La conscience est un mot qui définit bien Soen et son batteur-fondateur Martin Lopez. Une conscience musicale d’abord : Soen sait exactement ce qu’il est – un groupe qui n’a pas encore tout à fait fini de chercher son identité – et ce qu’il fait. Dans la musique de Soen, chaque détail compte et rien n’est laissé au hasard pour maximiser l’intensité des émotions et la clarté du message, quitte à adapter au cas par cas la production et à rééquilibrer le rapport entre complexité et facilité d’écoute.
Une conscience sociale et humaine ensuite : Soen est un exutoire pour s’exprimer avec une intensité – encore une fois – difficile à assumer au quotidien, Martin et le chanteur Joël Eklöf étant particulièrement acerbes sur le rôle des médias et des politiciens dans la division des peuples et sur la mainmise de certaines entreprises sur notre vie. Le batteur nous en parle ci-après.
« Ce n’est pas que les gens manquent d’empathie, c’est juste qu’on est trop occupés à faire des choses insignifiantes. »
Radio Metal : Imperial marque un nouveau changement dans les rangs de Soen avec l’arrivée d’Oleksii Kobel en lieu et place de Stefan Stenberg. Peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?
Martin Lopez (batterie) : La vie est ce qu’elle est, elle change. Stefan a dit qu’il devait prioriser sa famille. Il devait partir et nous avons ensuite trouvé Olekssi sur Instagram. C’est un bassiste extraordinaire, donc je lui ai parlé et nous l’avons essayé. Nous lui avons envoyé des fichiers et il a ajouté quelques lignes de basse. Nous avons su assez rapidement que c’était la bonne personne.
Stefan était dans le groupe depuis Tellurian et a fait trois albums avec le groupe. Penses-tu qu’Oleksii a apporté quelque chose de neuf ou bien penses-tu que la musique de Soen est imperméable au changement, tant que Joel [Ekelöf] et toi êtes là ?
En effet, car quand Joel et moi faisons un album, avec l’aide de Lars [Åhlund] dernièrement, celui-ci est plus ou moins prêt lorsque les autres gars reçoivent la musique. Evidemment, il y a de petites améliorations au niveau de la basse parce qu’Oleksii est vraiment un super bassiste, mais les lignes de basse les plus importantes, les riffs de guitare, etc., tout est composé avant que quiconque ait l’occasion de contribuer. Nous faisons les chansons, ensuite nous les envoyons aux autres et nous leur disons de les améliorer et d’y mettre leur patte. J’ai d’ailleurs été très surpris par Cody [Ford], Oleksii et même Lars parce qu’ils ont beaucoup fait pour que cet album soit bien meilleur qu’il ne l’était au départ. Quand j’écris une ligne de basse ou un riff de guitare, il y a une marge d’amélioration, donc comme ce sont de véritables musiciens maîtrisant ces instruments, ils font en sorte que tout sonne mieux et apportent de petits détails qui améliorent les chansons.
D’un autre côté, c’est la première fois depuis Tellurian que vous faites deux albums consécutifs avec le même guitariste. La dernière fois tu nous avais dit que ça faisait « longtemps que [v]ous rencontr[iez] des problèmes avec les guitaristes, et c’est probablement parce que ce sont des musiciens qui ne partageaient pas la vision que Joel et [t]oi av[ez] pour Soen depuis le début ». Penses-tu que vous avez enfin trouvé en Cody un guitariste qui partage cette vision ?
J’ai vraiment envie de le croire. Quand Cody nous a rejoints à l’époque de Lotus, il a seulement eu le temps d’apporter ses solos de guitare, alors que cette fois, il était là depuis le début, donc nous avons pu nous échanger des fichiers et travailler sur l’amélioration de chaque partie de guitare. Il a beaucoup plus apporté à cet album qu’à Lotus. Cody est désormais à cent pour cent dans Soen et il partage notre vision. D’une certaine façon, ce qu’il a apporté fait aussi de Soen son propre groupe. Il apporte quelque chose de neuf au groupe, donc sa vision fait partie de ce qu’est Soen. J’espère vraiment que c’est quelu’un que nous conserverons à nos côté pendant longtemps parce que c’est aussi un super être humain à côtoyer.
