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Interview   

Shaka Ponk : retour de convalescence


Shaka Ponk est un modèle. Un modèle d’acharnement, de créativité et de réussite. Melting pop musical (electro, pop, funk, metal…), le groupe français a su fédérer un large public grâce à ses qualités de composition, à son indéniable impact live, et à la pertinence de ses choix stratégiques. Nous avons discuté quelques minutes avec Frah (chant) à l’occasion du best of Apelogies sorti le mois dernier. Une compilation de trois disques où le groupe propose un best of de ses meilleurs titres réenregistrés, un album de titres inédits et de raretés ainsi que le concert enregistré pour l’émission Alcaline en 2018.

Cet entretien a permis de prendre des nouvelles de la santé du frontman, ce dernier ayant connu beaucoup d’ennuis ces dernières années (jambe cassée, problèmes importants aux cervicales, Covid-19…). Et lors de cette conversation, nous avons également demandé à Frah de revenir sur la manière dont il a vécu cette année si particulière (beaucoup d’artistes se retrouveront dans ses propos) et de partager les conseils qu’il pourrait apporter aux groupes émergents et en devenir de la scène metal/rock.

La trajectoire de Shaka Ponk devant sans conteste être prise comme une source d’inspiration pour tous les artistes français qui souhaitent développer leurs groupes.

« Je me suis fait opérer des cervicales – des cervicales qui étaient rentrées dans ma moelle épinière – à force de faire le con sur scène… Et à chaque fois que je tombais, j’avais des risques de devenir tétraplégique, donc il y avait un stress permanent à chaque fois qu’on faisait des live. »

Radio Metal : Au regard de la situation particulièrement compliquée en France à cause de la crise sanitaire, dans quel état d’esprit es-tu à l’instant T ?

Frah (chant) : Je ne sais plus en fait ! A cause de l’annulation des concerts, nous avons vécu une longue période de vide et nous avons dû renoncer à nos dates prévues pour l’été dernier. Nous sentions arriver une annulation générale des concerts mais il a fallu attendre longtemps avant qu’elle ne soit déclarée. Le fait est que les festivals voulaient à tout prix maintenir leur programmation mais nous savions que ça n’allait pas être possible. C’était une drôle de période oui… Une espèce de « roller coaster » émotionnel avec du un coup oui pour les concerts, un coup non, un coup oui… et finalement non ! Ça n’a pas été facile à digérer, autant pour nous que pour tous les copains qui étaient dans la même situation. Tout le monde l’a vécu comme une catastrophe naturelle puisque c’était impossible d’assurer nos shows à cause de l’interdiction des rassemblements.

Plus personnellement, Sam (chant) et moi-même avons chopé le Covid. Cela a donc été une tarte assez monumentale et agressive. En effet, nous étions complètement rétamés pendant un mois mais surtout dans le flou total : c’était le début de la maladie et personne ne savait comment cela allait évoluer ! Entre cette situation et les messages alarmistes de mes potes médecins, je ne te raconte pas l’ambiance ! Cela nous dépassait totalement et la musique n’était plus au cœur de nos préoccupations. Logique car la santé passe avant tout. Puis il y a eu déconfinement et je me suis fait opérer des cervicales – des cervicales qui étaient rentrées dans ma moelle épinière – à force de faire le con sur scène… Et à chaque fois que je tombais, j’avais des risques de devenir tétraplégique, donc il y avait un stress permanent à chaque fois qu’on faisait des live. Je suis ouvert en deux et je suis guéri. Cela allait mieux et puis là, re-confinement et re-virus, alors que nous commencions à envisager des dates pour l’été prochain. Nous avions aussi le projet des Freaks en collaboration avec d’autres artistes qui étaient aussi du coup en stand by… Nos habitudes d’hyperactifs qui prévoient tout sur plusieurs années se sont fait éclater par cette bombe atomique. En sachant qu’avec Shaka, nous planifions tout sur trois ans. Nous étions dans le néant total, avec mille interrogations qui fusaient sur ce qui allait bien pouvoir se passer.

Actuellement, nous ne sommes plus en plein questionnement : nous avons capitulé face à la nature et maintenant, nous nous laissons porter sans nous entêter à vouloir monter des projets en croyant que rien ne pourra nous en empêcher. Cela concerne tous les corps de métier. J’ai personnellement parlé avec beaucoup de restaurateurs qui te disent : au début tu stresses, tu flippes, tu es en colère, tu te révoltes, tu trouves des solutions, tu essayes de contourner mais ça ne sert à rien de vouloir absolument contourner le problème parce qu’on se rend finalement compte qu’on ne peut rien faire. Alors on rentre dans le fatalisme.

