Parfois, ça a du bon de s’arrêter un instant et de contempler le chemin qu’on a parcouru jusqu’à présent, pour ensuite repartir de plus belle, avec des idées recentrées, fraîches, et des objectifs réaffirmés. C’est ce qu’ont fait les Toulousains de Sidilarsen en 2017, célébrant vingt ans de carrière. Deux ans plus tard, c’est suite à un nouveau changement dans le line-up mais aussi avec une détermination sans faille qu’ils nous reviennent pour présenter un septième opus coup de poing : On Va Tous Crever. Un titre sans équivoque, provocateur, qui cache un exutoire à coup de gros riffs et de critiques acerbes quant à la direction que prend l’humanité.
David Cancel alias Didou et Benjamin Bury alias Viber, respectivement chanteur et chanteur-guitariste, nous racontent ce qui s’apparente à certains égards à un nouveau départ, faisant également le point sur les vingt ans passés et précisant où le groupe en est aujourd’hui. Engagé, Sidilarsen l’est plus que jamais : ils nous parlent de ce besoin punk, révolté, de questionner la marche du monde.
« Nous avions une envie d’en finir une bonne fois pour toutes avec cette vieille idée qui traînait que Sidi était entre plusieurs choses, que ce n’était pas vraiment ceci, ni cela… Nous voulions montrer que notre ADN était avant tout metal, que nous faisions partie de cette scène-là, parce que c’est la réalité. »
Radio Metal : Depuis Dancefloor Bastards, Sidilarsen a passé un cap : vous avez eu vingt ans en 2017, ce que vous avez fêté avec une soirée anniversaire exceptionnelle à Toulouse, qui a donné le live In Bikini Dura Sidi sorti l’an dernier. C’était important pour vous de marquer cet anniversaire, de vous « poser » un peu pour contempler votre parcours, avant de repartir de l’avant ?
David « Didou » Cancel (chant) : Honnêtement, nous nous sommes posé la question ! Tu as raison. Après ce Bikini, où nous étions très émus parce que c’était sold-out et que le public était fou, nous étions très touchés, et il y a eu une décompression derrière, avec un état de : « Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Quelle suite ? Qu’est-ce qu’on va faire ? » Puis il y a eu le changement de line-up avec le changement de bassiste, et là, le désir, l’envie de créer est vite remontée. Et nous nous sommes jetés à corps perdu dans le nouvel album On Va Tous Crever. C’était très instinctif.
Benjamin « Viber » Bury (chant & guitare) : C’était très important pour nous de marquer le coup parce que les fans nous réclamaient ce live depuis très longtemps, et c’était l’occasion ou jamais, forcément, pour les vingt ans. C’était avant tout merveilleux, mais c’est vrai que la suite nous a amenés à nous retourner sur notre carrière passée et à envisager notre avenir.
La bio promo parle de « virage » pour décrire le nouvel album, et c’est effectivement le sentiment qu’il donne. Vous n’avez jamais été aussi hargneux et enragés, avec les riffs de guitare musclés au premier plan. Dans « We Come To Get It », vous dites « on durcit le ton » et vous parlez d’un « nouveau départ ». C’est donc ça, cet album, un nouveau départ ?
Ouais, il y a de ça. Ça reste du Sidi, mais c’est une nouvelle façon de faire, c’est plus concis, plus compact, et c’était la façon la plus naturelle pour nous de nous exprimer cette fois-ci, et nous sommes tombés d’accord là-dessus, c’est comme ça que nous l’avons senti. Nous avions envie de ce cadre-là, plus incisif et plus metal. Ça correspond aussi à ce que nous avions envie d’exprimer dans le contenu.
David : C’est ça, le contenant et le contenu vont ensemble. Il y avait une envie d’un nouveau départ, effectivement. Après vingt ans, nous nous disions : « On fait quoi ? On stagne ? On arrête ? Ou on se réinvente ? » Mais c’est sans prétention absolue. On ne peut pas se réinventer du jour au lendemain. Mais il y a quand même une envie de nouvelles énergies, d’excitation et de dangerosité. Nous avions besoin de ça, de quelque chose de plus dur qui soit aussi en phase avec un sentiment plus général par rapport à ce que nous vivons aujourd’hui, et ce que l’humanité traverse ces derniers temps.
Comment est-ce que vous avez abordé et travaillé ce virage musical ? David, tu disais à l’époque de Dancefloor Bastards que vous aimiez « varier les méthodes pour éviter de tomber dans une routine ».
Benjamin : Oui, carrément ! Nous avions déjà l’esthétique et l’idée en amont, ce qui nous a permis de suivre un code de conduite…
David : Une charte !
Benjamin : Je déteste ce mot ! [Rires] Ça n’était imposé par personne, mais par nous-mêmes. C’était aussi sous-tendu par le changement de line-up. Nous n’avons pas voulu faire comme si ça n’existait pas, parce que c’était important, donc il y avait besoin d’un élan après ça.
David : Sur Dancefloor Bastards, c’est vrai que nous avions « innové », nous avions une méthode d’enregistrement où nous pouvions tour à tour enregistrer le chant, la batterie, les guitares, nous voulions garder quelque chose de spontané, d’assez live, et d’assez sale. Dancefloor Bastards était peut-être notre album le plus sale. Pour celui-là, nous l’avons voulu très produit, très gros. Nous voulions vraiment du gros son, bien dur et sombre. Donc nous avons encore changé les méthodes, mais nous avons travaillé avec la même personne, avec Plume. Donc il y a quand même des points communs, des savoir-faire, des choses que nous maîtrisons. Mais là, il y avait une envie de tout soigner nickel. Par contre, les compos et l’album se sont faits rapidement. Même si nous avons tout bien soigné, tout a jailli très vite, mais c’est moins dans une optique rock’n’roll et sale, comme sur Dancefloor Bastards. Nous voulions du gros metal, et c’est pour ça que nous avons choisi de masteriser avec Drew Lavyne à New York.
