Le retour de Jörg Michael, actuellement en cours de guérison de son cancer, est enthousiasmant. Comme, dans une moindre mesure, l’est le retour de Stratovarius sur le devant de la scène avec une évolution musicale intelligente. Une évolution dont Jörg nous relate sans tabous (notamment concernant certains problèmes légaux) la genèse, les difficultés, les peurs. Il avoue en toute honnêteté que le groupe a traversé une période de doutes suite au départ de Timo Tolkki ainsi que durant les premiers instants de vie du nouveau line-up. Une situation dont le combo, plus remonté que jamais, est sorti : dans la bouche du batteur, il s’agit d’un nouveau départ promettant un avenir encore bien long.
Radio Metal : Pour commencer, comment vas tu ?
Jörg Michael (batterie) : Je vais bien oui, du moins assez bien maintenant pour me joindre à cette tournée. Les autres ont démarré avec un autre batteur qui m’a remplacé pour quelques concerts. D’une manière générale, je me sens assez bien car tout le processus s’est très bien déroulé pour moi. Comme tu peux l’entendre, ma voix est encore un peu enrouée mais cela devrait disparaître dans les six prochains mois. En plus de cela, je ne me sens pas trop mal et la première chimiothérapie a été un véritable succès. Je dois en faire une autre d’ici trois ou quatre mois mais tout se passe comme prévu et je suis très confiant à ce sujet.
Les médecins t’ont-ils conseillé de ne pas revenir jouer tout de suite, compte tenu de la gravité de la maladie ?
Non, c’était un processus naturel. Ils n’ont pas spécialement dit que je devais rester à l’écart mais après avoir subi une opération, tu as besoin de penser à toi. Au cours de cette opération, ils ont découvert que la tumeur était bénigne mais ils ont décidé de la retirer quand même. J’ai perdu beaucoup de sang et je devais aussi m’assurer que ma condition physique et mon corps d’une manière générale étaient assez résistants pour supporter une tournée.
Le communiqué qui annonçait ta maladie était très positif. Penses-tu que c’est cet état d’esprit, cette volonté de ne pas t’apitoyer sur ton sort qui t’a sauvé ?
Je crois que oui, l’état d’esprit a un pouvoir extrêmement important sur tout ce que tu fais dans ta vie. Que tu joues au football, de la batterie ou que tu interprètes une chanson en public. Une chanson ne pourra jamais être un succès si tu n’y mets pas un état d’esprit positif. Elle n’aura pas le même impact sur les gens qui l’écoutent. Je crois que l’esprit a un pouvoir non négligeable quel que soit le domaine concerné dans la vie.
Penses-tu donc que la volonté peut « Move The Mountain » (NDLR : Déplacer des montagnes), comme l’indique le titre d’un des morceaux de votre nouvel album ?
Je pense que oui (rires). Il est facile de se rendre compte combien l’esprit peut influencer sur beaucoup de choses. Il existe certaines maladies qui proviennent à 80% de ton cerveau. Lorsque tu penses, par exemple, à un mal de dos, tu en viens à ressentir une douleur dans la colonne vertébrale.
Alex Landenburg t’a remplacé temporairement. As-tu eu vent de ses prestations ?
Non, à vrai dire je n’en ai pas entendu parler. Mais bien sûr je suivais un petit peu via Internet, vu que certains fans ont publié quelques vidéos sur YouTube. C’est grosso modo le maximum que j’ai pu voir, mais je n’ai assisté à aucun concert.
Y a-t-il eu des consignes particulières ? Le groupe lui a-t-il, par exemple, demandé de rester le plus fidèle possible à tes parties de batterie ?
Je ne sais pas mais je doute qu’ils lui aient dit quelque chose en particulier. Car je crois que lorsque tu prends quelqu’un, le mieux est d’utiliser au maximum ses points forts. Je pense que si quelqu’un essayait de jouer exactement comme moi les gens repéreraient les erreurs plus facilement. Si tu essaies au contraire d’intégrer tes idées et les éléments pour lesquels tu es le meilleur musicalement alors ça pourra marcher. Lorsque j’ai regardé quelques vidéos, je me suis dit que c’est ce qu’ils avaient dû faire car il joue beaucoup de choses d’une manière qui diffère de la mienne.
A l’annonce de ma maladie, le groupe voulait annuler la tournée mais les délais étaient trop courts pour qu’Helloween puisse trouver un groupe pour nous remplacer. J’ai aussi eu la chance de pouvoir rejoindre la tournée en cours de route, dès que je m’en sentais capable. Je crois que c’était vraiment une sage décision de faire ce remplacement. Nous voulions faire cette tournée et aussi présenter le groupe à un public plus large et au public d’Helloween. Nous voulions montrer que nous sommes de retour. Suite au clash avec Tolkki il y a quelques années, une tournée annulée aurait été de trop. C’était une bonne chose pour le groupe car un groupe est toujours plus important que les unités qui le composent.
