A peine quelques semaines après notre dernière rencontre, accompagné du guitariste David Andersson, nous revoilà en ligne avec Bjorn « Speed » Strid. Normal, le chanteur sort coup sur coup deux albums d’exception, respectivement avec The Night Flight Orchestra et Soilwork. Si c’était pour le premier que nous l’avons précédemment interrogé, c’est bien du second et de son nouvel opus The Ride Majestic dont il est cette fois-ci question. Un album qui succède à un mastodonte, le double opus The Living Infinite sorti en 2013, et dont il a pu profiter des retombées en termes créatifs, dans la façon dont le groupe a pu se redécouvrir au cours de cette expérience. Mais The Ride Majestic est lui aussi, à sa façon, un album particulier, puisque, non seulement il s’agit du premier sans le bassiste originel Ola Flink, mais aussi parce qu’il a été conçu sous un climat tragique, où le groupe a dû essuyer plusieurs décès de proches. Speed nous explique donc comment ces événements ont pu laisser leur empreinte sur la musique et les thématiques de l’album, allant jusqu’à évoquer son propre rapport à la mort.
Il y a quelques jours ce même Speed a proposé un intéressant documentaire en deux parties sur la conception de l’album et les origines du groupe. Une mine d’informations pour les fans, parfois s’aventurant dans l’intime, qui nous a inspirés quelques questions, notamment pour évoquer le passé ska/raggae de Speed ou le fait qu’il prenait un grand plaisir à faire ses siestes en écoutant du black metal en rentrant de l’école dans ses jeunes années.
« Il est très important de laisser entrer l’obscurité et d’être capable d’en faire quelque chose. Si tu ne fais qu’ignorer l’obscurité, ça ne te mènera nulle part. »
Radio Metal : On a appris il y a quelques mois le départ du bassiste Ola Flink qui était, avec toi, le dernier membre restant à avoir enregistré le premier album de Soilwork. Tu as expliqué ce départ en disant « Tôt ou tard, nous arrivons tous à un tournant dans nos vies lorsque notre intérêt pour être alimenté par le passé est tout aussi fort que nos visions pour le futur » et qu’Ola était arrivé à ce tournant. Mais plus concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ?
Björn « Speed » Strid (chant) : Si vous êtes dans un groupe, vous démarrez un groupe lorsque vous avez dix-sept ou dix-huit ans, et au cours des vingt années qui suivent, vous traverserez plein de choses dans vos vies personnelles. Le fait d’être dans un groupe pendant si longtemps, c’est… Il est évident qu’il y aura des changements, il se peut que les gens trouvent d’autres choses dans la vie. Je ne crois pas qu’Ola ait jamais vraiment rêvé de devenir un musicien professionnel, en soi. Et je pense qu’il est arrivé à un stade où il s’est dit : « Est-ce vraiment ce que je vais faire pendant le restant de mes jours ? Ou est-ce que je vais plutôt faire quelque chose comme un boulot normal ? » C’est le genre de gars qui aime la routine, tu vois. Je peux le comprendre, d’une certaine façon. En prenant de l’âge, la routine devient d’autant plus importante dans ta vie de tous les jours, et il est difficile d’avoir des routines en tournée. C’est plein de voyages et ce n’est pas vraiment le boulot moyen que tu fais de neuf à cinq. On pouvait le voir venir, car ces dernières années, il avait des hauts et des bas, surtout sur scène, tu pouvais voir qu’il était soit à fond, soit dans un coin l’air complètement déprimé. Ce n’était donc pas une surprise et je pense qu’il est mieux ainsi, avec un boulot normal. Il travaille en tant que garde de prison depuis un moment maintenant, donc j’imagine que c’est ce qu’il continuera à faire. C’était sans conteste un coup dur car, comme je l’ai mentionné dans le communiqué, il était une part importante de Soilwork, et il l’est toujours, d’une certaine façon. Il a toujours été un performeur fantastique en concert, mais lorsque nous nous sommes rendus compte qu’il commençait à déprimer en tournée, nous savions qu’il était temps qu’il se retire. Et donc, c’est ce qu’il a fait.
A-t-il enregistré l’album ?
Non, il ne l’a pas enregistré…
C’était donc le nouveau bassiste Markus Wibom ?
