Il est toujours difficile de se relever du départ d’un leader, alors de deux… C’est pourtant ce qu’a fait Spock’s Beard, coup sur coup, avec Neal Morse, puis Nick D’Virgilio. Le groupe n’a à aucun moment jeté l’éponge et a continué, coûte que coûte, à tourner et produire des albums. Alors, même si la cote de popularité de la formation rock progressif a baissé depuis l’époque dorée de Neal Morse, les voilà de retour en 2013 avec un onzième album, intitulé Brief Nocturnes And Dreamless Sleep, dont le groupe n’est pas peu fier. Un album charnière où le groupe pour la première fois intègre pour la première fois au poste de chanteur une personne extérieur au groupe : Ted Leonard, chanteur d’Enchant.
Le guitariste Alan Morse – et accessoirement frère de Neal – nous parle dans l’entretien qui suit de ce nouvel opus et plus encore.
« Les gens disent toujours que nous devrions changer de nom, mais moi, je ne vois pas pourquoi nous devrions faire ça ! »
Radio Metal : Nick D’Virgilio a quitté le groupe en novembre 2011. Qu’est-ce que tu peux nous en dire ? Est-ce que ça t’a surpris ?
Alan Morse (guitare) : Oui, nous ne nous doutions même pas qu’il cherchait un boulot [rires] ! Quand, en fait, on a compris qu’il allait partir et faire ces spectacles avec le Cirque du Soleil, ça m’a un peu secoué ! Mais tu sais, on ne peut pas lui en vouloir, c’était une super opportunité et il avait besoin de faire quelque chose comme ça.
Après Neal, c’est la deuxième fois que le leader quitte le groupe. Est-ce que vous avez songé à laisser tomber, ou à ne plus utiliser le nom Spock’s Beard ?
Pas vraiment… Les gens disent toujours que nous devrions changer de nom, mais moi, je ne vois pas pourquoi nous devrions faire ça ! À mes yeux, ça n’aurait aucun sens. Nous sommes toujours là après toutes ces années, nous faisons toujours le même genre de chose, et nous continuons, tout simplement.
Changer de chanteur est toujours difficile. Pourquoi avez-vous choisi Ted Leonard ?
Nous connaissions tous Ted car nous avons tourné avec Enchant, et il est formidable et a une super voix. Quand nous avons compris que ça n’allait pas être possible pour Nick de continuer avec nous et de travailler pour le Cirque du Soleil en même temps, Dave [Meros] qui avait travaillé avec Ted sur un de ses side-projects lui a demandé s’il était intéressé, et Ted a répondu : « Oui, OK, ça me paraît super », et voilà.
Quels étaient vos critères principaux quand il a fallu trouver un nouveau chanteur ?
Évidemment, principalement, il fallait qu’il ait une super voix et que ce genre de musique l’intéresse. Au-delà de ça, il fallait évidemment qu’il soit compatible avec les autres membres du groupe sur le plan personnel. Ted collait parfaitement à cette description.
Dans quelle mesure a-t-il été impliqué dans l’écriture et l’enregistrement du nouvel album ?
Ça a été une surprise pour moi à vrai dire : je n’avais pas conscience du fait que Ted était aussi un très bon compositeur, et qu’il avait tant de choses que nous pourrions utiliser pour l’album… Quand j’ai découvert ça, j’ai été très agréablement surpris. Ça a vraiment été un plus. Je ne m’en serais pas douté… Évidemment, je savais que c’était un mec très talentueux, mais je ne m’étais pas imaginé qu’il aurait autant de matière, des choses qu’il avait déjà écrites pour nous, pour que nous puissions travailler directement dessus. J’en ai entendu certaines, et je me suis dit : « C’est génial ! Faisons ça tout de suite ! » C’était super.
« Afterthoughts » est une allusion évidente aux chansons « Thoughts » et « Thoughts Part II » ; est-ce que tu penses que c’était important à la fois pour le groupe et pour les fans de créer ce lien entre le groupe actuel et ses racines ? Est-ce qu’ajouter « After » est une manière de passer à autre chose et de se tourner vers l’avenir avec ce line-up ?
