S’il y a un groupe réputé pour se mettre la pression, c’est bien Septicflesh. A chaque album, c’est une vraie compétition avec eux-mêmes qui se met en place. L’objectif est simple : faire mieux que la fois d’avant. Le processus pour y arriver, lui, est un peu plus compliqué, voire carrément frustrant, à en croire le compositeur, parolier, guitariste et chanteur voix claire Sotiris Vayenas. Et pour le onzième album du combo grec, le moins que l’on puisse dire est que la pression était à son comble. Faire mieux que Codex Omega (2017) était déjà une gageure en soi, mais il fallait aussi honorer la récente signature sur le prestigieux label Nuclear Blast et composer avec une période particulièrement compliquée et pleine d’incertitudes. Heureusement, ce n’est pas le genre de la maison de baisser les bras et Modern Primitive – c’est son nom – n’aura, une fois encore, pas de mal à impressionner.
Nous nous sommes longuement entretenus avec Sotiris afin qu’il nous raconte cette nouvelle étape, rentrant dans les rouages créatifs de Septicflesh. Thématiques incluses : le musicien, qui n’exclut pas à l’avenir de se lancer dans l’écriture de romans, met en effet beaucoup d’efforts et de connaissances dans ses textes, n’hésitant pas à puiser dans l’histoire, les mythes et la philosophie des civilisations anciennes comme actuelles. Surtout, Septicflesh manie plus habillement que jamais le contraste pour appuyer sa fibre dramatique.
« J’ai toujours cru que si on n’avait que de l’obscurité, il n’y aurait pas de puissance. La puissance vient quand l’obscurité rencontre la lumière, c’est ce qui crée une acmé dramatique. C’est le changement qui souligne l’un ou l’autre et crée un pic émotionnel. »
Radio Metal : Pour Modern Primitive, vous aviez une double pression : c’est le premier album chez Nuclear Blast et vous deviez donner suite à Codex Omega qui a été une très grande réussite. Est-ce que ça a nécessité beaucoup d’introspection de la part du groupe pour gérer ça ?
Sotiris Vayenas (guitare & chant) : Nous avions même un troisième fardeau, qui était toute la situation avec la pandémie. Effectivement, quand nous avons commencé à travailler et à créer des idées, que les partitions étaient encore vierges et que nous devions les remplir, la première grosse pression était de surpasser Codex Omega. Quand nous commençons un nouvel album, c’est notre priorité : surpasser le précédent. Cette fois, Codex Omega était un adversaire très dur à battre, parce qu’il contenait énormément d’idées et était très puissant. Nous n’avons cessé d’essayer. Il s’agissait d’être persévérant et de continuer à chercher des idées qui mèneraient à quelque chose de plus intéressant. Heureusement, comme tout le monde dans le groupe contribue à des chansons et des idées, au bout d’un moment, le processus devient plus simple. Ensuite, quand nous avions créé environ quatre-vingts pour cent de la musique, nous sommes entrés en studio pour commencer les enregistrements, et c’est là que toute la situation avec la pandémie a évolué et qu’est venue l’autre pression que j’ai mentionnée. Nous n’avions jamais vécu une telle situation auparavant. Comme nous avons enregistré dans trois studios différents localisés dans trois pays différents, avec plus d’une centaine de musiciens, nous avions de nombreux problèmes à résoudre, surtout pour faire les enregistrements orchestraux qui nécessitaient de regrouper beaucoup de gens, mais aussi les chœurs : on ne peut pas enregistrer des chœurs en portant des masques [rires]. Nous avions aussi les confinements : même moi, je n’ai pas pu me rendre à Athènes depuis Patras pour enregistrer. Il y a eu de nombreux obstacles. Au final, nous avons dû tout replanifier et utiliser le temps supplémentaire que nous avions maintenant à notre disposition pour améliorer l’album.
La situation était ce qu’elle est. Tu dois penser à ce que tu peux faire et non à ce que tu ne peux pas faire. Il y a plein de choses possibles, mais il faut que tu trouves comment tu peux utiliser le temps que tu as à ta disposition pour créer, plutôt que pour te tourner les pouces. Bien sûr, psychologiquement, nous n’allions pas très bien au début, car c’était notre premier album chez Nuclear Blast et nous étions surexcités à l’idée de le faire, donc ça nous a mis vraiment en colère de devoir attendre et tout reporter, mais c’était comme ça. Il fallait accepter la situation et vivre avec. Nous avons essayé de profiter du temps que nous avions. Donc c’est un album qui s’est réalisé sur une longue période de temps, la plus longue de notre carrière, et je pense que ça en fait un album très spécial.
D’un autre côté, dirais-tu que ce groupe est plus créatif sous pression et dans l’adversité ?