Imperial est en quelque sorte un produit du Covid-19 : comment est-ce que ça a influé sur le contenu, le processus et la logistique de cet album ?
Quatre-vingt-dix pour cent de l’album était déjà composé avant que la pandémie nous frappe. Mais la pandémie nous a donné beaucoup de temps pour nous concentrer sur la musique, nous n’avons pas été obligés d’arrêter le processus pour partir en tournée ou faire des festivals, donc nous pouvions nous focaliser complètement sur le travail de la musique et des paroles. Je pense que ça a beaucoup apporté aux textes, car c’est un énorme événement pour nous tous qui n’étions pas habitués à ce genre de chose négative ici en Occident, où notre vie est assez facile. Le fait de voir tout le monde s’unir pour combattre la pandémie, mais aussi les politiciens instrumentaliser les médias et les milliers de morts pour atteindre leurs sales objectifs, ça nous a énormément inspirés pour écrire les textes.
Penses-tu que suite à cette pandémie, on a en Occident une meilleure compréhension de ce que d’autres pays peuvent parfois vivre en temps normal ?
Je pense qu’on ne s’en soucie pas suffisamment. On s’en soucie à chaque Noël quand il y a des publicités à la télévision pour envoyer de l’argent en Afrique, mais après ça, tout le monde détourne le regard. Ce n’est pas nouveau, on sait depuis toujours que le tiers-monde a plein de problèmes et même ici en Occident, plein de gens n’ont rien quand quelques-uns ont beaucoup. On sait toutes ces choses, mais ce n’est pas mentionné aux informations, ça ne génère aucun click ou like, on préfère s’asseoir confortablement derrière nos ordinateurs et faire des choses qui nous font plaisir plutôt que de combattre l’injustice. Les plus jeunes générations sont de plus en plus comme ça. Dénoncer les entreprises qui dirigent le monde et les politiciens qui nous divisent n’est pas aussi intéressant que la dernière coupe de cheveux de Lionel Messi ; ça ne fait pas vraiment la une. Nous essayons de parler de toutes ces choses dont on ne parle pas et qui sont vraiment importantes.
« Le bonheur n’est même plus sur la liste. Les gens veulent être riches, ils ne veulent pas être heureux, ils ne savent plus ce qu’être heureux veut dire. »
Joel a dit qu’on « doit s’attaquer aux grandes questions telles : ‘Que fait-on de nos vies ?’ et ‘Où est passé l’empathie ?’ » Penses-tu qu’au bout du compte, le manque d’empathie est la source de la plupart de nos problèmes ?
Je pense que c’est un énorme problème, on est complètement déconnectés. Ce n’est pas que les gens manquent d’empathie, c’est juste qu’on est trop occupés à faire des choses insignifiantes. On est trop occupés à travailler et à essayer de trouver un autre boulot pour gagner un peu plus d’argent afin de pouvoir s’offrir une plus jolie voiture, au lieu de n’avoir qu’un boulot et de passer du temps avec notre famille et ceux que l’on aime. On est complètement aveuglés par l’avidité. Je parle de tout le monde, une vaste majorité d’entre nous est trop concentrée à courir après la richesse. La société est construite de telle façon que l’argent, c’est le succès. Le bonheur n’est même plus sur la liste. Les gens veulent être riches, ils ne veulent pas être heureux, ils ne savent plus ce qu’être heureux veut dire. Ils croient qu’être heureux c’est être riche, or c’est loin de la vérité. Le bonheur, c’est pouvoir faire ce qu’on aime et être avec ceux qu’on aime. J’imagine que quand on a deux boulots, on n’a plus le temps de faire ce que l’on aime parce qu’on passe tout notre temps à essayer de gagner un peu plus pour pouvoir acheter des choses dont on n’a pas vraiment besoin. Je pense que ça soulève une grosse question sur notre manière de vivre.
Est-ce ça que vous essayez de faire avec Soen : montrer l’exemple en faisant preuve d’empathie, en la répandant au travers de la musique ?