Non, ce n’était pas Markus non plus, il a intégré le groupe après ça. Ouais, je sais, ça semble un peu chaotique mais, en gros, Flink a disparu de la circulation. Après que nous ayons fait Loud Park au Japon en octobre de l’année dernière, Flink a en quelque sorte disparu et personne ne parvenait à le joindre et savoir où il était. Et ensuite, à la mi-janvier, nous avons enfin pu mettre la main sur lui et il voulait parler sur Skype, et c’est là que nous avons su : « Ok, c’était donc pour ça… » Il nous a dit qu’il ne se sentait plus motivé. A ce stade, les chansons étaient toutes terminées et nous étions sur le point d’entrer en studio, donc nous avons décidé que David [Andersson] et Sylvain [Coudret] allaient enregistrer la basse sur les chansons. Ensuite, nous avons aussi eu des concerts calés pendant le printemps. Il était évidemment très difficile de trouver quelqu’un qui pouvait remplacer Flink, il a une forte personnalité et il nous fallait aussi quelqu’un que nous connaissions déjà. C’était très important pour nous, plutôt que de faire venir des personnes au hasard à des auditions et ensuite les essayer en tournée. Nous avons l’impression de ne plus avoir la patience pour ça. Je me creusais la tête et ensuite j’ai pensé à Markus, c’est un ami du groupe et il a été technicien guitare pour nous auparavant. Tout le monde le connaît et c’est également un sacré caractère. C’était genre : « Wow ! Ce serait génial ! » Il y a juste que nous ne savions pas quel était son niveau à la basse. C’était donc la seule chose que nous devions vérifier. Il a répété pendant deux mois et ensuite nous avons donné trois concerts en Scandinavie, et il a tout déchiré. C’était donc une transition naturelle, en ce sens. Je veux dire que Flink me manquera toujours, mais Markus est un très bon ami de tout le monde dans le groupe, et c’est un super personnage sur scène également et un super bassiste !
The Ride Majestic arrive après une période d’hyper productivité pour le groupe qui a mené à, ni plus ni moins, qu’un gros double album, un EP et un double live. Avec The Living Infinite, vous vous êtes prouvé à vous-mêmes que vous aviez assez de créativité au sein de groupe pour constituer un double album sans chanson qui ne serait là que pour le remplissage. Ayant cette expérience derrière vous, comment avez-vous abordé le processus de composition cette fois-ci ?
Je crois qu’avoir composé et enregistré le double album nous a rendus bien plus confiants. Comme tu l’as dit, nous avons trouvé quelque chose de nouveau et nous avons tous contribué aux chansons, chaque membre du groupe. Faire un double album, ça signifie qu’il faut qu’il soit varié pour qu’il reste intéressant d’un bout à l’autre. Je pense donc qu’il a vraiment fallu que nous sortions de notre zone de confort pour y parvenir, et je pense que nous nous sommes découverts en tant que compositeurs à travers ces albums. Le fait d’être ressorti du studio, avoir fait cet album et avoir pu nous en tirer, ça nous a permis de nous sentir très confiants en entrant en studio pour The Ride Majestic. Nous faisions à nouveau un album normal mais, en tant que compositeurs, nous avons assurément trouvé quelque chose de nouveau, et je pense que tu peux l’entendre. Je veux dire qu’avec The Ride Majestic, nous reprenons clairement les choses là où nous les avions laissées avec The Living Infinite, mais ça donne le sentiment d’être légèrement plus sombre aussi. Et puis, je trouve qu’il y a quelques petites choses qui pourront paraître assez surprenantes. C’est, je pense, ce que nous voulons, nous voulons nous surprendre nous-mêmes ainsi que les auditeurs.
The Ride Majestic est certainement l’un de vos albums les plus denses et contrastés. Certaines parties très rapides et agressives coexistent avec certaines parties très mélodiques, presque atmosphériques. « Alight In The Aftermath » ou « The Phantom » en sont de bons exemples. Avez-vous cherché à d’autant plus appuyer ce contraste et cette dynamique qui ont toujours fait partie de la marque de fabrique du groupe ?
