S’il s’est écoulé moins de temps entre ce nouvel opus et son prédécesseur qu’entre celui-ci et Illusion’s Play, Return To The Void prend en réalité sa source plus loin qu’en 2015. Le choix de son titre renvoie en effet, au-delà de son évocation d’un désespoir terminal, à un retour musical aux premières œuvres de Shape Of Despair, avec un travail de composition que Jarno Salomaa relie même à ses créations sous le nom de Raven. Après deux albums en forme de maillons faibles dans la discographie du groupe, Return To The Void constitue donc à la fois une continuité de Monotony Fields et un retour bienvenu vers un passé plus inspiré.
Illusion’s Play, lorgnant vers un doom-death à tendance atmosphérique, souffrait d’une surdose de synthés, qui occupaient à eux seuls de longs passages à l’intérêt relatif tout en laissant les guitares prendre le dessus dans le reste des morceaux, paradoxalement à la fois trop rapides et manquant de souffle. Monotony Fields rétablissait la dimension éthérée et précisément angélique de Shape Of Despair, renouait avec la symbiose entre synthés et guitares et revigorait quelque peu le chant de Natalie Koskinen, sans parvenir tout à fait, malheureusement, à faire mentir son titre. Marqué d’une certaine platitude, il peinait à raviver les émotions suscitées par les deux premiers albums du groupe. Avec Return To The Void, au contraire, Shape Of Despair semble avoir retrouvé le parfait équilibre entre ses différents éléments constitutifs.
L’album s’ouvre en grande pompe avec son morceau éponyme, mené de bout en bout par un rythme immuable, traduction sonore du fatalisme, mais porté vers des hauteurs surnaturelles par un chant féminin d’une grâce imposante. D’emblée, la dimension vocale s’impose comme une des caractéristiques saillantes de Return To The Void. Beaucoup plus travaillées que sur Monotony Fields, les lignes vocales féminines sont les plus intenses jamais entendues chez Shape Of Despair. Retrouvant leurs intonations à la Lisa Gerrard, notamment sur « Dissolution » où elles s’étendent en nappes surréelles, elles équilibrent par leur légèreté infinie – qui n’est pas absence de profondeur mais libération des lois de la matière – tout ce que le funeral doom charrie d’insurmontable pesanteur. En n’hésitant plus à placer plus en avant dans le mix le chant de Natalie Koskinen, les Finlandais tirent pleinement parti de la dimension heavenly voices qu’ils ont su intégrer au genre, pour une expressivité optimale.
A cet égard, « Solitary Downfall », grande pièce centrale de l’album, concentre toute la force que le groupe parvient aujourd’hui à atteindre : une longue entrée en matière, solennelle progression d’accords secondés par le martèlement implacable de la batterie, pave le chemin pour l’arrivée magistrale du chant, tour à tour incantatoire et plaintif, de Natalie Koskinen, qui se mêle aux synthés avant d’être rejoint par les growls abyssaux d’Henri Koivula, dans une danse toujours renouvelée des forces contraires. On pourrait croire le schéma éculé, Shape Of Despair le rend une fois encore passionnant. Instrumentalement, comme dans une mécanique de précision, chaque pièce s’imbrique dans l’autre à la quasi-perfection. Les guitares déploient des leads d’une beauté presque cruelle et parviennent à soutenir l’architecture tout en laissant les synthés les draper de leurs mantes vaporeuses. Au centre d’un constant tiraillement émotionnel, on hésite entre les appels émanant des hauteurs et la fatalité assénée, avec une impitoyable justesse de son, par la sempiternelle frappe de la caisse claire.
Shape Of Despair rend fertiles les champs de la désolation et fait paradoxalement surgir du néant de puissantes vagues d’émotions. La formation prouve avec ce retour très réussi sa capacité à atteindre les strates les plus intimes de l’âme, ces confins troubles où tristesse et espoir se mêlent de façon indistincte.
Clip vidéo de la chanson « Forfeit » :
Chanson « Dissolution » :
Chanson « Reflection In Slow Time » :
Album Return To The Void, sortie le 25 février 2022 via Season Of Mist. Disponible à l’achat ici