Nous sommes têtus et nous voulons la perfection, au point que nous nous nous fichons des obstacles. Nous avons été confrontés à énormément d’obstacles durant notre carrière jusqu’à présent et d’une certaine façon, nous sommes parvenus à les surmonter et nous sommes toujours là, en pleine forme. Dès le premier jour, nous avons dû être persévérants, toujours avancer et trouver des manières alternatives de faire ce que notre art demandait, car au final, il faut être fidèle à son art. Ça dépend du caractère de l’artiste. Dans notre cas, ce qui ne nous a pas tués nous a renforcés. De même, la musique, c’est de l’émotion : tu laisses tes émotions s’accumuler et ensuite, tu crées à partir de ces dernières. Or, bien sûr, toute cette pression a produit des émotions. Je pense que ça vaut pour de nombreux musiciens : je vois plein d’albums sortir en ce moment, durant cette période de stress particulière pour tout le monde, et je vois que tous ces groupes ont créé des œuvres très puissantes. C’est le pouvoir de l’émotion qui passe au travers de créations. C’est quelque chose qui s’est avéré bon pour les albums qui ont été enregistrés. La musique et les paroles font partie de notre art, et nous ne sommes pas des robots, nous sommes des êtres humains et nous avons un lien profond avec notre environnement. Dans notre cas, tout notre mode de vie a changé du jour au lendemain et ce que nous prenions pour acquis ne l’était plus. Nous avons dû apprendre à vivre autrement, c’est-à-dire en maintenant une distance entre les gens et en étant un peu isolés. Nombre de ces émotions ont trouvé une porte d’entrée. Comme nous sommes aussi des artistes qui prospèrent dans les émotions sombres, nous nous sommes retrouvés avec beaucoup de carburant cette fois-ci.
« L’humanité est un oxymore. Il y a des éléments qui s’opposent et le titre de l’album est très révélateur de la psyché humaine. »
Comment êtes-vous parvenus à conserver une cohérence musicale avec un processus aussi chaotique ?
C’était la difficulté, mais nous avons créé la majorité des compositions avant d’entrer en studio. Il y avait donc une base solide sur laquelle construire. Tout n’était pas en suspens. Il nous fallait juste des moments pour accomplir des tâches spécifiques. Evidemment, quand on a plus de temps pour créer, on est tenté de faire des changements sur les chansons et d’écrire d’autres parties. Il y a donc des éléments qui ont été créés pendant la période du Covid-19. Il y a eu de nouvelles idées, donc l’album a évolué en continu. Ce n’est pas quelque chose qui a été mis sur pause et qui a ensuite été enregistré. En conséquence, quelques nouvelles idées sont apparues, mais tout était sous contrôle. Durant la dernière phase, quand nous avions tout enregistré et que nous avons eu le luxe d’écouter les chansons avec tous les éléments, avant de finaliser la production de l’album, c’était très important pour nous de trouver un moment où notre producteur était complètement disponible, sans aucun autre projet, afin que nous puissions nous concentrer sur la dernière partie de la création et avoir une très bonne compréhension de l’œuvre, de façon à ce que le résultat soit bien compact et qu’il n’ait pas l’air disjoint.
Quand on a beaucoup de temps, le risque n’est-il pas justement de trop en faire et de s’éparpiller ?
Comme je l’ai dit, nous avons été tentés de faire des changements, et nous en avons fait qui n’ont pas marché au final, mais comme nous avions déjà ce temps à notre disposition, rien n’a été perdu. Nous avons pris sur notre temps personnel, mais c’est mieux de passer ce temps à essayer qu’à ne rien faire. Au final, nous étions très focalisés et nous savions ce qui marchait le mieux pour les chansons. Les derniers choix que nous avons faits étaient ceux de chansons qui avaient mûri dans notre esprit.
Comme tu l’as dit, tout le monde dans le groupe contribue aux chansons : avez-vous tous les mêmes méthodes ou approches de composition, ou bien y a-t-il des différences majeures entre vous ?
Il y a des différences majeures. En fait, chaque membre du groupe a ses goûts et des spécialités différentes à mettre sur la table. Il y a aussi des moyens d’expression différents qui fonctionnent mieux suivant les gens. En l’occurrence, Seth a créé pas mal de chansons en utilisant une guitare électro-acoustique douze-cordes, parce qu’il voulait avoir ce son naturel et aussi émuler des instruments ethniques traditionnels. Il a eu plein d’idées avec cette façon de créer de la musique, et ces idées ont été incorporées aux chansons et ont été plus tard attribuées à divers instruments. Personnellement, ma guitare est la colonne vertébrale de mon inspiration et je chante quelques lignes avec ma voix claire, je les enregistre et je construis autour. J’ai aussi des parties pour des chœurs en tête. Ensuite, j’utilise le piano ou des samples parce que c’est mieux quand on assemble plusieurs couches. Christos utilise à cent pour cent le piano et les samplers parce qu’il crée tout dès le départ de manière symphonique et écrit des partitions. Au début, il fait des enregistrements avec des instruments émulés, afin que nous puissions saisir la direction générale de ses idées. Ensuite, nous devons déterminer les éléments metal. Je ne connais pas beaucoup de groupes qui ont cette démarche, parce qu’en général, ils font l’inverse. Krimh apporte aussi des riffs, mais ils sont pensés du point de vue d’un batteur, donc ils sont plus rythmiques et modernes, car il vient de la nouvelle génération. Psychon a aussi apporté des idées cette fois. C’est le premier album de Septicflesh où, de guitariste live du groupe, il est devenu membre à plein temps et a mis des idées sur la table. Il a d’ailleurs eu la tâche difficile de trouver les parties metal de la chanson « Coming Storm », qui était un morceau symphonique très difficile qu’a fait Chris. Il s’est très bien débrouillé.
