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Interview   

Seth : retour de l’âme, l’Église en flammes


On est à la fin des années 90 et la deuxième vague black metal européenne se répand à travers le monde. En France, le jeune label marseillais Season Of Mist sort le premier album de Seth, Les Blessures De l’Âme. Pendant les deux décennies qui suivent, la formation subit de nombreux changements et prend le courant d’un black metal parfois plus expérimental à la lumière de ce qui pouvait se faire dans l’emblématique scène norvégienne au même moment. Pourtant, après quatre opus supplémentaires dans la discographie du groupe, l’album conserve son aura d’antan et sa place iconique dans l’histoire de la musique extrême française est indiscutable. Alors qu’aujourd’hui nombre de piliers de ce style semblent vouloir revenir à leurs fondamentaux, à commencer par Mayhem qui présentait en 2019 le nostalgique Daemon, il n’est guère étonnant de voir que la tentation du retour aux sources frappe également la formation française menée par Heimoth.

La Morsure Du Christ s’inscrit comme le successeur légitime des Blessures De l’Âme, pour autant il démontre à quel point les lignes ont bougé depuis deux décennies. Cette nouvelle époque signifie un autre regard sur le sacré et sur l’influence des religions monothéistes sur nos civilisations, l’incendie de Notre-Dame étant, d’après les musiciens, une représentation de celle du christianisme sur notre société. Cette évolution est également perceptible dans la musique, par un son moderne et l’hétérogénéité mélodique du disque, avec lequel la volonté non dissimulée des musiciens est de franchir un cap. Enfin, le retour à la langue française, qui s’accompagne d’un exercice d’écriture, démontre la maturité inhérente des musiciens, alors que ceux qui sortaient leur premier méfait en 1998 étaient tout juste à l’aube de la vie d’adulte… Le compositeur et guitariste Heimoth et la nouvelle voix du groupe Saint Vincent sont revenus avec nous sur tout ce qui fait de La Morsure Du Christ une œuvre incarnant une nouvelle ère pour Seth.

« [Les Blessures De l’Âme] est vraiment un album qui a marqué l’histoire du black metal français, indéniablement, qu’on l’aime ou qu’on le déteste. »

Radio Metal : Si on regarde l’ensemble de la discographie de Seth, tous les albums sont vraiment différents en termes de son – même Divine-X et Era-Decay sont peut-être plus dans un même élan. Pour vous qu’est-ce qui réunit tous ces albums ?

Heimoth (guitare) : Ta question est très pertinente, tu commences fort. C’est clair que nous avons pour particularité d’avoir sorti des albums très différents, du moins les cinq premiers, puisque le dernier est maintenant officiellement dans le sillage du premier album. Pour répondre plus précisément à ta question, à savoir ce qui fédère les cinq premiers albums, je dirais que c’est avant tout l’étiquette Seth et le fait qu’ils découlaient de la composition de la même personne, c’est-à-dire moi. Je pense que cette continuité a subi les airs du temps, mais aussi les manières dont j’appréhendais, en tant qu’artiste, la musique et mes différences de goûts musicaux. C’est clair que Les Blessures De L’âme est marqué par une forte authenticité du moment. Après, The Excellence, il y a une griffe plus norvégienne. Pour la suite, tu as eu raison de dire que Divine-X et Era-Decay sont, eux, un peu plus similaires, notamment parce que nous avons enregistré au même studio qui était un studio hollandais. Par contre, The Howling Spirit, nous sommes allés vers un black metal plus dissonant. Ça reflète très clairement mes goûts musicaux qui ont été assez différents à travers les âges.

Les Blessures De l’Âme a incontestablement une importance fondamentale pour vous. Vous avez récemment choisi de l’interpréter intégralement et d’enregistrer le live aux Feux De Beltane. Plus de vingt ans après, en dehors de son statut de premier album, qu’est-ce qu’il représente pour vous, y compris pour toi, Saint Vincent, qui est arrivé récemment dans le groupe ?

Saint Vincent (chant) : Les Blessures De l’Âme est un album qui à l’époque était très important, qui a marqué tout le monde, les gens qui en étaient fans comme les gens qui ont détesté. C’était un album qui était incontournable à la fin des années 90, quand il est sorti. C’était le premier album de black metal français, qui sortait sur un gros label, à savoir Season Of Mist. C’était le premier album qui mettait en avant des paroles en français, du moins sur un gros label – il y avait quelques autres artistes underground qui l’avaient déjà fait, mais c’était la première fois qu’il y avait un album de black metal qui présentait des paroles en français avec une aussi grande audience. Le groupe Seth était très connu à l’époque, il était très sulfureux, beaucoup de gens en parlaient. C’est vraiment un album qui a marqué l’histoire du black metal français, indéniablement, qu’on l’aime ou qu’on le déteste. Quand je suis rentré dans le groupe en 2016, j’avais vraiment en tête cet album qui, pour moi, est le plus important de la discographie. Comme les vingt ans arrivaient, je voulais vraiment que nous le célébrions et que nous rejouions l’album en intégralité. Et j’ai toujours eu, dès mon début dans le groupe, l’envie de faire une suite à cet album. Pour moi, il manquait quelque chose dans la discographie du groupe : une suite aux Blessures De l’Âme.