Je ne sais pas si c’est possible. Nous sommes des êtres empathiques, comme la plupart des êtres humains. Ce que nous faisons avec notre musique, c’est d’essayer de parler de sujets que nous pensons être oubliés. Aussi dérisoire que cela puisse être, nous essayons de faire tout ce que nous pouvons pour mettre ces idées en lumière. Mais notre objectif principal est toujours d’essayer de donner de la force aux gens et, d’une certaine manière, leur faire comprendre qu’ils ne sont pas seuls. Je pense que « unité » est un terme que nous employons souvent, nous essayons d’unifier les gens qui ne sont pas complètement contents de la tournure des choses et pensent qu’on mérite mieux et qu’on doit se battre pour avoir mieux que le monde que l’on a.
Autant le clip du morceau « Antagonist » reflète tout ce qui ne va pas dans le monde, autant ça semble aussi être une critique des médias d’information : penses-tu qu’ils nourrissent le chaos et en sont en partir responsables ?
Clairement, même dans cette partie du monde – je ne vais même pas parler des Etats-Unis parce que c’est complètement dingue la façon dont les médias font désormais plus ou moins partie d’un parti politique – on voit que n’importe quel type d’information est traité avec un parti pris politique. C’est quelque chose en lequel nous ne croyons pas. Je ne crois pas en la gauche qui doit se battre contre la droite et en la droite qui doit se battre contre la gauche. Les médias soutiennent soit ce que dit la droite, soit ce que dit la gauche. Je crois fermement que la majorité des gens veulent la même chose, on veut être heureux, on veut que nos enfants soient heureux, on veut que les voisins soient heureux, et on veut que tout le monde puisse avoir la possibilité de prospérer et d’avoir ce dont il a besoin pour être heureux. Mais les médias et les politiciens font croire que l’autre est l’ennemi, et en faisant ça, on se divise de plus en plus. Je pense qu’on s’entendrait beaucoup mieux sans tout ça qui s’interpose entre nous.
Tu penses que ce sont les médias qui divisent les gens, plus qu’ils ne sont le reflet d’une division préexistante ?
Je ne pense pas que les gens soient divisés. On a des préjugés et on a peur de l’inconnu. C’est facile d’alimenter ça et c’est ce que les politiciens et les médias font. Mais dès qu’on a l’occasion de rencontrer ces gens, on est tous plus ou moins pareils : on a des idéologies différentes et on pense peut-être qu’il y a des chemins différents et des manières différentes d’atteindre nos objectifs, mais au final, on veut tous la même chose. Ça fait tellement longtemps que c’est comme ça que maintenant c’est quasiment une tradition, on naît dans une famille et cette famille est soit de droite, soit de gauche, donc on est soit de droite, soit de gauche, et on n’aime pas nos voisins parce qu’ils sont d’un autre parti politique. C’est ainsi que ça fonctionne, c’est comme détester quelqu’un à cause de sa couleur de peau sans connaître la personne. Ça vient de l’extérieur, personne n’est né en détestant qui que ce soit juste comme ça.
Pour revenir à la musique et à la conception d’Imperial, tu as déclaré que vous avez passé douze heures par jour pendant de nombreux mois pour obtenir exactement ce que vous vouliez, « principalement en travaillant sur le groove et la fluidité de l’album ». A quoi le travail du groove et de la fluidité ressemblait-il ? Quelle est votre méthode ?
Je voulais que les chansons donnent l’impression de n’avoir aucune cassure, même si notre musique est pleine de cassures, de hauts et de bas, de parties agressives et de parties calmes. Je voulais que ça s’enchaîne de façon que l’intensité soit toujours là. Le caractère et l’émotion de la chanson peuvent changer, mais l’intensité doit demeurer. Il faut composer une infinité de parties pour vraiment trouver la partie qui convient. Je suis un petit peu obsédé par ça. C’est peut-être parce qu’en tant que batteur, je veux que le rythme ne tombe jamais ; même si nous avons une partie calme, je veux que le rythme soit présent. Même quand on ne l’entend pas, il faut qu’on ait constamment l’impression d’un battement, comme un battement de cœur. Enfin, la musique c’est la musique, on n’a pas besoin de maintenir tout le temps un rythme de batterie, mais il faut maintenir l’intensité et l’atmosphère. L’intensité ce n’est pas une question d’agressivité. L’intensité c’est la profondeur et l’intensité des émotions qu’on ressent, c’est quelque chose qui accapare notre attention. La méthode pour obtenir ça, c’est juste d’utiliser nos oreilles et d’écouter la musique de différentes façons. Tu fermes les yeux et tu écoutes, puis tu vas faire une balade et tu écoutes, tu fais la vaisselle et tu écoutes… Il s’agit juste d’avoir le temps de se mettre dans différentes ambiances et d’écouter, car on perçoit la musique différemment le matin et le soir, par exemple. On la perçoit différemment suivant qu’on est fatigué, en colère, triste ou heureux, c’est une question d’humeur.