Je le pense. Et je pense que tu as raison à ce propos. Je veux dire que les parties extrêmes sont plus extrêmes que jamais et les parties plus calmes sont plus calmes qu’auparavant, et ça a créé une dynamique vraiment intéressante. J’imagine que nous avons juste trouvé plein de nouvelles manières de nous exprimer et d’être élaboré dans notre façon de composer. Et nous sommes bien plus joueurs, ce qui, je pense, est un mot clef pour nous, au lieu de juste planifier les choses. Nous ne parlons pas vraiment de notre musique, de comment elle devrait sonner, nous ne faisons que nous stimuler les uns les autres de plein de façons. En ce sens, c’est presque devenu comme un collectif metal.
Tant de choses se passent dans vos chansons, il y a tant de riffs, de mélodies et parties qu’on se sent presque submergés par tout ceci, et pourtant elles restent très accrocheuses. Comment parvenez-vous à combiner cette complexité avec cette capacité à immédiatement nous accrocher l’oreille ?
Peu importe la façon dont Soilwork s’est développé musicalement avec les années, les mélodies ont toujours été la clef pour le groupe, que ce soit des mélodies de guitare ou de chant, peu importe. Je pense que nous sommes parvenus à développer notre son et devenir plus progressifs mais tout en conservant le côté accrocheur. Je ne crois pas que nous forcions le fait qu’il faut que ce soit accrocheur. Je veux dire que, personnellement, j’aime vraiment travailler avec les mélodies mais il faut qu’elles viennent aux moments appropriés. Par exemple, si je compare ce nouvel album à un album comme Figure Number Five, qui est du metal assez direct avec genre un couplet, un pont et un refrain, c’est assez accrocheur et mélodique d’un bout à l’autre, mais j’ai l’impression que tu peux perdre un peu en intensité, tu ne fait pas monter la sauce de la même façon. Je crois que c’est quelque chose que nous avons amélioré en tant que compositeurs.
« C’est lorsque tu réfléchis trop que tu te fais le plus de mal. »
Actuellement, les groupes de metal semblent beaucoup se focaliser sur le fait d’être agressifs ou à savoir qui sera le plus brutal. Mais Soilwork est un groupe qui, tout en ayant toujours ses moments agressifs, met l’accent sur les mélodies. Est-ce important de montrer que le metal n’est pas qu’une question de brutalité et que la mélodie est un élément très important en musique en général ?
Effectivement ! Je ne suis presque plus impressionné lorsque quelqu’un est capable de jouer super vite, genre à 300 coups par minute sur toute une chanson. Avant j’étais époustouflé par ça mais maintenant ça ne m’impressionne plus beaucoup. Tout est une question de composition pour moi. Ca ne doit pas forcément être brutal. C’est bien du moment que tu ressens la présence dans la chanson. Je pense que c’est ça le mot clef : la présence.
Durant la conception de l’album, presque tout le monde dans le groupe a vécu des tragédies, perdant des membres de leurs familles, dont ta grand-mère dont tu étais très proche. Peux-tu me dire comment ces tragédies ont impacté et laissé leur empreinte sur cet album ?
Tôt ou tard, nous traversons tous des choses de ce type et ce n’est assurément pas facile. C’était vraiment surréaliste la façon dont tout est arrivé pendant la composition et l’enregistrement, et c’était presque au point où on se disait : « Mais c’est quoi ce truc ?! » [Petits rires] Tu vois ? C’était démentiel ! Nous avons eu quatre décès dans nos familles pendant cette courte période. L’enregistrement a un peu trainé mais la musique a été d’un grand réconfort, dans le fait de traverser tout ce processus de deuil de nos êtres chers. Mais ça a certainement apporté une sombre tournure existentielle à tout l’album, c’est mon impression. Et je pense que tu peux aussi t’en rendre compte. Je ne dis pas que la musique de l’album a complètement changé après que nous ayons vécu ceci, car de toute façon la plupart des chansons étaient terminées, mais je pense que l’approche des enregistrements, surtout vocalement, a rendu les choses d’autant plus réelles pour moi, en tant que chanteur. J’ai mis énormément d’émotion là-dedans, tout en puisant également dans les côtés sombres de la vie. Et, à la fois, c’était un peu une célébration, une sombre célébration si tu veux, au milieu de tout ça. Je veux dire que nous laissons toujours les choses un peu ouvertes lorsque nous entrons en studio, donc je pense que c’était plus une question d’approche lorsque nous avons enregistré les chansons et lorsque nous avons ajouté les arrangements. Et puis je n’ai pas fait le chant avant fin avril et mai, donc ça a apporté une atmosphère très mélancolique à tout l’album. Je pense que ça nous a vraiment affectés.