C’est ça qui est marrant, car les trois derniers albums ont été faits avec le même producteur, Plume, et pourtant, ce sont trois partis pris de production différents…
Carrément. C’est cool si tu le ressens, ça fait plaisir.
Benjamin : C’est son super pouvoir : il arrive à nous suivre dans nos délires [petits rires].
David : Il sera touché si on lui fait des retours là-dessus, parce que c’est quelqu’un qui est très sensible et qui essaie vraiment de coller au mieux à ce que veut l’artiste, et des fois presque trop. Des fois, nous lui disions : « Plume, dis-nous stop ! Dis-nous si là il faudrait plutôt faire comme ça. » Et lui veut tellement bien faire, il dit : « Non, mais il y a toujours une solution, j’ai envie de faire ce que vous me demandez. » Des fois, ce sont des casse-têtes, et lui va chercher la soluce, quoi qu’il arrive. C’est passionnant de bosser avec un mec comme ça.
« Nous avons tellement fait de morceaux à fond positifs, avec un fond positif, ça fait du bien aussi des fois de foncer dans le tas avec un peu de mauvaise foi très pessimiste. C’est pour faire réagir, et pour un peu provoquer une réaction, une réflexion. »
Ce qui est frappant, c’est à quel point on peut rapprocher votre évolution de celle de Mass Hysteria qui a énormément durci le ton depuis dix ans, et ça leur a extrêmement bien réussi. Aujourd’hui, on retrouve les mêmes paramètres entre les deux groupes : gros riffs, électro et textes engagés. Est-ce que voir le parcours de Mass Hysteria ces dernières années et leur montée en puissance vous a inspirés, ne serait-ce que de façon subliminale ?
Benjamin : Inconsciemment, c’est possible. Mais je pense que l’époque s’est aussi beaucoup durcie. Beaucoup d’artistes sont allés vers quelque chose d’un peu plus sombre et d’un peu plus dur.
David : Si tu regardes No One Is Innocent, c’est pareil, on pourrait en citer beaucoup. Même Lofofora ont durci depuis plusieurs albums. C’est une histoire d’époque, de ressenti, de crise de la quarantaine… Je pense que tous ces groupes-là, nous sommes des survivants. Nous avons traversé vingt balais, deux décennies, c’est énorme. Nous en parlions avec Mouss, pour le DVD, et il nous disait : « Vous vous rendez compte, les gars, vous avez passé vos vingt balais ! » C’est ça, le point commun. Ce n’est pas vraiment une influence de l’un ou de l’autre, c’est plus une histoire d’époque, de ressenti. C’est un besoin.
Benjamin : Ouais, puis disons que si aujourd’hui nous continuons à faire du metal passé vingt ans de carrière, nous n’avons pas envie de nous cacher derrière une brindille, nous faisons vraiment du metal, nous assumons à fond cette musique qui a une part de violence et de rage, et nous l’exprimons de cette manière.
David : Dans notre cas précis, sur cet album, au-delà du fait de durcir le ton comme nous le chantons sur « We Come To Get It », il y avait une envie de quelque chose de plus resserré dans les choix artistiques, une envie de plus de cohérence. Et la cohérence, chez Sidi, ça reste la base metal électro / metal indus. Nous voulions éviter de partir sur des morceaux plus rock et plus pop, comme on a pu le faire à un moment avec passion et envie. Mais là, nous avions tout simplement envie d’aller dans une direction et pas douze. C’était aussi pour aller plus loin dans la prod, vraiment approfondir le sujet et arriver à une prod soignée. C’est vrai que quand tu exportes plusieurs univers au sein d’un même album, c’est un peu plus compliqué d’avoir une prod aussi poussée que celle d’On Va Tous Crever.
Vous avez l’impression d’avoir manqué de cohérence dans le passé ?
Ça a pu arriver. Parfois, oui. Mais ça fait partie de notre cohérence à nous ! [Rires] C’est notre identité, il faut aussi essayer des choses pour savoir ce que tu veux faire.
Benjamin : Nous avions aussi une envie d’en finir une bonne fois pour toutes avec cette vieille idée qui traînait que Sidi était entre plusieurs choses, que ce n’était pas vraiment ceci, ni cela… Nous voulions montrer que notre ADN était avant tout metal, que nous faisions partie de cette scène-là, parce que c’est la réalité.
David : C’est quand même ce qui nous a donné envie de prendre nos instruments et de faire un groupe à la fin des années lycée, quand nous étions naïfs et que nous rêvions d’être des stars du rock ! Mais sérieusement, nous écoutions du metal. Après, nous avons toujours été très ouverts, et nous continuerons à l’être, mais c’est vrai que les racines, c’est ça, et il y a un besoin de racines en ce moment, et d’affirmation.
Comme vous l’avez dit, cet album est aussi le premier avec votre nouveau bassiste Sylvain Sarrobert, qui d’ailleurs se fend d’un joli slap sur « God’s Got Guns » et d’un solo tout en douceur à la fin de « We Come To Get It ». Est-ce que vous pouvez nous parler de son intégration et de ce qu’il apporte à Sidilarsen ?
Benjamin : C’est quelqu’un qui sait composer, qui a un bon bagage musical, technique aussi, donc il a des facilités techniques qui lui permettent musicalement de prendre part à la compo très rapidement, puisque nous avons commencé à composer en avril 2018, et il était arrivé en mars. Nous avions besoin de ça. Nous apprenons toujours à travailler et jouer ensemble. Nous avons fait très peu de dates ensemble, mais ça s’est bien passé naturellement, et nous nous sommes surtout retrouvés sur les envies musicales, donc il a pris part au projet de façon active. Forcément, ça a amené de la fraîcheur, et aussi dans le basse/batterie : il y a une nouvelle cohésion dans cet album, un espace de jeu plus étendu.
