Ce n’est pas qu’une simple affinité personnelle ou une affinité de l’un pour la musique de l’autre qui réunit Steven Wilson et Mikael Akerfeldt. Ces deux personnalités s’accordent sur un très grand nombre de points, comme leurs idées (notamment à propos de la religion), leurs goûts musicaux et leurs opinions sur l’évolution de la musique. On peut ici véritablement parler d’âmes sœurs, au sens le plus pur du terme, détaché de la connotation amoureuse de l’utilisation habituelle de cette expression.
Ainsi, dans cette interview, Steven Wilson rappelle notamment son opinion à propos de l’évolution du metal et confirme que Mikael Akerfeldt la partage. Pour le reste, il nous apprend quelques anecdotes sur la réalisation de cet album et nous donne également quelques utiles informations sur la suite des évènements, concernant l’avenir d’une collaboration avec Akerfeldt, mais aussi son projet solo (son prochain album serait déjà quasiment prêt) ainsi que Porcupine Tree, pour lequel il insiste sur le besoin de se réinventer.
Radio Metal : La dernière fois que nous t’avons interviewé, il y a quelques mois, nous avions évoqué le fait que tu trouvais le metal actuel ennuyeux. Plus récemment, nous avons appris que Mikael Akerfeldt quittait son groupe de death metal Bloodbath. Il semblerait que vous vous lassiez tous les deux de la musique metal. Est-ce cet état d’esprit commun qui vous a donné l’idée de travailler ensemble ?
Steven Wilson : Le fait est que Michael et moi avons toujours partagé l’amour de la musique progressive du début des années 70, des disques et des artistes relativement ésotériques. L’une des choses sur lesquelles nous sommes parfaitement d’accord, c’est que le vocabulaire musical associé au metal n’avait plus vraiment quoi que ce soit de nouveau à offrir. Pour nous, en tous cas. J’adorerais entendre de jeunes groupes de metal faire quelque chose de réellement neuf et révolutionnaire avec leur musique. Mais je dois dire que je n’ai rien entendu de vraiment neuf depuis quelques années. Parce que nous sommes tous les deux des garçons curieux, nous cherchons toujours de nouveaux moyens de nous exprimer. Et nous avions dans l’idée que la sphère metal était le dernier endroit où nous pouvions exprimer notre créativité, du moins à cette période de nos vies.
Cet album est-il une réaction à ce qui vous ennuie dans le metal ? Avez-vous écrit ce disque en vous efforçant de vous éloigner autant que possible du heavy metal ?
Je ne veux pas qu’il y ait le moindre malentendu : nous ne voulions pas du tout nous élever contre le metal. Le metal était vraiment la chose la plus éloignée de nos esprits. Je n’écoute plus de metal depuis des années, et c’est pareil pour Mikael. Lorsqu’on évoque la musique que nous écoutons et aimons, le metal n’en fait pas partie, et c’est le cas depuis des années. Ce n’est pas comme si nous étions partis en nous disant : « Tu sais quoi ? Allons emmerder les fans de metal ! Faisons un truc totalement anti-metal ! » Ce n’était vraiment pas ça. Nous nous sommes davantage fiés à notre instinct musical. Je ne suis pas contre les gens qui aiment le metal, ce n’est tout simplement pas ma position actuelle. Ça n’avait rien d’une déclaration contre le metal, c’est seulement quelque chose qui ne m’intéresse pas vraiment à l’heure actuelle – et Mikael non plus.
Au début, tu décrivais Storm Corrosion comme très surprenant pour les fans de Porcupine Tree comme d’Opeth. Depuis, l’album d’Opeth, Heritage, et ton propre album sont sortis et tu as déclaré que, à la lumière de ces deux albums, Storm Corrosion n’était finalement pas si surprenant. Regrettes-tu que ces deux disques soient sortis avant celui-ci ? Aurais-tu préféré le voir sortir en premier, pour prendre réellement le public par surprise ?
