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Interview   

Sólstafir règne sur sa montagne


Si le passé extrême de Sólstafir semblait être un lointain souvenir, il est pourtant bel et bien resté présent dans le cœur des musiciens du groupe. En témoignent certains éléments qui parsèment son nouvel album Endless Twilight Of Codependent Love (la chanson « Dionysus » surtout). Ce dernier est surtout, en partie, un retour à une approche où le « riff » de guitare est davantage au centre de la composition de Sólstafir, favorisé par les concerts anniversaires de Köld (2009) l’an dernier. C’est d’ailleurs amusant de voir Aðalbjörn Tryggvason alias Addi en être le premier surpris, lui qui a toujours dit que ce groupe ne regarderait jamais en arrière… En réalité, Sólstafir ne suit aucune règle, c’est même ce qui permet à ses membres de nourrir leur enthousiasme et leur créativité. L’émotion est le seul prérequis et Endless Twilight Of Codependent Love le démontre, avec quelques surprises.

Exposant des réflexions et témoignages sur les dérives de l’amour, la maladie mentale ou l’addiction – des thèmes chers à Addi –, Endless Twilight Of Codependent Love est un voyage à la fois onirique et accidenté, à l’image des paysages islandais, sur lesquels trône la Dame de la Montagne, incarnation féminine du pays qui illustre la pochette. On parle de tout ceci en détail dans l’entretien qui suit, l’occasion pour le frontman de rendre un hommage à l’une de ses plus grandes influences, partie il y a quelques mois.

« Dernièrement, nous avons surtout fait des musiques très calmes, et à certains moments, à force d’en faire, nous ne trouvions plus ça très excitant. Nous aimons changer et faire des choses différentes, rafraîchissantes et amusantes. Composer une musique heavy est maintenant plus amusant qu’il y a cinq ou six ans. »

Radio Metal : A propos du nouvel album, tu as déclaré avoir cette fois composé la plupart des chansons à la guitare plutôt qu’au piano et à l’orgue comme par le passé. Est-ce le résultat d’un état d’esprit particulier avec lequel vous avez abordé l’écriture de cet album ?

Aðalbjörn « Addi » Tryggvason (chant & guitare) : Nous avons fait les concerts anniversaires de Köld, donc nous avons joué beaucoup de morceaux heavy en live. Enfin, nous n’avons jamais arrêté de jouer des chansons de Köld en concert au fil des années, nous jouions toujours « Goddess Of The Ages », « Köld », « Pale Rider », « Necrologue »… Mais le fait de tourner et jouer l’intégralité de l’album Köld a vraiment eu un effet sur cet album, c’est un fait. Ca semblait naturel de faire tous ces trucs heavy metal et de se concentrer plus sur la composition à la guitare. Enormément de choses ont été composées au piano dans le passé, comme « Goddess Of The Ages », « Lágnætti », « Miðaftann », etc. parce que nous jouons tous un petit peu de piano, mais cette fois nous avions plus envie de prendre la guitare pour ça. D’un autre côté, écrire une chanson à la guitare, pour moi, il y a deux facettes à ça. Soit tu écris un riff heavy avec un son distordu, soit tu peux travailler avec la réverbération ou les mélodies. Donc écrire une chanson à la guitare, ce n’est pas juste écrire une chanson à la guitare, ça dépend de ce que tu fais à la guitare. Evidemment, sur cet album, nous avons plein de passages oniriques joués à la guitare et d’autres choses qui ne le sont pas tant que ça, qui sont plus ou moins metal. Tout dépend de ce que l’on recherche.

Penses-tu justement que ça explique en partie pourquoi il y a plus de passages plus énergiques, dynamiques voire rapides sur Endless Twilight Of Codependent Love ?

Peut-être, mais quand Hallgrímur [Jón « Grimsi » Hallgrímsson] a rejoint le groupe, il n’avait pas le même background black metal que nous autres. Ce n’est pas un black metalleux, alors que moi, j’écoute du black metal depuis le début des années 90. Il a fallu qu’il apprenne beaucoup de chansons, et aujourd’hui, sa chanson préférée à jouer est « Pale Rider ». C’est une chanson de presque dix minutes bourrée de blast beats. Donc quand nous étions en train de composer les chansons, c’était plus naturel pour lui de dire : « On met une partie de batterie rapide ! » Ca n’aurait jamais pu arriver sur Berdreyminn, car il n’avait pas encore tourné en jouant « Pale Rider » et toutes les musiques de Köld. Il est plus intégré au groupe maintenant qu’à l’époque, car ça fait désormais six ans qu’il en fait partie, à tourner à travers le monde à nos côtés, etc. J’imagine donc que c’est en grande partie une question d’alchimie. D’un autre côté, ça faisait un moment que nous n’avions pas fait de trucs rapides. Dernièrement, nous avons surtout fait des musiques très calmes, et à certains moments, à force d’en faire, nous ne trouvions plus ça très excitant. Nous aimons changer et faire des choses différentes, rafraîchissantes et amusantes. Composer une musique heavy est maintenant plus amusant qu’il y a cinq ou six ans. Il n’y a pas un seul passage rapide dans Ótta, car nous n’en voulions pas à l’époque ; nous avions plein de passages avec des cordes et autres. Maintenant, nous voulions juste… En fait, ce n’était pas une décision consciente, c’est juste que nous étions davantage ouverts aux idées. Certaines personnes se diront que le prochain album contiendra encore plus de morceaux heavy et rapides, mais peut-être pas ! Peut-être que le prochain album sera très calme. Je n’en ai aucune idée !

La dernière fois que nous nous sommes parlé, en 2017 pour la sortie de Berdreyminn, tu nous as dit que tu pensais qu’Hallgrímur apporterait plus à l’avenir, car c’était la première fois qu’il composait avec vous et tu pensais qu’il manquait encore d’assurance. Comment sa confiance en soi a-t-elle évolué depuis et en travaillant sur ce nouvel album ?

