penses-tu que sans lui, vous vous seriez éparpillés ?
Ça aurait été un processus bien plus difficile, oui. Sans lui, sans sa présence et sa façon de travailler, ouais, nous y serions parvenus, je pense, mais je ne crois pas que nous aurions l’album que nous avons aujourd’hui, non. Je pense que travailler avec Jay fait ressortir le meilleur de nous-même.
À un moment donné, tu avais annoncé que le groupe enregistrerait la batterie dans la salle du trône du plateau de HBO de la série Game Of Thrones à Belfast. Est-ce que vous l’avez fait, du coup ?
Non. J’aurais adoré ! Nous avons vraiment cherché à le faire. Jay a d’ailleurs fait des recherches et a parlé aux gens à Belfast pour que nous apportions un studio mobile pour enregistrer ça, car ça aurait été une fantastique expérience. Mais vraiment, financièrement, c’était complètement insensé [rires]. Peut-être est-ce quelque chose qui pourrait fonctionner si nous sommes en tournée et que nous avons déjà un kit de batterie avec nous là-bas, mais faire tout venir à Belfast pour simplement enregistrer pendant un jour ou deux, ça allait revenir plus cher que l’enregistrement complet de l’album [petits rires]. Ça n’avait aucun sens de faire ça.
Qu’est-ce que tu pensais que ça allait apporter au son d’Anthrax d’enregistrer là-bas ?
Je n’en ai aucune idée, si ce n’est que ça aurait été super marrant d’installer nos instruments dans la salle du trône et de prendre des photos ! [Rires] Je ne sais pas si ça aurait apporté quoi que ce soit au son. C’est juste que ça nous aurait rendu très heureux !
L’introduction de l’album, « Impaled », a d’ailleurs un côté très Game Thrones avec ce violoncelle. Etait-ce une influence consciente ou même un hommage ?
C’est marrant. Bien sûr que dès que j’ai entendu ça, c’est la première chose que j’ai pensé. C’est Charlie, en fait, qui a créé cette intro. Je me suis tout de suite dit : « Oh, pourquoi est-ce qu’on n’appellerait pas ça l’intro Game Of Thrones ? » [Rires] Tu sais, j’ai fait pas mal d’interviews depuis un mois pour le nouvel album et tu es la première personne à me faire la remarque ! Donc félicitations ! [Rires] Mais je dirais que oui, c’était très influencé par le fait que nous soyons de très gros fans de Game Of Thrones et que nous avons eu l’opportunité de faire une chanson l’année dernière pour la mixtape de Game Of Thrones qu’ils ont sortie. Nous avons contribué avec une chanson, donc je pense que ça a sans doute joué, le fait que nous ayons établi un lien réel avec la série en ayant placé une chanson sur la BO. Donc je suppose qu’on peut voir ça comme un hommage.
L’album s’appelle For All Kings et ça signifie « que tout le monde peut être roi, avoir le contrôle de sa vie, avoir le contrôle de sa destinée, grandir et devenir un être responsable. » C’est ce que tu as déclaré. Comment t’es-tu retrouvé à penser à ça et appeler l’album ainsi ?
Charlie m’a en fait envoyé ce titre à un moment donné lorsque j’ai demandé à tout le monde dans le groupe s’ils avaient des idées de titres de chansons. C’est un des titres qu’il m’a transmis et j’ai trouvé qu’il sonnait vraiment bien. Ensuite, il l’a mentionné comme potentiel titre d’album et j’ai dit : « Ça me va, je trouve que ça sonne super en tant que titre d’album. » Mais je n’ai pas écrit les paroles de cette chanson avant bien plus tard. La musique de ce morceau, pour moi, ça sonnait comme… « For All Kings » ! Il y avait quelque chose dans cette chanson qui me faisait dire qu’il fallait qu’elle s’appelle ainsi. Nous avions déjà le titre, je ne savais juste pas à quelle chanson il irait et là ça me paraissait bien. Et c’est plus tard que j’ai écrit les paroles, une fois que j’ai connecté le titre à la musique.
Est-ce qu’il y a eu des moments dans ta vie où des gens ont essayé de prendre le contrôle de ta vie et de ton destin ?
Oui et non. C’est plus personnel. Ça parle plus de toi en tant qu’individu qui prend en main ta propre vie et qui est capable d’être responsable de toi-même et de tes propres actions, et de pouvoir te regarder dans la glace, te pointer du doigt et comprendre lorsque tu es celui qu’il faut blâmer et non le reste du monde. Pour moi, c’est vraiment de ça que ça parle.