J’étais en train de composer avec Neal et nous nous sommes dit que ça pourrait être fun d’en faire une autre dans cette lignée. Nous avons trouvé que ce serait une bonne idée, donc nous nous y sommes attelés. Nous travaillons tout le temps de cette manière à vrai dire, nous ne faisons pas beaucoup de calculs, nous n’y pensons pas en tant que stratégie bonne ou mauvaise ou quoi que ce soit de ce genre [rires].
« Les gens se disaient : ‘C’est avant tout le groupe de Neal’ […], puis c’était le groupe de Nick… […] Peut-être que maintenant, ça va être le groupe de Ted ! [Rires] »
Comment décrirais-tu la touche Spock’s Beard ? Qu’est-ce qui fait le son de Spock’s Beard malgré le départ de deux membres importants ?
En effet, c’est quelque chose d’intéressant. Je pense que ça vient surtout du fait que le groupe a un noyau très solide. C’est à peu près tout. C’est drôle parce que les gens se disaient : « C’est avant tout le groupe de Neal » et nous, nous ne faisons que l’accompagner, puis c’était le groupe de Nick… Je ne sais pas. Peut-être que maintenant, ça va être le groupe de Ted ! [Rires] Nous nous impliquons tous, nous jouons ce que nous avons à jouer, nous aimons tous ce genre de musique, voilà pourquoi ça sonne comme du Spock’s Beard je pense. Ça me fait penser à – et bien entendu je me vante, mais j’espère qu’il y a quand même quelque chose – King Crimson qui a traversé beaucoup de line-up différents, mais je suppose qu’une bonne partie sonne différemment avec le temps, mais ce n’est pas grave, tout est génial…
Est-ce que tu peux nous parler du titre de l’album, Brief Nocturnes And Dreamless Sleep [« Nocturnes courtes et sommeil sans rêve »] ?
Je ne sais pas ce qu’il veut dire exactement mais j’ai toujours été intéressé par tout ce qui touche au sommeil, aux rêves, à ce qu’il se passe à ce moment-là et à ce que les rêves veulent dire… Je trouve que c’est mystérieux et fascinant. Je suis tombé sur cette phrase et elle m’a vraiment frappé. Je me suis dit qu’elle ferait un bon titre d’album, elle a quelque chose de poétique et est vraiment belle et les autres ont eu l’air de l’aimer aussi, donc voilà.
Quels sont les rôles de Stan Ausmus, Rich Mouser et John Boegehold ? Ça fait longtemps qu’ils travaillent avec le groupe…
Oui, ce sont des mecs super et de bons amis. Rich est vraiment un élément-clé de ce dont tu parlais plus tôt, de ce qui fait que notre son est resté cohérent tout au long de notre carrière : le fait que ce soit toujours lui qui ait mixé et qui se soit occupé de notre son fait vraiment la différence, de ce point de vue. Stan est un mec très cool, très talentueux et très généreux, et on s’amuse beaucoup à travailler avec lui. John nous soutient depuis l’époque où nous ne nous appelions même pas encore Spock’s Beard, il nous aide pour différentes choses. Nous avons enregistré certains de nos morceaux dans son studio, par exemple. Chaque fois que j’ai besoin d’un coup de main, je fais appel à lui, et son rôle est devenu de plus en plus important avec le temps, il est monté en grade et nous aide avec plein de trucs, il a fait notre site internet par exemple, etc.
Qu’est-ce qui vous a poussé à produire l’album vous-mêmes ?
Franchement, c’est avant tout financier. Si tu veux avoir un producteur, il faut le payer [rires], et nous ne sommes pas exactement riches… Au-delà de ça, je ne suis pas contre l’idée d’avoir recours à un producteur à un moment ou à un autre, je pense que ça peut être une bonne chose et nous y pensons souvent, mais nous n’avons jamais vraiment trouvé quelqu’un avec qui nous nous sentions tous suffisamment à l’aise pour bien vouloir mettre notre sort entre ses mains, pour ainsi dire. Tu dois déléguer beaucoup de ton pouvoir pour travailler avec un producteur – selon moi bien sûr, certaines personnes sont plus soucieuses de ça que d’autres. Mais il faudrait vraiment que nous ayons complètement confiance en ses décisions pour le laisser mener la danse. Un producteur doit être sacrément crédible pour que nous l’autorisions à faire ça.