Non, c’est probablement mieux comme ça. Je pense que ça a mieux fonctionné comme ça, au final. Si Storm Corrosion était sorti il y a un an ou deux, il se serait sans doute heurté à une réaction beaucoup plus négative que celle qu’il a reçue. Il me semble que le public était un peu plus préparé, plus enclin à accepter la direction prise par Storm Corrosion après avoir entendu Heritage et Grace For Drowning. Pour moi, cet album constitue le dernier opus d’une trilogie de disques. Je dirais que je m’éloigne du vocabulaire rock classique pour plonger dans un monde plus orchestré, plus organique. Je ne regrette rien, je pense que les choses ont bien marché dans cet ordre. À mon avis, l’album qui a eu la partie la plus difficile est le Heritage d’Opeth. Je pense que Mikael a eu du mal à faire accepter cet album aux fans de metal, plus particulièrement. Mais il savait que ça se passerait comme ça, il s’y attendait. Mais, avec le temps, cet album finira par être vu comme un classique et une œuvre d’art, comme tous les albums d’Opeth.
N’est-ce pas triste d’avoir à préparer les fans à un changement musical, comme vous l’avez fait avec ces deux albums avant de sortir Storm Corrosion ?
C’est la nature humaine, tout simplement. La nature des fans de musique est de tomber amoureux d’un groupe ou d’un artiste en particulier, et ils aimeraient… Je parle de façon générale, ça ne concerne pas tout le monde. Mais une grande majorité de la fan-base préférerait voir le groupe faire le même disque et le même style de musique encore et encore. Pour moi, ce n’est pas intéressant. J’aime les artistes qui préfèrent se réinventer, expérimenter. Je pense que, quand on emprunte cette direction, on accepte de perdre certains de ses fans à chaque nouvelle sortie. Certains fans ne comprendront pas et n’accepteront pas la direction qu’on a prise. Mais ce qui est important, quand on se considère comme un véritable artiste, c’est d’être égoïste et de suivre son instinct. Est-ce triste de devoir expliquer Storm Corrosion avant que le public puisse l’accepter ? Je ne dirais pas que c’est triste, je pense que c’est inévitable. C’est la nature humaine. Pour les humains, le changement est difficile à accepter. Il peut être difficile de s’adapter au changement. Ça s’applique à la musique, à la vie, ça s’applique à tout.
Étant donné que tu viens du metal, est-il difficile pour toi de présenter ta musique aux nouveaux fans ? Comment réagissent les fans de jazz ou de rock seventies à l’écoute de ce que tu fais ?
Je pense que cette époque moderne marque un changement : les gens sont beaucoup plus ouverts. Aujourd’hui, avec Internet, nous avons accès à énormément de styles de musique, de musiciens et de groupes en ligne, et je pense que les gens sont moins limités dans leurs goûts musicaux. Je suis convaincu qu’il y a encore des fans de metal qui n’écoutent que ça, comme il y a certainement des fans de jazz qui n’écoutent que du jazz. Mais cette approche de la musique me semble en train de changer. Beaucoup de gens aiment simplement la musique, sans mettre de limites. Je sais que le public metal peut se montrer limité dans ce qu’il considère comme de la bonne musique. Mais je pense également que la plupart des fans de metal sont assez ouverts d’esprit, dans la mesure où le metal lui-même est une scène très diversifiée. Il existe même du metal ambiant, maintenant ! Il y a le metal extrême, le metal ambiant, le doom, le post-rock… C’est déjà une scène très flexible. Je pense que les amateurs de metal sont ouverts. En tous cas, c’est mon expérience.
Au début du projet, Mike Portnoy était impliqué mais il a été exclu car tu estimais que la musique laisserait peu de place à la batterie. Au final, l’album comporte bien des percussions et Gavin Harrison a joué sur l’album. Pourquoi ne pas avoir rappelé Mike Portnoy, dans la mesure où il voulait participer au projet à la base ?
Je ne pense pas que Mike aurait apprécié cette musique. J’ai peut-être tort mais je pense que ça n’aurait pas été son truc. Pour moi, Gavin était l’idéal. C’est l’un des cinq meilleurs batteurs du monde à mes yeux. Et il vit à quinze kilomètres de chez moi, donc il était facile de le contacter ! Je peux me tromper, mais je ne pense pas que Mike aurait adhéré à ce type de musique. C’est plus un type rock, un type metal. Mais j’ai peut-être tort.
Tu n’as donc même pas essayé de le contacter ?
Non. Je ne suis pas vraiment fan, pour être honnête… [il hésite] Enfin bref ! Je trouvais Gavin parfait pour ce style de musique. Il adore le jazz. Ce n’est pas vraiment un batteur metal mais il peut s’adapter. Il est très flexible.
Comment as-tu découvert le travail de Jessica Cope qui a réalisé la vidéo pour le titre « Drag Ropes », sortie il y a quelques jours ?