« Il fallait que j’écrive ces paroles après l’attaque de Charlie Hebdo parce que pour moi, c’était le coup de grâce. Je ne pouvais plus contenir ma colère. »
L’album We’ve Come For You All avait ce thème sur la vénération des fans et qui était encore plus marqué sur Worship Music. Et c’est encore quelque chose qu’on peut entrevoir dans For All Kings. Et il semble même y avoir un lien entre les pochettes d’albums. Y a-t-il donc une ligne directrice entre ces trois albums, d’une certaine façon ?
Ouais, il y en a une. Il faudrait vraiment que je me pose et que j’analyse pour pouvoir peut-être complètement la comprendre et l’expliquer mais oui, c’est sûr qu’il y a… Evidemment, les artworks qu’Alex [Ross] fait se relient tous les uns aux autres, d’une certaine manière, mais ce n’est pas quelque chose que j’ai beaucoup décortiqué jusqu’ici. C’est juste que j’adore l’art d’Alex Ross et je trouve qu’il nous fait des pochettes incroyables. Je pense qu’on peut probablement… Surtout avec cet album… Je pense qu’il y a plein de façons de considérer cette illustration où tu nous vois en tant que rois, ou statues, mais est-ce que ce sont des créatures qui nous vénèrent ou bien cherchent-elles à nous détruire ? C’est la question que je me pose souvent lorsque je regarde cette illustration. Peut-être que ce sont des créatures qui sont contre ce que nous représentons ou peut-être que ce sont des créatures qui vénèrent ces statues comme un genre d’idole. Je ne sais pas. J’ai plein de sentiments différents qui me viennent lorsque je regarde cette pochette, et j’estime que c’est ce que n’importe quelle grande œuvre d’art doit provoquer. Ça doit te faire réfléchir.
En fait, le message derrière ces trois albums et donc For All Kings est, globalement, positif. Est-ce important d’avoir ce côté positif à transmettre aux fans ?
Je pense qu’il y a beaucoup de paroles sombres sur cet album parce que nous vivons dans un monde sombre mais, à la fois, je suis un optimiste par nature. J’ai le sentiment de devoir toujours faire ressortir le bon côté des choses, au milieu de toute cette noirceur. J’aime au moins offrir la possibilité aux gens de dire que oui, les choses sont merdiques mais si tu te regardes, regardes ta vie, réfléchis à comment tu pourrais mener une vie meilleure et faire quelque chose que tu veux faire et qui te rendra heureux, alors tu pourrais changer le monde pour toi-même, si ce n’est pour tout le monde. Car c’est ce que j’ai fait avec ma propre vie, donc je sais que c’est possible. C’est ce que je dis, c’est le message sous-jacent dans beaucoup de chansons. Ça dépend de toi, tout le monde a sa chance. Ecoute, il est certain que certaines personnes ont une vie bien plus difficile que d’autres sur cette planète. Je n’ai jamais eu à vivre ce que vit un réfugié syrien. Je ne suis pas né là-dedans ; je comprends qu’il y a plein de gens sur cette planète qui en bavent plus que d’autres. Donc peut-être que ce n’est pas à eux que je m’adresse. Quoi que si des réfugiés syriens écoutaient cet album, peut-être que ça les aiderait ! [Rires] Mais je suis réaliste. Je comprends que l’adolescent moyen qui grandi aux Etats-Unis ou en Europe de l’ouest, ou en Australie ou au Japon, a des opportunités différentes que celles que rencontrent d’autres gens sur cette planète et c’est à eux que je m’adresse. En tant qu’adolescent, il y a plein de routes que j’aurais pu prendre mais j’ai choisi la plus difficile, qui était de faire ce que je voulais faire, soit être dans un groupe. Et ça, c’était le chemin le plus difficile au monde ! Bien plus dur que de bousiller ma vie autrement. J’ai choisi le chemin que je voulais et j’ai pu le faire par moi-même. Je crois que tout le monde peut saisir cette chance dans sa vie.
En parlant de paroles sombres, d’après Charlie Benante, la chanson « Evil Twin » était inspirée par des événements comme l’attaque de Charlie Hebdo. Je suppose que cette chanson a pris un sens encore plus fort après l’attaque du Bataclan en Novembre…
Je ne sais pas si elle prend un sens encore plus fort. Pour ma part, il fallait que j’écrive ces paroles après l’attaque de Charlie Hebdo parce que pour moi, c’était le coup de grâce. Je ne pouvais plus contenir ma colère. Nous vivons dans un monde où ces types d’attaques sur des gens innocents se produisent de plus en plus. Et ensuite, bien sûr, ce qui s’est passé au Bataclan est arrivé. Voilà le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui et ça le rend d’autant plus triste, voilà comment je vois les choses. Car ça prouve que voilà, c’est notre planète et il n’y a nulle part de sûr. Où peut-on être à l’abri aujourd’hui ? Je ne veux pas vivre dans un monde où tu as peur de sortir de chez toi pour aller à un concert de rock ! C’est putain de dingue ! Ça ne va pas changer ce que je fais ! Je ne vais pas rester chez moi, barricader ma porte et fermer les fenêtres, je ne vais pas faire ça ! Mais, dans le monde où nous vivons aujourd’hui, il y a probablement des gens qui le font en ce moment même, tu vois, ils ont peur de sortir de chez eux. Ça craint de vivre dans ce monde actuellement.