L’enregistrement du live était aussi une façon de te présenter en tant que chanteur, même si le public pouvait te connaître au sein de Blacklodge, et même si tu avais rejoint le groupe avant les concerts liés aux Blessures De l’Âme ?

Saint Vincent : Oui, c’était une façon d’officialiser le fait que je chante depuis un petit moment dans Seth. J’ai commencé avec la tournée en Europe avec Pestilence. Je chantais plusieurs titres de plusieurs albums, j’ai travaillé avec toute la discographie du groupe, mais nous avons officialisé avec la volonté d’en revenir aux Blessures De l’Âme. Nous avons changé en même temps le line-up total du groupe pour faire cette célébration. Effectivement, le live qui est sorti officialisait ma présence dans le groupe et c’était pour moi un immense honneur et quelque chose d’extraordinaire de refaire Les Blessures De l’Âme et de sortir un album, c’est quelque chose qui était incroyable.

Vous présentez La Morsure Du Christ comme le successeur des Blessures De l’Âme. Il faut avouer que ce n’est pas une opération de communication de votre part, car les similitudes musicales sont assez remarquables. Comment avez-vous procédé pour penser cet album ?

Heimoth : En fait il y a eu plusieurs raisons, comme tu le sais on a été poussés à faire un retour sur les Blessures De l’Âme par l’anniversaire des vingt ans qui a donné lieu à une succession de live, pour lesquels nous avons eu de très bons retours, notamment au Canada, en Belgique, en Suisse, en France. Petit à petit nous nous sommes posé des questions, nous nous sommes demandé quelle orientation nous allions prendre pour le prochain album. Suite à ça, il est clair que nous avions aussi Saint Vincent avec nous, qui faisait partie du nouveau line-up – même s’il est là depuis 2016 –, qui appuyait pour sortir un album très proche des Blessures De l’Âme. Quand nous avons décidé de l’orientation artistique, nous nous sommes dit autant le faire pour de vrai et de façon la plus fidèle possible. Nous nous sommes clairement remis en tête, personnellement en tout cas, ce que je faisais à la fin des années 90, c’est-à-dire l’EP By Fire, Power Shall Be… et Les Blessures De l’Âme. Nous avons commencé à faire un titre, deux titres… D’ailleurs, pour la petite anecdote, « La Morsure Du Christ », le titre éponyme de l’album, c’est le premier que j’ai composé. Nous sommes partis de ce morceau-là pour nous dire : « Maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on continue comme ça ? » La composition a fait que je montrais les morceaux un par un à tout le monde et nous débattions un peu de l’orientation artistique – du moins au tout début –, mais je pense qu’il y a eu un consensus très rapide pour se dire que nous faisions un Blessure De l’Âme numéro deux. Ça a été assez rapide.

« Mon idée dans toutes les paroles, c’était de m’inspirer, de rentrer dans les paroles des Blessures De l’Âme, de m’imprégner des traditions des Blessures De l’Âme, de les réadapter à une certaine modernité et de développer les textes, car ils avaient été écrits par des jeunes de dix-sept ou dix-huit ans. Vingt ans après nous sommes plus vieux, il faut que les textes aient plus de profondeur. »

Saint Vincent : Comme je l’ai dit juste avant, pour moi, dès le début, c’était mon objectif, et je poussais à chaque fois qu’il me présentait ses compositions à aller vraiment dans l’esprit des Blessures De l’Âme, dans l’esprit de quelque chose de très authentique, de plus épuré… Une fois que nous nous sommes mis dedans, tout l’album s’est fait très naturellement et avec beaucoup de plaisir. Quand nous disons que nous avons fait l’effort de revenir aux Blessures De l’Âme, une fois que nous étions dans cet état d’esprit des années 90, tout est ressorti très naturellement.

Heimoth : Ça c’est fait très rapidement d’ailleurs. Nous avons commencé à écrire l’album, un an avant l’enregistrement, donc en juillet 2019. J’avais un rythme d’une composition par mois, au minimum, le temps de composition a duré huit ou neuf mois, et une fois que j’avais terminé les sept compos, Vincent a fait ses paroles. Par la suite, quand nous avions fini ce processus, nous avons pris rendez-vous pour enregistrer l’album chez Francis Caste.