« Je voulais que ça s’enchaîne de façon que l’intensité soit toujours là. Le caractère et l’émotion de la chanson peuvent changer, mais l’intensité doit demeurer. »
Votre musique semble être un fin équilibre entre l’agressivité et la beauté, la technique et l’accroche. Comment parvenez-vous à concilier ces aspects que les gens opposent, probablement à tort ?
Depuis le début nous essayons d’atteindre un équilibre dans nos chansons qui représentent un être humain avec tous les sentiments qu’il traverse. Il ne s’agit pas de n’être qu’agressif ou que calme, nous avons essayé de faire en sorte que l’auditeur traverse vraiment toutes ces émotions fortes que l’on ressent en tant qu’être humain. L’idée, c’est de se poser et de travailler encore et encore jusqu’à ce qu’on sente que tout s’emboîte bien.
Un être humain est souvent plein de contradictions, donc j’imagine que votre musique en est le reflet…
Tout dépend de ce que tu entends par contradiction. En tant qu’être humain, bien sûr, on est plein de contradictions mais on a aussi un but, on veut accomplir quelque chose, peu importe ce que c’est : le bonheur, la vengeance, mettre une branlée à quelqu’un ou faire l’amour à quelqu’un. On a un but et sur le chemin qui mène à ce but, on peut ressentir plein d’émotions différentes. Chaque chanson a un but et un message mais nous jouons avec les émotions. Tu parlais d’« Antagonist » tout à l’heure, la chanson est assez claire, c’est une chanson contre les gens au pouvoir. Ça commence de manière très agressive mais il y a aussi une partie où nous faisons retomber un peu la pression pour réfléchir sur le pourquoi on doit faire quelque chose.
On dirait qu’au fil de quatre albums, Soen a évolué vers plus de simplicité : est-ce que ça fait partie de la sagesse qu’on acquiert avec l’âge ou bien est-ce une illusion venant du fait que vous êtes devenus meilleurs pour dissimuler la complexité ?
C’est une combinaison des deux et c’est cool que tu soulèves le sujet car certaines personnes se font une mauvaise idée de ce que ça signifie. Nos chansons peuvent être très techniques et compliquées, mais nous travaillons beaucoup sur la fluidité et nous essayons de faire en sorte que l’auditeur ne se sente pas désorienté, il suffit juste de profiter de la chanson, d’écouter le chant et de saisir le message. Avec un peu de chance, si vous voulez un peu plus que ça, vous pouvez vous immerger dans ce que font les instruments et toujours y trouver des choses intéressantes. Personnellement, je n’aime pas complexifier les choses rien que pour les complexifier. Je n’aime pas les groupes qui font ça. Ça ne m’attire plus. Ça m’a peut-être attiré quand j’étais plus jeune, donc l’âge joue peut-être aussi, comme tu l’as mentionné.
J’ai lu un commentaire sur YouTube à propos de ton jeu de batterie disant : « C’est comme s’il essayait de parler avec sa batterie. » Est-ce la différence entre un musicien et un artiste : le premier ne fait que jouer de la musique, tandis que le second parle au travers de son instrument ?