Et mine de rien, ce qui nous aide à relativiser même si c’est un peu dark, c’est que ce qui s’est passé n’a rien d’étonnant quand on regarde la manière dont l’être humain s’accapare ce qui ne nous appartient pas forcément… J’irais même jusqu’à dire que c’est sympa par rapport à ce qui pourrait nous arriver si on continue à foncer tête baissée dans cette voie ! Je le prends comme un petit warning sympa de la nature. Une nature qui nous regarde et qui nous dit « je vous aime bien » mais qui nous fout une petite taloche pour qu’on commence à penser aux conséquences de notre comportement.

Vous continuez tout de même à travailler sur des projets, notamment Apelogies qui est sorti le 6 novembre pour vos quinze ans de carrière. Vous aviez cette idée de sortir une compilation depuis longtemps ?

Je ne sais même plus ! J’ai souvenir qu’il y a deux ans, nous avions organisé une réunion et l’idée de se relancer dans l’élaboration d’un album et d’une scénographie est venue. Mais il y avait un an de boulot. Et on s’est dit qu’on pouvait aussi faire un album qui marque notre adolescence de groupe, ce qui nous permettrait de repartir en tournée. Nous avons un gros souci avec Shaka, c’est que l’on fait tout nous-mêmes. Et comme on ne délègue pas (nous n’allons pas dans des studios, dans des studios de mastering, d’enregistrements, etc.), nous faisons tout avec nos propres logiciels depuis toujours. Entre ça, le surmenage et les clips à tourner, la scénographie à imaginer, etc., ça devient compliqué. En général, quand on rend un disque, il n’est jamais fini. Ou alors nous faisons n’importe quoi comme oublier de démarrer une piste, ou il n’y a pas de basse sur un morceau et il faut avouer que toutes nos anciennes productions sont truffées d’erreurs ou de conneries que nous n’avons pas réussi à éviter ! Dans le feu de l’action, nous ne pouvions pas tout gérer dans les moindres détails sans perdre de vue nos projets parallèles mais on s’en fout au final. Car c’est comme ça, c’est devenu notre marque de fabrique ! Donc oui, ce best of était pour nous l’occasion de ressortir les anciens morceaux et de les peaufiner.

« Il ne faut pas perdre de vue que faire de la musique est totalement différent du désir de reconnaissance, sinon on se perd dans le regard des autres à vouloir obtenir leur approbation. Mettre à distance ce besoin de reconnaissance, ça permet de tenir. »

Apelogies fête les quinze ans du groupe. Vu le niveau de notoriété que vous avez atteint, as-tu le sentiment que vous avez fait l’essentiel du chemin ou êtes-vous toujours animés par la même énergie créative et innovatrice qu’au début de Shaka ?

Nous avons beaucoup parlé de tout ça dernièrement, à cause des récents évènements qui nous ont forcés à nous asseoir sur un canapé et à discuter. Ce qu’en fait, nous ne faisons plus beaucoup. Nous avions un système bien rodé avec Shaka : réunion tous les lundis matin, même sans sujet de discussion précis. Comme dans une entreprise, et ce même s’il n’y avait pas de soucis. C’est très important pour éviter une dégradation du contact humain au sein d’un groupe, le collectif peut très vite perdre toute humanité et devenir une espèce de machine beaucoup plus sensible et propice aux malentendus. Et ça arrive dans les couples, les familles, n’importe quel groupe où il y a un manque de communication même si tout va bien et qu’il n’y a en apparence rien à dire. La non-communication peut créer des problèmes qui gagnent en ampleur jusqu’à atteindre des points de non-retour. Et nous voulions à tout prix éviter ça. Éviter de finir comme ces groupes géniaux qui arrêtent au bout de deux ou trois ans parce que les membres ne se parlent pas, et des projets artistiques géniaux s’arrêtaient…

Un fonctionnement qui s’est mis en place relativement tôt – dès nos débuts à Berlin –, quand nous n’avions aucune ambition. Nous n’y avions pas pensé non parce que nous sentions qu’on allait se prendre la tête mais parce que nous avons réalisé à quel point la communication est primordiale. Notamment après avoir observé d’autres groupes qui ne tiennent pas à cause de ça, en discutant avec des pros, en lisant des biographies. Même en étant au sein d’un groupe, si ça ne va pas, tu peux très vite te sentir seul si vous ne communiquez pas. Donc nous avons décidé d’être toujours dans la communication.

Justement, vos débuts ont été émaillés d’une longue période de hauts et de bas où tu avais même envisagé d’abandonner le projet. Shaka a avant tout réussi à se développer car les autres membres ont réussi à te tirer vers le haut ?