Elle est bien plus forte. Il a écrit beaucoup de paroles. Il a écrit des lignes vocales avec moi. Il a apporté toute une chanson qu’il a écrite tout seul et qui était prête à être utilisée, et elle est sur l’album. Il était très impliqué dans tout, plus qu’il ne l’était il y a cinq ou six ans. Ça faisait vingt ans que nous avions le même line-up, donc nous avions une alchimie et une connexion qui étaient très fortes. Nous savions ce qui était bien et ce qui ne l’était pas sans demander, tout le monde était plus ou moins d’accord. Puis tu brises la chaîne et tu fais rentrer un nouveau chaînon qui n’est pas aussi fort parce qu’il n’a pas fait partie de cette chaîne pendant toutes ces années. Accueillir de nouveaux membres changent plus de choses dans un groupe que simplement le line-up. Mais maintenant, il a gagné en assurance et je suis sûr qu’il fera encore plus sur le prochain album.

Hallgrímur est très porté sur les harmonies vocales et a sa propre carrière de chanteur-compositeur, et à l’époque de Berdreyminn, tu avais dit être sûr qu’il y aurait plus de chants sur le prochain album…

Ce qui est drôle, c’est que la première fois qu’Hallgrímur a chanté avec nous c’était quand il a fait les chœurs sur « Fjara ». Mais il n’aime pas chanter dans le groupe. Il est disposé à participer à l’écriture du chant et à en faire en studio, mais il n’a pas envie de le faire en live. Il a juste envie d’être le batteur. Il a arrêté de faire de la batterie pendant quelques années et il ne faisait que de la guitare acoustique, ses trucs de chanteur-compositeur. Quand il a rejoint le groupe, ça faisait plusieurs années qu’il n’avait pas vraiment été batteur – nous l’avons même embauché sans l’entendre jouer ! Maintenant, sa carrière de chanteur-compositeur est à l’arrêt. En premier lieu, il aime être batteur, c’est vraiment son instrument. Mais pour ce qui est des harmonies de chant, il y a plein de choses qui sont très naturelles pour lui et qui ne le sont pas pour moi. Je dois prendre du temps pour bien y réfléchir et le faire, alors que pour lui ça vient tout seul, il fait toutes les harmonies qu’il veut ; il est comme le quatrième membre des Bee Gees ! Donc souvent, si je veux faire des harmonies, je dis : « Hallgrímur, faisons des harmonies ici. » Je n’ai pas à dire plus. Il trouve d’emblée des trucs géniaux. Donc oui, si on prend « Drýsill » par exemple, la seconde chanson de l’album, je peux te dire que je voulais un chant un peu typé Jerry Cantrell/Layne Staley. Enfin, je ne suis pas en train de dire que ça sonne comme Alice In Chains ; parfois tu vises quelque chose et le résultat est différent, mais c’est ce que nous avons visé. C’est très naturel pour lui de faire des harmonies comme ça, donc c’est vraiment amusant de travailler avec lui.

« Je suis très reconnaissant d’être dans ce groupe, parce que je peux m’exprimer en tant que fan de country et de blues, et je peux m’exprimer en tant que fan de Slayer ou de black metal. Je peux faire tout ce que je veux ! Il n’y a pas de restriction. »

C’est la quatrième fois que vous enregistrez au studio Sundlaugin avec Birgir Jón Birgirsson. Je suis sûr que c’est maintenant devenu très confortable de travailler dans cet environnement et avec cet ingénieur. Avez-vous besoin de ce confort pour faire ressortir vos émotions ? N’êtes-vous pas comme ces artistes qui ont besoin d’inconfort afin de se sentir vulnérables ?

Bien sûr. C’est une bonne question. Svartir Sandar était la première fois. Avant ça, nous étions allés en Suède, c’était très différent car nous n’étions pas chez nous, en Islande. C’est très confortable maintenant, nous y avons fait quatre albums, nous avons été dans ce studio de nombreuses fois pour faire d’autres projets aussi, donc c’est un peu comme si c’était notre home studio maintenant, mais il est possible que nous ne l’utilisions pas la prochaine fois. Je pense que c’est sain pour un groupe ou n’importe quel artiste de changer et pimenter un peu les choses. Si tu me poses la question aujourd’hui, je pense que nous enregistrerons le prochain album ailleurs. Ca fait en gros toute une décennie que nous utilisons ce studio ; une décennie dans le même studio, c’est bien, mais peut-être qu’il ne faudrait pas faire plus. Je ne suis pas en train de dire que c’est décidé, c’est juste que quelque chose me dit que ça pourrait changer. D’un autre côté, quand tu as des enfants, une femme, un boulot, aller à l’étranger c’est plus que de dire « on va à l’étranger loin de tout le monde ». En allant à l’étranger, tu n’es pas là pour les fêtes des enfants ou pour faire des trucs particuliers au boulot, alors que ce studio est à dix ou quinze minutes de Reykjavik. Tu pars de Reykjavik en voiture, en quinze minutes tu es au milieu de nulle part, il y a la foret, un petit étang, une rivière qui passe par le studio… C’est un coin très calme et magnifique. Il y a une très bonne atmosphère dans ce studio. Tu as presque l’impression d’être dans un petit monde de rêve où naissent les albums. Tu n’as pas le sentiment d’être en ville, et pourtant tu es très proche de chez toi, en quinze minutes tu es de retour dans ton lit.