« Nous avons été prudents avec le premier album du nouveau line-up. On n’arrêtait pas de se demander ‘pouvons-nous vraiment suivre les traces du grand producteur et compositeur Timo Tolkki ?’. Par conséquent, nous avons prêté une grande attention à chaque détail. Ensuite avec Elysium, étant donné que nous avions déjà produit Polaris, tout est devenu beaucoup plus spontané, plus assuré, tout simplement plus facile. Je crois aussi que cet album est beaucoup plus recherché. »
C’est votre second album en deux ans, vous enchaînez les tournées et musicalement, l’album Elysium est l’évolution logique de Polaris. Il semble que vous ayez retrouvé votre rythme de croisière, après quelques années de flottement. Qu’est-ce qui a provoqué ce déclic ?
Hmm (NDLR : il prend du temps pour réfléchir) je pense d’abord que c’était une très bonne chose pour nous de revenir avec Polaris après tout ce que le groupe a traversé. C’est une histoire d’amitié et de projet de vie. Tu peux être déçu mais il faut savoir se relever et essayer de continuer… Cela a pris du temps. J’aime ce que tu as dit au début sur le fait que le dernier album était une sorte d’évolution du précédent. C’est une suite logique de Polaris. Avec Polaris nous avons un peu appris comment faire sans Timo Tolkki et je crois qu’on s’en est pas mal sorti. Mais cela nous avait demandé presque un an de travail. Celui-ci ne nous a pris que six mois, mais ce n’est pas pour autant que je dirai qu’il est meilleur. Il y a juste du progrès dans la méthode de travail. À l’heure d’aujourd’hui, Matias (guitare) a joué à nos côtés pendant plus de cent concerts depuis la sortie de Polaris et tu peux te rendre compte que le groupe est beaucoup plus uni maintenant qu’il y a deux ans. Maintenant, nous sommes capables de jouer des trucs beaucoup plus compliqués et ça sonne toujours comme du Stratovarius. La rupture ne s’est pas faite avec Polaris, mais plutôt avec la tournée qui a suivi.
Par exemple au cours de la tournée aux États-Unis, nous avons joué devant de vastes publics sur la Côte Est, au Canada ou à Los Angeles et après nous nous sommes aussi produits dans des clubs très petits avec moins de gens, ce qui nous a vraiment soudé et nous a permis de ressentir que nous avions envie de continuer cette aventure avec ce line-up.
Peut-on dire qu’il fallait que Timo Tollki parte pour que Stratovarius puisse renaître ?
Pendant longtemps nous avons cru que ça n’était pas nécessaire et je peux encore le dire aujourd’hui étant donné les moments que nous avons passé, je suis vraiment désolé que cela soit arrivé. Mais c’était sa décision et il avait d’autres projets. C’est dommage mais, quand tu te retrouves devant le fait accompli, tu ne peux que vivre avec. Je ne crois pas que c’était possible de… (il hésite) Non, ça n’était pas le fait que Timo Tolkki devait partir, mais c’était la seule possibilité pour avancer. Maintenant, je suis évidemment content de la façon dont les choses ont tourné mais cela ne veut pas dire que je vais renier l’ère Timo Tolkki. C’était une période différente de ma vie que j’apprécie encore aujourd’hui. La façon dont ça s’est terminé est un peu amère et difficile à digérer mais nous devons maintenant nous concentrer sur cette nouvelle situation et ce dans le but de faire renaître le groupe.
Une année et demie sépare la sortie de Polaris et Elysium. Quand on écoute ces deux disques, on perçoit un lien très fort entre eux deux. On a même l’impression qu’ils ont été composés en même temps…
J’ai une vision un peu différente de la tienne. Par exemple, quand tu dis que ces deux disques auraient pu être composés en même temps, je ne suis pas sûr, par exemple, que l’album Elysium aurait pu sortir avant Polaris. Quand j’écoute Polaris et ensuite Elysium, je me rends clairement compte que sans Polaris, l’album Elysium n’aurait jamais pu voir le jour. « Deep Unknown », sur le premier, donnait un aperçu de la nouvelle direction musicale. Cela dit, j’imagine mal un titre comme « Darkest Hour » sur Polaris. Nous avons été prudents avec le premier album du nouveau line up. On n’arrêtait pas de se demander : « pouvons-nous vraiment suivre les traces du grand producteur et compositeur Timo Tolkki « ? ». Par conséquent, nous avons prêté une grande attention à chaque détail. Ensuite avec Elysium, étant donné que nous avions déjà produit Polaris, tout est devenu beaucoup plus spontané, plus assuré, tout simplement plus facile. Je crois aussi que cet album est beaucoup plus recherché.