Est-ce que c’est quelque chose que tu voudrais refaire, que ce soit pour Spock’s Beard ou pour d’autres groupes ?
Pendant que je travaillais dessus, je suis à peu près sûr d’avoir dit à ma femme ou même à d’autres que je ne referai plus jamais ça [rires]. C’est vraiment beaucoup de travail ; ça nous a pris un an à travailler dessus peut-être pas tous les jours mais c’était beaucoup de boulot. Mais je le referai probablement la prochaine fois. C’est pour ça que je suis là, tu sais [rires].
« Vu l’état des choses en ce moment, c’est difficile de financer ses albums et les maisons de disques ont un peu des oursins dans les poches. »
L’album précédent a été financé par les fans sur internet. Qu’est-ce que tu as pensé du résultat ?
J’ai vraiment été abasourdi par les réactions la première fois, je ne m’étais pas du tout attendu à ce que ça marche aussi bien que ça, je ne m’étais pas attendu à ce qu’autant de gens soient prêts à avancer de l’argent comme ça. J’ai été très surpris et plein de gratitude. J’ai trouvé ça fantastique qu’autant de personnes soient prêtes à avancer de l’argent pour quelque chose qui n’était pas encore enregistré. Les fans ont vraiment été géniaux de faire ça. Vu l’état des choses en ce moment, c’est difficile de financer ses albums et les maisons de disques ont un peu des oursins dans les poches, donc oui, c’est la meilleure chose à faire, et merci à eux parce que sans ça, je ne sais pas comment on pourrait continuer à en sortir !
Les fans de Spock’s Beard seront contents d’apprendre que Neal a participé à l’album : il vous a donné un coup de main sur les chansons « Waiting For Me » et « Afterthoughts ». Est-ce lié au fait que toi, Nick et Dave apparaissez sur son album Testimony II ?
Le truc avec Neal, c’est que nous sommes toujours amis ! Il nous a appelé et nous a dit : « Salut les mecs, est-ce que vous voulez faire deux, trois trucs sur mon album ? » et nous avons répondu « Bien sûr, pourquoi pas ! » Ensuite, la même chose s’est produite de mon côté : je l’ai appelé et il a passé quelques jours à écrire avec moi. Il a accepté parce que, bien entendu, nous sommes frères, et c’est un mec bien, nous sommes tous amis, donc… Mais ce n’était pas pour lui rendre la pareil, c’est juste que nous sommes potes !
Tu ne crains pas que ça donne de faux espoirs à vos fans qui pourraient espérer un retour de Neal dans le groupe ?
Oui, ça revient toujours sur le tapis… J’ai tout simplement décidé que ce n’était pas si important parce que le principal, c’est toujours de faire le meilleur album possible, et que donc si tu as l’occasion d’écrire quelque chose avec Neal Morse, pourquoi ne pas le faire ? [Rires] C’est simplement que ça sonnait bien.
Dans l’esprit de nombreux fans, Spock’s Beard est toujours le groupe de Neal. Est-ce que c’est quelque chose que tu perçois toujours, ou est-ce que tu as l’impression qu’ils l’ont enfin accepté, dix ans après son départ ? Qu’aimerais-tu leur dire ?
Il me semble que nous avons prouvé que nous pouvions continuer, nous n’avons besoin de personne. Avec ce que nous avons, les mecs et moi, nous pouvons toujours faire des albums qui envoient. Nous l’avons fait à plusieurs reprises maintenant, et je pense que celui-là est peut-être la preuve par excellence que nous pouvons toujours le faire. À mon avis, il est vraiment génial.
« Moi, je n’ai jamais assez de guitare, mais je comprends qu’il faut laisser de la place à Ryo pour le laisser jouer. [Rires] »
Quand nous avons parlé avec Neal, il y a deux ans, il nous a dit que vous aviez discuté de jouer ensemble l’album Snow, que vous n’avez jamais eu l’occasion de jouer en live à l’époque, et d’en faire un DVD. Il nous a aussi dit que vous n’aviez pas encore trouvé le temps de le faire. Qu’est-ce que tu peux nous dire de ça ? Est-ce qu’il y a des chances que ce projet voie le jour ?
