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Interview   

Scott Stapp retrouve la lumière


Fut un temps où on n’entendait quasiment plus parler de Scott Stapp que pour ses problèmes d’addiction et ses troubles comportementaux, avec l’exaspération de ses ex-collègues de Creed, dont le guitariste Mark Tremonti, avec notamment deux séparations, toujours pour les mêmes motifs de division entre Stapp et le reste du groupe.

En 2015, Mark Tremonti, qui depuis la fin de Creed a fait carrière avec Alter Bridge et en solo, nous disait : « Je lui ai effectivement envoyé un texto lorsque j’ai été inquiet pour lui. De toute évidence il s’était remis aux drogues ou à l’alcool alors qu’il disait qu’il était sobre, c’est à peu près tout ce que nous nous sommes dit, mais j’ai entendu dire qu’il a suivi un programme de désintoxication sur 90 jours et avec un peu de chance il est maintenant sobre. » Il faut croire que cette fois était la bonne, car Scott Stapp nous revient aujourd’hui avec un nouvel album solo poignant, retraçant ses cinq ans en quête de sobriété, de sens et de rédemption.

C’est donc un Scott Stapp nouveau que nous avons retrouvé au téléphone pour qu’il nous parle de The Space Between The Shadows, de son parcours pour enfin sortir la tête de l’eau et de la mission qu’il s’est donnée.

« Ça me paraissait essentiel […] qu’on entende clairement, franchement et honnêtement, de façon compréhensible, la vérité et la réalité de ce que j’ai traversé, d’où je suis maintenant et de ce que j’espère faire à l’avenir. […] En présence de lumière, il ne peut pas y avoir d’obscurité. »

Radio Metal : Tu viens de sortir un album très personnel intitulé The Space Between The Shadows, où tu retraces un périple de cinq ans à chercher du sens et la rédemption. Dans le cadre de ce périple, qu’est-ce que tu appelles « l’espace entre les ombres » ?

Scott Stapp (chant) : L’espace entre les ombres, ça fait référence à une quête pour trouver le moyen de sortir de l’obscurité, ainsi que d’une perspective et d’une perception lugubres, grisonnantes, de la vie et du monde qui nous entoure, et enfin atteindre un état où l’on vit dans la lumière et où l’on voit le monde qui nous entoure en couleur. Afin de recevoir la vie de cette façon et de sortir de l’obscurité et du gris, il faut trouver l’amour. C’est ce que cet album rapporte. Il rapporte, de la première à la dixième chanson, ce périple, cette expérience. Ça commence en étant détaché du monde et ça finit par la redécouverte de soi, du bonheur, de la vie, prêt à non seulement à nouveau accepter l’amour mais aussi à le donner. C’est ça que veut dire véritablement vivre, selon moi. Durant ma vie, je suis allé et venu dans l’ombre. Parfois par choix et parfois non, avec ma bataille contre une sévère dépression. Ça m’a mené à des états très sombres, dans l’ombre, et je ne pouvais pas le contrôler. En essayant d’améliorer ma condition, sans comprendre et ignorant ce qu’était une sévère dépression, je me suis auto-traité, ce qui a créé un tout autre ensemble de problèmes. Donc je suis allé et venu, et ensuite j’ai passé près d’une décennie de ma vie dans l’ombre et dans un état sombre. Mais aujourd’hui, et depuis cinq ans, j’ai enfin trouvé et reçu la guérison du corps et de l’esprit, la sobriété et la clarté nécessaire afin d’enfin embrasser la beauté de la vie et de l’amour.

Dans cet album, tu vas assez loin dans l’ouverture et l’honnêteté. N’est-ce pas inconfortable de t’ouvrir de façon aussi brute sur toi et ta vie ? Ne te sens-tu pas à nu ?

J’ai vraiment le sentiment que c’est quelque chose que je fais depuis mon premier album de Creed, My Own Prison, en 1997. Je pense que c’est vraiment la seule façon de faire que je connaisse pour créer et écrire. La seule différence, je crois, avec cet album est que je ne me suis pas caché derrière des analogies, de la prose ou des ruses de poète. J’étais très clair, très franc, très poignant. Ça semblait être la chose à faire. Avec tout ce qui s’est passé dans ma vie, durant les moments et les périodes sombres, ça me paraissait essentiel, non seulement pour moi, mais aussi pour ceux qui deviennent fans de ma musique au fil des années, le public qui a vécu mes moments sombres publiquement avec moi, qu’on entende clairement, franchement et honnêtement, de façon compréhensible, la vérité et la réalité de ce que j’ai traversé, d’où je suis maintenant et de ce que j’espère faire à l’avenir. C’est libérateur. Ça ne me donne pas du tout l’impression d’une mise à nu. En présence de lumière, il ne peut pas y avoir d’obscurité. Pour moi, c’était essentiel afin que je puisse continuer à grandir et devenir l’artiste et le compositeur que j’étais censé être.