Vous avez choisi de présenter l’album avec la première chanson « Akkeri », qui est aussi la plus longue de l’album. Penses-tu que ce soit une bonne représentation de l’album ? Car il s’y passe beaucoup de choses…

Oui. Nous avions des idées différentes. Nous n’avons pas trop réfléchi à ça. Ils nous ont demandé : « Qu’est-ce que vous voulez sortir en premier ? » Nous étions là : « Ah, on n’a qu’à sortir ‘Dionysus’ en premier. » La maison de disques et le management étaient là : « Quoi ?! Non, on ne peut pas faire ça, c’est trop heavy ! Bla, bla, bla. » Nous avons eu cette discussion, mais nous nous en fichions un peu. Nous avions prévu depuis le début que cette chanson soit l’ouverture de l’album. Donc nous savons que c’est une bonne chanson. C’est sûr que c’est un peu du Sólstafir classique, elle contient des éléments traditionnels du groupe, si on peut dire. Les autres chansons sont plus étranges, peut-être qu’elles n’auraient pas été une bonne première impression. Je ne sais pas quelle autre chanson aurait mieux convenu. Mais nous avons toujours eu des idées bizarres avec ça : nous avons ouvert Masterpiece Of Bitterness avec une chanson de dix-neuf minutes, nous avons ouvert Köld avec un morceau instrumental de dix minutes… Donc nous avons fait des trucs étranges, mais nous ne trouvons pas que ce soit étrange, nous trouvons que c’est cool et que ça va bien. Les trucs sombres et introvertis, ce n’est pas toujours ce que les gars du business chez le label ou le management choisiraient. Parfois, ce n’est pas gravé dans le marbre. Nous n’avons pas fait de réunion où nous avons fait un pacte signé de notre sang pour décider la chanson. C’est juste : « N’importe quelle chanson conviendra, on s’en fiche. » C’est une bonne chanson, nous avions déjà décidé qu’elle serait la première de l’album, donc… Il y a des choses dont on ne se soucie pas.

La chanson « Or » est très bluesy, et c’est intéressant de constater que de façon générale, il y a pas mal de blues dans vos morceaux, en termes musicaux mais aussi émotionnels. Vous reconnaissez-vous dans ce qu’exprimaient les bluesmens originels ? Qualifierais-tu même Sólstafir de blues islandais ?

[Rires] Non, je ne dirais jamais ça, mais le rock n’ roll vient du blues. On a le blues, puis le rock n’ roll, puis le hard rock, puis le heavy metal et on connaît la suite. J’aime beaucoup la country ; Townes Van Zandt est mon préféré. Donc dès que j’ai l’occasion de faire un petit hommage à mon artiste de country préféré, je le fais. J’adore ça, ça me vient très naturellement. Je suis très reconnaissant d’être dans ce groupe, parce que je peux m’exprimer en tant que fan de country et de blues, et je peux m’exprimer en tant que fan de Slayer ou de black metal. Je peux faire tout ce que je veux ! Il n’y a pas de restriction. Donc si je veux faire une chanson de black metal avec des riffs ou des parties blues, très bien, on le fait ! Il n’y a personne pour dire : « Oh non ! D’après la cinquante-cinquième règle du heavy metal, on ne peut pas… » Non, va te faire foutre ! La première fois où nous avons mis un côté bluesy-country – je ne vais pas dire folk parce que je n’aime pas la musique folk – dans une chanson, c’était probablement dans « Náttmál », la dernière chanson d’Ótta ; je me souviens que certaines parties de chant étaient influencées par Bruce Springsteen ou quelqu’un comme ça – j’ai beaucoup écouté Bruce Springsteen. Bien sûr, nous ne sommes pas un groupe de blues, mais nous pouvons faire tout ce que nous voulons !

Il est clair que cette chanson sort du lot dans l’album…

En fait, cette chanson, « Or », était un pur accident. Elle a failli ne pas être sur l’album ; elle n’était pas censée s’y retrouver. C’est très drôle, parce que tu travailles pendant des mois sur des chansons, tu passes des centaines d’heures sur une seule chanson – c’est généralement ce qui se passe –, tu l’abandonnes, tu lui donnes une autre chance, tu l’abandonnes, tu lui donnes encore une autre chance… Puis il y a des chansons qui prennent vie par pur accident et celle-ci en fait partie. Nous avons fait la première partie de la chanson l’année dernière, c’est Hallgrímur qui avait improvisé du chant, en chantant quelque chose en anglais, j’étais à la batterie – soit ça, soit j’avais fait une batterie programmée, je ne me souviens plus – et Gringo jouait de l’orgue. C’est dans cette configuration que nous avons travaillé. Nous pouvons tous jouer un peu de plusieurs instruments, donc nous faisons ce que nous voulons. J’avais cette démo, je l’adorais mais les autres gars n’y ont jamais porté beaucoup d’intérêt. Mais ensuite, nous avions une autre démo d’une chanson différente que les gars aimaient beaucoup, mais moi je ne l’aimais pas.

« Je me souviens quand nous étions en train de faire ‘Ásareiðin’, le morceau d’ouverture de Til Valhallar. Encore aujourd’hui, je trouve que c’est l’un des riffs les plus cool que j’ai écrits ! J’étais tellement fier de ce satané riff que je pensais que jamais je n’allais écrire un meilleur riff que ça, alors autant nous séparer et arrêter le groupe. »

Quand nous étions en studio, nous avons pensé : « Est-ce qu’on devrait essayer de faire des chansons bonus pour des éditions spéciales, des choses que nous n’avons pas eu le temps de finir ? » Nous avons rassemblé les deux moitiés de chansons sur lesquelles nous avions travaillé et qui n’avaient jamais abouti à de vraies chansons. Nous avons travaillé dessus pendant une heure, grand maximum, en ajustant le tempo, en voyant ce que nous allions en faire, etc. Hallgrímur a enregistré de la batterie, nous avons joué des trucs, ça allait bien. Nous avons dit que nous finirions ça en dernier, quand nous aurions fini le mixage de l’album, parce que nous voulions d’abord finir les grosses chansons sur lesquelles nous étions en train de travailler depuis un an. Quand est venu le moment de faire le chant, les guitares leads, l’orgue, le piano, etc., nous étions surpris d’entendre à quel point la chanson est devenue super, nous nous sommes dit : « Bordel, comment c’est arrivé ? C’est beaucoup trop bien pour n’être qu’une face B. » Encore aujourd’hui, je reste étonné ! Nous n’avons passé presque aucun temps sur cette chanson, c’est une blague tellement cette chanson est bonne ! J’ai même joué la basse sur cette chanson, car Svavar [Austmann] n’était même pas au studio. Le chant a été fait en une seule prise. Je n’avais même pas écrit de texte, Hallgrímur est arrivé: « Voilà des paroles, tu peux les chanter. » Cette chanson est un pur accident et a été faite à la dernière minute, j’ai pris le téléphone et j’ai dit : Il faut changer le master. » Et le label était là : « Quoi ?! Vous voulez changer le master maintenant ?! » « Oui ! » Nous avons donc mis la chanson dans l’album et tout le monde me dit maintenant que c’est sa chanson préféré dans l’album !