The Ride Majestic (NDT : la chevauchée majestueuse) est en fait une référence à la vie elle-même…
C’est un peu une collection d’hymnes à la vie et à la mort. Nous voudrions considérer la vie comme étant une chevauchée majestueuse. Nous sommes très curieux de voir ci cette chevauchée majestueuse se poursuit. Nous aimerions voir, surtout maintenant que nous avons perdu tant de gens dont nous étions proches, qu’ils sont quelque part, qu’ils ne sont pas juste partis. C’est difficile d’accepter que les sentiments et pensées de quelqu’un vont juste s’évanouir ou simplement s’arrêter d’exister. Lorsque tu vois l’illustration, ça représente ce monde plein de gens dans le ciel et nous voudrions également considérer ceci comme une chevauchée majestueuse.
Même s’il a ses moments sombres, colériques et mélancoliques, il y a aussi des côtés positifs à cet album. Et comme tu l’as dit, c’est un peu une célébration. Donc, est-il important de produire du positif à partir du négatif ?
Je crois que ça l’est et je pense que c’est très important pour moi, personnellement, car il y a tant… Tu sais, lorsque tu regardes les réseaux sociaux aujourd’hui, il y a beaucoup de trucs genre new age où tu es censé t’entourer de gens positifs et avoir des pensées joyeuses, et pour moi, tout ça c’est très élitiste, en un sens. Pour moi, il est très important de laisser entrer l’obscurité et d’être capable d’en faire quelque chose. Si tu ne fais qu’ignorer l’obscurité, ça ne te mènera nulle part. Surtout lorsque tu fais le deuil d’un proche qui a disparu, j’estime qu’il est important de laisser venir le chagrin et l’obscurité, et pouvoir devenir plus fort grâce à ça.
As-tu une plus forte conscience de la vie et de la mort en tant qu’être humain, à ce stade de ta vie ?
Eh bien, j’ai peur de la mort. Je ne vais pas mentir, j’ai très peur de la mort. Je suis aussi très curieux. Surtout après le décès de ma grand-mère, le sentiment qui me procure du réconfort, c’est : « Ok, donc s’il y a une vie après ce que nous avons là tout de suite, alors elle sera là pour me rattraper lorsque je tomberais à mon tour. » En ce sens, c’est réconfortant. Car parfois, tu sais, suivant l’humeur dans laquelle tu te trouves, si simplement tout s’arrête d’exister lorsque tu es mort, c’est aussi un peu effrayant. A la fois, tu veux aussi, en quelque sorte, que ce soit terminé lorsque c’est terminé [rires]. Donc pour ma part, ça n’arrête pas d’osciller !
Les paroles de la chanson éponyme traitent de la peur de mourir et de l’art de rester sain d’esprit lorsqu’on est encore en vie. Comment fais-tu ça, personnellement, dans ta vie ?
Oh, c’est difficile ! C’est une épreuve constante ! Je pense que la seule façon d’y faire face, c’est comme je l’ai dit avant, de ne pas ignorer les choses. D’un autre côté, c’est lorsque tu réfléchis trop que tu te fais le plus de mal. Mais si tu peux prendre les pensées pour ce qu’elles sont – c’est ça, ce sont juste des pensées -, je pense que tu peux vivre une vie à peu près normale. C’est juste une question de ne pas laisser les démons prendre le pas, car à mon sens, ce ne sont que des pensées. Mais ce n’est pas facile.
Est-ce que tu considérerais cet album comme un album spirituel ?
J’imagine que tu pourrais dire ça, en un sens. Je veux dire que c’est très existentiel. Il traite de beaucoup de questions existentielles, tout comme The Living Infinite. Il a simplement une tournure un peu plus sombre, mais c’est aussi une sorte de sombre célébration, comme je l’ai mentionné précédemment.
