Sepultura est à l’aube d’un nouveau cycle. La tournée de l’ambitieux Machine Messiah (2017) a poussé les musiciens dans leurs retranchements, ayant pour résultat l’ouverture d’un nouvel éventail de possibilités. Sepultura le dit lui-même sans complexe : il est un bien meilleur groupe aujourd’hui. L’arrivée d’Eloy Casagrande derrière les fûts en 2011 a insufflé une « seconde jeunesse » au panel rythmique de la formation, sa véritable colonne vertébrale. Quadra, œuvre inspirée par le mystique Quadrivium de John North (arithmétique, géométrie, musique et astronomie) et l’extension du concept à travers les notions de dieu, de création, de mort, d’éthique et des règles qui encadrent nos vies, entérine cette nouvelle dynamique. Quadra est à la fois un album-synthèse avec ses quatre parties empruntant chacune des caractéristiques singulières de Sepultura et est effectivement une cure de rajeunissement : le groupe utilise de vieux codes sans paraître décrépit. Et pour cause : Sepultura n’est pas là pour ressasser de vieilles gloires, mais bien pour en créer de nouvelles.
Sepultura a de nouveau fait appel à Jens Bogren pour la production, déjà à l’œuvre sur Machine Messiah. Preuve de la volonté de continuer dans le nouvel élan amorcé par ledit opus. Quadra est, selon le groupe, l’album le plus difficile à enregistrer de leur discographie en raison de son degré de technique et de recherche. Il ne faut que très peu d’écoutes pour leur donner raison : les quatre parties de Quadra regorgent d’intensité et de fougue, quel que soit l’arsenal utilisé. Il y a effectivement une volonté de revisiter les influences thrash transparentes, explicites sur le titre d’ouverture « Isolation », porté par un duo Kisser-Casagrande enragé – malgré sa longue introduction et l’apparition de chœurs dramatiques. Le chant haché de Derrick Green embrasse parfaitement les codes du genre et « Isolation » ainsi que l’irrésistible « Last Time » – quelle puissance, quelle symbiose riffing-chant sur le refrain ! – en viennent à faire sourire : ils créent de l’appétence, le plaisir de retrouver une véritable hargne s’exprimant à travers des canaux aussi familiers. Ce qui n’empêche pas le groupe de nuancer le propos aux moments opportuns pour créer de la dynamique, comme le break au développement plus ambiancé et travaillé de « Last Time ». « Means To An End » ne lève pas le pied, mais s’appuie sur une approche plus groovy, une réminiscence de l’ère Chaos A.D. traitée de manière contemporaine, sorte de prémices à la seconde partie de l’album. Le travail percussif d’Eloy Casagrande est une démonstration de vigueur et de créativité perceptible dans le détail de ses breaks et de ses amorces de riffs. Cette première partie plus orientée thrash laisse donc place à la suivante centrée sur le groove justement. « Capital Enslavement », et son introduction aux percussions tribales entrecoupées d’une mélodie stridente, rappelle que Sepultura reste maître en son domaine, sans compter son sens du spectacle lorsque interviennent des violons calqués sur la percussion. Andreas Kisser excelle tout autant sur les riffs galvanisants que les soli ultra-rapides. Les premières secondes brutales d’« Ali » se suffisent à elles-mêmes : Sepultura sait alterner une instrumentation chiadée et une approche épurée (le couplet à la basse de Paulo Jr. est une aération bienvenue). Ce qui importe en premier lieu est toujours l’entrain rythmique.
Les Brésiliens ont pourtant effectué une véritable recherche mélodique davantage décelable sur les deux dernières parties de Quadra, à commencer par l’instrumentation acoustique de « Guardians Of Earth » et les ajouts de chœurs à son catharsis. Le travail des guitares sur l’instrumental « Pentagram », qui ravira les puristes de l’exercice, est un écho au succès d’« Iceberg Dances », tout en prenant une forme différente grâce à des plans thrash plus traditionnels – le break instrumental d’« Autem » est, à ce titre, plus « fou-fou ». Surtout, Sepultura est toujours en quête de nouveaux moyens de s’exprimer, ou du moins de moyens peu conventionnels pour lui. Outre la courte interlude acoustique « Quadra », la dernière partie s’inscrit davantage dans une lignée mélodique au tempo plus posé. « Agony Of Defeat » voit un Derrick Green privilégier les variations de timbres, clairs comme saturés, et de notes, supporté par des intégrations plus fréquentes de chœurs et de cordes. « Fear ; Pain ; Chaos ; Suffering » accueille par ailleurs la participation de la chanteuse Emmily Barreto du groupe Far From Alaska. Si l’aspect plus « accessible » et moins viscéral des refrains d’« Agony Of Defeat » et « Fear ; Pain ; Chaos ; Suffering » met un frein à l’intensité de l’opus au profit des atmosphères, il reste une variation réussie qui s’inscrit pertinemment dans cette conception en quatre parties.
Quadra a ce feeling « uppercut » que Sepultura est capable d’amener. Il illustre toute l’ambition d’un groupe qui n’a plus grand-chose à prouver, mais sait encore trouver les riffs et les idées pour scotcher l’auditeur, et est un argument supplémentaire en faveur du line up actuel. Chacun excelle dans sa partie et ne se montre jamais frileux lorsqu’il s’agit de proposer des compositions aux structures alambiquées. Quadra est un concentré de puissance sous toutes ses formes, parfaitement cadré, et confirme ce que l’on pensait : Sepultura est loin d’avoir dit son dernier mot.
Lyric vidéo de la chanson « Last Time » :
Clip vidéo de la chanson « Isolation » :
Album Quadra, sortie le 7 février 2020 via Nuclear Blast. Disponible à l’achat ici