Dans The Space Between The Shadows, on retrouve un bel éventail musical te représentant. On y trouve les morceaux grungy bien heavy, comme « World I Used To Know » ou « Survivor », ainsi que des chansons plus douces voire soul, en particulier « Wake Up Call » avec le chœur d’enfants. Avec quel était d’esprit, musicalement, as-tu abordé cet album ?

Quand je me mets à faire un album, je ne planifie jamais et je n’ai jamais de ligne directrice ou de programme particulier. J’ai vraiment envie d’aborder ça en dévoilant ce qui est enfoui profondément en moi, en me connectant à l’inconscient et en abattant chaque mur qui m’empêche d’être aussi authentique, transparent et honnête que possible. Donc j’ai abordé cet album avec cette approche. Ceci dit, j’ai aussi abordé ça avec l’idée de me reconnecter à mes racines musicales, mais en voulant amener ça dans le présent, en 2019, et non pas créer un son qui n’est qu’un rappel de ce que j’ai fait il y a vingt ans. Musicalement, c’était important pour moi d’évoluer, de grandir et de créer une présentation sonore et musicale qui soit actuelle et pertinente, tout en restant fidèle à qui je suis. Je voulais créer une impression très cinématographique pour les histoires, les pensées et les idées que je partage sur l’album.

La façon dont tu approches le processus de composition est que tu te poses avec une guitare acoustique et que tu commences à improviser sur un riff que tu aimes. J’imagine que ça a été le cas avec cet album. Dirais-tu que la conversation et les réflexions introspectives auxquelles tu t’adonnes se passent également sur le plan musical ?

Oui. Je pense qu’il y avait clairement une symétrie. Sur cet album en particulier, les deux sont nés en même temps. Sur la majorité de mes albums, surtout les trois premiers albums de Creed, j’avais quatre-vingt-dix pour cent des textes qui étaient faits avant que la moindre musique ne soit créée. Donc avec cet album-là, une chose qui était unique à son sujet est que tout naissait simultanément, la musique et les paroles, et les deux se nourrissaient l’un de l’autre. Avec le recul, il semblerait que c’était exactement ce qu’il fallait. Je suis content du résultat. Je pense avoir assurément accompli ce que je cherchais à accomplir avec cet album.

« Je n’aimerais pas revivre tout ça, mais ça s’est produit, et j’y ai trouvé un sens. J’ai trouvé un but qui me dépasse. Quand j’y réfléchis, ça me débarrasse de toute la honte, la gêne, les remords et la culpabilité associés. C’est la beauté d’avoir trouvé un but à la douleur. »

Contrairement à ton précédent album solo, Proof Of Life, où tu avais pas mal de collaborateurs et compositeurs, on dirait que cette fois-ci tu as avec toi un groupe de rock plus traditionnel, et tu as écrit et enregistré l’album avec les producteurs Marti Frederiksen et Scott Stevens. Apparemment, la composition et les jams ont été très collaboratifs. Peux-tu nous parler de cette partie du processus ?

Marty, Scott et moi, ainsi que Zac Malloy et Blair Daly, ça fait presque une décennie que nous composons ensemble. Nous sommes comme un groupe, en ce qui concerne notre relation d’écriture et notre façon de créer ensemble. Nous sommes de très bons amis. Notre amitié a atteint un niveau tel que tous les coups sont permis. Il y a une totale franchise. Nous sommes très exigeants les uns avec les autres. C’est tout ce qu’un véritable groupe doit être. C’est comme ça que nous étions en studio. C’est pourquoi j’ai pris la décision ultime d’amener notre relation d’écriture au palier suivant et de permettre à Marty et Scott de coproduire l’album. Car je savais qu’ils allaient être brutalement honnêtes, qu’ils allaient me bousculer, qu’ils allaient me défier, et que ça allait être vraiment comme un groupe qui existe depuis dix ans, rassemblé dans une pièce, avec leur exigence, leurs désaccords, leurs moments où ils ne sont pas sur la même longueur d’onde, etc. Tout ce qu’on peut imaginer qu’un groupe traverserait durant un processus de composition s’est passé durant ce processus. C’était très rafraîchissant et excitant, et c’est quelque chose que j’adore. Nous savions que, peu importe la force de nos désaccords, peu importe à quel point ça deviendrait émotionnel à certains moments, nos amitiés et notre amour les uns pour les autres ne changeraient pas. Quand on a ce genre de dynamique durant un processus créatif, je crois que ça ne peut que mener à notre meilleur travail.

