Skin est une image brûlante, éclatante et sans âge qui a fait de Skunk Anansie une sorte de version trash et décomplexée d’un Brit Rock 90’s qu’elle jugeait définitivement trop académique et rangé. Vingt ans et seulement cinq albums après le premier Paranoid And Sunburnt, elle véhicule toujours cet idéal de puissance féminine, cette force vocale subversive dont la douceur et la délicatesse ne sont que des apparats qu’elle aime faire voler en éclats à la première occasion. Pourtant, sur cet Anarchytecture à la pochette tout en couleurs et au titre évocateur de profonds bouleversements, Skin et ses acolytes n’ont pas envisagé de révolution, à l’image des emprunts aux autres genres qu’ils avaient fait à l’époque des Stoosh et Post Orgasmic Chill. L’aube de la cinquantaine aurait-elle calmé les ardeurs d’un groupe qui faisait exploser les charts dans les 90’s en prônant le mélange des genres et la destruction de l’ordre établi du Rock ? La célébrité aurait-elle transformé les Anglais en quinquas bobos qui utilisent les images de révolte du passé pour leur esthétisme plutôt qu’en véritable mantra ?
Les héros des 90’s posent parfois problème quant à l’analyse des œuvres de leurs retours. Ils ont le chic pour sortir des albums honorables, où ils réutilisent avec brio les vieilles recettes du passé, sans faire d’erreur notable grâce à leur expérience acquise après de nombreux albums, tournées et autres albums solo, mais également sans s’illustrer par des albums tapageurs et novateurs qui avaient fait leur succès vingt ans plus tôt. Skunk Anansie fait peut-être finalement partie de ces groupes, même si la bande s’est reformée depuis six ans déjà après un hiatus de sept années, et que le tempérament de Skin aurait pu faire espérer des lendemains de l’alternatif britannique qui chantent.
Le chant, puisqu’on parle de lui, est là, toujours aussi percutant, délicieusement mélodique, parfois inquiétant ou saignant, s’exerçant dans les notes les plus aiguës ou difficiles à atteindre, sortant les crocs quand il le faut. « Victim », le morceau peut-être le plus original dans la discographie de Skunk Anansie, oscille habilement entre Korn pour l’ambiance et le chant, et Muse pour la basse, dans un rendu sombre extatique. La base musicale rock est solide, parfois punk (« Beauty Is Your Curse », « That Sinking Feeling »), empreinte de subtilités électroniques trip-hop, héritées du passé hétéroclite du groupe ou des activités de DJ de Skin, pas désagréables, mais résolument fleur bleue sur « Death To The Lovers » ou « Without You ». La panoplie déployée par les Anglais a bien des attraits agréables.
Trop agréables, en fait. Le son du Skunk Anansie de 2015/2016 est poli à souhait, sans anicroches, coule tout seul grâce à une production haut de gamme. Les mélodies sont soignées, les arrangements savamment orchestrés, le groove balance (les rythmes disco de « In The Back Room » ou « Love Someone Else »), mais le tout manque cruellement de ce potentiel explosif qui faisait la force du groupe dans les 90’s, de cette prise de risque qui faisait prendre un virage drum’n bass au groupe à la veille des années 2000 quand le monde vrillait dans la folie des raves, qui intégrait des rythmes tribaux ou reggae à son univers musical.
Ce manque d’explosivité, de claques dans la figure, se caractérise clairement par le fait que l’album, sans contenir de morceaux à jeter, n’a pas vraiment de hit ou tuerie en puissance dans ses rangs. Tom Dalgety, le producteur de cet album, sortant d’une héroïque participation sur l’usine à tubes qu’est le premier opus des Royal Blood, s’est donc contenté de cette bonne performance générale du groupe, sans pousser à l’avènement d’un titre vraiment fédérateur et porte-étendard de ce disque. Il y a certes ce punchy « Love Someone Else » qui pourrait jouer ce rôle par son potentiel accrocheur, mais ses composantes ne possèdent pas une singularité suffisante pour le faire réellement sortir du lot. Il y a bien ce « Suckers! » au potentiel dingue, à l’intention diabolique, qui aurait pu sauver les meubles d’une folie retrouvée, mais qui explose malheureusement en plein vol en s’arrêtant de manière incompréhensible au bout d’une minute trente. Quel choix étrange de production !
Alors, faut-il être moins exigeant avec les Anglais qu’avec les autres, compte tenu de leur passé glorieux ? Y aurait-il une forme de clémence à adopter pour services rendus à la patrie de l’alternatif ? Ou se prend-t-on trop la tête à chercher des révolutions quand on devrait se contenter d’albums corrects, agréables à écouter, qui se noieront un peu comme des poissons ivres de succès dans le maelstrom collectif des sites de streaming et autres plateformes de téléchargement ? Il n’y a sûrement pas de réponse définitive à ces questions, aussi vieilles que le rock lui-même quand il s’agit des interrogations sur l’évolution musicale des groupes.
Alors on profitera du chant réussi de Skin, des guitares d’Ace, douces ou incisives aux effets variés (les étranges saturations Fuzz de « Bullets »), toujours à-propos dans l’exécution comme dans la composition, de cet ensemble qui fait que n’importe quel fan de Skunk Anansie ou amateur de rock passera un bon moment à l’écoute de cet opus. Et on ravalera avec un poil d’âpreté cette nostalgie d’un temps où il fallait plus d’une écoute pour s’approprier les codes d’un nouvel opus de Skin et ses potes, où la folie du groupe, toujours très présente sur scène aujourd’hui, mériterait tellement d’exister encore également dans les réjouissances studio.
Regarder le clip vidéo de la chanson « Love Someone Else » :
Album Anarchytecture, sortie le 15 janvier 2015 chez Verycords.