Vous étiez vraiment dans l’énergie du cycle anniversaire des Blessures De l’Âme. Vous l’aviez joué combien de fois avant les Feux De Beltane ?

Heimoth : Le premier était au Forest Fest, en Suisse. Nous jouions juste avant Aura Noire, c’était en juillet. Par la suite, quatre ou cinq mois après nous avons fait la Messe Des Morts à Montreal.

Saint Vincent : C’était incroyable, dans une église.

Heimoth : Super souvenir. Nous invitons tous les lecteurs à faire un tour là-bas lors du festival La Messe Des Morts, quand ça reprendra bien évidemment, parce que ça vaut le coup.

Tu as un petit peu répondu à la question mais aujourd’hui, Heimoth, ta place dans la composition est-ce qu’elle est encore totale ou est-ce que tu délègues certaines parties au reste du nouveau line-up ?

Heimoth : Elle est totalitaire. Non, je plaisante, pour te dire la vérité, je savais très bien que j’allais composer tout l’album, mais j’ai quand même laissé sans problème une porte ouverte à Drakhian, notre nouveau guitariste qui évoluait avant dans Loudblast. Il m’a dit : « Ecoute, pourquoi pas », parce qu’il a fait pas mal de compos dans le style dans son groupe qui s’appelle Griffar. Il a rejoint Seth aussi parce que c’est un fan sans bornes des Blessures De l’Âme. Il a rejoint notre line-up naturellement, et je lui avais dit : « Si tu veux faire des compos, il n’y a pas de soucis. » Au final, il n’en a pas fait et il s’est trouvé que j’ai fait quasiment toute la compo, comme les précédents albums, excepté Les Blessures De l’Âme qui avait aussi été fait par Faucon Noir – nous étions à cinquante-cinquante sur cet album.

Au-delà du retour aux sources, La Morsure Du Christ est sans doute votre album qui présente le plus d’atmosphères différentes. Il semble plus hétérogène – entre le rendu plus mélodico-épique de la chanson titre, tout comme « Métal Noir » qui a par ailleurs quelque chose d’assez majestueux, et « Ex-Cathédrale » aux atmosphères liturgiques. Partagez-vous ce constat d’hétérogénéité et comment l’expliquez-vous ?

Saint Vincent : Je suis entièrement d’accord avec toi, je fais le même constat et c’était d’ailleurs une grande joie parce que c’est excellent de travailler sur un album où il y a autant d’atmosphères différentes. C’était une volonté de départ, car personnellement, quand j’écoute Les Blessures De l’Âme, je trouve qu’il y a également beaucoup d’atmosphères différentes. Pour moi, c’était tout à fait naturel.

Heimoth : Pour ma part, je trouve que l’ensemble est assez complémentaire. Ce n’est pas si hétérogène que ça. Sur les sept morceaux, c’est sûr qu’il y en a deux ou trois qui ressortent vraiment comme « Ex-cathédrale » ou sinon comme « Le Triomphe De Lucifer », mais je pense que l’album est quand même très homogène dans l’ensemble. Qu’est-ce que tu en penses Saint Vincent ?

« Au début du black metal des années 90, il y avait des groupes qui s’opposaient frontalement au christianisme, notamment en Norvège, avec l’imagerie très satanique. Vingt ans plus tard, le christianisme est moribond, ça ne sert plus à grand-chose de s’attaquer à cette religion qui justement s’éteint. »

Saint Vincent : Je viens de dire le contraire, mais ce n’est pas grave ! [Rires] Disons qu’il y a un fil conducteur qui est clair, mais je comprends ce que tu dis, dans le sens où il y a des ambiances… Sur « Sacrifice De sang » il y a une ambiance très rituelle, plus liturgique sur « Ex-cathédrale », plus grandiose, plus lyrique sur d’autres morceaux… C’est comme ça que j’ai appréhendé les paroles : ce sont vraiment des ambiances, des émotions et des univers très différents à chaque fois. Toujours guidés par le même fil conducteur, la thématique de l’album, ça va de soi.

Puisqu’on parle des textes, pour « Hymne Au Vampire (Acte III) », l’allusion aux Blessures De l’Âme est claire. Sachant, en revanche, que la chanson ne présente pas le motif qu’on trouve sur les deux premiers actes : « Les blessures de l’âme sont éternelles, aucun repos ne sera accordé, pauvres mortels. » Ça s’inscrit comme une suite ou une réinterprétation ?