Tu disais plus tôt que tu n’aimais pas la folk. Qu’est-ce que tu n’aimes pas dans ce style de musique ?

Le simple fait que ce soit de la folk. Enfin, je peux écouter une chanson, ça va, mais en général je n’écoute jamais de folk. Je n’ai pas de musique folk chez moi que j’écoute. La folk ne me procure aucun plaisir. Je n’écoute pas non plus de jazz ni de hip-hop. Ce sont juste des styles qui ne me parlent pas. Je suis trop un gars rock n’ roll.

Tu as mentionné le fait que parfois vous échangez vos instruments pendant la composition : ça vous donne une perspective nouvelle sur la composition et ça vous pousse à ne pas trop vous focaliser sur votre instrument de prédilection pour privilégier la vue d’ensemble ?

Oui. Un autre bon exemple, c’est quand nous avons composé « Fjara », Svavar a trouvé le riff en jouant de la guitare, Gummi était au clavier et Gringo jouait la batterie, et moi j’étais à la caméra vidéo [rires]. Nous faisions simplement les imbéciles, jusqu’à ce que nous soyons là : « Oh, c’est vraiment cool ça ! » Svavar a essayé de m’apprendre le riff, j’ai eu du mal à l’apprendre comme il le jouait, je le jouais différemment, puis c’est devenu une ligne de chant… Nous changeons un peu le line-up, qui joue quel instrument, nous le faisons souvent. C’est pour ça que nous avons écrit beaucoup de choses au clavier par le passé, parce que ça permet d’approcher la musique différemment. Quand je m’assois derrière un piano, j’aborde ça différemment qu’avec une guitare, donc je trouve que c’est rafraîchissant parfois d’essayer de composer au piano. Quand je joue au piano, il me vient des choses complètement différentes de ce que je fais à la guitare. Sæþór [Maríus Sæþórsson] écrit beaucoup de choses au piano aussi (quand je dis Sæþór, je parle de Gringo, c’est la même personne). J’ai aussi toujours été un batteur qui ne veut pas se l’avouer. Quand j’ai commencé dans un groupe, nous répétions dans le garage de mon père, donc il y avait toujours une batterie qui y était installée. En 1993, j’étais même batteur dans un groupe. Quand nous avons commencé Sólstafir, je n’avais jamais été guitariste. J’avais été bassiste et batteur. La première fois que j’ai joué de la guitare dans un groupe c’était le premier jour dans Sólstafir. Donc quand nous écrivons des chansons, je trouve plein d’idées pour la batterie. Je trouve plus d’idées pour la batterie devant le kit de batterie que derrière. Surtout avec Hallgrímur, nous partageons une passion pour les batteurs, donc nous communiquons très facilement sur les parties de batteries.

Qui sont les batteurs qui te passionnent le plus ?

Tout d’abord, Jimmy Chamberlin des Smashing Pumpkins. Ian Paice de Deep Purple. John Bonham, bien sûr. Dave Lombardo.

La chanson « Dionysus » renvoie clairement à vos débuts dans le black metal. Est-ce la preuve que vos racines sont toujours très ancrées en vous ?

Bien sûr. Je n’ai jamais rien abandonné en tant que fan de musique. J’écoute encore du death metal et plein d’albums et de groupes que j’avais l’habitude d’écouter en 1991 et 1992. J’écoute encore beaucoup Consuming Impulse de Pestilence et un tas d’autres choses. Je suis toujours l’âme d’un gamin metalleux au fond. Ça n’a rien de nouveau pour nous, « Dionysus » aurait pu être sur Í Blóði Og Anda, Masterpiece Of Bitterness ou même l’EP Til Valhallar. C’est juste que ça fait longtemps que nous n’avons pas joué ce genre de choses, en conséquence, c’est très rafraîchissant, c’est très énergisant et amusant de jouer vite et de faire du chant crié. Ca faisait longtemps que je n’avais pas fait de chant crié, mais j’ai aussi un projet parallèle, un genre de groupe crust punk et death metal à la Entombed. J’ai composé un album l’an dernier qui était censé sortir cette année, mais le Covid-19 a foutu en l’air les plans. J’ai fait beaucoup de chant crié l’an dernier, donc ça m’est venu naturellement d’en faire aussi quand nous avons écrit cette chanson. En plus, quand on a une chanson rapide avec un riff sympa, ça ne paraît pas naturel de chanter calmement dessus. C’est comme quand nous avons fait « Fjara », ça semblait très naturel de chanter avec une voix très claire ou même, la première fois que nous avons fait du chant clair, sur la chanson « Köld ». Nous faisons ce qui nous paraît logique sur le moment. Quand « Dionysus » a pris vie, ça allait forcément être chanté en voix criée, tout autre type de chant aurait été décalé.

« C’est très facile pour moi d’avoir un mauvais jour et ça peut se transformer en mauvaise semaine, et si j’ai une mauvaise semaine, il se peut que je passe un mauvais mois, et après un mauvais mois, ça fait du bien de recommencer à boire. Je ne peux pas me permettre d’avoir beaucoup de mauvais jours d’affilée, parce que ça mène à un désastre. »

Je me souviens, nous avons fait une démo de cette chanson… La moitié était une chanson totalement différente. Nous l’avons écrite il y a presque deux ans. Il n’y avait rien de rapide ou de heavy, c’était plus une chanson indé. Nous avons travaillé dessus à de nombreuses reprises, et elle ne fonctionnait pas, nous n’arrivions pas à en faire une chanson. Tout d’un coup, Sæþór a trouvé un riff, il a dit : “Ecoutez ce riff old school que j’ai fait ! » Nous avons joué le riff et j’ai dit : « Hallgrímur, joue cette partie de batterie rapide par-dessus ! » Nous avons joué ce riff rapide, et nous avons adoré. Ensuite, quelqu’un a eu l’idée de lier ce nouveau riff à cette vieille chanson et ça collait parfaitement ! Nous avons fait une démo de la chanson – nous avons un système Pro Tools dans notre salle de répétition – et la chanson est née très rapidement. Nous l’avons faite en une journée, car nous avions déjà écrit la moitié deux ans plus tôt. Nous l’avons sauvegardée dans l’ordinateur et nous avons commencé à travailler sur autre chose. Quand nous sommes allés en studio, ça faisait un an que nous n’avions pas entendu cette démo, mais cette chanson était déjà là et nous en étions très contents.