C’est une très belle formule. Je pense que plus je vieillis et meilleur je deviens sur mon instrument, mieux je comprends qu’il s’agit plus de réfléchir que de jouer. Il s’agit plus d’aider la chanson que de montrer des trucs cool que je suis capable de faire. Dernièrement, lorsque j’ai composé les chansons, j’ai passé quatre-vingt-dix pour cent du temps à ne faire que réfléchir aux meilleures choses que je pouvais faire. Ensuite, je les exécutais au lieu de jouer pour essayer de créer des rythmes complexes et cool.
Parles-tu différemment avec ton instrument suivant le groupe, notamment si on compare lorsque tu étais dans Opeth et maintenant dans Soen ?
Clairement, oui. J’étais beaucoup plus jeune à l’époque. Je n’étais qu’un batteur, je voulais montrer un peu plus les trucs que j’étais capable de faire et j’essayais toujours d’être très original. Je me souciais de ce que les gens allaient penser de mon jeu. Je voulais que d’autres batteurs disent : « Oh bon sang, quel incroyable batteur, regarde ce qu’il peut faire ! » par rapport à ma technique, tandis que maintenant, avec Soen, je m’en fiche royalement. Je me fiche de quoi j’ai l’air, je me soucie de la manière dont les chansons sonnent et des émotions qu’elles procurent aux gens.
La production de cet album a été réalisée par le groupe et Iñaki Marconi, ainsi que David Castillo pour certaines parties (le chant des cinq premières chansons et la batterie), ce qui semble être la conséquence directe de votre expérience sur Lotus. Penses-tu que vous ayez trouvé la bonne équipe et le bon processus pour produire Soen désormais ?
Oui, je le pense. Nous travaillons avec des gens avec qui nous sommes à l’aise. La seule manière de faire un album, c’est d’être avec des gens qui nous respectent musicalement et que l’on respecte, des gens qui se soucient de nous et de notre musique, et ensemble, on affronte tout ce processus. Nous sommes très contents de travailler avec ces gars.
« Plus je vieillis et meilleur je deviens sur mon instrument, mieux je comprends qu’il s’agit plus de réfléchir que de jouer. »
Ce que l’on peut remarquer avec Imperial, sur le plan sonore, c’est qu’il paraît plus brut, plus live. C’est déjà ce que vous aviez recherché sur Lykaia, tandis que sur Lotus, vous aviez plus ou moins laissé David Castillo décider quoi faire sur la base de votre vision. Penses-tu que vous avez trouvé une meilleure formule aujourd’hui avec Imperial pour donner vie à votre vision, un genre de mélange entre Lykaia et Lotus ?
Nous essayons toujours de trouver la combinaison qui convient à l’album. La musique nous parle et nous dit le genre de son que nous devrions avoir. Imperial réclamait ce genre de son ample et pêchu, tandis que Lotus réclamait plus une production prog limpide. Et cet album était un petit peu plus agressif, d’une certaine manière, et nous avons trouvé que c’est ce que nous devions faire et nous en sommes très contents. Mais je n’ai aucune idée de ce que nous ferons sur notre prochain album, nous verrons quand nous commencerons à lui donner forme. Il faut voir où on en est, ce qu’on ressent, ce qu’on veut exprimer avec le prochain album et la tournure que prennent les paroles. A partir de là, on se fait une idée du son qu’on pense devoir obtenir. De même, on ne veut pas tout le temps obtenir la même chose, car la vie, c’est une question d’expériences. On veut vivre des choses et je ne pense pas que le public aimerait sans arrêt entendre la même chose. En conséquence, dans le but de progresser, nous avons le sentiment qu’il faut changer.
D’un autre côté, Kane Churko a réalisé le mix et le mastering. C’est un choix intéressant parce que Kane a travaillé avec des groupes de metal américains très modernes, comme In This Moment, Disturbed ou Five Finger Death Punch, qui semblent bien loin de ce que vous essayez d’accomplir avec Soen, c’est-à-dire une musique très organique. Qu’est-ce qui vous a motivés à opter pour Kane ? Qu’avez-vous essayé d’accomplir avec lui ?