Par moments, c’était très difficile oui. S’exiler dans une ville étrangère avec moins de 5 000 balles en poche pour essayer de décrocher un truc, cela peut très vite devenir compliqué. Tu n’obtiens pas ce que tu espérais, tu es loin de chez toi, les thunes commencent à manquer, les copains et la famille ne sont pas là, tu te retrouves seul dans un pays dont tu ne parles même pas la langue… Donc à un moment, soit ça fonctionne et tu t’en sors, soit ça ne fonctionne pas et ça devient cent fois pire que si tu étais chez toi, entouré de tes proches. La communication nous a sauvés car, personnellement, je pense que la communication sauve tout. Cela peut même être un peu tabou, voire déplacé pour certains, de prendre parfois quelques instants pour juste discuter, juste pour échanger… Car en temps normal, dans le feu de l’action, entre deux lieux et deux projets, c’est très compliqué de tenir une vraie conversation. Il est clair que nous nous sommes tous tirés vers le haut car dès que l’un commençait à craquer, on se parlait. Parfois c’était un peu ridicule : à part nous demander si on voulait un café ou un thé, ou comment allait notre mère, nous ne parlions de rien de concret et au bout de vingt-cinq minutes de silence, quelqu’un trouvait enfin quelque chose à dire ! Et là tu dégonfles le problème. Et ça nous a permis de réaliser notre premier vrai rêve, à savoir passer à l’Élysée Montmartre. Car nous avions vu tellement de groupes qu’on adore là-bas, c’était notre ambition et quand on l’a fait on était comme des fous, comme des gosses. C’était aussi fou que le Stade de France ou Bercy pour nous !

Vous êtes partis de rien avec Shaka Ponk et malgré les obstacles, vous avez gardé la foi pour arriver à remplir des salles de 18 000 personnes. Entre ces difficultés inhérentes au fait d’être un artiste, et la situation sanitaire complexe que nous vivons tous en ce moment et qui rend la vie des artistes extrêmement compliquée, quels sont les conseils que tu donnerais à ceux qui voudraient lancer un groupe et le développer en 2020 ?

Putain chaud ! Ça va faire vieux con mais la France n’offre malheureusement pas un développement médiatique fou pour les groupes de rock, encore moins pour les groupes de metal même s’il y a un public. Et tu as vite fait de penser que tout le monde s’en fout de ta musique parce que ça n’intéresse personne simplement parce que ça n’intéresse pas les grands médias. Pour se sortir de ça, il faut surtout avoir conscience que l’entité « musique » n’a rien à voir avec la reconnaissance ou l’appréciation de l’entourage. L’entité musicale c’est le lien que tu as toi, avec l’art de faire de la musique. Et c’est cela qui doit être le plus important dans la tête de quelqu’un. Dans le corps, dans l’esprit et dans l’âme de quelqu’un qui fait de la musique. Et on a très vite tendance à oublier ça. Car on se dit : je fais de la musique avec mes potes, j’aimerais bien que ça fonctionne, que telle personne, telle maison de disques, telle radio m’aide, m’entende et aime ce que je fais. Et on a tendance à se perdre dans le regard des autres en fait.

Il ne faut pas perdre de vue que faire de la musique est totalement différent du désir de reconnaissance, sinon on se perd dans le regard des autres à vouloir obtenir leur approbation. Mettre à distance ce besoin de reconnaissance, ça permet de tenir. Le plus usant, c’est quand tu es en connexion profonde avec ta musique et ton groupe mais que tu as le sentiment de faire du sur-place alors que c’est tout le contraire ! Or bien sûr que ça avance puisque le premier intérêt de tout ça, c’est justement d’entretenir cette connexion. Alors ça paraît un peu baba cool de dire ça mais c’est hyper important pour avoir la force d’esprit de résister à toutes les critiques, à toutes les déceptions qui suivent les espoirs. C’est beaucoup plus facile quand tu fais de la variété ou de la pop urbaine en chantant en français : même si ce n’est pas très glorieux ce que tu fais, l’ouverture médiatique est bien plus importante et il suffit de faire pas mal de vues pour décrocher des passages à la radio. Et ça, indépendamment du style ! Si les Beatles arrivaient aujourd’hui et faisaient 10 000 vues, aucune radio ou maison de disques n’en voudrait ! Avant, la radio et les médias avaient vocation à faire découvrir des choses et les gens avaient à leur disposition un panel de choix monstrueux, ça n’existe plus du tout maintenant.

Interview réalisée par téléphone le 27 novembre 2020 par Amaury Blanc.
Retranscription : Natacha Grim.

Site officiel de Shaka Ponk : www.shakaponk.com

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