« Il est facile de se perdre soi-même en étant dans un groupe, […] ça va si vite qu’un jour tu te retrouves à te demander : ‘Qui suis-je ? Je fais de la super musique et j’adore faire ça mais qu’en est-il du reste ?' »
Deux chansons s’appellent en fait « The Ride Majestic ». Peux-tu nous en dire plus sur leur histoire et la relation entre ces deux chansons qui partagent le même nom ?
Eh bien, ce n’était pas vraiment prévu ainsi dès le départ, car lorsque nous avons commencé la composition du nouvel album… Car nous avons parlé du titre de l’album et, généralement, nous composons séparément, et j’ai écrit une chanson et je la voyais comme étant « The Ride Majestic ». Et ensuite, j’ai parlé à Dave quelques jours plus tard et je lui ai parlé de la chanson : « Je pense avoir fait la chanson éponyme. » Et il m’a dit : « Euh, ok, j’ai aussi écrit ‘The Ride Majestic’ [rires] ! » C’était genre : « Ok… Cool, eh bien, je ne sais pas, peut-être devraient-elles être comme des jumelles sur l’album ! Ca pourrait marcher. » Même si elles peuvent sonner assez différentes, dans leurs structures et d’un point de vue mélodie, je pense qu’elles ont quand même quelque chose en commun, et je pense que ça fonctionne. Et j’ai toujours aimé que certaines chansons reviennent plus tard dans l’album, comme dans le rock progressif des années soixante-dix et les choses de ce genre.
Mais y a-t-il un lien direct du point de vue des paroles entre les deux chansons ?
David a écrit la plupart des paroles pour « The Ride Majestic (Aspire Angellic) », donc je pense qu’on devrait lui demander, mais nous avons aussi beaucoup parlé des thèmes de l’album, donc je pense qu’elles collent aussi au niveau des paroles, c’est certain.
Tu es réputé pour ta diversité et tes capacités vocales. Mais sur The Ride Majestic tu sonnes plus poignant que jamais. As-tu cherché à te pousser plus loin cette fois-ci ? As-tu cherché de nouveaux défis, à essayer de nouvelles choses avec ta voix ? Comme cette partie calme intéressante sur « Petrichor By Sulphur » qui ne sonne comme rien de ce que vous avez pu faire auparavant…
Eh bien merci pour dire ceci. Je suppose que j’ai de la chance de toujours me développer en tant que chanteur. J’ai aujourd’hui trente-sept ans et je suis toujours en train de m’améliorer, donc… Ce n’est vraiment pas quelque chose que je prends pour acquis, j’en suis simplement très heureux [rires]. Je veux dire que tant que j’ai le sentiment de pouvoir développer ma voix, évidemment, je continuerai à le faire et j’estime que c’est très important pour moi en tant que chanteur de trouver de nouvelles façons de m’exprimer. Je crois que c’est clairement ce que j’ai fait avec ce nouvel album. J’ai aussi formé un groupe qui s’appelle The Night Flight Orchestra il y a quelques années avec David, c’est une musique totalement différente, c’est dans une veine classic rock années soixante-dix, et je pense que j’ai beaucoup appris de ma propre voix en chantant et enregistrant avec ce groupe, et je pense que j’ai apporté ça avec moi dans Soilwork aussi. J’ai l’impression que ma voix peut être poussée d’une façon totalement différente désormais. Elle est plus forte et je me sens bien plus confiant. J’ai le sentiment qu’il y a énormément de façons dont je peux m’exprimer vocalement. Ce n’est pas juste du chant hurlé et du chant clair. Il y a tant de choses entre les deux, du chant plus soufflé ou peu importe. C’est amusant ! Je veux que ce soit amusant et j’aime me stimuler.