Quel est ton sentiment quand tu repenses à vos débuts black metal ?

Je ne sais pas, c’est juste le genre de groupe que nous étions à l’époque… Je me souviens, la première fois que j’ai écrit de la musique à la guitare, car avant, je n’avais été que dans des groupes de death metal dans lesquels je n’écrivais pas de musique, alors que maintenant j’écrivais ces riffs tout seul. Nous étions vraiment dans l’underground, l’échange de cassettes, etc. au milieu des années 90. Le back metal était différent à l’époque, il fallait être très sérieux, il fallait suivre certaines règles idiotes dont on ne savait pas qui les avait établies… Nous avons commencé par parler de mythologie, c’est venu très naturellement : nous avons vu que les gars d’Enslaved jouaient du black metal sur fond de mythologie nordique et nous nous sommes dit que nous allions les copier. C’est marrant, parce que maintenant, nous sommes amis avec les gars d’Enslaved et nous leur avons raconté ça, nous avons souvent parlé du fait que nous avions plagié Enslaved. A l’époque, nous étions plus dans la scène viking, mais nous ne voulions pas… C’était trop facile pour nous d’être étiquetés comme un groupe de viking metal. Rien de tout ça n’avait été décidé au préalable, donc nous avons pris la décision que nous n’allions pas être un groupe de viking metal et nous avons ensuite fait des choses qui étaient suffisamment sexy. La dernière fois que nous avons utilisé la mythologie était sur Í Blóði Og Anda, mais cet album a été écrit en 1997 et 1998. C’était tout simplement notre monde, nous écoutions Mayhem et Darkthrone, et nous étions hyper fiers de composer ce genre de musique. Je me souviens quand nous étions en train de faire « Ásareiðin », le morceau d’ouverture de Til Valhallar. Encore aujourd’hui, je trouve que c’est l’un des riffs les plus cool que j’ai écrits ! J’étais tellement fier de ce satané riff que je pensais que jamais je n’allais écrire un meilleur riff que ça, alors autant nous séparer et arrêter le groupe. Mais évidemment, on ne fait jamais ça, parce qu’être dans un groupe c’est un truc d’aliéné, au final on ne se sépare pas.

L’album s’intitule Endless Twilight If Codependent Love. Ça sonne comme une vision très amère de l’amour…

Ce que j’appelle « l’amour co-dépendant » c’est un amour toxique. L’album aurait pu s’appeler Eternal Darkness Of Toxic Love, mais tel est le nom que nous avons choisi. Ça peut s’appliquer à de nombreuses situations : être dans un groupe peut être dur, élever un enfant peut être dur, avoir une petite amie, avoir une mauvaise relation avec nos parents, etc. La co-dépendance est une chose horrible qui nous dévore l’esprit et détruira notre relation avec nos amis, nos parents, nos enfants, etc. On ne réalise pas qu’on est co-dépendant. C’est comme être pris dans une toile d’araignée, on dit non quand on a envie de dire oui, on reste quand on a envie de partir, ou l’inverse, on devient un maniaque du contrôle, on croit que tout doit tout le temps être fait à notre manière à cent pour cent. Nous nous soucions de la santé mentale, nous avons beaucoup chanté à propos de la dépression, de l’anxiété, du suicide, de l’obscurité en l’homme, et ceci en fait partie. L’amour co-dépendant est très lié au fait que les gens restent coincés dans l’anxiété et la dépression parce qu’ils n’arrivent pas à s’extirper de leur coquille. C’est un tabou, plein de gens ne savent pas ce que c’est ou refusent de dire qu’ils en souffrent, donc nous révélons un peu ce tabou au grand jour. Quand tu es coincé dans une situation d’amour co-dépendant, tu ne peux pas trouver le bonheur. Ça peut te détruire ou te faire vivre un enfer.

C’est la première fois depuis Masterpiece Of Bitterness que vous avez un titre d’album en anglais. Quelle est la différence pour vous quand vous faites passer un message en anglais plutôt qu’en islandais ? Est-ce que la langue anglaise a une raison d’être particulière pour vous quand vous l’utilisez ?

Pas vraiment. Quand ce titre d’album a été suggéré, certains membres du groupe l’ont trouvé extravagant, que nous ne pouvions pas utiliser ça, mais j’ai dit que nous avions déjà eu des trucs extravagants par le passé : qui aurait intitulé un album Masterpiece Of Bitterness ? Rien que pour ce titre, par exemple, Gummi et moi étions au téléphone – car j’étais en Finlande pour la mastering de l’album –, nous étions en train de parler de quelque chose et pendant cet appel, la phrase a été prononcée, comme quoi c’était un chef-d’œuvre d’amertume. Nous avons trouvé le titre accidentellement. C’est aussi le cas de celui-ci. J’étais en train de montrer à Svavar une liste de titres potentiels en islandais que j’avais notés, mais j’avais aussi noté des trucs en anglais pour différents projets, et il les a vus. Svavar a dit : « Que dirais-tu de Endless Twilight Of Codependent Love ? » car il avait mal lu, il avait mal compris quelque chose que je lui avais envoyé. Je me suis dit : « C’est bizarre comme titre, mais j’aime beaucoup ! » Je trouve que ça sonne super bien, il y a un message derrière, il permet de sensibiliser les gens… Nous étions vraiment à la recherche d’un titre sympa et cool en islandais, mais rien ne nous est venu. Ceci était la meilleure idée que nous ayons trouvée et elle était en anglais, et c’était un très long titre. C’est toujours pareil : quand quelque chose est rafraîchissant et différent, c’est toujours sympa d’avoir un peu de changement. Avoir un seul mot en islandais en guise de titre, ce n’est pas vraiment rafraîchissant, c’est très facile. Je suis encore surpris que nous ayons nommé cet album ainsi, parce que c’est effectivement extravagant, et j’adore ! J’aime aussi quand quelque chose me retourne le cerveau.