Comme tu vois, tout le monde dans le groupe contribue à sa façon, mais au final, quand nous avons tout, nous discutons et c’est un long processus consistant à faire évoluer les chansons et à essayer différents angles. Souvent, une chanson commence sous une certaine forme, mais elle est constamment modifiée et enrichie. Travailler ainsi est plus exigeant, parce qu’il faut du temps pour absorber la musique. C’est plus facile quand tu es le seul compositeur et que tu dis « c’est ça ». C’est moins facile quand tu fais tout le temps des changements. C’est aussi le cas des textes, puisqu’au départ, la structure de la chanson n’est pas très stable, je dois constamment changer les paroles. Je dois essayer de les modifier, tout en conservant le sens et en faisant en sorte qu’elles soient adaptées au fait d’être chantées.
« On dirait qu’il y a un mécanisme caché à l’intérieur de notre cerveau. Quand on essaye de se surpasser, il y a un fusible qui grille et toute la structure s’effondre. Je ne sais pas si c’est un défaut dans la nature humaine. »
Est-ce que Psychon s’est facilement intégré à la relation créative de longue date que Seth, Christos et toi aviez ?
Nous étions très surpris de constater que les créations de Psychon étaient à cent pour cent du Septicflesh. On dirait que toutes ces années à jouer des chansons de Septicflesh a injecté la vision du groupe dans ses veines. Il y a des parties qui auraient facilement pu avoir été créées par Seth, Christos ou moi. Psychon est un musicien très instruit, pas seulement en termes de guitare, mais aussi de connaissance en matière de production, ce qui nous a été très utile. C’est pourquoi, à la fin, je suis allé en Suède avec Psychon pour travailler avec Jens Bogren sur la dernière partie du processus, c’est-à-dire ajouter les touches finales pour la production sur les chansons. Ses connaissances en la matière sont très précieuses, parce que grâce à ça, nous avons pu faire des choix suivant nos préférences, car parfois les guitares ou les éléments orchestraux devaient être retirés. Il a aussi eu des idées qu’il nous a présentées à partir de samplers et de sons qu’il avait faits pour l’album afin de nous donner son point de vue.
Ce qui était très étrange pour moi… Il est gaucher et je suis droitier, donc nous avons décidé que je ferais la majorité des enregistrements de l’album. Autrement, il nous aurait fallu différentes guitares avec différentes cordes. C’était plus facile que je m’occupe des enregistrements. Donc j’ai dû apprendre ses parties et étudier sa façon de penser pour les chansons. Il a un style de jeu différent, en utilisant une variété de riffs. Comme les chansons avaient plein de changements dans les mélodies, il y avait aussi plein de changements dans la manière de jouer les riffs. C’est intéressant de voir ce type d’approche différente des riffs de Septicflesh. Si je n’avais pas moi-même enregistré, je n’aurais pas eu la chance de voir les spécificités de son jeu.
L’album s’intitule Modern Primitive. Ce sont deux termes contradictoires : dans quelle mesure est-ce que l’idée de contraste était un élément majeur lors de la conception de cet album ?
Le contraste, c’est notre force dans Septicflesh. Symphonique et death metal : du contraste. J’ai toujours cru que si on n’avait que de l’obscurité, il n’y aurait pas de puissance. La puissance vient quand l’obscurité rencontre la lumière, c’est ce qui crée une acmé dramatique. C’est le changement qui souligne l’un ou l’autre et crée un pic émotionnel. C’est donc très important pour nous, en tant que musiciens, de créer des extrêmes et des sommets. Nous ne voulons pas créer quelque chose de plat, avec moins de puissance. Ça vaut aussi pour les textes. J’essaye toujours de faire en sorte qu’ils soient intéressants et utilisent une variété de symboles. Je suis ouvert d’esprit et je n’ai pas de limitations particulières, donc je peux toucher à toutes les époques. Bien sûr, je puise dans le passé et les civilisations anciennes, mais je regarde aussi vers l’avenir. Pour moi, l’humanité est un oxymore. Il y a des éléments qui s’opposent et le titre de l’album est très révélateur de la psyché humaine. C’est aussi révélateur des temps actuels, car on vit dans une époque moderne, on peut faire plein de choses qui étaient impossibles dans le passé, mais l’esprit des êtres humains semble coincé dans un mode de pensée plus primitif. Les réactions à des événements où il est question de survie sont de plus en plus primitives. On dirait un cercle où on est en train de revenir en arrière dans l’évolution. Je pense que c’est la partie la plus complexe et l’idée la plus importante de l’album Modern Primitive.
On dirait que le chant clair – que ce soit le tien qui prend diverses formes, les vocalisations féminines ou les chœurs – prend une place un peu plus importante dans cet album. Etait-ce une manière d’accentuer les contrastes entre les émotions humaines et les parties plus sombres et inhumaines ?
En effet. C’est un fait, et c’est aussi pourquoi nous avons utilisé plus largement cette fois le chœur d’enfants. Nous en avions déjà utilisé un par le passé sur des passages précis, mais cette fois, il est plus prédominant et on peut l’entendre dans de nombreuses chansons, comme « A Desert Throne » et « Modern Primitives ». Le facteur humain, le fait qu’il ne soit pas vraiment parfait, c’est la force du chœur d’enfants et il offre beaucoup de contraste et d’émotions quand on le combine aux parties brutales du chant, des rythmes et des guitares. C’est un peu comme le calme avant la tempête. Il y a cet effet de quelque chose qui se prépare, ça nous met en condition pour l’explosion qui arrive. C’est aussi un élément plus cinématographique qui nous donne la possibilité d’être plus dramatiques, et nous adorons avoir cet aspect dans notre son.