Tu as d’ailleurs choisi de produire le chant toi-même pour la première fois…
Ce n’était pas vraiment prévu que ça se passe ainsi mais à la fois, tu sais, nous ne pouvions enregistrer que dans une seule pièce de studio cette fois-ci. Par exemple, avec The Living Infinite, nous avions trois studios pour enregistrer en simultané, c’était donc plus efficace, en un sens. Mais cette fois-ci, nous n’avions qu’un studio et les choses ont trainé en longueur pour diverses raisons, évidemment en raison des décès dans nos familles, et j’ai pensé que : « Pourquoi est-ce que je n’enregistrerais tout simplement pas moi-même ? » J’ai parlé à Jens Bogren et je lui ai demandé, car normalement, il ne fait pas ça, le fait de laisser le chanteur enregistrer son propre chant [petits rires]. Mais, heureusement, il avait foi en moi et il était là : « Eh bien, c’est la première fois que je fais ça, mais j’ai foi en toi Björn. » J’étais surexcité. Ca allait être un défi, car c’est un peu difficile de s’enregistrer soi-même lorsque tu n’as personne pour te donner son avis. Je pense avoir pas mal évolué, j’ai beaucoup d’expérience, j’ai tellement fait de chant, pas seulement pour Soilwork mais aussi pour d’autres choses. J’ai aussi un peu l’habitude de m’enregistrer, donc je sais ce qui sonne bien ou pas. C’était assurément un défi et je pense l’avoir relevé. C’était vraiment amusant !
The Ride Majestic a été enregistré avec David Castillo mais, comme The Living Infinite, comme tu l’as dit, il a aussi été produit par Jens Bogren. Au cours de la dernière interview que tu nous as accordée pour Soilwork, à l’époque de The Living Infinite, tu as dit que la façon donc cet album a été produit était une super recette pour l’avenir. Est-ce donc pour ça que vous avez continué à travailler avec Jens ?
Ouais, c’est certain. Je veux dire que c’est la première fois que Jens n’était pas vraiment présent durant l’enregistrement en tant que tel. Il a grosso modo mixé l’album. Il était là pour installer et régler le son de la batterie mais, après ça, c’était David Castillo qui a pris le relais et je pense que nous allons continuer à travailler avec David Castillo également en l’impliquant dans l’enregistrement en lui-même, car c’est un chouette type et il a aussi une super oreille. Mais nous sommes vraiment en confiance avec Jens. Il a une oreille très sensible et nous trouvons qu’il a fait un super boulot autant avec The Panic Broadcast que The Living Infinite. Nous n’imaginons donc personne d’autre pour mixer nos albums que d’avoir sa fine oreille. Et l’album et la production sont très détaillés également, car énormément de choses se passent. Nous avons vraiment le sentiment qu’il est la bonne personne pour mixer nos albums, à ce stade.
Tu as récemment publié un petit documentaire en deux parties sur la conception de The Ride Majestic. C’est présenté sous un angle assez personnel, et tu remontes un peu aux origines du groupe. Etait-ce important pour toi de faire savoir aux gens ce qu’il y avait derrière cet album et ce qui le rend si spécial à tes yeux ?
Je le crois. Ca m’est venu à l’esprit lorsque le label m’a demandé : « Donc, est-ce vous avez des images du studio ? Est-ce que ça vous dit de faire des webisodes et des choses dans le genre ? » Et je me suis rendu compte : « Tu sais quoi ? Nous n’avons pas beaucoup filmé pendant l’enregistrement [petits rires] ! » Et, à la fois, je me disais : « Oh, j’en ai tellement ras le bol de ces webisodes ! » Tu sais, avec les gens dans le studio… Je ne crois pas qu’il y ait grand-chose à dire lorsque tu es en studio ! Tu es juste posé là, tu bois une bière, évidemment on s’amuse beaucoup mais tu peux parler de matos et genre : « Ok, donc là maintenant David va enregistrer un solo pour cette chanson » ou peu importe. Et j’ai juste l’impression que c’est un peu éculé et ennuyeux ! J’ai peut-être tort, je ne sais pas ! J’ai juste eu le sentiment de vouloir faire quelque chose de différent cette fois-ci, donc j’ai décidé de faire ce petit documentaire sur là où j’ai grandi, comment la scène m’a affecté en tant que musicien, comment j’ai démarré mes premiers groupes, comment je suis en fait revenu ici pour enregistrer le chant du nouvel album, comment j’ai voulu relier ces deux choses, et aborder ça sous un angle différent, plutôt que d’avoir les webisodes typiques où ça parle de matos.