Saint Vincent : C’est très bien ce que tu dis. J’hésitais à un moment de reprendre le motif lyrique, mais je me suis dit que ça deviendrait de l’auto-caricature, donc j’ai mis ça de côté. Mon idée dans toutes les paroles, c’était de m’inspirer, de rentrer dans les paroles des Blessures De l’Âme, de m’imprégner des traditions des Blessures De l’Âme, de les réadapter à une certaine modernité et de développer les textes, car ils avaient été écrits par des jeunes de dix-sept ou dix-huit ans. Vingt ans après nous sommes plus vieux, il faut que les textes aient plus de profondeur. Je voulais aussi mettre en avant l’expérience de vie, qu’elle transparaisse, faire perdre un peu de la fraîcheur des paroles mais mettre plus du vécu. Il y a donc plus de thématiques liées aux années qui passent, ce qui va aussi avec les vingt ans, avec la mort, une vision différente de la vie, etc. A partir de là, j’ai interprété le thème de l’« Hymne Au Vampire (Acte III) », en le reprenant, mais c’est surtout une suite. C’est vingt ans après cet épisode du vampire, que reste-t-il ?

Tu parlais de la place de cet album dans le black metal. Ce rapport au black metal peut être lu dans « Métal Noir » qui a une double lecture. Êtes-vous dans cette démarche de « sacralisation » du black metal, comme le sous-entend le texte, ou est-ce que ça reste purement artistique ?

Saint Vincent : Pourquoi mettre en opposition le côté artistique et le côté sacré de la musique ? Pour moi, ça ne s’oppose pas forcément. Ce qui était génial dans les années 90 avec le black metal et ce qui se démarquait, à mon sens, du death metal, c’est que le death metal était quelque chose de très institutionnalisé – les concerts, la musique très violente, etc. – alors que le black metal était beaucoup plus mystérieux. C’est arrivé comme quelque chose de très étrange et c’est ce qui a fait qu’il a eu un succès fulgurant. Internet en était encore à ses balbutiements, c’était très difficile d’avoir de photos d’un groupe, ce n’était que du bouche-à-oreille, « tel groupe a fait ça, il a joué dans telles circonstance, ils ont fait ci et ça » et tout prenait des proportions vraiment fantastiques. C’était très excitant, il y avait énormément de ferveur. Et puis il y avait ce côté un petit peu ambigu avec la religiosité et le sacré. C’est-à-dire que le black metal relevait à sa façon d’une certaine religiosité qui était totalement absente de la plupart des groupes de death metal. Ça faisait l’attrait principal du black metal au tout début. Si possible, l’idée était de mettre ce sentiment de sacralité dans la musique.

Notre-Dame de Paris en feu est décrite comme un jalon vers une société sans dieu. Comment pensez-vous l’essence du black metal dans le monde contemporain, où les problématiques religieuses ont grandement évolué depuis la fin des années 90 ? Comment vous le transposez dans le monde d’aujourd’hui ?

Saint Vincent : Comme tu le dis, le monde a énormément changé, il a beaucoup évolué, et pour moi, le black metal était une musique qui accompagnait la fin d’une domination religieuse occidentale et c’est une sorte de musique témoin. Ca fait des années que le christianisme a perdu de l’importance en Occident, tout du moins en France. Au début du black metal des années 90, il y avait des groupes qui s’opposaient frontalement au christianisme, notamment en Norvège, avec l’imagerie très satanique. Vingt ans plus tard, le christianisme est moribond, ça ne sert plus à grand-chose de s’attaquer à cette religion qui justement s’éteint. Nous avons donc voulu l’illustrer par cette couverture de Notre-Dame en flammes, qui finalement est une image historique, qui symbolise un changement d’ère, et qui met fin à la spiritualité qu’il pouvait encore y avoir dans notre société et qui maintenant est partie pour un matérialisme dominant. L’approche de la religion a beaucoup évolué et je pense que le black metal se situe différemment par rapport à ça. Je pense que maintenant c’est un peu ridicule de frapper et de s’attaquer au christianisme en France en faisant du black metal dans les années 2020.

« Nous avons donc voulu l’illustrer par cette couverture de Notre-Dame en flammes, qui finalement est une image historique, qui symbolise un changement d’ère, et qui met fin à la spiritualité qu’il pouvait encore y avoir dans notre société et qui maintenant est partie pour un matérialisme dominant. »

Heimoth : Il y en a pas mal qui parlent de provocation pour cette pochette, mais ce n’est pas une provocation. Nous avons clairement voulu nous enraciner dans l’esprit du temps, quand il y a eu ce côté quasi sismique de cet incendie. Nous avons voulu l’immortaliser par la pochette et prendre pour point central Notre-Dame, un monument national. Nous nous sommes dit que s’il y avait une pochette forte à faire, c’était en utilisant cet évènement pour lequel il y a eu un avant et un après, et qui représente aussi un grand monument national. Nous pensions que nous avions toute la légitimité pour accaparer cette couverture.

