S’il est un groupe qui mérite bien le qualificatif de « légendaire », c’est bien Sortilège. Et pas seulement parce que ses lyrics font appel à l’univers heroic fantasy, mais aussi parce que son nom circule depuis fort longtemps dans le petit monde du « hard rock français », comme on se plaisait à le dire dans les années 80. Car c’est bien à cette période, précisément entre 1983 et 1986, que la formation originaire de la région parisienne a sorti les trois albums (enfin, deux albums et un maxi 45 tours de cinq titres) qui ont bâti sa légende et sa réputation. Emporté par des conflits internes, le groupe disparu des radars refait surface en 2021 avec le bien nommé Phoenix, un album comprenant douze classiques réenregistrés ainsi que deux inédits. De quoi raviver l’intérêt des fans et relancer une carrière. Encore fallait-il que cette compilation soit suivie d’un véritable nouvel album, afin que cet étonnant retour puisse s’inscrire dans la durée.
C’est désormais chose faite avec Apocalypso. Certes, Sortilège a bien changé puisque seul l’emblématique chanteur Christian « Zouille » Augustin est rescapé du line up originel. Mais pas question de partir dans tous les sens : la recette musicale qui a fait le succès du groupe reste la même. Il s’agit d’un power metal mélodique, parfois speed, avec des textes empruntés à l’univers mythologique, que ce soit chez les Grecs, les Romains ou même les pays nordiques. Un cocktail qui pourra paraître totalement désuet et insipide pour certains (ceux qui pensent que le cyclope de l’étang n’a jamais existé et que les civilisations perdues sont un concept politique…), mais qui colle parfaitement à l’identité du groupe et répond sans aucun doute aux attentes des fans. Et puis on peut toujours tirer des leçons de la mythologie, y compris dans la vie d’aujourd’hui…
C’est par un rythme de batterie tribal, annonçant un tempo rapide, que s’ouvre « Poséidon », le premier titre de l’album. Il ne faut pas attendre bien longtemps pour que les guitares rejoignent la rythmique et que Zouille envoie son premier cri s’envolant très haut dans les aigus. Sa voix, jadis cristalline, est devenue plus rocailleuse, plus puissante aussi. Elle demeure le phare qui fait briller des refrains mélodiques faciles à retenir. « Atilla » qui vient ensuite rappelle que Sortilège est aussi un groupe de pur heavy metal. Tempo ralenti, ambiance pesante, soli de guitares à l’ancienne… et apparition de Stéphane Buriez (Loudblast) qui vient poser son chant agressif ainsi qu’une partie parlée très théâtrale : on se croirait revenus dans les années 80, mais avec une production moderne. Davantage de basses et de relief, des chœurs et des voix superposées mises en avant : le son colle parfaitement à la thématique. « Derrière Les Portes De Babylone » apporte des sonorités moyen-orientales, avec ses claviers pêchus. Pour ce titre de plus de six minutes, qui fait la part belle à l’atmosphère, Sortilège a reçu le renfort de membres du groupe tunisien Myrath pour un long break final où ils nous transportent directement chez eux. Rebondissements et changements de rythmes se succèdent, les ambiances défilent comme des tableaux musicaux. On pense évidemment à « Kashmir » de Led Zeppelin ou plus récemment à « Babylon » de Stratovarius… avec du chant en français bien sûr.
« Le Scare Des Sorciers » et ses « ooohooo » à la limite du cliché et le court « La Parade Des Centaures », fort d’un riffing plus pesant et grave, d’un refrain dynamique efficace et des interventions bestiales – à nouveau – de Stéphane Buriez, nous laissent en terrain connu. C’est d’ailleurs le cas de l’ensemble de l’album : que le rythme s’accélère (comme pour « Walkyrie » et ses cavalcades de riffs), ou qu’il reste modéré, l’empreinte de Sortilège est partout présente. Une identité remarquablement conservée, bien que souvent actualisée, et qui peut surprendre surtout quand on sait que certains anciens compositeurs ne font plus partie du groupe. C’est en tout cas la preuve que leurs successeurs, Olivier Spitzer et Bruno Ramos aux guitares, Sébastien Bonnet à la basse et Clément Rouxel à la batterie, sont dignes d’écrire l’histoire à leur tour. Bien entendu on n’échappe pas à la traditionnelle ballade. Cette fois elle s’intitule « Encore Un Jour ». Appelée à s’inscrire dans la lignée de « Délire D’un Fou » ou « Quand Un Aveugle Rêve », elle se révèle cependant bien différente. Beaucoup plus heavy, plus sombre aussi. Ce sera bien compliqué de danser un slow là-dessus ! A force de baigner dans le fantastique, on est surpris (ou pas) par le texte de « Trahison ». Très concret et sans doute gavé de sous-entendus, il évoque la droiture et le respect de la parole donnée. « Je peux pardonner, je n’oublie jamais », clame Zouille avec force. A bon entendeur… L’album s’achève sur le titre éponyme. Une pièce montée d’environ huit minutes, au cours de laquelle les claviers (signés Kevin Codfert) sont aussi présents. Des accents épiques, des transitions atmosphériques, les idées se succèdent et il faut naturellement plusieurs écoutes pour en saisir toutes les subtilités.
En définitive, cet Apocalypso n’a pas grand-chose d’apocalyptique, et marque plutôt un renouveau. Comme si le Sortilège de 2023 avait conservé les bases de son ancien monde pour se bâtir un avenir avec un album aux sonorités évoluées. Personne n’y perdra : les fans le resteront et d’autres, sans aucun doute, les rejoindront.
Album Apocalypso, sortie le 3 mars 2023 via Verycords. Disponible à l’achat ici