David : Il y a du plaisir dans le basse/batterie et pour Sam, à la batterie, ça réveille en lui des jouissances et des plaisirs anciens. Parfois, tu t’endors dans des automatismes. Là, ça l’a réveillé, ça lui fait du bien à la batterie. Nous, ça nous a stimulés, car ça amène de la fraîcheur, et ce que je trouve intéressant, c’est que Sylvain a amené un jeu qui n’est pas forcément celui vers lequel nous serions allés tout de suite, sauf que ça nourrit Sidi, ça nous enrichit, et pas du tout au détriment de Sidi et de l’identité du groupe. Il est même respectueux de ça. Ce que j’ai trouvé intéressant, c’est que c’est un gars qui évolue plus sur la scène djent, ou sur la scène des musiques actuelles, car il est plus jeune que nous, et en même temps, il avait énormément de respect et d’admiration pour Sidilarsen. Alors que nous avons parfois croisé des musiciens super techniques et tout, et Sidilarsen, ça ne leur parlait pas spécialement. Lui a les deux dimensions, un côté un peu technique, et un côté où il aime la musique, et Sidilarsen, ça lui parle, parce que c’est quand même de la musique émotionnellement forte. Là, il commence à trouver l’équilibre, et nous aussi, mais c’est encore tout frais. Ce qui est intéressant, c’est d’avoir pondu un album comme ça, naturellement ; une rencontre entre un gars et un bon vieux groupe. Ça amène du bon. Je pense que nous aussi, nous étions dans une envie d’évolution de toute façon, sinon, nous n’aurions pas pu accueillir quelqu’un comme ça. Si nous n’étions pas prêts à changer, nous aurions pris un exécutant de base. Là, nous lui avons quand même laissé une place, même s’il y a un cadre dans Sidi, et il a vite compris les rouages du groupe. C’est très intéressant.
« Changer le monde juste avec une chanson, non. Pour faire une révolution, il faut forcément prendre des armes. Mais une guitare reste un instrument révolutionnaire et c’est pour ça que ça donne envie. »
Pour le slap, la plupart du temps, personnellement, je déteste le slap. Viber, je pense que tu me rejoins, c’est à peu près pareil. C’est à chier le slap ! [Rires] Nous essayons de provoquer un peu… Nous ne sommes pas clients de ce genre de chose, mais là, la façon dont il l’a placé, j’ai trouvé ça très intéressant, ça amène du relief, c’est un petit passage avec un clin d’œil old school, ça m’évoque des trucs comme Infectious Grooves ou le bassiste de Suicidal Tendencies, et juste derrière, ça re-patate très lourd, dans le morceau, et je trouve ça super intéressant. Quand c’est au service de la musique, n’importe quelle technique de jeu ou n’importe quelle approche peut être intéressante. Il n’y a pas de limites, donc c’est cool. Ça va séduire quelques vieux ringards techniciens… Je fais exprès, je suis très provocateur là ! Les gars qui font : « Ah ouais, vas-y, ça joue, c’est bon ça ! » [Rires] Ça nous fait marrer aussi. Des fois, il faut un peu de légèreté, c’est cool.
Et ce final assez long à la basse sur « We Come To Get It », c’était quoi l’idée ?
Besoin d’air !
Benjamin : Ouais, nous ne voulons pas que ça fatigue trop non plus. C’est un espace où l’on peut reposer les oreilles et aborder, pour ceux qui veulent, l’album à l’ancienne, comme on faisait jadis, l’écouter en entier, ça fait plaisir ! [Petits rires]
David : C’est sacré, le format album, chez nous. C’est une œuvre à part entière. C’est vrai qu’aujourd’hui, nous sommes dans un monde où il est bon d’écouter la musique en écoutant juste un titre, puis de zapper et passer sur autre chose. Et c’est vrai qu’un album, pour nous, ça reste une œuvre à part entière, et cet espace-là permet de reprendre son souffle. Nous avons toujours eu besoin dans nos albums d’avoir un équilibre, même si c’est un album puissant que nous voulions assez dur, intense et metal, il fallait une respiration pour ceux qui ont envie d’aller jusqu’au bout. Il fallait reprendre un peu son souffle, et ensuite, il y a la dernière ligne droite.
Au sujet du départ de Fryzzzer [Julien Soula], vous disiez dans un communiqué que vos « trajectoires de vie se sont éloignées ». Qu’entendiez-vous par là ?
C’est la vie, tout simplement. Nous sommes tous des quadras maintenant, sauf Sam, mon frère, à la batterie, qui se rapproche de la quarantaine. Et vingt ans ensemble, ce n’est pas rien, c’est énorme, c’est beaucoup. Et nous étions arrivés à un moment de notre carrière où le fait de se dire : « Allez, on remet le couvert, on repart pour dix ou vingt ans », ça demande de s’impliquer énormément. Et nous sentions que Fryzzzer était moins impliqué, il était concentré sur d’autres choses, et nous avions besoin de beaucoup d’implication à cinq pour avoir des énergies communes.
Benjamin : Ce n’est pas son seul point d’attache, et il fallait avoir une conviction, une envie sans faille, pour redémarrer à ce moment-là, ce dont nous avons besoin.
David : Nous en avons parlé ensemble, nous étions d’accord sur le constat qu’il était beaucoup plus cohérent de poursuivre nos routes différemment, que lui puisse continuer la sienne en respect total et en toute amitié, et nous, que nous puissions foncer avec de nouvelles énergies, parce que ça peut être autodestructeur. Un groupe, ça sollicite beaucoup, et il suffit qu’il y en ait un qui soit un peu moins à fond, tu le ressens, et ça démotive toutes les troupes. En tout cas, chez nous, c’est comme ça.
On Va Tous Crever, c’est très frontal comme titre, très punk finalement ; d’ailleurs, dans la chanson éponyme vous dites : « Cette fois-ci, c’est vraiment no future », qui est le fameux slogan des Sex Pistols. Même si on ne peut pas vraiment qualifier votre musique comme telle, est-ce que vous vous considérez comme des punks ?