D’un autre côté, si on reste en 2021, est-ce que l’intérêt d’un black metal « satanique » se trouve dans un regain des extrémismes religieux au sein des religions abrahamiques des deux dernières décennies ?

Saint Vincent : Le futur nous le dira, je suis curieux de voir l’évolution par rapport à ça. A suivre de très près. Il n’y a pas de guillemets à mettre pour black metal satanique. Pour moi, c’est quelque chose qui va de pair, ne serait-ce que par la description, encore une fois, de l’emprise triomphante de la matière sur le spirituel. Par rapport aux autres religions, ce n’est pas notre thématique, et je serais curieux de voir si des groupes l’abordent. C’est très possible… ou pas.

Vous abordez cette religion parce que vous estimez que vous la connaissez, donc c’est plus facile de vous l’approprier…

Heimoth : Ce n’est même pas que nous la connaissons, c’est celle avec laquelle nous avons grandi. Forcément, nous n’allons pas nous s’intéresser à une religion avec laquelle nous ne sommes pas du tout familiers. J’ai grandi avec cette religion, pas forcément chez moi avec mes parents, mais au sein de mon éducation en tant qu’écolier. J’ai grandi là-dedans, dans un environnement de religion très traditionnel, très catholique, quasi intégriste, donc nous évoquons des thèmes qui nous sont familiers depuis que nous sommes tout petits. Je parle pour moi…

Saint Vincent : C’est pareil pour moi. J’ai aussi grandi dans une éducation catholique assez poussée, donc je connais très bien le sujet. Je parle de mon expérience de vécu.

Heimoth : Pour tout te dire, j’ai grandi à Marseille et j’étais dans une école intégriste. Je ne sais pas si tu te souviens, il y a eu un incendie d’un cinéma quand il y a eu le film La Dernière Tentation Du Christ. Eh bien, c’était le directeur de mon école qui était à l’initiative de cet incendie ! Le directeur de cette école, c’est l’abbé Beauvais, ce mec qui a traité Christiane Taubira de « Y’a bon Banania » (l’abbé Xavier Beauvais n’a pas été inculpé pour l’attentat du cinéma Saint-Michel de 1988 mais a des liens directs avec la paroisse de Saint-Nicolas du Chardonnet à Paris qui en a été à l’origine, NDLR). C’est pour faire sens à ta question : si nous abordons ce genre de sujets, c’est parce que ça nous a marqués.

Saint Vincent : Oui, j’ai aussi grandi dans une éducation très catholique, sans avoir eu la chance d’être dans cette école de Marseille, donc nous parlons du sujet que nous connaissons le mieux. Les autres religions, je ne les connais pas, à d’autres artistes de travailler là-dessus.

Pour rester dans la thématique du blasphème, il y a eu de nouvelles crispations ces dernières années, presque un retour au puritanisme toutes religions confondues. Est-ce que c’est toujours important de garder un ton offensif contre la religion et revendiquer un droit au blasphème ?

Heimoth : Je pense que toute forme de liberté est primordiale en tant que citoyen et il est clair que nous n’aurions pas pu faire la même chose dans un autre pays. Aujourd’hui, nous avons la chance d’avoir pu faire évoluer nos institutions dans ce sens-là, nous en profitons. Aujourd’hui, nous avons affaire à des censures qui sont d’une autre nature, mais je revendique ce droit au blasphème, c’est une forme de « free-speech » comme on dirait en anglais.

« Le blasphème sur l’Eglise catholique, c’est quelque chose que tout le monde s’amuse à faire à la radio, à la télé, donc je n’ai pas envie que mes paroles s’inscrivent juste dans cette mode. Je fais du black metal, je n’ai pas envie de faire comme les trucs mainstream. »

Saint Vincent : Personnellement, je ne peux pas prétendre que les paroles du nouvel album soient juste du blasphème. Le blasphème c’est quelque chose qui est paradoxalement à la fois très mal vu et répandu. En tout cas, le blasphème sur l’Eglise catholique, c’est quelque chose que tout le monde s’amuse à faire à la radio, à la télé, donc je n’ai pas envie que mes paroles s’inscrivent juste dans cette mode. Je fais du black metal, je n’ai pas envie de faire comme les trucs mainstream. Pour moi ce n’est pas autant du blasphème, c’est surtout l’illustration d’une époque comme nous l’expliquions auparavant et l’illustration d’un fait de société et d’un fait historique, plus que de cracher sur la religion catholique. Je n’ai plus l’âge de faire ça et tout le monde crache dessus, c’est un lieu commun. Alors, c’est intéressant, j’apprécie l’esthétique dans le black metal, et encore une fois je trouve que c’est l’illustration d’une époque, mais juste pour offenser les chrétiens qui se font offenser de partout, ça ne m’intéresse pas. Ça ne m’intéresse pas de faire comme tout le monde. Donc la provoc ou le blasphème juste pour ça, ce n’est pas mon truc.

