Parfois les associations produisent exactement ce qu’elles sont censées produire. La collaboration entre le guitariste Adrian Smith d’Iron Maiden et le frontman de Winery Dogs Richie Kotzen – projet sobrement intitulé Smith/Kotzen – aurait pu ne prendre personne de court. Adrian Smith et Richie Kotzen honorent leurs affects pour le rock des seventies et les longs phrasés à la six-cordes. Smith/Kotzen est un terrain de jeu n’ayant d’autre dessein que celui d’honorer l’amitié entre les deux artistes. Ces derniers ont commencé à jammer il y a déjà quelques années et se sont retrouvés autour d’un registre commun en dehors de leurs groupes respectifs. Un album « plaisir coupable », encore que la culpabilité n’a pas vraiment lieu d’être.
Adrian Smith et Richie Kotzen ont tout pris en main, de l’enregistrement à la production réalisés aux îles Turques-et-Caïques, assistés seulement par Kevin Shirley au mix. En ce qui concerne les fûts, l’inénarrable Nicko McBrain est venu prêter main-forte sur « Solar Fire » tandis que « You Don’t Know Me », « I Wanna Stay » et « ‘Til Tomorrow » ont vu s’exprimer Tal Bergman, le reste étant à la charge de la polyvalence de Richie Kotzen. Cette quasi-autoproduction explique le cachet volontairement vieux jeu de Smith/Kotzen. Les distorsions des guitares ont cette approche crue, respectueuse du rendu live, tout comme la rondeur des basses ou les fûts très peu produits. Les guitares laissent tout l’espace nécessaire aux voix – que les deux musiciens se partagent – pour s’exprimer, tout juste mises en avant par l’instrumentation. Un rock à l’ancienne sans asthme. Pour ceux qui pressentaient une musique apathique passagère, « Taking My Chances » leur coupe l’herbe sous le pied en s’appuyant sur les prouesses de gymnaste des deux guitaristes. Ils n’hésitent pas à utiliser une réverb’ aux sonorités aussi connues que leur carrière pour multiplier les mouvements, les soli et les articulations qui lorgnent parfois du côté de la funk. « Running » se montre moins exubérant et s’appuie sur une rythmique plombée presque sabbathienne et le groove du phrasé des voix. C’est d’ailleurs celles-ci qui s’accaparent le premier rôle sur le sombre et langoureux « Scars », la bande originale adéquate de la sensibilité veste-en-cuir.
C’est presque comme si Adrian Smith et Richie Kotzen avaient anticipé le scepticisme du public quant à une énième collaboration rock de grands noms ayant décidé de faire du hors-piste. Certes, Smith/Kotzen repose sur des clichés, mais de l’ordre du béton de première qualité. Et quitte à livrer de l’entendu, autant le livrer avec panache. « Some People » est une revisite pailletée des gimmicks blues tandis que « Glory Road » est plus proche de son genre paternel, le coude plus près de la bouteille de whisky. « Solar Fire » retrouve une énergie zeppelinienne, trop heureux de profiter de l’entrain de Nicko McBrain pour respecter l’héritage de John Bonham. À nouveau les deux compères redoublent d’ingéniosité pour manifester leur talent à la six-cordes : riffing aussi droit qu’un itinéraire de routier, accords tendus et leads de loubards ; tout est bon pour densifier le propos. Ils se refusent seulement à écraser la mélodie sous un florilège d’arguments mal placés. La pseudo-ballade aux élancées vocales parfois maladroites « You Don’t Know Me » rend justice à la qualité d’écriture de l’opus. Les guitares ont la politesse d’attendre la fin du refrain avant de se débrider complètement. Il faut dire qu’elles soulèvent la nappe avant de quitter la table : l’amorce du solo homérique de « ‘Til Tomorrow » est un fantasme d’un autre temps au sustain à tacher les draps.
Smith/Kotzen a tout du projet sympathique et anecdotique, l’un de ces sempiternels hommages à une époque révolue. Il ravit pourtant tous les fantasmes des addicts aux guitar-heroes sans pour autant se présenter comme tel. Il peut compter sur des refrains savamment écrits, des accroches bien senties et des soli exécutés avec une réelle conviction et un amour de l’exercice. Une collaboration pour le plaisir, le leur et le nôtre. De quoi rappeler à la volée que des grands groupes nécessitent de grands musiciens. Une évidence trop souvent négligée.
Clip vidéo de la chanson « Scars » :
Clip vidéo de la chanson « Taking My Chances » :
Album Smith/Kotzen, sortie le 26 mars 2021 via BMG. Disponible à l’achat ici
Très bon album. Un grand plaisir d’écoute. Adrian Smith continue à se bonifier avec le temps. On le savait bon compositeur , excellent guitariste mais ici il excelle aussi dans le chant. On l’avait entendu soit avec Maiden (Reach Out , B side du maxi Wasted Years) ) soit dans ses projets solo qui laissaient entrevoir son talent.
Je découvre Richie Kotzen en tant qu’associé d’ Adrian et ça colle parfaitement.
Ce registre Hard Bluesy s’écoute avec délectation.
PS: si vous avez le temps , allez voir sur YT la vidéo d’ Adrian jammant sur le solo de Confortably Numb de Pink Floyd , c’est à tomber.
[Reply]
Une réunion inattendu de qualité, wah cela faisait longtemps que je n’avais pas eu autant de frissons en écoutant un album de Hard rock Blues. Vraiment excellent cela fait du bien, un duo qui se complète à merveille et cette voix chaleureuse de Kotzen proche de Glenn Hughes (excusez du peu) ou l’on a l’impression que Chris Cornell est encore parmi nous « you don’t know me ». Un album indispensable, allez hop en CD et vinyle rouge ! il y a encore de la qualité en 2021.
[Reply]
Ah si toutes les productions métal pouvaient être d’aussi bonne qualité ! Malheureusement tout le monde n’a pas le talent de Ritchie kotzen ! Sans minimiser l’impact du lead de Maiden les mélodies et les arrangements sont du Kotzen pur jus !
C’est le genre d’album qu’on a envie de découvrir, avec ses guitares somptueuses, ses breaks réussis et sa production pechue !
Les amoureux de la six cordes seront comblés, les amateurs de blues puissant et de hard rock un brin vintage seront aux anges !
Pas grand chose à reprocher à nos deux compères… si… peut être…9 morceaux c’est pas assez !
[Reply]
Superbe album en effet…
Ces derniers temps, j’écoute des trucs beaucoup plus sombres et pour faire une petite pause bien sentie, ce disque est parfait. Il lave les oreilles !
Quant à savoir qui a fait quoi sur ce disque, je m’en fous un peu, les deux artistes sont inspirés et ont réussi leur pari. Cela me suffit amplement.