Benjamin : [Rires] Il y a forcément un côté punk ! Ce qui est bien dans le punk, c’est le truc de faire les choses soi-même, de faire avec ce qu’on a, avec un maximum de sincérité. C’est tout l’inverse que de planifier, d’imaginer des tas de conneries avant. C’est de faire, de foncer dans le tas avec sa conviction, etc. Donc il y avait cette urgence-là, et nous avions vraiment envie d’enfoncer le clou sur nos racines, le metal. Nous faisons du metal, la preuve, et nous voulons faire un gros album, lourd et massif, plus que nous l’avons jamais fait. Pas pour nous le prouver à nous-mêmes, mais parce que nous en avons envie. Donc ce côté punk-là, révolté aussi, oui, forcément. Après, le punk évoque un style de musique, plusieurs même, que ne partagent pas forcément tous les membres de Sidilarsen.
David : Non mais c’est vrai que c’est un esprit, c’est bien au-delà de la musique, je rejoins à fond ce que tu dis. Je pense que le simple fait d’être un groupe de metal français et d’habiter à Toulouse, en soi, c’est être punk.
Benjamin : Après, ça rejoint aussi le punk, historiquement, les Sex Pistols et surtout The Clash, qui ont eu un rôle social très important à leur époque, et une puissance populaire de revendication, avec des titres qui, lorsqu’on écoute les paroles, portent encore aujourd’hui. Donc cette dimension sociale est aussi dans l’ADN de Sidi. Là-dessus, modestement, nous rejoignons un peu ça.
On Va Tous Crever, c’est aussi extrêmement pessimiste ; ce pessimisme, vous l’expliquez dans le morceau éponyme par les contradictions auxquelles les gens sont confrontés, comme s’il n’y avait que des voies sans issue. Par exemple, on nous met en garde contre le problème du climat, mais à la fois, les gens n’ont tout simplement pas les moyens d’être éco-responsables, changer de voiture, etc.
Tu parles, il n’y a qu’à les rendre accessibles, ces bagnoles ! [Rires]
« Cette responsabilité d’avoir un porte-voix, et d’être écoutés et entendus, nous l’assumons. Il faut faire gaffe, mais il faut être soi, et surtout, on a le droit de se tromper. On a même le droit de se contredire. »
Pourtant, on remarque, surtout vers la fin de l’album, des chansons plus positives : « Powerful Day », « Dans Tes Bras » ou « L’Ardeur Du Vivant ». Du coup, ce pessimisme est-il une façade pour faire réagir ? Gardez-vous espoir et foi en l’être humain ?
Disons que oui, foi en l’être humain, bien sûr. C’est grâce à ça que l’on vit et que l’on peut prendre du plaisir et avoir du bonheur dans la vie. C’est forcément grâce à autrui. Nous avons tellement fait de morceaux à fond positifs, avec un fond positif, ça fait du bien aussi des fois de foncer dans le tas avec un peu de mauvaise foi très pessimiste. C’est effectivement pour faire réagir, et pour un peu provoquer une réaction, une réflexion. De l’autre côté, comme dans « L’Ardeur Du Vivant », il y a effectivement toujours une balance. Bon, là, elle est en train de pencher d’un côté un peu… [Rires] Mais dans certains milieux très hostiles naturels, il y a quand même de la vie qui, quoi qu’il arrive, parvient à se développer. Donc il y a une force vitale dans tout ce qui existe, qui est aussi totalement incroyable que la destruction de l’autre côté. Donc nous parlons de cet équilibre-là entre les deux, et il fallait quand même des morceaux un peu plus positifs ! [Rires] Mais bon, la réflexion est plutôt positive, même sur « On Va Tous Crever », je pense. Ça permet de se dire que quitte à aller droit dans le mur, autant profiter de la vie et des uns des autres avant. Ça peut être pas mal.
Aujourd’hui, avec tout ce qui se passe dans le monde, le côté engagé connaît un regain de puissance dans le rock et le metal, on voit même le retour de certaines figures de proue du genre avec Body Count ou encore Prophets Of Rage. D’un autre côté, Mouss de Mass Hysteria nous disait qu’il avait essayé de parler un peu d’autre chose sur leur dernier album parce que « ça tourne en rond » et il se demandait : « Qui suis-je pour changer les choses ? » Il disait qu’il y a des grands noms – comme Gandhi ou Stephen Hawking – qui n’ont pas changé le monde, alors il se demandait ce que lui pouvait bien faire « dans son petit salon à Paris ». Il disait, un peu résigné, qu’« ils ont gagné, quelque part, les enculés ». Vous pensez que la musique peut encore avoir un impact et changer les choses ?
Bien sûr, nous pensons que ça peut avoir un impact. Après, de quelle ampleur ? Ça, je pense qu’il reste minime, mais pour une personne à un moment, il peut être gigantesque. Donc forcément, c’est une double réponse, parce que, est-ce que ça peut changer le monde ? Je ne sais pas, mais en tout cas, ça peut aider et accompagner les évolutions, les prises de conscience, les mouvements sociaux… Changer le monde juste avec une chanson, non. Pour faire une révolution, il faut forcément prendre des armes. Mais une guitare reste un instrument révolutionnaire et c’est pour ça que ça donne envie. Nous pouvons aussi être extrêmement cyniques, nous le sommes des fois, et nous essayons justement de ne pas redire tout le temps les mêmes choses et de ne pas tourner en rond, autant sur la forme que sur le fond. Et j’espère que nous y arrivons. Des fois, nous réécrivons les mêmes chansons, mais mieux ! [Rires]
Les sujets auxquels vous faites référence, que ce soit l’Europe ou le sujet climatique, sont des sujets qui s’avèrent très complexes et que d’un côté comme de l’autre on a tendance, surtout à cause des réseaux sociaux, à beaucoup simplifier et placer sur le plan de l’émotion. Ne craigniez-vous pas, de vote côté, de tomber dans ces mêmes raccourcis en abordant ça dans un format finalement assez limité tel que la chanson, qui est plus propice aux punchlines qu’à un discours raisonné et documenté ? Comment abordez-vous ça, quelle est votre approche ?