« Nous jouions du black metal avec de grosses influences des Smashing Pumpkins. Je pense que c’est un peu ce qui nous a différenciés des groupes de black metal ordinaires. »

Non seulement ça, mais tu as aussi chanté la chanson « Her Fall From Grace » en anglais…

Oui, c’est autre chose. Ça faisait onze ans que nous n’avions pas fait de chanson en anglais. En gros, presque tout l’album Köld est en anglais et nous avons toujours joué « Goddess Of The Ages » en concert, ainsi que beaucoup « Necrologue » récemment. Nous avons toujours eu un peu d’anglais dans nos sets live. Et encore une fois, nous avons joué l’intégralité de l’album Köld l’année dernière, donc j’ai chanté la majeure partie de notre set en anglais. Quand nous étions en train de composer cette chanson, je cherchais la ligne de chant… Normalement, quand nous écrivons des lignes de chant, je chante n’importe quoi, un mélange d’islandais, d’anglais et de yaourt, juste pour trouver les lignes de chant. J’ai donc commencé à chanter des trucs en anglais qui n’avaient aucun sens, mais ce feeling du chant en anglais est resté associé à cette ligne de chant. Je me suis dit que ça allait perdre un peu de son charme si je la faisais en islandais – je ne sais pas pourquoi, c’est juste ce que je ressentais sur le moment. Du coup, c’est devenu une chanson en anglais. Nous n’avons jamais établi de règle comme quoi nous n’utiliserions plus jamais l’anglais. Je veux dire que nous avons fait quelques albums en anglais, même si durant à peu près la dernière décennie nous avons exclusivement utilisé l’islandais, mais comme je l’ai dit, nous aimons nous surprendre en faisant des choses rafraîchissantes.

La chanson « Her Fall From Grace » se rapporte à la douleur qu’on ressent en regardant un être cher succomber à la maladie mentale. Est-ce que ça vient d’une expérience personnelle ?

Oui. Ça parle de quelqu’un qui m’est très cher. C’est comme si elle était coincée dans un étang noir satanique, tout est toxique, on ne peut atteindre cette personne. C’est très douloureux à voir, on ne peut rien faire. C’est comme voir la personne se suicider au ralenti.

D’un autre côté, à l’écoute, il y a dans cette chanson quelque chose de très apaisant, c’est un peu paradoxal…

Bien sûr, parce qu’il faut l’accepter. On ne peut rien faire. Je ne suis pas tordu de douleur et à l’agonie à cause de ça, car si c’était le cas, ça voudrait dire que ça contrôlerait ma vie. Le choix ou la maladie de cette personne ne peut pas détruire ma vie. Il faut que j’en sois très conscient. Je suis toujours là pour aider ou prêt quand quelqu’un veut de l’aide, mais je ne peux pas la laisser détruire ma vie. Je ne vais pas perdre le sommeil à cause de ça, parce qu’alors je serais super co-dépendant. J’aime cette personne, ça fait de nombreuses années qu’elle fait partie de ma vie. Cette chanson représente l’infini crépuscule de l’amour co-dépendant. Parfois je me surprends à y penser, mais il faut que je me relève et dise que ça ne peut pas contrôler ma vie. Donc oui, cette chanson est un genre de conte à la fois triste et apaisant.

On a parlé en termes musicaux de la chanson « Dionysus », mais Dionysos, parmi d’autres choses est le dieu du vin, de la démence et de la folie rituelle, mais aussi de l’extase spirituelle. A travers l’usage de ce personnage, tu sembles faire un lien entre spiritualité et folie ou aliénation mentale. Penses-tu qu’il y a de la folie dans la spiritualité ou une spiritualité dans la folie ?

C’est une bonne question. Dans le cas présent, la chanson parle d’addiction. Donc dieu du vin, bien sûr. Après, la folie… Qu’est-ce que la folie ? La spiritualité est quelque chose que j’associe au calme, pas à la folie, et le calme est l’opposé de la folie. Je n’associe la spiritualité à rien d’autre que la tranquillité d’esprit.

As-tu l’esprit tranquille aujourd’hui ?

Oui. Il peut être mis à l’épreuve, je peux avoir un mauvais jour ou une mauvaise heure, mais je m’endors l’esprit tranquille et je me réveille en me sentant en pleine forme. Ça n’a pas de prix. Il n’y a rien de plus précieux que d’avoir la tranquillité d’esprit. Autrement, tu ne peux pas vraiment être là pour tes enfants, tes parents et tes amis. J’ai trouvé ma tranquillité d’esprit en vivant une vie sobre, sans me saouler, sans boire, ça joue beaucoup.

Tu es maintenant sobre, mais tu continues d’écrire des chansons sur l’addiction…

Bien sûr ! C’est sans fin. Alcoolique un jour, alcoolique toujours. Je dois faire certaines choses pour me tenir à l’écart de l’obscurité. L’obscurité est toujours au pas de la porte. C’est très facile de la refaire rentrer. Elle ne part jamais, mais je ne la laisse pas rentrer chez moi. Comme ils disent : « Hello darkness, my old friend » (extrait de la chanson de « The Sound Of Silence » de Simon & Garfunkel, NDLR). C’est très facile pour moi d’avoir un mauvais jour et ça peut se transformer en mauvaise semaine, et si j’ai une mauvaise semaine, il se peut que je passe un mauvais mois, et après un mauvais mois, ça fait du bien de recommencer à boire. Je ne peux pas me permettre d’avoir beaucoup de mauvais jours d’affilée, parce que ça mène à un désastre.