Tu distingues la critique ou l’illustration du blasphème pur et dur par ton effort d’écriture…

Saint Vincent : Oui, tout à fait ! Le travail en profondeur dans la recherche des paroles, dans leur structuration, dans l’approfondissement des images évoquées tout à l’heure.

Est-ce que c’est pour ça que tu as fait le choix d’une forme poétique en alexandrins classiques, forcément liée à une image de la France du XVIIe et XVIIIe siècle très particulière ? Est-ce pour accentuer le clivage entre les thèmes et la forme ou pour revendiquer une forme poétique française hors du contexte religieux ?

Saint Vincent : Tout à fait ! C’est exactement ça. J’ai voulu travailler le chose pour le faire du mieux que je pouvais, à mon modeste niveau, et vraiment lui donner une forme qui fait honneur à la tradition française d’écriture par l’utilisation de l’alexandrin classique. Ça permettait aussi de garder la tradition des Blessures De l’Âme qui était un effort lyrique. Je voulais approfondir avec les années qui ont passé et plus de travail, plus de maturité. A partir du moment où nous réintégrons le français dans le black metal, je voulais vraiment le travailler pour lui faire honneur. Et comme je disais, je n’ai pas envie de faire comme tout le monde. Les dernières productions en chanson française sont tellement médiocres et ridicules que je voulais aussi prendre le contre-pied et montrer qu’on pouvait faire des paroles en français et les travailler.

On a évoqué l’effort de détournement du culte. Ça passe aussi par l’aspect musical et je pense notamment à l’utilisation de l’orgue qui est très lié au côté religieux. Cet effet de détournement est pleinement pensé, que ça soit sur les textes ou musicalement…

Saint Vincent : Bien sûr, il y a vraiment l’ambiance où on est dans une église. Elle est en feu, mais on est très proche de la liturgie, etc. Encore une fois, les plus attachés à la religion peuvent évidemment prendre ça pour un blasphème et tout de suite s’offenser, alors qu’ils devraient être habitués à ce qu’on leur crache à la figure du matin au soir… Mais nous avons vraiment voulu rentrer dans cette ambiance d’église qui brûle par la musique, par les claviers, les orgues, cette église qui s’effondre et qui est pervertie par l’avènement de temps nouveaux.

L’album énonce la chute de Dieu en même temps que l’avènement de Lucifer. Est-ce qu’il y a une allusion à l’œuvre de Victor Hugo, La Fin De Satan, qui énonce un propos inverse : le triomphe de Dieu sur Lucifer ?

Saint Vincent : Ce que tu dis est super. Je n’ai pas du tout pensé à cette œuvre de Victor Hugo, ce n’était pas une volonté au départ, mais je trouve que le parallèle est très bien vu !

Heimoth : Toi c’est plutôt baudelairien…

Saint Vincent : Oui, j’ai fait deux ou trois petits clins d’œil à l’œuvre de Baudelaire, rapidement, pas Victor Hugo, mais j’apprécie le parallèle. Ça aurait pu être une inspiration, effectivement. Peut-être qu’inconsciemment ça m’a inspiré, parce que je l’ai lu il y a très longtemps, à l’époque des Blessures De l’Âme, c’est dire !

« A partir du moment où nous réintégrons le français dans le black metal, je voulais vraiment le travailler pour lui faire honneur. Et comme je disais, je n’ai pas envie de faire comme tout le monde. Les dernières productions en chanson française sont tellement médiocres et ridicules que je voulais aussi prendre le contre-pied et montrer qu’on pouvait faire des paroles en français et les travailler. »

On a parlé d’un retour aux sources musicalement, mais est-ce qu’il y avait aussi une volonté de rendre le tout un peu plus organique et authentique dans la démarche ? Je pense notamment à la guitare acoustique qu’on entend davantage sur cet album.

Heimoth : Complètement, c’est tout à fait ce que nous avons cherché à faire, tu as bien perçu la chose. Nous avons vraiment cherché à nous plonger au maximum dans l’univers musical et lyrique de ce premier album et ça passait aussi par la guitare acoustique, qui est un leitmotiv dans l’histoire musicale du groupe. Tout à l’heure nous parlions des albums qui sont tous différents, et sur quasiment tous les albums, il y a de la guitare acoustique. Là, il y a une utilisation de la guitare acoustique qui a été faite comme sur Les Blessures De l’Âme, donc avec pas mal d’arpèges entre des parties très blastées. Je voulais vraiment que cette utilisation de la guitare acoustique soit mise en avant dans l’album – je crois qu’il y a trois parties. Si j’avais pu, idéalement, j’aurais pu en faire un peu plus, mais elles sont là et c’est un gros clin d’œil qui participe pas mal à l’ambiance de l’album.