D’ailleurs, comment as-tu réagi à l’attaque du Bataclan ? Est-ce que tu t’es vu le vivre ?
Oui, j’ai beaucoup d’imagination, donc c’est certain. Il n’est pas difficile de se dire que oui, bien sûr, ça pourrait arriver n’importe quand et n’importe où. Donc oui, surtout les quelques premiers concerts… Car nous étions en Europe lorsque c’est arrivé et les quelques premiers concerts après ça étaient étranges. Nous avons joué à Bruxelles juste, je crois, trois jours après l’attaque du Bataclan et il y avait des mecs avec des mitraillettes en coulisse dans nos loges, ce n’est pas très rassurant [petits rires]. Est-ce qu’on se sent plus en sécurité ? D’une façon étrange, oui mais à la fois, je ne veux pas vivre dans un monde où j’ai un mec avec une mitraillette qui fait le guet en coulisse. C’est putain de dingue !
Tu as toujours été le parolier du groupe. Donc à quel point est-ce important pour toi d’écrire des paroles ?
Eh bien, de toute évidence c’est très important [rires]. C’est ce que je fais… Ça représente maintenant une grande part de ma vie. J’adore ça. C’est quelque chose que j’adore faire et pourtant, je trouve ça toujours difficile. Prendre des pensées, des idées et des émotions puis les mettre dans le contexte de paroles, ce n’est pas quelque chose qui vient facilement. C’est très étrange [petits rires] ! C’est une chose de parler d’idées, d’histoires, de trucs qui t’influencent et que tu vois dans le monde, mais ensuite prendre tout ça et le contextualiser dans une chanson, dans un couplet et un refrain, c’est tellement bizarre pour moi, encore aujourd’hui, même après l’avoir fait pendant presque trente ans. Mais j’adore le faire parce que j’adore le challenge que ça représente et je suis vraiment, vraiment content et fier de ce que j’ai écrit sur ce dernier album. J’aime à penser que je me suis amélioré avec les années et je pense que cet album parle de lui-même.
« Nous pensions toujours Anthrax comment étant plus dans la veine d’Iron Maiden et Judas Priest. »
Peux-tu justement nous en dire plus sur les autres sujets abordés dans les paroles de cet album ?
Oui, il me faut juste un instant pour ouvrir… Attends… Car je ne m’en souviens pas là tout de suite ! Donc j’ai écrit quelque chose pour moi, où est-ce qu’il est… Ah voilà ! Ok, pose-moi des questions spécifiques !
Je pensais plus de façon générale…
C’est ça le souci, je n’ai pas de réponse générique à cette question. Voilà ce que je vais te dire : il y a quelques semaines, je me suis posé et j’ai écrit une ou deux phrases sur chaque chanson, pour faire ressortir de quoi elles parlent, et en parcourant l’album, je me suis rendu compte que ce n’est pas quelque chose de très évident lorsque tu lances le disque, lis les paroles et écoutes les chansons, mais ça raconte l’histoire de ma vie dans ce groupe durant les trente dernières années. De « You Gotta Believe » jusqu’à « Zero Tolerance ». Je peux le voir parce que j’ai écrit les paroles et, évidemment, je peux les rattacher et les contextualiser avec ma vie. Donc elles racontent vraiment, d’une étrange façon, mon histoire du début à la fin et il est clair que c’est quelque chose que je n’avais pas prévu de faire, ni même de faire un album conceptuel, ce n’est assurément pas ce qu’est cet album. Si je revenais sur chaque album d’Anthrax et analysait chaque chanson pendant quelques minutes, pour en retirer une phrase sur ce dont ça parle, peut-être que chacun d’entre eux raconte mon histoire. Ça pourrait bien être le cas. Mais celui-ci, je me vois vraiment dedans.
J’ai parlé à Joey et il m’a expliqué que désormais, dans le groupe, vous n’êtes plus là à regarder par-dessus son épaule lorsqu’il enregistre le chant. Est-ce que ça signifie que vous lui faites entièrement confiance maintenant ?