« Lorsque j’étais au collège, j’adorais m’endormir en écoutant du black metal chez moi après être rentré de l’école. […] C’étaient des sonorités tellement réconfortantes pour s’endormir l’après-midi. »
Ce que l’on apprend, parmi d’autres choses, c’est que tu as repris contact avec Martin et Pascal d’un de tes premiers groupes et que tu as enregistré ton chant chez Martin. Est-ce que la tristesse d’avoir perdu quelqu’un de proche a fait remonter un désir de renouer avec ton passé et entourer cet album d’une atmosphère nostalgique ? Est-ce que tu as eu besoin de trouver du réconfort là-dedans ?
Je pense, oui ! Je crois que c’était l’une des raisons. Car j’ai déménagé ici au début de l’année, c’était donc une sorte de nouveau départ pour moi, en un sens. J’ai renoué avec certaines personnes ici et j’ai le sentiment que… Tu sais, lorsque tu es dans un groupe pendant si longtemps, c’est un peu difficile de saisir ce que tu fais. Je pense simplement que j’avais besoin de revenir là où tout a commencé pour pouvoir me retrouver moi-même. Je sais que ça sonne très prétentieux [petits rires] mais c’est véridique : il est facile de se perdre soi-même en étant dans un groupe, ça avance sans arrêt et les années passent, et ça va si vite qu’un jour tu te retrouves à te demander : « Qui suis-je ? Je fais de la super musique et j’adore faire ça mais qu’en est-il du reste ? » C’était donc l’une des raisons pour lesquelles j’ai décidé de revenir et renouer avec les gens avec lesquels j’avais l’habitude de jouer avant que Soilwork n’existe. Ca a vraiment fait du bien et tout s’est mis en place, en un sens. Je trouve que c’était une super idée de ne serait-ce qu’enregistrer les voix localement.
On y apprend aussi que passé un temps, avant Soilwork, tu as formé un groupe de black metal mais aussi un groupe de ska/reggae, et c’est justement avec ce dernier qu’un soir tu as partagé l’affiche avec Inferior Breed qui est plus tard devenu Soilwork… Ca paraît tellement improbable ! De quoi te souviens-tu de cette époque ?
C’était une époque palpitante car il y avait beaucoup de reggae et de ska dans cette ville et il y avait beaucoup de punk, beaucoup de thrash, beaucoup de black metal également, et je ne sais pas, il n’y avait simplement aucune restriction et j’étais curieux de tout. Le ska/reggae, je n’en écoutais pas tellement en privé mais en jouer en concert, c’était hyper amusant et j’adorais ça ! J’imagine que j’étais plus un metalleux, donc le fait d’avoir les deux, l’expérience live avec un groupe de ska/reggae et plus la composition passionnelle que tu as en écrivant une musique plus extrême, était très compatible, pour ainsi dire [petit rires]. C’était formidable ! J’étais dans tellement de groupes à l’époque, j’ai tout joué : de la pop, du ska, du reggae, du black metal ou du crust punk. Et je pense que c’est une super façon de découvrir la musique et se découvrir soi-même en tant que musicien.
Tu dis aussi dans le documentaire que ta grand-mère s’endormait en écoutant du Soilwork. Penses-tu que Soilwork soit une bonne musique pour s’endormir ?
Eh bien, la seule chose que je peux dire c’est que lorsque j’étais au collège, j’adorais m’endormir en écoutant du black metal chez moi après être rentré de l’école. Ca marchait vraiment ! Et c’était presque comme si… Je ne sais pas, c’était thérapeutique, en un sens. Je me souviens m’endormir en écoutant Storm Of The Light’s Bane [de Dissection]. Je veux dire que j’écoutais aussi l’album étant éveillé en allant à l’école, tous les jours, donc ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit [rires]. Mais lorsque je revenais à la maison, c’étaient des sonorités tellement réconfortantes pour s’endormir l’après-midi ; c’était vraiment un sentiment particulier.
Et quelle est ta musique préférée aujourd’hui pour t’endormir ?
Eh bien, c’est marrant, je ne fais plus de sieste. Lorsque tu es adolescent, tu fais une sieste dès que tu rentres à la maison après l’école. Je sais que la plupart de mes amis le faisaient, et moi de même. Mais aujourd’hui, je ne peux plus faire de sieste. C’est un peu triste ! Donc je ne m’endors plus vraiment en musique. Lorsque je vais me coucher le soir, il se peut que j’écoute un peu un documentaire à la radio, et c’est à peu près tout. De la musique, je ne sais pas, c’est difficile. C’était plus un truc pour l’après-midi, pour ma part.