En parlant de clin d’œil, on a l’impression qu’il y a un effet « harmonica » sur « Les Océans Du Vide ». C’est pensé pour donner ce côté marin ?

Heimoth : Alors, ce n’est pas du tout un harmonica ! C’est une viole de gambe, c’est l’ancêtre du violon, tel que tu peux le voir dans le film Tous Les Matins Du Monde. Dans ce film-là, on voit bien l’histoire du développement de la viole au XVIIIe siècle, qui est incarné par un excellent acteur qui est Guillaume Depardieu. En fait, ce choix de la viole s’est trouvé de façon assez hasardeuse. J’étais chez Pierre Le Pape (claviériste, NDLR), nous essayions pas mal de sons et nous étions tombés sur ce son-là. Lui voulait l’utiliser déjà depuis bien longtemps, donc c’est aussi grâce à lui. Nous utilisons ce son deux fois sur l’album, nous l’avons utilisé sur « Métal Noir » et sur « Les Océans Du Vide », et ça ajoute un cachet assez important à l’album – d’ailleurs tu nous en parles et c’est une très bonne chose. Donc ce n’est pas un harmonica du tout, c’est un instrument à corde qui date du XVIIe et du XVIIIe siècle qui est l’ancêtre du violon, et effectivement, ça ajoute un côté marin. C’est bien que tu aies dit ça car ça va de pair avec l’ambiance générale qui se dégage grâce aux paroles.

En termes de production, il y a vraiment une évolution flagrante dans La Morsure Du Christ. Pourquoi vous êtes-vous tournés vers Francis Caste pour enregistrer cet album ?

Heimoth : Je le connaissais déjà parce que je l’ai vu pour la première fois quand il a commencé à enregistrer Sinsaenum, et par la suite Loudblast. Nous avons fait connaissance, je lui ai fait écouter quelques morceaux de Seth et il a trouvé ça vraiment chouette. J’ai pu avoir une connaissance assez globale de cet homme et j’ai vu assez rapidement qu’il aurait une capacité à retranscrire ce que j’avais en tête. J’étais sûr qu’humainement, il le ferait. Ça s’est super bien passé, nous avons beaucoup et longuement discuté sur le résultat final sur lequel nous voulions aboutir, c’est-à-dire pas une prod très moderne mais qui emprunte aux codes du black metal des années 90. Nous avons aussi pas mal travaillé le son général, le son de batterie… Je pense qu’il a très bien cerné ce que nous souhaitions et que nous avons vraiment bien fait de faire ce choix. Aujourd’hui, je ne vois pas d’autres personnes chez qui nous pourrions éventuellement enregistrer à nouveau un album.

Comment vous envisagez les perspectives live ? Est-ce que vous allez réutiliser – sans trop en dire – l’esthétique et le spectacle proposés lors du cycle anniversaire des Blessures De l’Âme ?

Heimoth : Il est clair que nous allons forcément utiliser un décorum emprunté à La Morsure Du Christ. Pour l’instant, nous ne pouvons pas trop détailler, pour plusieurs raisons, déjà parce que nous ne savons pas trop ce qui va advenir des concerts, c’est assez tôt pour se prononcer. Mais oui, étant donné que cet album s’inscrit dans les sillages des Blessures De l’Âme et que maintenant les gens savent ce que ça peut donner visuellement, il y aura forcément des rappels.

Saint Vincent : Dès que ce sera possible, il faut que les concerts de La Morsure Du Christ soient dans la continuité de ceux du retour des Blessures De l’Âme, voir plus impressionnants encore.

Heimoth : Comme tu l’as compris, nous avons cherché à faire non pas un deuxième Blessures De l’Âme mais un album plus fort encore, plus agressif. Ça se traduit par un nouveau vocaliste et des paroles différentes. Je pense qu’aujourd’hui, nous sommes en train de sortir un album qui sera très certainement assez classique, comme l’a été Les Blessures De l’Âme, mais nous avons aussi volontairement cherché à faire quelque chose de plus agressif.

« Je pense qu’aujourd’hui, nous sommes en train de sortir un album qui sera très certainement assez classique, comme l’a été Les Blessures De l’Âme, mais nous avons aussi volontairement cherché à faire quelque chose de plus agressif. »

Heimoth, tu nous as dit en 2012 : « Il faut prendre le temps de faire accepter aux gens qu’il y a des groupes qui veulent sortir des albums assez différents d’album en album. » Par rapport à 2021, et d’un point de vue assez général, est-ce toujours le cas avec l’afflux musical et le tout-numérique ? Est-ce que les auditeurs ne deviennent pas davantage des gros consommateurs, avec l’impression qu’ils ne prennent plus le temps pour se faire à la différence entre les albums et attendent une certaine continuité de la part des groupes ?