Oui, c’est sûr que la chanson ne peut pas être une tribune politique, ce n’est pas la même chose, c’est plus de l’émotionnel, forcément au premier degré. Je pense que ça se sent dans la sincérité, c’est un véhicule émotionnel qui trompe assez peu. Dans certaines chansons de Sardou, on voit bien que ce n’est pas de gauche… Après, j’espère que ça pose des questions qui parfois amènent certaines personnes, qui ne cherchent pas ou peu, à s’intéresser aux sujets évoqués. Nous, nous soulevons des choses, nous ne prétendons pas répondre à toutes les questions, et encore moins à être des chefs de file d’un mouvement politique. Mélenchon n’écrit pas de chansons…
David : Je pense qu’il y a suffisamment d’indices dans ce que fait Sidi, suffisamment de contradictions aussi pour éviter de tomber dans des raccourcis. Après, ceux qui ont envie d’y tomber, grand bien leur fasse. Mais dès que tu prends un peu la peine de gratter, tu vois vite qu’il y a de quoi se poser des questions soi-même, de quoi réfléchir, et nous voyons que nous-mêmes nous n’avons pas forcément les réponses. Nous ne sommes pas en train de brandir des vérités, de balancer du slogan… Parfois, il y a de la punchline ou du slogan, c’est tout à fait assumé, quand c’est au service du morceau et du propos, mais derrière, le propos va souvent plus loin, il suffit juste de lire et d’écouter les paroles dans leur ensemble et de ne pas juste extraire quelque chose. Effectivement, il peut arriver qu’une punchline émerge et submerge le reste. Ça, c’est inévitable. Quand tu fais du rock, tu es bien obligé, tu balances des refrains, tu cherches aussi l’efficacité dans cette musique pour qu’elle puisse parler directement aux gens. Mais dans Sidi, ça ne sera jamais du simplifié, nous ne sommes jamais dans une caricature, il y a toujours quelque chose derrière. Il peut y avoir de la provoc, il peut y avoir de la recherche d’efficacité, mais derrière, il y a toujours quelque chose à creuser. Après, ceux qui n’ont pas envie de creuser, tant pis ! [Petits rires] Il y en a marre de ce monde où il faut que tout soit prêt directement, et effectivement les réseaux sociaux cultivent cela. Si nous allons un peu provoquer avec un titre d’album, derrière, il y aura quand même de quoi creuser et de quoi réfléchir. Après, à chacun de faire la démarche ou pas.
Benjamin : Après, ce n’est aussi que de la musique. C’est ça qui est bien. C’est très important, mais ce n’est que de la musique.
Être engagé, c’est très clivant, certains groupes n’osent pas pour ne pas diviser leur public. Ce n’est pas quelque chose qui vous fait peur ?
David : Nous nous en bâtons les couilles, clairement. A chaque fois que nous nous sommes posé la question, nous nous sommes dit : « Mais non, on s’en fout. Soyons sincères. » On n’a pas raison, mais on n’a pas tort non plus. De toute façon, faire du metal, c’est déjà un acte engagé. Comme nous le disions tout à l’heure, vivre à Toulouse, faire du metal avec du chant en français, c’est déjà être punk, être en marge un minimum, et forcément engagé dans sa vie. Après, il y en a qui préfèrent se cacher derrière l’art pour dire : « Moi, je prends jamais parti dans rien, je ne veux jamais être moralisateur. » Ça se comprend. C’est vrai que nous, ça n’est pas notre position. Nous montons sur scène, nous mettons un micro, nous influençons des jeunes. Je pense surtout à la jeunesse, parce que les autres sont mieux armés pour savoir ce qu’ils ont envie de faire. Il y en a qui sont aigris, qui se plantent, qui font de la merde, mais ils sont mieux armés. La jeunesse est parfois en recherche de piliers, d’exemples, et Sidilarsen en fait partie, à sa modeste mesure. Si nous pouvons parfois amener des jeunes à se questionner dans la bonne direction, ou en tout cas être un repère pour eux à un moment donné de leur vie, je trouve ça touchant. Parce que ça a été mon cas personnellement, quand j’étais ado. Parfois, il y a des groupes de rock qui t’amènent beaucoup de réconfort quand tu es dans une période de ta vie où tu es paumé, où tu te questionnes…
« Si on se réveille un matin, en France, et qu’il n’y a plus aucun artiste engagé, ça ne me rassurera pas du tout. Je préfère des artistes qui s’engagent et qui disent de la merde, qui se rétament, qui se plantent, c’est rassurant. »
Benjamin : Quand on est fan de cette musique, il y en a pour tous les moments, pour accompagner plein de choses, c’est ça qui est fort. Je me souviens, quand j’ai écrit « La Morale De La Fable », qui est un morceau très marquant de Sidi, j’ai pris le temps pour faire gaffe à ce que nous disions, etc. En tout cas, cette responsabilité d’avoir un porte-voix, et d’être écoutés et entendus, nous l’assumons. Il faut faire gaffe, mais il faut être soi, et surtout, on a le droit de se tromper. On a même le droit de se contredire.
David : Moi, ça me rassure. Si on se réveille un matin, en France, et qu’il n’y a plus aucun artiste engagé, ça ne me rassurera pas du tout. Je préfère des artistes qui s’engagent et qui disent de la merde, qui se rétament, qui se plantent, c’est rassurant.
Benjamin : Ouais, on ne jouera pas de la flûte pendant l’apocalypse, ce n’est pas possible ! [Rires] Ce serait vraiment dommage.
Dans « We Come To Get It », vous parlez d’offrir « un espace de liberté entre l’enfer et le ciel, tout le monde à égalité pour lâcher les décibels ». On dirait que ce titre a été conçu comme votre nouvel hymne et on le voit déjà faire un malheur en live. Est-ce que les concerts, c’est l’un des derniers refuges qui nous restent, selon vous ?
David : En tout cas, ça fait partie des instants où nous oublions tout le reste, quand nous sommes avec le public.
Benjamin : Effectivement. Ce sont les moments où nous pouvons ranger les téléphones et profiter de l’instant.
David : Et j’ai même remarqué un truc que j’ai trouvé assez jouissif, c’est que je trouve qu’il y a moins de téléphones dans les airs depuis un an ou deux. Sur les concerts, c’est devenu un fléau, les mecs et les nanas qui veulent absolument filmer et faire des photos, souvent faire des vidéos et des photos totalement inutiles.