C’est toujours très confortable d’aller aux studios Ghost Ward, de faire un album et de le faire mixer par David, c’est ce que nous sommes censés faire. En faisant ça, évidemment, nous obtenons un superbe album mais il n’y a rien de neuf. Nous voulions voir ce qui se passerait avec un gars comme Kane que les instruments laissent de marbre et qui suit simplement le feeling de la chanson et préfère les chansons qui vont droit au but et qui sont intelligibles plutôt que tout le côté prog. Nous voulions combiner ça car nous pensons que notre musique possède déjà beaucoup d’instrumentation et de structures sympas, donc nous n’avons pas besoin de plus sur ce plan. Au contraire, nous avons besoin de quelqu’un qui enlève un peu de ça et nous pousse à nous concentrer sur le message et la clarté de la chanson. C’est ce que nous avons fait et c’était une expérience incroyable de travailler avec lui, car nous sommes très différents dans notre manière de travailler. C’était une très belle expérience et nous adorons le résultat.
Tu dis que vous êtes très différents dans votre manière de travailler : y a-t-il eu des clashes ?
Il y a toujours des clashes. Mais c’était positif et constructif : nous avions des discussions quotidiennes où nous expliquions pourquoi nous voulions que telle chose sonne de telle manière et il nous expliquait pourquoi il voulait que ça sonne autrement. Nous essayions toujours de trouver quelque chose qui contente tout le monde. Ce sont toujours de petites choses, concernant les niveaux, ce qu’il fallait retirer, etc. On s’attache à certaines mélodies et roulements de batterie qu’on veut voir apparaître dans la chanson parce qu’on trouve qu’ils y ont leur place. Mais d’un point de vue extérieur, Kane trouvait que certaines mélodies, certains roulements de batterie ou rythmes entravaient les chansons. Nous compliquions, dans l’expérience d’écoute des gens, la compréhension de ce que le chanteur raconte et du message.
Sur un autre sujet, tu as déclaré que « la musique et la nature de Soen sont les seuls espaces où [tu as] véritablement l’impression de pouvoir être » toi-même. Qu’est-ce qui t’empêche d’être toi-même en dehors de Soen ?
Je suis moi-même mais on ne peut pas tout le temps aller trop en profondeur dans les sujets, être trop intenses ou soulever les sujets qui nous tiennent à cœur, autrement on sera incapables de rencontrer une personne pendant dix minutes et juste dire « salut ». On ne sera pas capables de parler aux professeurs de nos enfants à l’école. J’ai personnellement beaucoup de mal à ne parler que du temps qu’il fait, je n’ai jamais été à l’aise avec le papotage, j’ai envie de parler de choses importantes, mais la vie m’a appris, en tout cas dans la société suédoise, qu’il faut être amical et peut-être choisir le bon endroit et le bon moment pour parler de certaines choses. Donc le groupe, c’est vraiment là que je peux exprimer les choses qui me tiennent à cœur et m’inquiètent. Evidemment, je parle à mes amis et ainsi de suite, mais le groupe c’est ce qui me permet de réfléchir dans mon coin et d’exprimer mes idées et mes émotions au sujet de certaines choses dont il n’est pas facile de parler au quotidien.
« Si on ne fait pas tout ce qu’on fait pour la culture, pour l’art et pour l’enrichissement de notre esprit, alors je ne vois pas pourquoi on le fait. »
Vous avez toujours eu des titres de chanson et d’album en un seul mot. Ça a désormais tout l’air d’une tradition et d’un choix artistique qui définit Soen. Penses-tu qu’un mot unique, tel qu’Imperial, peut être plus évocateur et éloquent qu’une phrase ?
Je le pense, oui. Nous essayons de capturer l’esprit de la chanson en un mot et d’inviter l’auditeur à analyser et de comprendre au lieu de tout lui servir sur un plateau d’argent. Nous voulons vraiment que notre musique soit quelque chose dans lequel les gens s’impliquent. Imperial est un mot très fort et il y a plein de choses différentes qui collent à ce dont parle l’album. Concernant le titre de cet album, d’une certaine manière, nous vivons toujours dans un empire. Dans le temps, il y avait des empires qui colonisaient certains pays et les obligeaient à suivre leurs règles. Aujourd’hui, nous vivons la même chose mais au lieu que ce soit des pays qui colonisent d’autres pays, ce sont des entreprises qui colonisent nos vies, telles qu’Apple, Microsoft, etc. Elles dictent plus ou moins ce qu’on est censés aimer et la manière dont on est censés vivre notre vie.