« Elysium », le morceau titre, est le plus long de toute votre carrière. Avez-vous rencontré des difficultés particulières à composer un titre pareil, sachant que c’était une première pour vous ?
À vrai dire elle a été composée par Matias, ensuite nous avons travaillé dessus tous ensemble. Mais elle a quelque chose qui diffère de toutes les autres chansons épiques de Stratovarius. Les titres « Destiny », « Elements » ou encore « Visions » constituaient une seule chanson. « Elysium », ce sont trois titres reliés. Il est plus pour moi question de trois chansons, donc bon… Je crois aussi qu’à un moment ou à un autre nous jouerons ce titre en concert et j’ai vraiment hâte de le faire. C’est vraiment quelque chose de nouveau pour nous ! (rires) Pour moi c’est “un nouveau chef d’œuvre par Stratovarius” car c’est mon titre préféré sur le nouvel album.
Apparemment, ce titre a été composé en près de huit mois !
Oui, c’est vrai. En réalité, ça nous a presque pris un an. On va dire huit mois pour le composer et le reste du temps pour le travailler.
« Ce sur quoi Tolkki a commencé à travailler a finalement été vendu sur son album solo dans notre dos. C’est ce qu’aurait été le nouveau Stratovarius. »
Cela fait plusieurs albums de suite que Stratovarius fait évoluer son style. Pensez-vous que vous ayez un peu trop tourné en rond il y a quelques années, comme cela vous a été reproché par la presse ?
Tu veux dire nous répéter ? Eh bien, c’est assez difficile à dire. Je ne crois pas que tu te copies ou tournes en rond volontairement, mais je suis aussi d’accord avec le fait qu’après Elements ce soit devenu très dur pour nous avec ce line-up de trouver une nouvelle orientation. Nous avons essayé avec l’album Stratovarius qui pour moi est aussi un très bon album mais beaucoup de nos fans ont été déçus car il est trop différent. Après Elements Part.1 et 2, il était difficile d’envisager où nous pourrions aller musicalement. Ce sur quoi Tolkki a commencé à travailler a finalement été vendu sur son album solo dans notre dos (NDLR : Le titre « Last Night On Earth » de Revolution Renaissance était effectivement à l’origine un titre composé pour Stratovarius. Le groupe l’avait même joué en concert). C’est ce qu’aurait été le nouveau Stratovarius. C’est génial de se dire qu’on a réussi à trouver notre style et qu’il correspond à l’image du groupe. La plus grosse erreur aurait été de dire à Matias qu’il devait faire comme Timo Tolkki. Personne n’en est capable et cela aurait, qui plus est, éludé les qualités de Matias. Nous voulions quelqu’un qui ait sa propre vision de Stratovarius et qui l’exposerait au groupe. Pour ce deuxième album Matias a dû écrire entre sept et neuf chansons et cinq ou six d’entre elles figurent dessus. Il est donc devenu aujourd’hui un élément fort du groupe. D’ailleurs, pour moi, Matias est le nouveau directeur musical de Stratovarius.
L’album éponyme de 2005 était très immédiat mais le groupe exploitait de toutes nouvelles influences. A l’inverse, Polaris et Elysium présentent des structures musicales typiques de Strato mais les mélodies sont moins évidentes. Il semble que vous ayez mis plus de temps avant de trouver comment évoluer tout en restant fidèles à votre son…
Oui, mais n’est-ce pas quelque chose de normal ? Si on avait fait ça rapidement, ça n’aurait pas été bon. Nous devions aussi réfléchir et nous trouver. Et cela est venu plus en tournant ensemble qu’en composant. Lorsque tu travailles en studio, tu ne devrais pas avoir en tête l’image des sessions d’enregistrements des albums des Beatles : tous dans la même pièce avec des micros au dessus de leurs têtes. Lorsque tu enregistres un album, tu commences d’abord par enregistrer la batterie, et ensuite elle guide le clavier, les guitares et les voix. En réalité c’est comme ça que nous avons procédé avec Polaris. Tu ne peux donc pas vraiment te trouver en tant que groupe. Alors c’est seulement quand tu joues en tournée et que tu es sur scène que tu peux y arriver. Nous avions besoin de cette étape là. Comme n’importe qui d’autre sans doute.