Benjamin : Non mais c’est parce qu’ils sont trop lourds les téléphones maintenant, en fait ! [Rires]
David : En tout cas je l’ai remarqué, peut-être que je suis ouf, mais vraiment, je suis encore allé à un concert au Bikini la semaine dernière, et je me faisais la remarque : il y a vachement moins de téléphones levés, sauf quand l’artiste s’amuse avec et propose au public d’allumer les téléphones, ou des choses comme ça. J’ai l’impression que les gens ont vraiment envie de déconnecter ! Tiens, ça me rappelle un morceau sur l’album… [Rires] Ils ont envie de sacraliser l’instant et d’arrêter avec cette connerie d’être toujours ultra connectés. Après, ce que je raconte est dérisoire, dans l’océan de merde qui tombe sur l’humanité et qu’on a bien cherché, mais dès qu’il y a de petites choses positives, j’aime bien les signaler. C’est un truc que j’ai remarqué, à voir si ça se confirme. Et donc oui, c’est un espace de liberté, et je crois que le public en a envie, en tout cas.
Benjamin : C’est ça ! Ils réclament… Bon, de meilleurs salaires, déjà, mais aussi plus de liberté ! [Petits rires] C’est un espace choisi où on peut, en l’espace d’une ou deux heures, se laisser emporter ailleurs.
David : Et communier. C’est vrai qu’il y a des moments où nous nous retrouvons à retrouver foi en l’humain, et à y croire. Quand nous chantons : « Tant que l’humain s’adresse à l’homme, nous sommes des milliards contre une élite », etc., ça peut frôler la démagogie et le populisme, mais quand nous chantons avec le public, je me retrouve à y croire. Ça, ce sont des choses irremplaçables. Et c’est pareil côté public. Quand je vais voir un concert et que je suis dans le public, il y a des moments où, je ne sais pas, c’est puissant, c’est irremplaçable. C’est inattaquable.
Vous parliez de se déconnecter, et ça fait justement penser à « Zéro Un Zéro » qui résonne comme une vive critique de la technologie (« L’avenir qui se dessine, écrasé par la machine » / « Il faut déconnecter ») : n’est-ce pas ironique pour un groupe qui utilise et a utilisé autant les machines ?
Bien sûr !
Benjamin : Sans blague ! [Rires] Évidemment qu’il y a les deux, puis la machine, ça représente aussi la machine à broyer sociétale, la machine à réussite, la machine à fric qui laisse des gens sur le bord de la route et qui les oublie.
David : Après, oui, forcément, c’est ironique. Après, la machine, tout dépend de ce que l’on en fait. Quand c’est la machine à broyer l’humain, c’est nul. Si on utilise de la technologie pour plus d’écologie humaine et d’écologie tout court, ça peut être intéressant. Vive Benoît Hamon ! Non, je dis n’importe quoi [rires]. Si on arrête d’aller travailler, ça peut être bien ! Non mais tout dépend de ce qu’on fait de la technologie, tout simplement.
Benjamin : En fait, tout simplement, quand l’homme était obligé de tout faire à la main, genre creuser des trous, porter des pierres, puis qu’on a inventé la machine pour le faire, on faisait dix fois plus de travail avec dix fois moins d’efforts et en dix fois moins de temps. Donc là, pour le coup, la machine, c’est positif. C’est juste que là, ça a pris une tournure qui s’est accélérée, qui s’est aggravée surtout dans l’ultra-connexion, partout, et effectivement, maintenant, on voit des enfants très jeunes collés à leur smartphone en permanence. C’est un peu cliché de dire ça, mais c’est vrai que ça atteint des proportions qui posent question. Des gens se font écraser dans la rue parce que comme des connards ils regardent leur téléphone au lieu de regarder la route [rires]. Et maintenant, pour s’adapter, on met des freinages d’urgence sur les voitures. C’est bien, hein ! On met d’autres capteurs ; vu que les yeux et les oreilles, ça ne sert à rien, on met des capteurs. Mais on fera ça. Le but, à la fin, c’est que ce soit des robots qui jouent à notre place sur scène !
David : Et qui réfléchissent à notre place !
Benjamin : Voilà, et qui composent aussi ! [Rires]
« Il y avait une envie de recontacter les énergies premières que tu connais quand tu te lances au début. […] Petit à petit, plus tu avances dans ta carrière, plus il y a des enjeux. Au bout de vingt ans, en regardant dans le rétroviseur, il y avait cette envie de retrouver ce désir, parce que sinon, ça n’aurait pas eu de sens de continuer. »
David : Pour revenir à du terre-à-terre, nous les avons un peu remises à leur place, les machines, sur cet album, tu as dû t’en rendre compte. Nous les avons davantage mises au service de la musique. Enfin, elles ont toujours été au service de notre musique, mais elles sont un peu plus discrètes, pas du tout parce que nous les renions, nous ne renions pas cette dimension électro, mais nous avions envie qu’elles soient au service d’un metal plus joué, plus puissant, et surtout, elles sont à leur place. Elles sont là pour sublimer notre musique, sur cet album. Elles ne sont pas forcément motrices au départ de la compo. Ça ne veut pas dire que ça n’arrivera plus, ça ne veut pas dire que nous écartons cette dimension. C’est juste que c’était un besoin pour cet album. Nous sommes davantage partis vers le côté organique, vers le côté instrumental avec des machines, mais nous ne sommes pas partis de patterns de machines, comme ça a pu nous arriver parfois sur certaines compos.
Benjamin : Disons que paradoxalement, avant, le rock était plutôt tenu par des gens qui étaient des faiseurs, des joueurs, des gens qui jouaient de leur instrument de façon plus ou moins virtuose. Maintenant, il y a tout une part de la musique qui a plus un côté geek, même dans la façon de faire, de couper-coller, c’est plus là qu’est la machine, et il faut retrouver de la vie là-dedans, dans cette façon de faire. Et le son machine peut être utilisé de manière très organique s’il est maîtrisé, et créer des émotions qui peuvent très bien avoir le même impact qu’une guitare jouée. C’est aussi ça que nous essayons de faire. Nous sommes entourés de technologie partout, dans tous les sens, et ça questionne aussi, de savoir où ça va. C’est comme l’intelligence artificielle, nous n’en sommes qu’aux balbutiements, mais ça peut impliquer des modes de fonctionnement dangereux aussi. Donc le questionnement est ouvert.