Heimoth : J’ai dit « il faut prendre le temps », c’est-à-dire que c’est un conseil. Ça ne veut pas dire que les gens le font et qu’ils le faisaient. Aujourd’hui, comme tu dis, c’est bien plus compliqué de le faire. Quand on ne se donne pas la peine de chercher un groupe et qu’il n’y a pas d’efforts en amont pour écouter une musique, la musique va souvent à la poubelle après. Aujourd’hui, il faut qu’on nous donne à manger directement dans le plat pour qu’on bouffe. Effectivement, c’est bien plus compliqué aujourd’hui, parce qu’il y a trop de quantité.

Saint Vincent : Il y a trop de quantité et il y a trop d’immédiateté. On est à un âge du zapping – enfin, on disait déjà ça il y a dix ans – où on peut passer du tout à autre chose très rapidement, ce qui fait qu’on est toujours dans une superficialité. C’est ce qui symbolise l’époque, c’est aussi la symbolique de notre âme qui brûle, la spiritualité qui part. Ce qui arrive maintenant, c’est qu’il n’y a plus de profondeur. Du coup, un groupe, ça doit correspondre à une étiquette, c’est de la marchandisation : on veut une ambiance, on veut un trip, on prend ce groupe-là. On a plus le temps de rentrer dans le groupe, de le connaître comme une personne à part entière, qui a évolué, qui grandit et qui a une vie. On cherche des cases et des choses préprogrammées et c’est très dommage. C’est cool quand c’est AC/DC, mais… [Rires]

Heimoth : C’est sûr qu’évidemment, à chaque temps correspond des codes marketings. Aujourd’hui, la plupart des groupes sortent deux morceaux vitrines, on sait très bien que pour le premier il faut faire un morceau plus accessible, le deuxième le sera peut-être un peu moins… Aujourd’hui, on sait très bien qu’il faut frapper fort et dès le départ ! Il faut faire avec son temps…

Saint Vincent : Nous sommes nous-mêmes forcément un petit peu ancrés là-dedans parce nous subissons un peu l’époque, mais ce qui nous a motivés à écrire l’album, ce qui est profond et ce qui, nous espérons, transparaît dans la musique, c’est tout autre chose.

Heimoth : Je pense que c’est bien de montrer aux générations un peu plus jeunes comment ça se passait un peu avant. Aujourd’hui, si nous sortons un album typé années 90, c’est aussi pour dire qu’avant ça se passait comme ça et que ce n’est pas une musique qui est en perdition. La preuve, on le voit : en une semaine il y a eu énormément de réponses très positives par rapport à cet album. Il n’y a pas que du post-black metal, ce n’est pas ça le futur.

Un petit mot sur vos autres projets. Saint Vincent est-ce qu’il y a un album de Blacklodge de prévu, puisque le dernier Machinations date de 2012 ?

Saint Vincent : Ça fait très longtemps, la plupart des gens nous considèrent comme morts et enterrés !

Pourtant tu étais sur scène il n’y a pas si longtemps que ça, en 2018 !

Saint Vincent : Oui, nous commencions à nous remettre dans l’optique d’un nouvel album. Après il s’est passé plein de choses, c’est la vie, rien n’est simple, mais je peux dire que maintenant, le nouvel album est quasiment fini d’être écrit. Ça traîne, parce que je veux le parfaire et je veux qu’il soit très surprenant par rapport au reste de la discographie. Nous sommes en train de travailler dessus et j’espère qu’il partira très rapidement en production.

Heimoth : C’est l’inverse de Seth alors, la surprise !

Saint Vincent : Voilà, Seth c’est le retour à la tradition et avec Blacklodge, je voulais casser ce que j’avais fait par le passé. Ça restera du Blacklodge mais il sera surprenant, j’espère !

Et Heimoth, par rapport à Sinsaenum, est-ce qu’il y a des choses qui sont en projet pour l’instant ?

Heimoth : La suite, c’est que Fred Leclercq continue à composer et que pour l’instant il ne va rien sortir, puisque tout le monde est en train de sortir ses propres albums : Loudblast, Seth, etc. Et je pense que Fred va bientôt sortir le Kreator. Donc pour l’instant ce n’est pas d’actualité, mais ça ne devrait pas trop tarder.

Interview réalisée par téléphone le 19 mars 2021 par Jean-Florian Garel.
Retranscription : Jean-Florian Garel & Eric Melkiahn.
Photos : Andy Julia.

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