Après avoir traversé ce qu’une majorité du public reconnaît comme étant une période de creux suite au départ de Max Cavalera, il devient difficilement tenable aujourd’hui de continuer à ignorer la remontée en puissance de Sepultura depuis dix ans, et particulièrement depuis l’arrivée du monstrueux Eloy Casagrande derrière les futs, qui semble avoir donné un coup de fouet monumental à la bande d’Andreas Kisser. The Mediator Between Head And Hands Must Be The Heart en 2013 était proche du coup de maître. Sepultura a pris le temps, à la fois de le défendre sur scène et le digérer, et revient quatre ans plus tard pour lui offrir un successeur qui, disons-le tout de suite, place la barre encore plus haut.
Machine Messiah, thématiquement tout du moins, en est d’ailleurs la suite directe. Là où The Mediator était inspiré par le film Metropolis, renvoyant à un monde déshumanisé par la technologie, Machine Messiah va jusqu’à donner une envergure religieuse à la technologie qui régit notre vie et inhibe nos facultés humaines. Il y a là une critique forte, non pas nécessairement de la technologie elle-même, mais de notre capitulation face à celle-ci. Alors, là où, de par la thématique et le titre de l’album qui nous font immédiatement penser au cyber metal de Fear Factory, on s’attenderait à un Sepultura empiétant sur le monde des musiques industrielles, c’est en réalité tout le contraire qui se produit. Quoi de mieux pour dénoncer la robotisation de notre société que de mettre l’humain en avant ? Machine Messiah est un album organique, vivant, jusque dans la production de Jens Bogren qui prend soin de ne pas dénaturer les instruments, sans pour autant en brider la puissance de l’expression, loin s’en faut.
Mais si Machine Messiah interpelle, c’est avant tout par ses partis pris musicaux osés et ambitieux. Le premier single dévoilé, « I Am The Enemy », était loin de dévoiler les secrets de l’opus, sous ses à peine plus de deux minutes de brutalité pure. Mais la chanson prend tout son sens à la suite du titre éponyme qui introduit lentement l’album dans une atmosphère d’abord vaporeuse, mettant l’auditeur en suspens, guidé par le chant clair de Derrick Green, montant progressivement en puissance jusqu’à l’explosion. Sepultura surprend, voire déstabilise, d’entrée de jeu. Et ça ne fait que commencer. Les voilà qu’ils sortent des violons tunisiens, injectant leurs mélodies arabisantes à « Phantom Self » et s’adonnant à des questions réponses avec les leads de guitare. Surtout, « Phantom Self », avec son refrain porté par le furieux groove de Casagrande, se révèle en hit qui n’aurait pas à rougir à côté d’un « Refuse/Resist ». Les violons reprennent du service un peu plus loin, sur « Sworn Oath » puis « Resistant Parasites », cette fois plus massifs, appuyant la portée épique des chansons, qui frise le progressif dans le cas de la première. Mais ce n’est rien en comparaison de l’instrumentale « Iceberg Dances », jouissif étalage de riffage et de technique (quatre minutes de démonstration de batterie à faire pâlir Dream Theater), sans arrêt en mouvement. Un orgue Hammond par-ci, rythmes brésiliens par-là, une section latine acoustique… Un grand gloubi-boulga qui se tient miraculeusement et laisse l’auditeur pantois.
Le verdict est très vite une évidence, Sepultura se surpasse et ne finit pas de nous étonner, que ce soit encore avec les dissonances énigmatiques d’ « Alethea », la guitare sitar de « Resistant Parasites », le chant mélodique de Green qui revient sur « Vandals Nest » ou sur l’inquiétant « Cyber God », les rythmes martiaux-tribaux de ce dernier… Casagrande est époustouflant dans son alliance de rythmes thrash et groove tribal (« Silent Violence »). Andreas Kisser se voit pousser des ailes tout au long de l’album, envoyant une tornade de riffs et leads bien sentis. Derrick Green exploite comme jamais le large éventail de ses capacités, tour à tour terrifiant, sournois ou apaisant. Et Paulo Jr., qui n’a jamais été un grand technicien, parvient au moins à suivre la cadence. Machine Messiah, c’est quelque part, la victoire de l’homme sur la machine, démontrant ce dont celui-ci est capable à force de travail, de persévérance et de talent. Il va falloir se faire une raison, en 2017, Sepultura est grand et offre ni plus ni moins que son meilleur album depuis Chaos A.D.. Rien que ça.
Clip vidéo de la chanson « Phantom Self » :
Lyric video de la chanson « I Am The Enemy » :
Album Machine Messiah, sortie le 13 janvier 2017 via Nuclear Blast. Disponible à l’achat ici.
Rien que le titre « Phantom Self » est bluffant et justifie une peu d’attention sur cet album.
Le docu en bonus du digipack est intéressant: les brésiliens en Suède pour l’enregistrement.
Toujours cette envie de métisser sa musique avec d’autre horizons.
Les interventions de l’orchestre sont géniales.
Carton plein.
[Reply]
Superbe album ! RIEN A JETER !! Et super production aussi ! Bravo et respect !!
[Reply]
N’est-ce pas le meilleur album depuis Chaos A.D. Dante XXI est meilleur.
[Reply]
Quelques petits passages légèrement confus dans cette critique mais l’ensemble est plutôt sympas à lire 🙂
Content que la critique soit bonne, l’album s’annonce plutôt bien. Les titres dévoilés sont vraiment solides, le thème est hyper alléchant, l’artwork dérangeant au possible (à l’image d’un Arise ou d’un Seventh Son).
Vivement le 13 janvier ^^
[Reply]