« Si tu veux être connecté à d’autres gens, tu dois passer par la technologie, mais tu dois l’utiliser et ne pas te faire utiliser par elle. »
Concernant la place prise par mon chant, c’est Seth qui en est responsable, parce qu’il a tout de suite eu des idées pour mon type de voix. Il m’a donné ses idées de lignes de chant dans certaines chansons, comme « Hierophant », par exemple. Il m’a proposé pas mal de choses. Il a aussi pris en compte mes propres idées de chant clair pour les chansons. Donc progressivement, je me suis retrouvé a enregistrer pas mal de lignes vocales. Le chant clair n’est pas quelque chose que nous estimons être obligés de faire. Nous le faisons seulement quand nous le jugeons nécessaire pour une chanson, quand il élève celle-ci et lui offre un contraste émotionnel vraiment intense. Il y avait pas mal de place dans cet album, vu aussi qu’il sonne plus naturel, avec plein d’instruments traditionnels, les chœurs et les instruments classiques. En fait, parfois, nous avons tellement d’armes à notre disposition que nous devons décider laquelle jouera ou chantera telle partie. En l’occurrence, par le passé, il m’est arrivé de donner une ligne vocale que j’avais en tête à un chœur, car nous trouvions que c’était mieux pour l’atmosphère. C’est une prise de décision qui se base sur l’émotion et l’atmosphère de la chanson. C’est ce qui affecte au final la quantité de chant clair qu’aura un album de Septicflesh.
Tu as mentionné l’idée de cercle ou de cycle derrière le titre de Modern Primitive : penses-tu que toute société ou tout empire est voué à atteindre un apogée et à ensuite retourner à son état primitif ?
On dirait que c’est un mécanisme caché à l’intérieur de notre cerveau. Quand on essaye de se surpasser, il y a un fusible qui grille et toute la structure s’effondre. Je ne sais pas si c’est un défaut dans la nature humaine. Cependant, le problème est que, comme tu le mentionnes, il y a des cycles de bonnes et mauvaises choses. Quand on entre dans un plus vaste cercle de pouvoir, ça devient pire, car si on échoue, la destruction se répand plus largement et au final, elle ne peut pas être inversée. Arrive un moment où, soit on fait des changements et on apprend de ses erreurs, soit on disparaît. Il est évident qu’on est dans une situation très critique aujourd’hui. C’est comme si on pouvait entendre le tic-tac de l’horloge de la fin du monde. Je ne sais pas comment vont évoluer les choses, mais je sais qu’il y a une sorte d’alarme pour nous et qu’on doit faire quelque chose immédiatement. Il n’y a pas de temps à perdre. Et ça touche tous les domaines, car les actions – ou leur absence – sont le problème. Les actions ou le manque d’action déterminent qui accède au pouvoir, ce qu’ils font et leur marge de manœuvre, mais on est également nous-mêmes fautifs, c’est un cercle. C’est aussi une question d’éducation. Grâce à l’éducation, on construit la prochaine génération de façon à ce qu’elle s’affirme ou alors devienne comme des plantes vertes qui attendent qu’on leur donne de l’eau pour grandir, sans esprit fort et indépendant, et à qui il suffit de donner des saloperies à manger. Quand on fait partie de la société et qu’on fonde sa propre famille, chacun d’entre nous est responsable de rendre ses enfants capables de faire du bien à l’humanité, sans être des robots biologiques passifs. Il faut donc commencer par soi-même et progressivement bâtir à son échelle, car on ne peut pas le faire pour tout le monde.
A propos de la chanson « Neuromancer », tu as déclaré que ça se déroule « dans une société technologiquement avancée, où la morale décline et où les crimes prospèrent ». Dirais-tu que la technologie devient synonyme de décadence à un moment donné ?
Oui, en effet. Mais c’est un autre type de décadence. C’est comme avoir Rome dans le cybermonde [petits rires]. C’est quand tout est possible, mais des actes odieux ont lieu. Cette chanson est une référence directe à la création cyberpunk de William Gibson, l’un des pionniers du genre. On dirait que la science-fiction a tendance à devenir réalité à un moment donné. D’un autre côté, la technologie est un mal nécessaire [rires]. La technologie nous donne des moyens alternatifs pour faire ce qu’on veut, mais c’est un outil, ce n’est pas quelque chose qui doit prendre le contrôle sur nous. Tel est, pour moi, le discernement qu’on doit avoir, peu importe ce qu’on fait. On peut facilement passer de maître à esclave, et la technologie permet, à nous comme aux autres, de gagner du pouvoir, donc il faut la manipuler avec précaution. Il faut être conscient des conséquences si on fait un mauvais usage de la connaissance et des moyens modernes à notre portée. Il faut aussi faire très attention parce que d’autres gens essaieront de vous diriger au travers de ces moyens modernes. Si tu veux être connecté à d’autres gens, tu dois passer par la technologie, mais tu dois l’utiliser et ne pas te faire utiliser par elle.
Les chansons « Hierophant » et « Self-Eater » forment une histoire en deux parties baptisée Salvation. Comment en es-tu venu à imaginer ça ?