Ah oui, il a dit ça ? [Rires] Moi, je n’en ai jamais entendu parler ! Bien sûr, les gens posent parfois des questions à ce sujet, mais nous n’en avons jamais discuté sérieusement, pas que je sache… Je pense que si on me le demandait, j’y penserais, oui, mais ce serait vraiment beaucoup de travail, et puis c’est un très vieil album maintenant… Mais je ne sais pas. Si quelqu’un me le proposait et avait vraiment l’argent pour le faire, alors bien sûr ! [Rires] Mais ce n’est pas à l’ordre du jour pour le moment, pas que je sache.
À propos de ta propre carrière, tu as sorti un album solo en 2007, 4 O’Clock And Hysteria. Est-ce que c’était quelque chose d’exceptionnel, ou est-ce qu’on peut s’attendre à plus de projets solo de ton côté ?
C’était plus ou moins quelque chose d’exceptionnel, je n’ai jamais vraiment pensé à réitérer, mais qui sait ? Je n’y ai pas vraiment réfléchi, pour le moment, je suis bien entendu concentré sur le dernier album de Spock’s Beard. Ça fait plus d’un an qu’on travaille dessus, j’y ai vraiment consacré la majeure partie de mon temps. Mais maintenant que c’est fini, qui sait ? Peut-être que je vais avoir le temps et l’énergie de me lancer dans quelque chose comme ça à nouveau. Si je le faisais, je ne crois pas que je ferais à nouveau un album instrumental, j’y mettrais sans doute du chant. Ce serait fun.
C’était donc un album instrumental : tu as déclaré que tu ne voulais pas de paroles parce que tu trouves que les mots sont dangereux. Est-ce que tu peux expliquer ce que tu voulais dire par là ?
J’ai dit ça ? [Rires] Bon, je ne suis pas sûr qu’ils soient dangereux, mais ils empêchent de se concentrer, c’est sûr. En tant que guitariste, je ne peux pas me concentrer dessus, je n’aime pas ça. Mais ces dernières années, je me suis intéressé de plus en plus à l’écriture des paroles, et je me suis beaucoup amusé à le faire. Peut-être que mon attitude à ce niveau commence un peu à changer.
Tu as déclaré que tu voulais t’amuser avec ta guitare sans être en compétition avec d’autres instruments, comme le clavier. Penses-tu que le groupe a trouvé le bon équilibre entre claviers et guitare sur le nouvel album ?
Il n’y a toujours pas assez de guitare ! [Rires] Oui, c’est toujours une sorte de numéro d’équilibriste… Moi, je n’ai jamais assez de guitare, mais je comprends qu’il faut laisser de la place à Ryo [Okumoto] pour le laisser jouer [rires]. Mais oui, je pense que nous avons atteint un bon équilibre pour cet album. Il offre à chacun l’occasion de se mettre en avant et faire quelque chose, et c’est vraiment chouette. Ted joue de la guitare sur certains passages, Jimmy fait pas mal de choses, Dave a fait quelques solos… Nous aimons donner à tout le monde la possibilité de ressortir et de briller.
A-t-on une chance d’entendre un jour un album des frères Morse ?
[Rires] Encore une fois, on ne sait pas ce que l’avenir nous réserve, mais nous n’avons pas vraiment prévu de faire ça. J’y ai pensé à quelques reprises, nous avons aussi un autre frère, Richard, qui est aussi musicien et qui a beaucoup de talent… Peut-être que nous pourrions faire un album humoristique, un album pour enfant ou quelque chose comme ça, je ne sais pas.
Interview réalisée par téléphone le 20 mars 2013 par Metal’O Phil.
Fiche de questions et introduction : Spaceman.
Transcription et traduction : Chloé.
Site internet officiel de Spock’s Beard : www.spocksbeard.com
Très bon album, un peu trop américain à mon goût (voix et prod), mais finalement ça donne un côté pop qui peut faire apprécier du rock progressif à des oreilles moins habituées, donc c’est peut-être pas plus mal 🙂
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Le 20 Mars? Il est temps… :p
Merci pour l’interview d’un groupe que je commence seulement à découvrir.
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