La chanson « Gone Too Soon » parle de tragédies inattendues et du réconfort d’honorer ceux qu’on a perdus. C’était en partie inspiré par les pertes de Chris Cornell et Chester Bennington, mais on peut aussi penser à Scott Weiland et bien d’autres. En voyant tous ces musiciens de rock mourir les uns après les autres durant ces cinq dernières années, est-ce que l’idée que ça aurait pu être toi ou même que tu pourrais être le suivant t’a traversé l’esprit ?

Absolument. C’était clairement un cheminement de pensée qui m’a traversé l’esprit. Après le premier moment de choc, de douleur et de tout ce qui submerge quand on perd quelqu’un qu’on connaît et dont on se soucie, évidemment ces pensées me sont venues à l’esprit. Non seulement ça aurait dû m’arriver… Il y a des moments où je me suis senti extrêmement chanceux d’être encore sur cette Terre. Je sais que maintenant que ça fait cinq ans que je suis sobre, en bonne santé et fort, et que les choses sont rentrées dans l’ordre, ça me rappelle constamment pourquoi je ne veux jamais revenir en arrière. Donc oui, j’ai assurément ressenti ces émotions.

Durant ces années où tu as lutté contre tes démons personnels, la dépression et l’addiction, tout s’est joué publiquement. Comment était-ce de voir tout ça sortir et être commenté dans la presse ? Est-ce que ça a joué un quelconque rôle, accentuant tes problèmes ?

Pendant un temps, oui. Quand tu es dans cette obscurité, l’obscurité perpétue l’obscurité. Donc quand ces choses ont été rendues publiques, au lieu d’utiliser ça comme un catalyseur pour changer, je l’ai utilisé comme une excuse pour continuer. Quand on est dans l’essor de la dépression et de l’addiction, on s’apitoie sur son propre sort. L’addiction, en soi, est une maladie très égocentrique, mais c’est une maladie. C’était une époque difficile et une chose que j’ai apprise, en m’en sortant, est que rien de tout ça n’était en vain. C’est ce dont parle « Purpose For Pain ». Il s’agit de regarder ce bazar et ces périodes et de réaliser maintenant que j’ai un message à porter grâce à ça, que je peux trouver un but à ça, que ce n’était pas tout en vain et que ce n’était pas que des années gâchées. Car pendant longtemps, je voyais ça comme : « Bon sang, j’ai gâché tellement d’années. Il y a tellement de choses que j’aurais pu faire autrement. J’aurais pu faire tellement plus d’albums. J’aurais pu faire ci, j’aurais pu faire ça. Regarde le temps que j’ai perdu. » J’ai réalisé que je devais arrêter de penser à moi et commencer à penser à comment je pourrais utiliser cette expérience pour aider quelqu’un d’autre traversant la même chose. C’est là que le changement a commencé à opérer dans mon esprit. C’est là que mon point de vue a commencé à changer et que j’ai trouvé un but à tout ça. Tout ceci devait se passer afin que je puisse arriver à ce stade où j’ai fait cet album. Je n’aimerais pas revivre tout ça, mais ça s’est produit, et j’y ai trouvé un sens. J’ai trouvé un but qui me dépasse. Quand j’y réfléchis, ça me débarrasse de toute la honte, la gêne, les remords et la culpabilité associés. C’est la beauté d’avoir trouvé un but à la douleur.

On dirait que les autres membres de Creed ont pris leurs distances avec toi à un moment donné, avec le groupe se séparant à cause de tensions entre toi et le reste du groupe. Avec le recul, leur en as-tu voulu de ne t’avoir pas soutenu davantage durant ces moments sombres ou bien tu comprends la façon dont ils ont géré ça ?

Je pense qu’avec le temps et la réflexion vient la maturité. En y repensant… En fait, Mark [Tremonti] et moi avons parlé de ça il y a tout juste un mois au téléphone. Nous ne comprenions pas ce qui se passait à l’époque. Les gens ne parlaient pas de la dépression, de la santé mentale et de l’addiction comme ils le font maintenant. Il y avait donc une vraie naïveté et un vrai manque de compréhension. Ce n’était la faute de personne. Ce n’était tout simplement pas un sujet sur lequel on avait des connaissances. Donc un tas de choses qui ont transpiré et se sont passées ont été mal comprises. Il y avait beaucoup d’incompréhension à cause de choses qui étaient hors de contrôle. Mark et moi sommes tous les deux tombés d’accord là-dessus. Nous sommes dans un bon état d’esprit maintenant, très positif. Quand nous parlons, c’est bien et c’est positif, mais nous avons effectivement abordé cette conversation, et avec le recul, nous avons dit : « Bon sang, si on avait su ce qu’on sait maintenant, les choses auraient été très différentes. » Mais c’est comme ça. Comme je l’ai dit, nos relations sont bonnes, il y a de la compréhension désormais, et c’est tout ce qui compte.