C’est la seconde histoire de l’album. J’ai aussi créé une histoire pour la première chanson, « The Collector ». J’avais deux histoires cette fois. Pour la seconde, donc celle de Salvation, j’ai eu la chance de pouvoir l’étendre sur les deux morceaux que tu as mentionnés, car ils ont été créés simultanément et ils ont un lien très fort, y compris musicalement. Vous découvrirez que le chœur d’enfants dans « Self-Eater » chante la mélodie principale de « Hierophant » mais de manière modifiée, car elle devient plus sombre. Il y a donc un lien très fort entre les deux chansons, ce qui m’a permis de faire une histoire plus complète. Généralement, je suis limité avec les paroles, car je ne peux pas raconter beaucoup de choses, ou alors nous nous retrouverions avec des chansons à rallonge comme Iron Maiden [rires]. J’ai donc dû répartir les paroles et les diviser en fonction du personnage.
« Quand on vit en Grèce, on a tout autour de soi plein d’anciens bâtiments qui sont toujours debout. On est affecté rien qu’en les voyant et son imagination se perd facilement dedans. »
Sur la première chanson, « Hierophant », on a le protagoniste de l’histoire qui a éprouvé un authentique besoin d’être en lien avec son dieu. Il a suivi une voie qui l’a mené à être prêtre – l’hiérophante est en fait un prêtre dans la Grèce antique. Il a appris à prononcer la parole du clergé, à accomplir les rituels, etc. mais il ressentait un vide parce que son besoin n’était pas de devenir un acteur, c’était de devenir un pont de chair et de sang entre la Terre et les cieux. Comme son vrai besoin n’a pas été comblé, il s’est tourné vers d’autres voies. Il a utilisé tous les moyens qu’il pouvait trouver afin de satisfaire son désir. C’est là qu’apparaît une force primitive de feu, et le feu brûle, éradique et transforme, d’une certaine façon. C’est la seconde partie, « Self-Eater », qui est le nom de cette entité. Dans la première chanson, elle a plein de noms, alors que Self-Eater est un nom plus général. Ensuite, il faudra lire l’histoire pour en savoir plus. J’aime faire des récits comme ça. Je note toujours des idées que je trouve et j’attends la bonne opportunité pour les apporter à Septicflesh.
Le prêtre se met donc à accomplir des rituels primitifs puissants et une part importante de l’histoire, c’est le fait qu’il s’efforce d’atteindre quelque chose de très important pour lui. A cet égard, te reconnais-tu dans le personnage de l’hiérophante, d’une certaine façon ?
Quand je crée une histoire, j’essaye de me mettre dans la peau de mon personnage. Je trouve ça intéressant de changer de point de vue. Je ne suis pas du genre à jeter la première pierre, car je comprends que tout le monde a ses motivations et des besoins différents. Dans cette chanson, j’ai essayé de penser comme si j’étais l’hiérophante. Je pense que tout le monde peut devenir comme cet hiérophante. Au lieu d’essayer de se connecter à Dieu, tout le monde a des obsessions différentes. Il s’agit de nos poisons, on peut dire. Tout le monde a quelque chose de tellement important pour lui qu’il pourrait probablement tout faire pour l’obtenir.
Tu as mentionné l’autre histoire, celle de « The Collector », peux-tu nous en parler un petit peu ?
L’histoire de « The Collector » parle de quelqu’un qui essaye de trouver les reliques occultes qui représentent des morceaux d’Osiris. Pour ceux qui ne savent pas, Osiris a été trahi par [son frère] Seth et a été tué. Seth, afin d’éviter qu’il revienne à la vie, l’a démembré et a dispersé tous les morceaux dans divers endroits [d’Egypte]. Au final, tous les morceaux, à l’exception [de son phallus mangé par des poissons], ont été retrouvés [par Isis, la sœur et épouse d’Osiris], et ainsi Osiris a pu revenir d’entre les morts. C’est l’une des plus anciennes références à la résurrection, avant l’histoire chrétienne survenue plus tard. Le collectionneur pense que si on parvient à récupérer tous ces pièces en lien avec Osiris et à les rassembler, il pourra devenir immortel, tel un dieu.
De toute évidence, une chanson ne suffisait pas pour développer l’histoire de Salvation : est-ce que ça peut devenir compliqué de faire rentrer le fruit de votre imagination – que ce soit en termes de paroles ou de musique – dans le format limité d’une chanson ou même d’un album ?
Comme tu le dis, nous avons un format limité et, à la fois, tellement de choses à dire et à créer, mais c’est ainsi, car quand on fait de la musique et des textes, on ne fait pas un roman où on a autant d’espace qu’on veut. Au final, il s’agit de garder l’essence. Il faut se focaliser pour trouver les parties essentielles de la musique et des textes, et tout ce qui n’est pas essentiel doit être écarté. C’est aussi simple que ça. C’était un privilège pour moi d’avoir deux chansons pour raconter l’histoire, car en l’occurrence, pour « The Collector », je n’avais pas ce luxe, donc l’histoire n’est pas racontée en détail, ce n’est qu’un aperçu. J’ai toujours dans un coin de ma tête qu’un jour j’écrirai des romans à partir des histoires que j’ai imaginées durant toutes ces années et que je n’ai pas pu raconter en détail. J’aime aussi le fait que quand j’écris quelque chose sous cette forme limitée dans un album de Septicflesh, plein de gens sont curieux de découvrir de quoi il s’agit et ils créent leurs propres fins alternatives et leurs propres éléments de l’histoire pour la compléter. C’est très bien, parce qu’ainsi, le public n’est pas passif et participe à la création, j’aime ça !