Une chose qui est remarquable à propos de Soilwork est que, malgré les nombreux changements de line-up, le groupe n’a jamais perdu la signature de sa musique. Je veux dire qu’en dehors de toi, les compositeurs d’hier ne sont plus ceux d’aujourd’hui. Ola Frenning et Peter Witchers qui ont pris en charge la majorité des compositions jusqu’à The Panic Broadcast ne sont plus là. Comment expliques-tu que malgré tout la musique reste aussi fidèle à ce que Soilwork a toujours été ?
Difficile à dire ! Je pense que ça a à voir avec le fait que nous nous sommes débrouillés pour intégrer de nouvelles personnes dans le groupe qui ont amené quelque chose de vraiment intéressant. Ils sont restés fidèles à l’héritage sans le forcer et tout en apportant quelque chose de nouveau, et ils ont pu aussi me stimuler, par exemple. Lorsque David et Sylvain sont arrivés dans le groupe en tant que guitaristes, ils ont écrit d’une façon légèrement différente, sans doute de manière plus progressive que Peter. J’avais tellement l’habitude de composer des chansons avec Peter et de créer des mélodies au chant en me basant sur ses parties de guitares et ses chansons. Je pense donc qu’ils m’ont vraiment stimulé en tant que chanteur et m’ont également poussé en dehors de ma zone de confort. J’ai progressé grâce à ça. Et je pense que David a apporté beaucoup de cette mélodie scandinave, surtout dans les mélodies, et Sylvain sa façon progressive de composer. Et, évidemment, il jouait avec Dirk [Verbeuren] déjà auparavant dans Scarve, donc ils se connaissent très bien. Dirk a apporté au groupe une bonne dose de batterie extrême mais toujours en gardant un groove. Ca a apporté beaucoup de nouvelles dimensions à notre musique. Nous avons donc eu assez de chance pour trouver des gens qui aiment vraiment ce que nous avons fait avec Soilwork et qui ont beaucoup de passion à cet égard mais qui ne voulaient pas non plus juste essayer de trop s’ajuster ou s’adapter à la composition de la musique de Soilwork. J’imagine que mon chant est un élément important également, puisque je suis là depuis le début, donc peut-être ai-je un peu une marque de fabrique avec mes mélodies de chant aussi, qui peut y être pour quelque chose dans ce constat.
Vous avez eu aussi de la chance de trouver de supers compositeurs car les bons musiciens ne sont pas nécessairement de bons compositeurs…
Non, effectivement, tu as raison ! On voit tellement de vidéos sur YouTube aujourd’hui de gens qui arrivent à jouer du Paul Gilbert ou du Yngwie Malmsteen, mais ça ne signifie pas qu’il seront de bons compositeurs ! Et je pense que c’est un des trucs. Autant Sylvain que David sont de bons compositeurs. J’ai aussi pas mal écrit de trucs avec les années, surtout sur The Living Infinite : j’ai pris une guitare et j’ai composé, je crois, huit ou neuf chansons sur cet album, et sur le nouveau j’en ai écrit trois, je crois, ou quatre. C’était donc un défi pour moi aussi, dans la mesure où j’ai commencé en tant que guitariste mais ensuite je me suis concentré sur le chant. Je pense que ça a fait de moi un meilleur compositeur, surtout à la guitare. Ca a été vraiment palpitant pour moi de construire les choses à partir de rien, au lieu d’avoir des gens qui écrivent les chansons et ensuite j’ajoute le chant. C’est intéressant de construire une chanson de zéro avec une guitare et ensuite ajouter les parties de chant que tu as toi-même écrites. Et je pense que c’est très compatible avec ce que peuvent faire Sylvain et David.
Interview réalisée par téléphone le 6 août 2015 par Nicolas Gricourt.
Retranscription et traduction : Nicolas Gricourt.
Photos promo : Hannah Verbeuren.
Site officiel de Soilwork : www.soilwork.org.