Chaque sortie de Slipknot est aujourd’hui un évènement, qu’on soit détracteur des neuf ou non. Même coupé de la plupart des dates de soutien par la pandémie, We Are Not Your Kind (2019) témoignait de la popularité toujours vivace de Slipknot, initiateur depuis dix ans de son propre festival, sobrement intitulé Knotfest et arrivé en France en 2019. La formation emmenée par Corey Taylor avait accouché de sa sixième œuvre dans la douleur : Chris Fehn a été remercié et Shawn Crahan devait se remettre du décès de sa fille âgée de vingt-deux ans. Slipknot n’avait donc aucune raison de sortir de sa misanthropie. Ce septième opus intitulé The End, So Far n’entend pas marquer un changement d’état d’esprit. Il n’est pas non plus – a priori – le chant du cygne du groupe. C’est en effet le dernier album en partenariat avec Roadrunner Records qui suit le groupe depuis 1999, mais aussi un album considéré comme la fin d’un chapitre marqué par le deuil ayant débuté avec .5: The Gray Chapter (2014), pas nécessairement la dernière œuvre de Slipknot. The End, So Far a le mérite de soulever une interrogation : quel est le positionnement de Slipknot dans le paysage du metal contemporain aujourd’hui ?
La production de The End, So Far a été assurée par Joe Barresi ou « Evil Joe » pour les intimes, habitué à travailler avec les grands noms tels que Tool, Queens Of The Stone Age, Avenged Sevenfold ou encore Nine Inch Nails. The End, So Far se damne pour rendre justice à l’identité collective de Slipknot, quitte à ne pas nécessairement placer les guitares et le chant de Corey Taylor en avant. The End, So Far sonne mat, comme à l’accoutumée, sans trop perdre en puissance ou devenir brouillon. Slipknot s’amuse à prendre l’auditeur de court en démarrant son propos par la pop reposante, presque atmosphérique d’« Adderall » qui s’étale sur près de six minutes, bien loin des frasques violentes auxquelles nous a habitués le groupe. De quoi rappeler la polyvalence de Corey Taylor, aussi à l’aise dans les registres plus délicats et radiophoniques que les vociférations cathartiques. « Adderall » est un départ « à revers » qui a le mérite d’accentuer les premiers coups de feu tirés par « The Dying Song (Time To Sing) » et son « Die » martelé à outrance par Corey. Un riffing dans la plus pure tradition du groupe, balisé par les coups de percussion. Très vite, Slipknot dévoile une certaine ambition dans la structure de ses compositions. L’alternance chant clair-chant hurlé est moins téléphonée qu’auparavant. On ne peut s’empêcher d’apprécier le timbre écorché de Corey Taylor qui contraste davantage avec ses lignes de chant au sein de Stone Sour. Les accalmies samplées de « Yen » gagnent en profondeur justement parce que Corey Taylor sort de ses habitudes dans l’utilisation de son timbre clair, allant jusqu’à lâcher un petit rire sardonique sur le second couplet. Il y a en outre un effort mélodique voulu par les guitaristes qui n’hésitent pas à placer plusieurs leads pour accompagner les envolées de leur frontman, à l’instar de « The Chapeltown Rag ». Pourtant, c’est le blast déluré du titre qui retient l’attention. Comme si finalement Slipknot se montrait davantage convaincant lorsqu’il montrait sa facette la plus débridée.
« The Chapeltown Rag » est l’un des sommets d’agressivité atteints par le groupe et rappelle à quel point Slipknot peut se révéler indomptable. Parfois, le groupe a l’intelligence de superposer son registre le plus accessible et celui plus viscéral et, dans l’ensemble, The End, So Far s’interdit des va-et-vient trop évidents. « Hivemind » se laisse aller à quelques placements vocaux mielleux, très vite rappelés à l’ordre par l’enchevêtrement de dissonances et la fureur des percussions. En réalité, The End, So Far rend très difficile l’anticipation. Les chœurs de « Warranty » surviennent sans crier gare. Slipknot s’amuse à varier les registres. « Acidic » emprunte explicitement à un vocabulaire blues et Corey Taylor se mue en crooner à la limite d’imploser. « Medicine For The Dead » invite l’auditeur dans une atmosphère brumeuse où Corey Taylor insiste très clairement sur la posologie à suivre… Tout ne suscite pas la curiosité cependant. Le heavy rock d’« Heirloom » est plus convenu – presque pataud – et n’a pas les mêmes mutations surprenantes que d’autres titres de l’opus. La pseudo-ballade « De Sade » détonne, tout juste sauvée par une introduction progressive et un final plus frontal. Slipknot a d’ailleurs ressenti le besoin de réintroduire de l’intensité avec le riffing haché d’« H377 » qui permet d’admirer la diction cristalline de Corey malgré un débit éclair. « Finale » souffrirait des mêmes carences que « De Sade » s’il ne profitait pas d’un refrain entêtant et d’arrangements lui conférant une certaine gravité, ses chœurs liturgiques permettant de clore le disque avec une certaine grâce.
Corey Taylor avait présenté The End, So Far comme une version lourde de Vol. 3 : (The Subliminal Verses) (2004). On peut le rejoindre sur la notion de variété que Slipknot s’efforce d’introduire. Pourtant, si l’audace dont le groupe peut faire preuve est à louer, c’est quand il prend l’itinéraire le plus direct qu’il est ici le plus parlant. Lorsque Slipknot lâche les chevaux, The End, So Far emporte et Slipknot se place dans les hauteurs de la chaîne alimentaire. Ses quelques tentatives d’introduire de la nuance ont beau contribuer à la richesse du disque, elles ne sont pas toujours probantes et obligent à faire une halte. Lorsqu’on excelle dans la brutalité, autant s’y abandonner.
Clip vidéo de la chanson « Yen » :
Clip vidéo de la chanson « The Dying Song (Time To Sing) » :
Clip vidéo de la chanson « The Chapeltown Rag » :
Album The End, So Far, sortie le 30 septembre 2022 via Roadrunner Records. Disponible à l’achat ici