« Être constamment en compétition avec nous-mêmes est très frustrant, car c’est difficile de se battre contre soi-même, d’autant que nous sommes très durs avec nous-mêmes. Nous allons vraiment au-delà de nos limites. »
N’avez-vous jamais songé à aller sur un terrain beaucoup plus progressif avec de plus grandes longueurs de chansons ou bien est-ce important de conserver une forme de concision ?
La façon dont nous travaillons est déjà suffisamment complexe. Ça nous tuerait de créer une telle chanson, longue et conceptuelle ! [Rires] ça nous demanderait énormément de temps. C’est la raison pour laquelle nous ne l’avons jamais tenté. Ceci dit, ce serait très sympa d’essayer de le faire à un moment donné, mais il est clair que ça nous tuerait. Nous aimons les défis, bien sûr, mais nous aimerions aussi créer des albums plus fréquemment [rires]. Nous n’avons pas envie de perdre beaucoup de temps maintenant pour le prochain album, car si nous faisions une telle chanson, il est clair que nous aurions besoin de cinq ans de plus pour en venir à bout.
L’idée d’écrire un roman, c’est un véritable projet que tu as ?
Oui, c’est ce que je voulais dire. Arrivera un moment où je consacrerai moins temps à Septicflesh, parce que je serai trop vieux [rires], donc je pense que ce sera le bon moment pour que je me concentre sur l’écriture, le fait de créer des histoires et d’écrire des livres. Il faudra que j’attende d’être vieux pour le faire, mais je peux toujours commencer modestement et créer un petit roman à partir de quelque chose sur lequel j’ai déjà travaillé durant toutes ces années. Ce serait juste pour m’amuser, je ne m’attends pas à devenir Stephen King. C’est juste une occasion de créer quelque chose dans un autre format, parce que quand on crée un roman, c’est différent, il y a des règles auxquelles il faut penser concernant l’évolution du personnage, l’histoire, la chronologie, etc. C’est donc un autre type de défi que lorsqu’on écrit des paroles. Je trouve que c’est très intéressant. Le seul problème est que quand je commence à écrire, je suis vraiment obsessionnel, donc je vais devenir comme un moine enfermé dans le grenier à écrire. C’est ce dont j’ai peur plus que tout, mais c’est quelque chose que j’aurai envie de faire à un moment donné. J’essaierai au moins une histoire pour voir comment ça se passe.
Seth a mentionné des mélodies qui rappelaient des chants mystiques d’anciennes civilisations dans « Hierophant », et le côté ritualiste et ancien a toujours fait partie de Septicflesh. Ressens-tu un lien, peut-être spirituel, avec ces anciennes civilisations que vous canalisez dans votre musique ?
Oui, c’est un fait. Il y a une étrange force et une connexion qui viennent naturellement. Ce n’est pas quelque chose que nous nous efforçons d’obtenir. C’est un peu magique. Nous permettons toujours à ce flux d’énergie de ressortir dans notre art. Dès mon jeune âge, j’ai développé un fort intérêt pour les civilisations anciennes. En fait, ma mère était enseignante et à la maison, nous avions une grande bibliothèque avec plein de livres d’histoire sur les civilisations, dont la grecque bien sûr, sur les philosophes, etc. J’avais donc beaucoup de matière pour étudier. En plus, quand on vit en Grèce, on a tout autour de soi plein d’anciens bâtiments qui sont toujours debout. On est affecté rien qu’en les voyant et son imagination se perd facilement dedans. Ça s’est donc développé en moi très tôt et je n’ai pas arrêté de chercher des sources et du contenu en étudiant. Je trouve ça très intéressant.
Dans l’introduction de « The Collector », la chanson d’ouverture, on peut ressentir vos racines grecques : as-tu l’impression que Septicflesh s’inscrit dans l’histoire et la longue lignée artistique de votre pays ?
Oui, mais nous ne faisons pas seulement partie de l’histoire de la Grèce, car nous trouvons aussi d’autres civilisations très intéressantes. D’ailleurs, toutes les civilisations sont interconnectées, car même dans le passé, quand une civilisation en rencontrait une autre, elles s’échangeaient des idées, et ces idées s’intégraient dans leurs systèmes respectifs, donc on peut trouver des points communs entre des civilisations très éloignées. C’est une notion très intéressante. Il y a aussi des civilisations encore plus anciennes que la grecque qui sont très intéressantes, comme la sumérienne – nous avons aussi créé des chansons sur les Sumériens par le passé – ou l’égyptienne qui est aussi très importante, et d’autres. L’humanité a une riche histoire et c’est quelque chose que nous adorons explorer. Mais tu as raison, surtout dans cette première chanson, l’intro possède des éléments musicaux très grecs. Ça fait partie de nous. Cette chanson a été composée par Seth. Comme je te l’ai dit tout à l’heure, il a utilisé la guitare douze-cordes et ce type de guitare permet toujours d’émuler certains instruments traditionnels grecs, donc nous avions une référence très claire pour ce qu’il souhaitait. C’est aussi facile pour nous de créer ce type d’émotion, vu que c’est ancré en nous.
