Dire que l’affiche proposée au CCO ce 22 septembre est alléchante est un doux euphémisme, ce pour deux raisons : d’une part le Shining norvégien est un groupe qui ne cesse d’impressionner, en témoigne sa récente prestation au Motocultor parmi les têtes d’affiche et son dernier opus, The International Blackjazz Society (2015), qui mérite amplement ses éloges. D’autre part, les passages d’Intronaut en Europe sont une denrée rare. Extrêmement rare même, à tel point que le concert alignant ces deux groupes en tant que co-headliner semble être une grâce tombée du ciel. Ainsi ce sont deux mastodontes du métal/rock progressif qui allaient se produire à Villeurbanne, avec en ouverture Obsidian Kingdom.
Pourtant, on pouvait déplorer la quasi-absence de public au début de la prestation d’Obsidian Kingdom. On se rappelle alors brièvement des clichés sur la scène musicale en France et les « râles » de certains musiciens lorsqu’ils constatent le succès d’un Maître Gims en parallèle. C’est inutile, c’est hors-propos et cliché (voire élitiste) mais difficile de ne pas y penser l’espace d’une seconde.
Artistes : Shining – Intronaut – Obisidian Kingdom
Date : 22 septembre 2016
Salle : CCO
Ville : Villeurbanne [69]
Heureusement, Obsidian Kingdom captive sans peine l’auditoire présent qui se gonfle au fur et à mesure que les titres s’enchaînent. Les musiciens originaires de Barcelone pratiquent un rock progressif qui parfois rappelle certains airs de Neurosis, mais surtout, la maîtrise déployée est rare pour une « première partie ». Même les balances ne viennent pas ternir leur prestation (à part quelques soucis épars d’équilibrage du chant), et Obsidian Kingdom joue bien davantage que le simple rôle de « hors d’oeuvre ». Ces derniers se montrent convaincants à tous les niveaux, pleins d’entrain malgré une audience réduite qui a le mérite de ne pas se montrer hermétique aux découvertes. Des titres comme « Black Swan » ou « Last Of The Light » suffisent à montrer l’éventail d’influences et la polyvalence que le groupe possède, de quoi permettre à Intronaut d’emboîter le pas sans briser l’atmosphère d’écoute religieuse qui s’installe progressivement.
Car c’est Intronaut qui enchaîne, laissant à Shining le soin de clore le live. Avec leur dégaine extrêmement décontractée, bière à la main, le quatuor de Los Angeles ne paye pas de mine. Et pourtant. Jouant l’intégralité de leur dernier opus The Direction Of Last Things (2015), Intronaut désarçonne tout ceux qui pouvaient encore douter de leur précision et du rendu live (la fin de « Digital Gerrymandering » laisse encore des frissons). Rien n’est laissé au hasard, surtout le chant qui se montre d’une propreté insoupçonnée. Danny Walker fait honneur à ce que disait Danny Carey (Tool) à son propos : « c’est un monstre », tout simplement. Mention spéciale au bassiste Joe Lester, au centre de la scène, mélange hybride entre nonchalance et bonhomie et qui rappelle de fort belle manière que non, la basse dans un groupe n’est pas l’ « équivalent de la feuille de salade dans le hamburger ». Le groupe enchaîne les titres gratifiant le public de quelques « Thank You » et d’un discours de fin succinct qui remercie l’audience et l’opportunité qui leur est donnée de se produire devant nous. Intronaut se montre humble, pourtant ils pourraient ne pas l’être. Le set se conclut par « The Welding » qui a l’allure d’un classique et finit d’achever les spectateurs. Intronaut ne mérite pas d’être plus connu chez nous. Il se doit de l’être.
Shining est une autre bête, peut-être moins cérébrale. Elle a aussi plus de notoriété chez nous, en témoigne un statut de tête d’affiche au Motocultor de cette année. Surtout, Shining est sur une pente ascendante. The International Blackjazz Society offrait quelque chose de neuf, sorte de mélange entre sonorités indus à la Blacklight Burns, passages rocks effrénés qui viennent côtoyer l’énergie d’un Queens Of The Stone Age et la touche singulière du groupe : breaks jazz et saxophone déluré. Vêtus de leur traditionnelle chemise noire, Shining en impose. Sobre, classe et bourré de charisme. Surtout, les Norvégiens semblent avoir une énergie intarissable. Jørgen Munkeby n’arrête pas de taper dans les mains des spectateurs, de leur adresser la parole et de se briser gentiment la nuque lorsqu’il se saisit du saxophone et se déchaîne en montant sur les enceintes de retour. Visuellement, Shining arrive à divertir et ce via très peu d’artifices. Au-delà de la musique, le groupe cultive une sorte d’attitude, un « style Shining ». Le groupe enchaîne les titres, allant du tube « House Of Control » au torturé « The Madness And The Damage Done ». Surtout, Shining gratifie le public villeurbannais d’une exclusivité, le nouveau titre « My Church », qui démontre le sens de l’accroche du groupe mêlé à une folie maîtrisée. Si Shining possède encore des aspects hermétiques au sein de sa musique qui peuvent encore rebuter les auditeurs les plus frileux, cette aisance à les conjuguer avec des passages appréhendables prouve un talent de composition singulier.
Au final, l’affiche de ce soir n’a pas réellement surpris. Chaque formation a tenu son rang, à savoir celui de figure de proue de la musique alternative. Autant profiter de l’atmosphère « intimiste » que procure l’excellente (mais petite) salle du CCO avec les artistes, bien que quelque part on puisse déplorer que ces derniers n’aient pas encore la notoriété proportionnelle à leur talent. La musique n’a de toute façon cure d’une quelconque forme de justice. Quoi qu’il en soit, ce 22 septembre, tout le monde était convié à la cour des grands.
Setlist (source Setlist.fm) :
I Won’t Forget
The One Inside
Fisheye
My Dying Drive
My Church (new song
Last Day
Thousand Eyes
House Of Control
The Last Stand
Need
The Madness And The Damage Done
Healter Skelter
Photo : Nicolas Gricourt (Hellfest 2015).
Intéressant compte-rendu, bien écrit en plus.
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