« Les gens nous ont toujours demandé : ‘Allez-vous revenir à vos racines ?’ Et nous répondions : ‘Putain, non ! On ne va jamais faire ça.’ Car ça paraît très fade et anti-créatif de faire machine arrière et de refaire ce qu’on a fait dans le passé, mais je suppose que je dois manger mon chapeau parce que nous avons une chanson black metal sur cet album. Je ne sais pas du tout comment ça a pu arriver ! »

L’illustration de l’album dépeint la Dame de la Montagne, la personnification féminine de l’Islande. Les Islandais n’ont connu qu’une réplique noir et blanc sur une sculpture de bois faite par l’artiste de la peinture originelle, jusqu’à ce que récemment deux citoyens retrouvent cet original caché dans un musée gallois où elle avait été entreposée pendant des siècles. Que représente cette peinture pour toi ?

Il y a une grande histoire commune. En France, il y a Marianne. Les Romains avaient Minerve. Il y a la statue de la Liberté. C’est la puissance féminine. En Islande, on grandit avec l’image de la Dame de la Montagne. Les jours de célébration nationale, il y a toujours une femme habillée en Dame de la Montagne, on voit une grande photo dans le journal et ainsi de suite. C’était très important quand ils ont trouvé la version en couleurs. Les gens ont été surpris de voir sa pure beauté, car je ne crois pas qu’il était de notoriété publique que la version originale en couleurs existait. C’était dans le journal et tout le monde a lu à ce sujet. Comme la plupart des gens, je n’avais jamais trop prêté attention à la réplique en noir et blanc, parce que je ne connaissais pas l’histoire de cette peinture. La version en noir et blanc n’a rien de spécial, c’est juste un dessin en noir et blanc, alors que les couleurs sont juste magiques sur l’original. Quand nous avons vu cette peinture, nous avons trouvé que c’était la plus belle chose que nous ayons jamais vue, il fallait que ce soit la pochette de notre album.

Une chose que cette illustration rappelle tout de suite, c’est celle de l’album Mellon Collie And The Infinite Sadness des Smashing Pumpkins…

Bien sûr, tu n’es pas le seul à le faire remarquer. Je pense que c’est une drôle de coïncidence que des gars trouvent cette magnifique peinture qui a été entreposée pendant cent cinquante ans au pays de Galles, et la révèlent exactement au moment où nous recherchons une illustration d’album, et qu’elle a des ressemblances, niveau couleurs, avec cet album des Smashing Pumpkins. C’est assez évident, mais nous n’avons pas conçu cette illustration, nous ne l’avons pas commandée, c’est une pure coïncidence, et c’est assez drôle. Nous n’avons jamais caché que The Smashing Pumpkins est une énorme influence pour notre groupe, surtout en termes de composition. Quand nous étions en train de faire Til Valhallar, dans ma manière d’approcher la guitare, j’écrivais des riffs vraiment dans la veine de ce qu’on entend sur Siamese Dream, par exemple. Nous jouions du black metal avec de grosses influences des Smashing Pumpkins. Je pense que c’est un peu ce qui nous a différenciés des groupes de black metal ordinaires.

On a parlé ensemble par le passé du fait que tu adorais voir apparaître des choses inattendues lorsque vous faites vos albums. Quelles ont été les influences inattendues cette fois ?

Peut-être nous-mêmes ! Car les gens nous ont toujours demandé : « Allez-vous revenir à vos racines ? » Et nous répondions : « Putain, non ! On ne va jamais faire ça. » Car ça paraît très fade et anti-créatif de faire machine arrière et de refaire ce qu’on a fait dans le passé, mais je suppose que je dois manger mon chapeau parce que nous avons une chanson black metal sur cet album. Je ne sais pas du tout comment ça a pu arriver ! Donc c’est assez bizarre. Et ensuite, il y a de petites choses. Dans « Dionysus », il y a même un solo de guitare que je joue et qui est vraiment dans la veine de ce que j’ai beaucoup fait dans Masterpiece Of Bitterness. Il y a des trucs dans cet album que je peux rapprocher de Masterpiece Of Bitterness et de Köld. Je n’aurais pas pu l’anticiper car nous nous sommes toujours tournés vers le futur. Pour une raison étrange, cette fois, nous avons parfois regardé dans le rétroviseur. C’est quelque chose qui n’était pas prévu. Je suppose donc que nous avons été un petit peu influencés par notre passé sur cet album, ce qui est très étrange de notre part, car nous avons toujours voulu à tout prix regarder devant nous.

De toute évidence, l’émotion est au centre de votre musique, et je sais que vous n’avez jamais une idée de direction que vous voulez prendre quand vous commencez à travailler sur un album. Parfois, il y a des artistes qui créent leur art comme des flux de conscience, mais dirais-tu que Sólstafir crée son art en tant que flux d’émotion ?

Bien sûr ! Il s’agit juste de savoir quelles notes on met ensemble. Certaines notes me parlent ; on met deux ou trois notes ensemble et elles me parlent d’une certaine façon, j’aime beaucoup comment elles sonnent ensemble. Tout ce que j’ai fait dans le passé ou aujourd’hui affectera mon appréciation de ces notes. Si je perdais mes parents ou un membre de ma famille, ça changera mon ressenti de ces notes. Ce que tu vas composer est très dépendant de tes émotions. D’un autre côté, j’ai aussi connu par le passé des ruptures qui ont été très dures – les ruptures sont dures, en général – et les gens me disent : « Tu devrais utiliser ça pour écrire des chansons vraiment tristes ! » Et je suis là : « Putain, non ! Je ne vais même pas toucher à un instrument. » Quand je suis aussi abattu, je ne joue même pas de guitare, je ne fais rien. C’est différent. Pour ce qui est de trouver un flot d’inspiration pour un album, ça vient surtout parce qu’à tel moment il faut écrire et tu dois presser le bouton. Par exemple, maintenant, nous venons de terminer un album, le bouton est éteint, je ne peux pas écrire de musique là tout de suite. Après, une grande partie de l’inspiration vient aussi des tournées que nous effectuons avec des groupes ; normalement, nous tournons avec des groupes sympas, comme les Anglais de Esben And The Witch, les Allemands de Secrets Of The Moon, Alcest même si nous n’avons pas tourné avec eux… Certains de nos amis sont dans des groupes vraiment cool, et quand tu tournes avec tes amis et que tu entends tout le temps leur musique, ça t’inspire à écrire certaines choses et à aller plus loin, parce que tu peux voir qu’ils ont créé quelque chose de magique. Souvent je me dis : « Oh, j’aurais aimé avoir composé cette chanson, c’est de la pure magie ! » C’est donc très inspirant de tourner avec d’autres groupes.