« Indépendamment de la phase dans laquelle on est, le plus important est d’être fidèle à ses émotions. Pour nous, c’est la clé qui libère notre potentiel. »
Penses-tu qu’on devrait davantage apprendre des anciennes civilisations ?
Même si on n’essaye pas d’apprendre, beaucoup de choses que l’on fait aujourd’hui sont une continuation ou ont un lien avec le passé. Si on ne connaît pas le lien, on se contente de faire, sans savoir d’où ça vient et comment ça a été dénaturé, car à mesure que le temps passe, le sens initial n’a de cesse d’être déformé – je te dis quelque chose, tu le répètes à un ami, il le répète à quelqu’un d’autre, etc., donc progressivement, ce que j’ai dit au départ n’a de cesse de changer, et ça devient très différent. Si on veut avoir une vision claire du véritable lien et sens de nombreuses choses, il faut regarder dans le passé.
Tu as dit au début que quand vous commencez un nouvel album, votre priorité est de surpasser le précédent. Avez-vous l’impression d’être constamment en compétition avec vous-mêmes ?
Oui, et c’est très frustrant pour nous, car c’est difficile de se battre contre soi-même, d’autant que nous sommes très durs avec nous-mêmes. Nous allons vraiment au-delà de nos limites. Surtout quand nous avons créé Codex Omega, nous avons tous ressenti que c’était véritablement une phase créative de premier ordre pour Septicflesh et que ce serait un adversaire difficile à battre. Et maintenant, nous avons créé Modern Primitive, un autre adversaire difficile pour le futur. Au bout d’un moment, tu commences à te dire : « Qu’est-ce que je peux faire maintenant ? Comment puis-je encore repousser mes limites ? » [Rires] C’est aussi douloureux pour soi, car on ne peut pas se reposer. Quand on termine quelque chose, son esprit se tourne vers la phase suivante, mais cette forme de perfectionnisme est quelque chose qui fait partie de notre personnalité à tous dans Septicflesh et qui ressort naturellement. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus facile, mais c’est ainsi.
D’un autre côté, pourquoi toujours avoir comme but de faire « mieux » ? Pourquoi ne pas essayer de faire « différent » à la place ? Je veux dire que vous vous heurterez probablement à un plafond de verre un jour…
Différent ne veut pas dire mieux, et si on ne fait que changer, à un moment donné, on s’égare. C’est très important quand on a construit quelque chose d’emmener sa contribution au niveau suivant, car autrement, ce serait comme détruire son propre bâtiment pour le reconstruire ; ou comme brûler Rome pour construire une nouvelle Rome. C’est un peu contre-productif, c’est le moins qu’on puisse dire. C’est mieux de réfléchir sur la façon dont on peut améliorer les choses. De même, quand on a plein de gens qui apportent des idées dans le groupe, c’est très important d’avoir l’assurance qu’à un moment donné, si on n’est soi-même pas capable de monter le niveau, quelqu’un d’autre dans le groupe le sera. Les membres se motivent les uns les autres et cette lutte pour trouver des idées produit un résultat. Bien sûr, c’est aussi une question d’instinct et d’inspiration, au final, car peu importe comment tu essayes, peu importe ton intention, tu dois être inspiré pour créer quelque chose de très bon. Ça nous rappelle qu’indépendamment de la phase dans laquelle on est, le plus important est d’être fidèle à ses émotions. Pour nous, c’est la clé qui libère notre potentiel, car si tu restes scotché à un riff donné que tu as eu par le passé, ou à une mélodie particulière, ou à ce que les gens attendent de toi, ou ce genre de pensée, tu es condamné. La clé, c’est donc de rester focalisé sur tes émotions. Quand on crée et qu’on trouve quelque chose qui nous donne la chair de poule et que notre instinct nous dit que c’est ça, il faut se concentrer à cent pour cent là-dessus, peu importe le moyen. Alors les bonnes idées ont tendance à amener d’autres bonnes idées. Quand on a rassemblé plein de bonnes idées, on a les premiers ingrédients pour réaliser quelque chose de très bien. Inversement, si on a des idées et qu’on s’y attache juste parce que ce sont les nôtres et que notre égo se met au-dessus de notre objectivité, alors on a un problème, car les mauvaises idées ont tendance à ramener d’autres mauvaises idées [rires]. C’est la différence entre faire quelque chose de très bon ou quelque chose de pas si bon que ça.
« Quand nous avons décidé d’incorporer l’élément symphonique, ça voulait dire que le son aurait dès le départ des spécificités et des règles, et si tu brises les règles, tu obtiens de mauvais résultats. »
Tu as dit que si on change, on s’égare. Quand on regarde votre discographie, il vous est arrivé de changer, comme sur Revolution DNA. Penses-tu que sur un tel album, vous vous êtes égarés ?