C’était une des ces coïncidences extrêmement heureuses. J’étais dans les bureaux de Roadrunner UK et nous réfléchissions à une idée pour la vidéo. J’ai avancé que ce serait intéressant de faire un théâtre d’ombres ou une animation, et l’une des filles de Roadrunner a répondu : « Oh, ma sœur fait ça ! Elle travaille avec Tim Burton ! » Je me suis dit : « C’est vrai ? Ça me semble parfait ! » On a cherché des exemples de son travail et ça correspondait exactement à ce que j’avais en tête. C’était une belle coïncidence : elle est la sœur d’une des employés de la maison de disques. Je sais que ce n’est pas la dernière fois que nous travaillons avec elle parce qu’elle a fait un boulot extraordinaire, fantastique.
Dans la mesure où cette vidéo est très artistique et très élaborée, quelle a été ton implication dans l’histoire ? Jessica a-t-elle eu carte blanche ?
Je lui ai donné les grandes lignes et je lui ai expliqué ce que j’avais voulu dire à travers les paroles. C’est un peu un conte de fées, très sombre et très macabre, à propos d’une sorcière. Une personne a été accusée d’être une sorcière. Jessica a brodé là-dessus et imaginé une histoire. C’était un travail collaboratif, je lui ai expliqué l’idée derrière les paroles.
La critique de la religion est très forte, dans cette vidéo. Penses-tu que la religion ait encore le pouvoir montré dans le clip ?
Non, mais cette vidéo se passe très loin dans le passé. Je vois ça comme une histoire ancrée dans le XIVe ou le XVe siècle, à l’époque où les chasseurs de sorcières accusaient les gens de sorcellerie. On pendait ou on noyait les gens parce qu’on les soupçonnait d’être des sorciers, des hérétiques, des adorateurs de Satan. L’histoire se passe à une période sombre de l’histoire, si tu veux. Mais pour répondre à ta question, je suis très anti-religion, tout comme l’est Mikael. Je continue de penser que c’est l’une des pires influences sur la race humaine. Je ne pense pas qu’elle ait autant de pouvoir qu’à une époque, en tous cas pas en Europe. Mais dans certains parties du monde, la religion a toujours un grand pouvoir – pas seulement religieux, mais aussi politique. Et ça, pour moi, c’est une influence très dangereuse sur l’humanité.
Sur un tout autre sujet, avez-vous l’intention de tourner avec Storm Corrosion ?
Pas cette fois, non. Si nous faisons un deuxième album, peut-être que nous y penserons. Mais pour l’instant, je suis en tournée pour mon album solo et Mikael sera en tournée avec Opeth la plus grande partie de l’année. Ce ne serait donc de toute façon pas possible. Et puis je ne suis pas sûr de savoir comment nous ferions. Je ne sais pas quel line-up pourrait recréer cette musique sur scène. Toi qui l’as entendu, tu sais que c’est de la musique très fragile et très orchestrée. Je ne sais pas trop comment nous pourrions rendre ça dans le contexte de la scène. Mais si nous faisons un deuxième album, nous aurons une idée plus précise de comment faire. Je ne dis pas non pour plus tard, mais pas pour cet album.
Vous avez donc l’intention de sortir d’autres disques avec ce projet ?
Étant donné que nous sommes très satisfaits de cet album, nous nous retrouverons certainement un jour pour écrire. Je ne sais pas si ce sera pour quelque chose de complètement différent ou dans le cadre d’un nouvel album de Storm Corrosion. Mais je serai très surpris si Mikael et moi n’essayions pas au moins de collaborer à nouveau parce que nous avons passé un très bon moment. Nous sommes très fiers de ce disque. Il a quelque chose de tellement pur et de tellement différent de tout. Il donne l’impression d’être très loin du reste du monde de la musique et nous sommes très fiers de ça. Donc, oui, nous allons très certainement essayer.
Peux-tu nous donner des nouvelles de Porcupine Tree ? As-tu déjà commencé à écrire pour le prochain album ?
Non. En fait, je ne peux rien te dire, il n’y a rien de prévu à l’heure actuelle. Je passe un très bon moment avec mon projet solo. J’ai écrit environ 75 % du deuxième album, que je ne vais pas tarder à enregistrer. En ce qui concerne Porcupine Tree, il n’y a rien de prévu, mais ça ne veut rien dire de grave – seulement qu’il n’y a rien de prévu. Nous finirons forcément par nous retrouver mais je pense que ce ne sera pas tout de suite.