Le dossier de presse dit que votre musique est « profondément thérapeutique pour les fidèles du groupe et pour le groupe lui-même ». Qu’essayez-vous de soigner ou de traiter en vous-même par le biais de votre musique ?
Ce n’est pas que nous essayons, c’est quelque chose qui se fait tout seul. Ecrire des chansons, de la musique et des paroles, et parler de sujets, ça offre de nombreux moments de guérison. Ça nous donne confiance dans le fait qu’on fait la bonne chose et qu’on est sur la bonne voie. Je peux parler pour l’ensemble du groupe, nous avons des enfants et des familles, ça nous offre ce moment de solitude qui nous permet d’être face à nous-mêmes et de voir ce qui se passe dans notre esprit, et ensuite on met ces idées sur papier.
As-tu des exemples de musiques qui ont été thérapeutiques pour toi en tant qu’auditeur ?
Je pense que ça a commencé avec Pink Floyd. L’album The Wall était et reste très thérapeutique pour moi. Je pense avoir vraiment compris le pouvoir de la musique pour la première fois avec cet album. Mon père avait l’album et, avec son mauvais anglais et mon anglais inexistant, il a essayé de m’expliquer les paroles. J’étais assis là avec un papier où étaient écrits tous les textes et j’écoutais l’album. J’avais cinq, six ou sept ans, j’étais transporté dans un monde fait d’images et de musique, c’était extraordinairement puissant. J’écoutais l’album plusieurs fois par jour, car il m’avait complètement conquis. Je suis encore à ce jour stupéfié par cet album. Pour moi, c’est la meilleure chose qui ait jamais été écrite. Mais il y a une énorme quantité de musique ; des musiques différentes pour différentes occasions. J’écoute une grande variété de styles et tout m’aide à traverser peu importe ce que je traverse.
As-tu déjà songé à réaliser un album conceptuel comme celui-ci ?
Pas encore. J’ai l’impression que nous ne faisons que commencer et il y a plein de choses que nous aimerions faire à l’avenir. Pour l’instant, nous sommes encore un peu en train de chercher notre propre identité. Je pense que nous l’avons partiellement trouvée mais il nous reste des choses à essayer. Il y a encore une marge de progression. Quand nous penserons avoir une véritable identité et qu’il nous faudra la développer, nous commencerons à chercher différentes manières de le faire.
Penses-tu que la valeur thérapeutique de la musique est encore plus importante en temps de crise comme en ce moment ?
Bien sûr, ça aide. La musique nous permet d’utiliser notre imagination, d’analyser et de penser. Aujourd’hui, l’autre option semble être de regarder des vidéos sur YouTube, ce qui n’a rien de thérapeutique. Je crois fermement au pouvoir de la musique, à tout ce que la musique a apporté à l’humanité et à la manière dont elle unit les gens. Je trouve que c’est art très fort.
Penses-tu que l’art devrait être un enseignement aussi important à l’école que, disons, les mathématiques ?
Clairement. Si on ne fait pas tout ce qu’on fait pour la culture, pour l’art et pour l’enrichissement de notre esprit, alors je ne vois pas pourquoi on le fait. L’art devrait jouer un rôle fondamental à l’école. Je crois que l’art n’est plus respecté, plus comme il l’a été. Désormais, on dirait que les gouvernements essayent de transformer nos enfants en machines à gagner de l’argent, au lieu de leur donner l’opportunité d’explorer et de s’enrichir mentalement.
Interview réalisée par téléphone le 11 décembre 2020 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Emilie Bardalou.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Iñaki Marconi.
Site officiel de Soen : soenmusic.com
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Quand je pense que Opeth l’a dégagé en sortant limite des trucs (si je me souviens bien) genre « I’m a musician; he’s not »… Son jeu est stylé de ouf et participe à mes yeux autant à l’identité de Soen que cette voix si caractéristique.
Le discours sur les entreprises et politiques fait ptêt un peu cliché, mais en vrai je me plains quotidiennement d’une manière guère plus originale. xD
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