Parfois, c’est bien de tenter quelque chose de radical, mais pas tout le temps. C’est bien quand tes idées t’emmènent dans cette direction, parce que lorsque nous avons créé Revolution DNA, nous n’avions pas du tout l’intention de briser les règles de Septicflesh. Les chansons sont naturellement venues comme ça. Nous n’avons pas dit : « Faisons des changements radicaux avec Septicflesh. » C’était aussi révélateur de l’époque et de ce que nous écoutions à ce moment-là, car nous sommes aussi des fans de musique au sens large et nous sommes affectés par l’évolution de la musique. Quand on tombe sur une évolution vraiment intéressante, on se dit : « Essayons d’expérimenter dans cette direction. » Je ne suis jamais déçu par les expérimentations. De même, quand on expérimente, même si ce n’est pas une totale réussite, ça permet de retrouver son centre d’attention, car au moins ça a été fait. Tu te dis : « D’accord, j’ai fait ceci, mais ce qui m’intéresse principalement, c’est cela. » Et tu reviens l’esprit clair, sans toutes ces questions qui te taraudaient, car tu y as répondu. Mais si tu changes sans arrêt, c’est-à-dire que tu n’expérimentes pas juste quand tu te sens de le faire – par exemple, si tu dis « faisons du jazz sur le prochain album », « faisons du death metal hip-hop », etc. – tu finis par te mettre dans un programme, ce n’est plus vraiment de l’expérimentation, tu le fais juste pour le faire. A mon avis, ce n’est pas de l’expérimentation saine. Mais bien sûr, c’est mon avis. Chaque artiste a sa propre attitude à cet égard.
Durant les quinze dernières années, vous êtes restés fidèles à une certaine ligne musicale, vos albums sont restés dans une même veine. Est-ce que ça veut dire que vous n’avez pas vu de nouvelle évolution intéressante en musique qui vous aurait donné envie d’expérimenter ?
Quand nous avons pleinement incorporé l’élément symphonique dans notre musique, nous avons ouvert d’innombrables portes à explorer. De même, ce type de combinaison avec les éléments symphoniques requiert une approche particulière avec les guitares. C’est une question de production et de fréquences. On ne peut pas faire des parties qui se mangent mutuellement. Au final, il faut faire des choix car, en l’occurrence, si tu fais des lignes mélodiques à deux guitares qui jouent en même temps que trois sections de violons et de cuivres différentes, tu écrases la batterie, le chanteur, et tu brises l’équilibre. C’est mieux de faire un choix et de dire que telle mélodie est jouée par une guitare, telle mélodie par les cuivres, les violons ou un chœur, et de répartir les fréquences, plutôt que d’essayer de faire des expériences qui ne marchent pas. Quand nous avons décidé d’incorporer l’élément symphonique, ça voulait dire que le son aurait dès le départ des spécificités et des règles, et si tu brises les règles, tu obtiens de mauvais résultats. Ça ne veut pas dire que nous n’expérimentons pas avec la musique. Je pense que le son global est ce qui donne l’impression que la seconde période du groupe est plus focalisée sur une direction particulière, mais d’un album à l’autre, vous trouverez des chansons et approches relativement différentes, y compris au sein d’un même album. Par exemple, dans Modern Primitive, vous trouverez une chanson comme « Hierophant » qui est plus ritualiste et qui se consacre du début à la fin à une atmosphère donnée, mais vous trouverez aussi des chansons comme « Coming Storm » qui est un véritable voyage aller-retour entre l’enfer et le paradis, avec différentes ambiances, différents tempos, beaucoup de complexité et d’expérimentation. Nous n’aurions pas une chanson comme celle-ci si nous n’étions pas disposés à expérimenter.
En parlant de mariage entre les deux éléments, le symphonique et le metal, tu as déclaré que vous aviez essayé beaucoup de choses qui n’avaient pas marché au début…
Oui, trouver ce qui ne marche pas fait partie du processus, parce que quand tu l’as en tête, c’est très clair, mais quand tu essayes de l’enregistrer, c’est différent. Parfois, les choses ne fonctionnent pas dans la réalité comme on les a imaginées. En l’occurrence, c’est comme je l’ai dit, certaines fréquences empiètent les unes sur les autres et tu entends que quelque chose ne va pas, ça ne sonne pas comme tu l’entendais dans ta tête. Quand tu ne ressens pas l’émotion, ça ne peut pas fonctionner. C’est ce que je t’ai dit à propos de l’instinct et de l’émotion. C’est ce que nous regardons quand nous disons que ça ne fonctionne pas. Peut-être que trois ans plus tard ça fonctionnera, mais sur le moment, ça ne fonctionne pas comme prévu. Mais ce qui ne fonctionne pas participe au processus et il ne reste plus qu’à trouver une solution alternative qui fait que la composition fonctionne. Parfois – et je pense que ça vaut pour n’importe quel musicien – on crée une partie qui, seule, sonne extraordinairement bien, mais quand tu l’écoutes intégrée à l’ensemble de la structure de la chanson, quelque chose ne va pas, probablement parce qu’elle a une autre atmosphère ou un autre tempo. Donc parfois, c’est mieux d’avoir quelque chose qui est connecté à l’ensemble plutôt que l’inverse. Autrement, si on assemble plein de parties déconnectées, on perd en puissance.
Interview réalisée par téléphone le 10 mai 2022 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Stella Mouzi.
Site officiel de Septicflesh : www.septicflesh.com
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Sotiris a ce talent fascinant de répondre intelligemment à des questions idiotes.
Tiens, je serais curieux de savoir quelles questions tu trouves idiotes et pourquoi ?
Moi je suis d’accord avec Kerast !!! Haha <3 <3