Penses-tu que Storm Corrosion et ton album solo auront un impact sur le nouvel album du groupe, ou réfléchis-tu différemment lorsque tu travailles avec Porcupine Tree ?
Je pense que Porcupine Tree doit trouver le moyen de se réinventer. Pour moi, il n’y aurait aucun intérêt à voir Porcupine Tree se réunir pour faire un nouvel album dans le même style que les trois ou quatre derniers disques. Lorsque nous nous réunirons, nous devrons chercher une nouvelle direction. J’ai exploré de nouvelles directions avec Storm Corrosion et Grace For Drowning, et les autres membres du groupe ont leurs propres projets depuis deux ans, dans le cadre desquels ils ont aussi exploré d’autres styles. La réponse est donc oui, il y aura sans doute une continuité entre ce que nous avons fait en dehors du groupe et ce que nous ferons une fois réunis.
Les autres membres de Porcupine Tree partagent-ils ton opinion du heavy metal ?
Aucun d’entre nous n’aime vraiment le heavy metal à la base ! Je pense être le seul qui aimait le metal. En fait, non, Colin aime bien aussi. Mais je suis celui qui a apporté le metal dans le groupe. J’aime toujours le metal, j’apprécie toujours beaucoup certains disques. Je pense seulement que, au jour d’aujourd’hui, ce style a besoin d’une nouvelle direction et je ne la retrouve pas dans la musique. J’attends le groupe qui me renversera en proposant quelque chose de neuf.
Serait-il possible que Porcupine Tree abandonne le metal progressif ?
Je n’ai jamais pensé que nous faisions du metal progressif à l’origine ! Pour moi, le metal progressif, c’est Dream Theater. Nous sommes un groupe progressif qui fait appel à de nombreux éléments d’autres styles de musique dans ce que nous écrivons. Ça peut être du metal, de l’électronique, de l’ambiant, de l’industriel… Pour moi, tous ces éléments font partie de notre vocabulaire musical. Mais je ne nous ai jamais décrits comme du metal progressif. Je n’ai jamais vraiment compris – ni même jamais aimé – ce genre.
Interview réalisée le 4 mai 2012 par téléphone.
Retranscription et traduction : Saff’
Site Internet de Storm Corrosion : http://stormcorrosion.com/
Site Internet de Steven Wilson : http://www.swhq.co.uk/
Site Internet de Porcupine Tree : http://www.porcupinetree.com/
Album : Storm Corrosion, sorti chez Roadrunner Records
Je pense que beaucoup ont mal lu l’autre interview de Wilson sur ce site car il s’en est pris plein la gueule à l’image de ce que dit un peu Impe alors qu’il n’a jamais insulté le métal, il disait exactement la même chose en fait quand je l’ai relu y’a quelques semaines. Cette fois-ci, il a juste pris des gants pour ne pas froisser ceux qui auraient lu un peu vite et ça a marché, comme quoi…
Tiens, il a moins l’air d’un con boursouflé d’orgueil que dans l’autre interview, tant mieux.
« Je pense que les amateurs de metal sont ouverts. »
Il a de l’espoir le Steven ! x)
Le metal se renouvelle, il faut juste trouver ou. Rien qu’en France (cocorico !) on a Akphaezya ou Pin-up Went Down ! Et du coté de la Suède y a Diablo Swing Orchestra.
mouais, cela me fait à chaque fois sourire de lire que le metal ne se renouvelle pas.
Il est bien sympa le père Wilson, mais le fait qu’il n’y trouve plus son compte, n’est au final qu’un ressenti personnel et qui par exemple, ne sera pas forcément le mien ou celui de quelqu’un d’autre. A chacun d’y trouver son compte.
Ouaip, c’est vrai, c’est chiant ces mecs qui disent ce qu’ils pensent eux en interview, et pas ce que pensent tous les autres.
Franchement, Steven, sur le coup tu m’as déçu : t’as pas pensé à dire que Wën continue à aimer le metal, même si toi non.
Penses-y la prochaine fois, quoi…
Excellente interview et ça m’a poussé à découvrir leur musique qui est excellente.
Je rejoins le point de vue de Wilson.
Il n’y a pas eu grand chose de nouveau depuis bien longtemps.
Les groupes métal essayent juste de pousser le curseur un peu plus loin question violence, technique, vitesse. Mais quoi de neuf?
J’attends aussi la (nouvelle) vague…