« Pour moi, Matias est le nouveau directeur musical de Stratovarius. »
Est ce que cela signifie que Stratovarius ne va plus enregistrer de chansons comme “Manic Dance” qui était plus dans un style metal et mid tempo ? Ce type de chansons a-t-il disparu à tout jamais?
Pas à tout jamais. “À tout jamais”, ça fait un sacré bout de temps comme tu dois le savoir ! Les choses peuvent changer dès demain mais on ne peut pas lire l’avenir. Pour le moment, je ne vois pas ça arriver. Chacun a sa propre manière d’écrire une chanson, Timo Kotipelto, Matias, Lauri… Surtout Matias qui a un style plus progressif et à qui aucune mélodie n’échappe. C’est d’ailleurs pour ça que son style colle si bien à Strato. Pour le moment je n’imagine aucun d’entre eux venir avec ce genre de titres. Il y a aussi le fait que cette chanson, “Manic Dance”, est certes du Stratovarius, mais a nécessité un effort de réflexion. Ce n’est pas comme quand Timo Tolkki composait “Forever” ou “Black Diamond” ou “Hunting High and Low” : pour moi c’était comme si quelque chose jaillissait en lui, du plus profond de son cœur. Je crois que l’album Stratovarius provient plus du cerveau que du cœur et c’est pour ça que je dis : peut-être pas à tout jamais, mais pour le moment j’ai du mal à voir ce type de chansons réapparaître.
Les ambiances plus froides que développent ces deux albums me rappellent les premiers albums du groupe, comme Fourth Dimension ou Dreamspace. Qu’en penses-tu ?
Je peux faire un rapprochement avec Dreamspace. Je suis d’accord. Parce qu’il y a parfois un petit peu de cette influence progressive qui faisait un peu partie de Dreamspace.
Ces opus font évoluer le Speed Metal mélodique, jusqu’ici connu pour être un style difficile à faire évoluer. As-tu encore de l’espoir pour ce style ?
Je dirais que j’ai de nouveau de l’espoir. J’ai dit dans une précédente interview, lorsqu’on m’a posé une question similaire, que pour moi c’est plus difficile aujourd’hui pour les groupes débutants d’avoir une carrière similaire à la nôtre. À notre époque, pour obtenir un contrat avec une maison de disques il fallait s’accrocher et être solide et, au bout d’un moment, quand ta musique était bonne et que tu prenais le temps de la présenter aux fans, tu pouvais finalement partir en tournée et avoir la possibilité de sortir un disque, etc. Mais aujourd’hui c’est tellement difficile car déjà tous les groupes établis ont du succès et je ne vois plus que très rarement de nouveaux venus. C’est vraiment exceptionnel. Alors, forcément, c’est très dur pour ces personnes là de faire de la musique à un niveau professionnel car ils ont besoin de gagner leur vie avec un autre boulot. Pour faire avancer musicalement et dans son ensemble ce style, il faut avoir la chance de pouvoir s’y faire une place et c’est un petit peu plus compliqué. Cependant, cela peut vouloir dire qu’il faut que tu fasses les choses un peu différemment en ayant, par exemple, recours aux nouveaux médias comme Internet. J’ai vu certains de mes amis qui habitent aux États-Unis utiliser une caméra dans leur salle de répétitions pour que leurs fans puissent les observer en train de répéter au jour le jour comme dans les émissions de télé-réalité et ils peuvent ensuite télécharger les chansons gratuitement, etc. Nous ne sommes pas habitués à ça avec un CD et les médias plus traditionnels qu’on utilise pour en faire la promotion. Je pense que d’ici cinq ans il n y aura plus de CDs ; ça sera complètement différent. Aussi, ces groupes auxquels je fais référence ont un millier de personnes qui viennent les voir en live alors qu’ils n’ont pas encore sorti le moindre album. Concernant le retour de cette musique ou son développement plus important, sans l’intervention d’un jeune groupe innovant pour montrer le chemin (pour la guider), je ne crois pas que ça sera possible. Je pense que des groupes déjà établis comme Blind Guardian, Nightwish, Helloween, Stratovarius, Edguy, etc. resteront jusqu’à ce que nous nous rendions tous sur scène en fauteuil roulant ; autrement je ne pense pas que ce style prendra de l’ampleur. Il faut qu’un jeune groupe sorte du lot.
« Pour faire avancer musicalement et dans son ensemble ce style, il faut avoir la chance de pouvoir s’y faire une place et c’est un petit peu plus compliqué. Cependant, cela peut vouloir dire qu’il faut que tu fasses les choses un peu différemment en ayant par exemple recours aux nouveaux médias comme Internet. «
Interview réalisée en janvier 2011 par phoner
Transcription : Isère
Traduction : Isabelle
Site internet Stratovarius : www.stratovarius.com