Autant le titre de l’album est explicite, autant l’artwork est plus énigmatique. Pouvez-vous nous en parler ?
David : Ça c’est cool !
Benjamin : Parce que nous, nous le trouvions quand même un peu… frontal [rires].
David : Nous le trouvions frontal, mais nous voulions qu’il y ait un côté un peu mystique, chamanique, mystérieux… Si tu l’as trouvé un peu mystérieux, c’est cool. Après, il est très chargé au niveau de la symbolique, on peut y voir beaucoup de symboles forts. Il y a quand même un crâne vidé, scalpé, en feu, donc c’est vraiment la déchéance absolue de l’humanité, la destruction totale du cerveau et de l’humain, de l’esprit et du vivant. Et il y a en même temps une enfant, Nicole, la modèle photo, une petite fille, qui peut incarner l’espérance, mais qui peut aussi mettre extrêmement mal à l’aise, car le fait de voir une gamine dans cet univers-là, c’est hyper flippant. Ça peut aussi être le dernier enfant du monde qui contemple le désastre, ou le premier enfant d’une nouvelle ère, pourquoi pas, après tant de chaos…
Benjamin : Soit l’enfant qui a créé le chaos, le dernier homme qui s’est autodétruit, soit une nouvelle ère. Il y a les deux en même temps.
Finalement, cet album, c’est quoi : un cri de colère ? Un appel aux armes ? Un signal d’alarme ? Un avertissement ?
David : Pour moi, c’est un signal d’alarme et un cri de colère. Avertissement, j’aime moins le terme. Un signal d’alarme, oui ; parce que les artistes sont aussi des lanceurs d’alerte, à chaque époque, même si là, nous n’avons rien inventé en parlant de tous ces sujets. Je pense que les artistes doivent se positionner fort pour qu’il y ait des prises de conscience plus globales. Je pense que les gens prennent conscience en ce moment mais ils ont du mal à savoir vers où aller, comment faire, quoi faire. Nous, nous n’avons pas les solutions, mais nous essayons d’y réfléchir, d’amener les bonnes questions, car pour pouvoir répondre aux questions, il faut déjà poser les bonnes. Après, il y a aussi nos vies personnelles et cette envie de vivre plus fort, plus intensément l’instant présent, car il y a ce côté no future, ce côté urgence, il est urgent de vivre aussi nous dans nos vies personnelles. C’est plus égoïste, mais c’est une réalité que chaque être humain rencontre. Nous n’avons plus de temps à perdre aussi en tant que musiciens, car quand tu as passé les quarante ans, tu ne sais pas si tu vas faire du metal jusqu’à quatre-vingts balais, tu ne sais pas combien de temps tu vas vivre. C’est tout ça ! [Rires] Il y a un petit peu de provocation dans le titre, évidemment, mais ce n’est pas non plus bien méchant. Nous faisons du metal, mais ça a fonctionné jusqu’à présent. Ça fait parler.
Benjamin : Disons que par rapport à Kill ‘Em All, ce n’est pas bien violent.
David : Oui mais le fait de l’annoncer en français, de manière très crue, c’est vrai qu’il fallait le poser sur la pochette, « On Va Tous Crever ».
Pour revenir sur le passage aux vingt ans de carrière. Quels sont les grands marqueurs que vous retenez de ces vingt ans aujourd’hui ?
L’amitié, la conviction, la confiance, l’aventure, la famille. C’est une famille !
Benjamin : Ouais ! L’entraide, le soutien, apprendre, entendre…
David : La combativité aussi, et la force créatrice, qui emporte tout ! [Rires] C’est vrai, la force de la création, car quand tu as la chance de pouvoir t’exprimer de manière artistique, que ce soit par la peinture, le théâtre, la musique, le cinéma, je trouve qu’il n’y a rien de plus noble. Donc ça te fait avancer.
Benjamin : Les rencontres, aussi. Nous avons rencontré énormément de gens, d’équipes ; croiser, discuter, se comprendre, évoluer, ça nous a rendus meilleurs.
David : Les liens que peut tisser la musique, même au-delà des langues, des cultures, des civilisations. À l’heure où l’on veut tellement séparer, recloisonner, c’est vrai que la musique balaie tout ça. En vingt ans, tu t’en rends bien compte. C’est quand même une fierté de pouvoir véhiculer ça. C’est difficile de résumer des marqueurs sur vingt ans. On peut aussi l’aborder sous l’angle des changements de line-up, ce sont de gros événements aussi. Quand Sabash, notre premier guitariste, a quitté le groupe au bout de dix ans, l’arrivée de Benben, quand l’année dernière nous avons décidé d’arrêter avec Fryzzzer… Ce sont aussi des choses qui marquent un groupe. Mais finalement, ce n’est pas ça le plus important. Ce que nous retenons, c’est vraiment plus l’aventure globale.
« A chaque fois qu’il y en avait un ou deux qui n’allaient pas fort, les autres allaient bien, et ça a rebondi, ça a tiré tout le monde vers le haut. C’est en rotation permanente. Nous faisons chacun nos dépressions, chacun notre tour ! ‘Allez, maintenant, c’est à toi, vas-y ! Dégringole, go go go !’ [Rires] »
En vous posant pour célébrer ces vingt ans, comme on en parlait au début, est-ce que vous en avez profité pour faire un peu le point et peut-être réajuster ou redéfinir vos objectifs en tant que groupe ?
Benjamin : Il est là, le réajustement, ça s’appelle On Va Tous Crever ! [Rires] Ce que nous voulions faire, et ce à quoi nous voulions arriver, c’est ça. C’est-à-dire continuer avec un nouvel élan, de l’envie, jouer, kiffer le but et la route pour aller au but, et donc gagner en facilité, en cohésion… S’emmerder le moins possible en fait !