Votre musique est le résultat de beaucoup de passion de votre part, mais elle génère aussi beaucoup de passion chez les gens. Est-ce que ça te surprend parfois ?

Parfois, oui. C’est assez étrange, parfois t’écris une chanson, t’es peut-être seul dans ton salon ou… Normalement, j’écris seul dans un canapé en regardant la télévision. Puis tu as des joueurs de cordes et un pianiste qui jouent avec toi en concert – comme nous l’avons déjà fait en tournée – et j’ai ce sentiment : « Toutes ces personnes extrêmement talentueuses jouent avec nous, au violon, au violoncelle, au piano, il y a des gens devant nous qui pleurent et il n’y a pas d’autre groupe que nous. Ils ne regardent pas Metallica ou Pink Floyd. Ils nous regardent nous ! » Je ressens parfois ce choc. C’est un sentiment très gratifiant : tu écris accidentellement de la musique dans ton canapé en regardant la télévision et au final, tu te retrouves face à des gens qui pleurent ! Ça te rend très reconnaissant.

« Il y a des gens devant nous qui pleurent et il n’y a pas d’autre groupe que nous. Ils ne regardent pas Metallica ou Pink Floyd. Ils nous regardent nous ! Je ressens parfois ce choc. »

Le compositeur de musique de films Ennio Morricone est mort cette année, et je sais à quel point il a été une influence pour toi et à quel point tu t’es inspiré de son travail. Peux-tu nous parler de ta relation à Ennio Morricone et à sa musique ?

On m’a demandé l’autre jour quand ça avait commencé et je ne m’en souviens pas vraiment, mais très tôt, je suis tombé amoureux des westerns spaghetti de Sergio Leone auxquels, bien sûr, Ennio Morricone apporte énormément. Le fait de regarder ces westerns m’a vraiment donné envie d’écouter sa musique. J’ai même les vinyles ainsi que les CD, et j’écoute sa musique sur Spotify. Aucune autre musique de film que j’ai entendue ne m’a autant parlé que celle d’Et Pour Quelques Dollars De Plus. Je connais le film par cœur, quand ils braquent la banque, etc. Le son de Fender et la réverb, la flûte, le chanteur d’opéra, la marche au tambour, la guitare classique qui sonne un peu espagnole… C’est de la pure magie ! Evidemment, le gars a fait des musiques pour des centaines de films, mais ces trois musiques, ça me parle comme Metallica me parle, alors qu’Anthrax non – je déteste Anthrax. Ça me parle et je ne sais pas expliquer pourquoi ! Je ne me souviens pas quand j’ai entendu Ennio Morricone pour la première fois – j’ai toujours su que Metallica utilisait sa musique en introduction et je me souviens que Fields Of The Nephilim avait repris « The Harmonica Man » – mais la première fois que ça a été une influence directe pour nous était en ouverture de Masterpiece Of Bitterness ; ça c’est très influencé par Ennio Morricone. Déjà en 2003 et 2004, nous étions très influencés par lui, et je pense qu’il n’arrêtera jamais d’être une influence pour ce groupe.

As-tu songé avec Sólstafir à faire de la musique de films ?

Bien sûr, mais nous n’avons jamais reçu d’offre. Cependant, il y a un film qui s’appelle The Flight Of The Raven, un film de Vikings sorti il y a trente ans qui est très influencé par Sergio Leone, et on nous a demandé de jouer de la musique sur le film à l’occasion du Roadburn. Nous avons utilisé notre propre musique passée, nous n’avons pas eu le temps d’écrire de la nouvelle musique pour ça – c’est un film de deux heures, donc nous avons pris des musiques de Sólstafir pour les jouer sur le film. C’est le plus proche que nous ayons été de faire une musique de film. Personne ne nous a encore demandé de faire la musique d’un film, mais j’adorerais essayer de le faire avec les gars !

L’Islande a choisi Sólstafir pour jouer un total de six événements à New York, Seattle et Toronto l’automne dernier, ça s’appelait « Taste Of Iceland ». Comment était cette expérience et comment la culture islandaise a-t-elle été accueillie ?

Je ne sais pas, nous ne faisons jamais ce genre de concert vitrine à des fins culturelles, je trouve ça ennuyeux ; il n’y a que des journalistes ivres qui sont là juste pour la binouze et pas pour t’écouter. Mais là c’était spécial. Nous avons pu aller à Seattle et rencontrer nos amis à la radio KEXP – des gens merveilleux. Nous avons joué deux concerts à New York – j’adore New York, c’est mon endroit préféré sur Terre. Si je devais choisir une ville pour faire du tourisme… Ne te méprends pas, je ne compte pas déménager là-bas, mais en tant que destination ponctuelle, j’adore être à New York. Mon grand-père y a vécu dans les années 1910, donc j’ai un lien avec cette ville. Puis nous sommes aussi allés à Toronto. On a vraiment bien pris soin de nous, nous avons joué dans des stations de radio dans des universités… C’était très sympa. Ils trouvaient ça excitant d’avoir un groupe de metal islandais qui joue dans l’université du coin, donc c’était super amusant et ça a été un grand succès pour nous.

Interview réalisée par téléphone le 22 août 2020 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Iris Dogg Einarsdottir (1, 3, 5, 7) & Gaui H (2, 6, 8).

Site officiel de Sólstafir : www.solstafir.net

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