« De nombreuses situations se sont produites durant ces périodes qui auraient dû mener à une autre issue. Je crois donc que c’est seulement par la grâce de Dieu que je suis en vie aujourd’hui. »

La spiritualité est un thème très présent dans l’album et ta foi a joué un grand rôle dans ton parcours. D’ailleurs tu démarres les remerciements dans le livret avec des mots pour Jésus-Christ. Comment ta spiritualité a-t-elle évolué avec le temps ? Remets-tu parfois en question ta foi ?

Absolument. Quand je traversais des périodes sombres dans ma vie et que les choses devenaient hors de contrôle, j’ai clairement eu des moments de remise en question de ma foi. Je pense que c’est parfaitement humain. J’ai eu des moments de colère contre Dieu, où je l’accusais. Avec le recul, en y repensant, c’était la réaction de quelqu’un qui était au beau milieu d’une maladie. C’est très facile de désigner un coupable et de ressentir ça quand on est malade, quand on souffre d’une maladie qu’on ne contrôle pas, mais j’en suis sorti. J’ai vu, a posteriori, comment ma foi, ma spiritualité et ma relation avec Dieu, malgré moi et malgré ces sentiments, m’ont aidé à traverser tout ça. Car, comme je l’ai mentionné plus tôt, de nombreuses situations se sont produites durant ces périodes qui auraient dû mener à une autre issue. Je crois donc que c’est seulement par la grâce de Dieu que je suis en vie aujourd’hui. En parvenant à comprendre ceci, ma foi s’est renouvelée et j’ai une compréhension plus profonde de celle-ci et de sa place dans ma vie. Dieu ne m’a jamais tourné le dos, c’est moi qui me suis détourné de lui, et j’en parle dans « Heaven In Me ».

Dans le livret, tu remercies également Steven Tyler pour t’avoir donné de l’espoir et t’avoir appris à « transmettre ». Peux-tu nous raconter ce que Steven Tyler a fait pour toi ?

En 2010, quand je faisais ma première tentative de rester sobre et de comprendre ce qui clochait chez moi, Steven m’a tendu la main. Nous avons parlé toutes les semaines pendant six semaines par téléphone. Il partageait avec moi son parcours vers la sobriété, sa sagesse et son savoir. Il m’a fallu du temps pour vraiment saisir ce qu’il me disait. Je n’ai pas vraiment tout compris de ce qu’il essayait de partager avec moi et de m’apprendre avant des années plus tard. Puis, une fois que j’ai compris, c’est devenu la chanson « Purpose For Pain », car c’était essentiellement ce qu’il faisait pour moi. Il prenait les périodes sombres de sa vie et ses épreuves, et il les utilisait pour essayer de se lier à moi et de m’aider. Il trouvait donc un but à ses épreuves en m’aidant. Ça a fini par faire tilt dans mon cerveau et ça m’a aidé à commencer à changer ma perspective, qui, encore une fois, m’a amené à écrire la chanson « Purpose For Pain ».

Le véritable point de départ du changement, c’était en 2014, lorsque l’organisation à but non lucratif MusiCares t’a tendu la main. Peux-tu nous en parler ?

J’étais dans un sale état et en crise, et ils ont contacté ma femme qui essayait également de trouver des moments de clarté en moi lui permettant de m’aider. Entre ma femme et MusiCares, dès que j’ai été dans un état où je parvenais à penser clairement, ils ont uni leurs forces et m’ont aidé à intégrer un établissement de soin spécialisé dans deux choses : traiter les conditions sous-jacentes et traiter la toxicomanie et l’alcoolisme. Car plein de gens souffrant de toxicomanie et d’alcoolisme ne font réellement que traiter eux-mêmes des conditions sous-jacentes, comme la dépression, l’anxiété, un trouble bipolaire et d’autres problèmes de santé mentale. Ils m’ont donc amené au bon endroit. J’ai reçu l’aide dont j’avais besoin. Ça fait maintenant cinq ans que je suis sobre et je le dois à ma femme, Jaclyn, et à MusiCares. Je prends les choses au jour le jour. Et au jour le jour, ça s’est transformé en cinq ans, mais je ne pense pas encore être arrivé au bout. Je sais encore où je peux aller. Donc j’essaye d’y aller un jour après l’autre, et j’espère que tous ces jours s’additionneront pour former le reste de ma vie.

Interview réalisée par téléphone le 22 juillet 2019 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Sebastian Smith (1 & 4) & Jenn Curtis (2).

Site officiel de Scott Stapp : scottstapp.com.

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