David : Il y avait une envie de recontacter les énergies premières que tu connais quand tu te lances au début. Il y a une insouciance totale parce qu’il n’y a aucun enjeu. Quand nous avons commencé la musique ensemble, c’était que du plaisir. Nous allions boire des bières et faire de la musique. Nous jouissions. Nous étions là, c’était fabuleux. Nous refaisions le monde, nous nous croyions invincibles. Puis petit à petit, plus tu avances dans ta carrière, plus il y a des enjeux. Au bout de vingt ans, en regardant dans le rétroviseur, il y avait cette envie de retrouver ce désir, parce que sinon, ça n’aurait pas eu de sens de continuer. Du coup, ça nous a facilité la vie de nouveau. Nous nous disons que maintenant, ce qui compte, c’est la musique. De nouveau, c’est la musique, la musique. Pas le reste. C’est la musique, l’énergie créatrice, le live, et tout ce qui a trait à la musique et au groupe. Le reste, la promo, tout ça, ça suit. Mais ça peut rendre fou, tout ça, avec les réseaux sociaux et compagnie. Ça peut rendre complètement cinglé. Du coup il y avait le besoin de faire ce constat : est-ce que les troupes sont là, est-ce que nous sommes tous à fond ? Du coup, il y a aussi eu le départ de Fryzzzer pour ces raisons-là, et nous sommes repartis de plus belle, à cinq, avec un nouveau bassiste, qui s’appelle Sylvain.
Vous parliez tout à l’heure du fait que Fryzzzer était parti parce qu’il n’avait plus l’énergie pour s’impliquer suffisamment dans le groupe. Du coup, vous qui restez dans le groupe, comment trouvez-vous l’énergie de vous impliquer toujours autant après vingt ans ?
Avec beaucoup de drogue… Non, ce n’est pas vrai.
Benjamin : Avec de l’EPO, ça marche bien ! [Rires]
David : Non, maintenant, ce n’est pas ça, ce sont les vélos électriques ! Dans les manchettes des bras, nous avons des stimulateurs de mains, et pour la guitare, ça marche bien… Non, plus sérieusement, je ne sais pas, je pense qu’il n’y a pas de recette. Nous avons la chance d’être des amis proches, et de beaucoup communiquer. Donc régulièrement, nous faisons le point sur nos envies communes, sur où chacun de nous en est, s’il y en a un qui ne va pas bien, savoir pourquoi il ne va pas bien, etc. Je pense que c’est ça, la base. Et ensuite, il y a le public. C’est cliché de dire ça, mais l’adrénaline que tu peux rencontrer sur scène, c’est quand même la drogue la plus dure qui soit, et ça, quand même, c’est fort.
Benjamin : Maintes fois, quand nous étions dans des passages de doutes, dans des puits sans fond, ça nous a relevés. Et ensemble, nous avons quand même ce côté-là que nous avons réussi à maintenir en vie. C’est comme un gamin de cinq ans, au détour d’un morceau, nous sommes en train d’enregistrer, nous sommes là : « Vas-y, pousse un peu plus les grattes… » Et là, nous kiffons comme des gamins. Nous nous regardons tous, nous sourions… C’est comme quand nous essayons de jouer pour la première fois un nouveau morceau en répète et que nous voyions que ça va faire du gros, nous sommes contents, nous sautons de partout comme des enfants ! [Rires] Quand il n’y aura plus ça, je pense que nous n’aurons plus l’énergie, effectivement.
David : C’est vrai que c’est la chance que nous avons, car quand tu es dans un groupe, quand il n’y a plus l’esprit d’amitié, du partage, et qu’il n’y a plus une bonne communication, c’est triste. Pour en avoir discuté avec des artistes solo dans d’autres milieux, notamment dans le théâtre, je connais quelqu’un qui me racontait : « Moi, au bout de vingt-cinq ans, c’est dur, tout seul, de me réinventer en permanence. » C’est vrai qu’en groupe, quand il y en a un qui va un peu moins bien, tu en as deux trois autres qui vont mieux à ce moment-là. Chez nous, c’est ce qu’il s’est passé, parce que nous avons été solidaires. Je pense que parfois, il y a des groupes qui malheureusement se morcellent, et je ne les juge pas du tout, ça aurait pu nous arriver.
Benjamin : C’est plutôt nous l’exception…
David : C’est une part de chance aussi. Mais c’est vrai qu’à chaque fois qu’il y en avait un ou deux qui n’allaient pas fort, les autres allaient bien, et ça a rebondi, ça a tiré tout le monde vers le haut. C’est en rotation permanente. Nous faisons chacun nos dépressions, chacun notre tour ! « Allez, maintenant, c’est à toi, vas-y ! Dégringole, go go go ! » [Rires]
Benjamin : En tout cas, nous revendiquons aujourd’hui la paternité pure du fait que nous soyons encore là, et nous l’assumons maintenant, ça fait du bien. Pendant longtemps, nous nous sommes dit que nous faisions ça, mais nous n’étions pas sûrs. Maintenant, nous sommes sûrs. Nous sommes là parce que nous l’avons voulu, nous avons fait les efforts pour quand il l’a fallu, nous avons kiffé quand c’était bien de kiffer, et c’est ça que nous voulions faire. Nous ne nous retournons pas en disant : « Mon pauvre, t’as fait n’importe quoi… » Nous l’assumons, nous en sommes fiers, vraiment. Quand nous avons célébré nos vingt ans, c’était ça aussi. C’était bien de le faire à ce moment-là, de dire : « Voilà notre façon de faire, voilà ce que nous avons voulu construire, c’est ça, c’est notre ADN, c’est ce qui nous ressemble. »
Interview réalisée par téléphone le 9 avril 2019 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Robin Collas.
Photos : Lionel Pesque (1, 2 & 4), Nicolas Gricourt (3, 6 & 8) & Gregory Leruste (7).
Site officiel de Sidilarsen : www.sidilarsen.fr
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