Oui, sur ces deux derniers albums, nous nous sommes tenus à l’écart, nous l’avons laissé faire son truc. Il n’était plus nécessaire que ça fonctionne ainsi. Par le passé, en remontant aux années 80, nous étions tous dans la pièce, nous analysions tout ce qu’il faisait et il est évident que c’était devenu un problème pour tout le monde, car le groupe n’a pas continué avec Joey après 1992. Donc en travaillant avec Joey sur Worship Music et, bien sûr, avec cet album, pour ma part, je voulais qu’il ait la liberté de faire son propre truc et pouvoir faire ses propres choix sans avoir des gens qui regardent par-dessus son épaule. J’avais le sentiment que tout le monde dans le groupe méritait de jouir de cette liberté, et Joey a prouvé sur Worship Music qu’il n’avait besoin de personne sur son dos ! Et sa prestation sur For All Kings est encore meilleure ! Je dirais que c’est sa meilleure prestation dans l’histoire d’Anthrax. Donc, de toute évidence, ça fonctionne très bien.
Pour autant, il a exprimé ce qui semblait être un petit regret : le fait qu’il n’a jamais été impliqué dans la pré-production pour partager des idées, etc. En gros, on lui remet une voiture prête à être conduite, pour ainsi dire. Est-ce qu’il y a une raison particulière à ne pas l’impliquer dans ce processus, dans la mesure où il ne compose pas et n’écrit même pas de paroles ?
C’était son choix. Ce n’était certainement pas notre choix, c’était le sien. La porte est ouverte à chacun dans ce groupe pour être partout où il se passe quelque chose, à n’importe quel moment. Dès que nous composons, l’invitation est toujours lancée pour que tout le monde soit là.
En fait, aujourd’hui, il semble vraiment avoir retrouvé sa place dans le groupe. Du coup, pourquoi Joey est bon pour le groupe aujourd’hui lorsqu’il ne l’était peut-être pas en 1992 ? Comment expliquer cet intervalle de temps où il n’était pas avec le groupe ?
Ouais, parce qu’en 1992, j’avais 29 ans…
C’est donc une question de maturité ?
Je crois que c’est ce que je suis en train de dire, oui [petits rires].
Le grunge qui arrivait et devenait énorme n’a-t-il eu aucune influence sur votre décision de continuer sans Joey qui avait des influences heavy metal plus traditionnelles ?
Non, je ne crois pas. Si tu écoutes Persistence Of Time, musicalement, nous étions déjà en train glisser vers ce son parce que Persistence Of Time a plus en commun avec Sound Of White Noise que State Of Euphoria. Donc même avant que le grunge devienne énorme, nous allions déjà dans cette direction en 1989 et 1990, lorsque nous écrivions Persistence Of Time. Je pense donc que, d’une certaine façon, nous étions en train de changer musicalement.
L’année dernière marquait les trente ans de Spreading The Disease, qui est le premier album que Joey a fait avec Anthrax. De façon plus générale, de quoi te souviens-tu du contexte et de votre état d’esprit à l’époque ?
Ouais, j’étais heureux d’être là, j’étais surexcité ! Nous faisions notre premier album pour une grande maison de disque et nous avions travaillé très, très dur pendant quatre ans pour en arriver à ce stade ; non-stop, sept jour sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre à vivre et respirer Anthrax. J’étais excité de faire un album et le sortir sur une grande maison de disques et me rendre compte que tout le travail que nous avions accompli commençait à porter ses fruits.
1985 était une époque particulière dans le metal, car une toute nouvelle culture émergeait du Big 4. Ressentiez-vous que vous faisiez quelque chose de spécial ?
En 1985 ? Ouais, nous nous en rendions compte, mais en 85 le monde ne prêtait pas encore attention à nous. Nous avions conscience de faire quelque chose de spécial et les labels commençaient tout juste à s’en rendre compte parce qu’ils avaient des gens avec d’assez bons goûts musicaux pour comprendre que des groupes comme nous allaient commencer à vendre un paquet de disques et ça, évidemment, ça implique de l’argent à se mettre dans les poches pour les labels. Les labels commençaient à comprendre mais le public, globalement, n’avait pas encore saisi en 85. Certainement plus tard, en 86 et puis en 1987, c’est là que ça a vraiment commencé à exploser.
En 1985, vous aviez déjà beaucoup d’accroche et de mélodie dans votre musique. Penses-tu que c’est ce qui a distingué Anthrax de nombreux autres groupes de thrash metal ?
Nous essayions [petits rires] ! Je pense que le fait d’avoir Joey comme chanteur nous a clairement distingué parce que si tu nous compare avec Metallica et Slayer, il est évident que Joey était plus dans la tradition de Rob Halford et Bruce Dickinson que Lemmy, disons. Pas qu’il y ait quoi que ce soit de mal là-dedans, car nous étions tous d’énormes fans de Motörhead également mais nous pensions toujours Anthrax comment étant plus dans la veine d’Iron Maiden et Judas Priest. C’est un peu comme ça que nous percevions ce que nous voulions faire.
Interview réalisée par téléphone le 22 janvier 2016 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Céline Fiévez.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Site officiel d’Anthrax : anthrax.com.