Suicidal Tendencies possède une place à part dans le cœur des personnes qui se sont intéressées au metal ou au rock alternatif durant ces trente dernières années. Qui, en effet, n’a pas répété à tue-tête, lors d’un concert du groupe sous l’une de ses multiples formations contenant toujours l’inusable Mike Muir, les indissociables lettres initiales du groupe « S.T. » ? Qui n’a pas vibré sur les arrangements fous de basse-batterie caractérisant le funk metal que Suicidal Tendencies a fortement contribué à créer à la fin des années 80 ? Qui n’a pas vu les innombrables vidéos et jeux vidéos de Skateboard contenant le titre « Possessed To Skate » ou un des autres hymnes du groupe qui colle si bien au monde de la célèbre planche à roulettes ? Qui n’est pas monté sur scène à la fin d’un concert de Suicidal, comme cela arrive souvent, pour répondre « Join The Army ! » à un Mike Muir répétant inlassablement « Suicidal Rocks! » avec la même intensité ?
Car Suicidal Tendencies c’est tout ça. C’est le groupe qui a réalisé le crossover quasi-improbable à l’époque entre le metal et le punk grâce à ce poids lourd de l’histoire du rock qu’est Lights… Camera… Revolution!, une idée qui avait été introduite dans le groupe en 1987 par Rocky George, le guitariste de l’époque, qui avait préalablement traîné ses basques avec Jeff Hanneman et Dave Lombardo de Slayer dans un groupe de punk appelé Pap Smear, dont le guitariste avait dû conserver quelques séquelles de ces fréquentations… Du thrash donc, du funk plus tard, notamment grâce à l’apport d’un certain Robert Trujilo, bassiste fou arrivé en 1989 dans le groupe et qui a considérablement marqué le son de Suicidal de son empreinte, avant de fonder avec Mike Muir Infectious Grooves, pour encore mieux mêler funk et metal, et de rejoindre un jour Ozzy Osbourne puis Metallica, abandonnant tristement ses savoureuses et impressionnantes lignes de basse slappées. Les mélodies fédératrices tirées du passé punk/hardcore du groupe forment avec les éléments cités précédemment un mix musical unique et créent une communion entre plusieurs communautés musicales autour de la bande de Mike Muir.
On en oublierait presque que si l’occasion apparaît de parler de la passionnante histoire de Suicidal qui s’inscrit droit dans celle de l’évolution du metal, c’est parce que le groupe sort 13, le treizième opus du groupe (qui n’est en fait que le douzième album studio, mais en comptant une compilation là-dedans, ça fait bien treize et c’est plus vendeur), treize ans après la sortie de Free Your Soul And Save My Mind (le dernier enregistrement contenant seulement des nouvelles compositions) pour treize titres… le tout en 2013, la coïncidence est toute trouvée. Hors de ces considérations historiques, et numérologiques donc, force est de constater que cet album était espéré depuis fort longtemps, car Suicidal était tout de même attendu au tournant pour voir si le groupe devait être rangé dans la catégorie de ces innombrables formations qui tournent pour faire revivre indéfiniment leur classiques, ou si on peut toujours compter le groupe parmi les actifs de la création. La réponse se situera forcément un peu entre les deux. Car si les intentions du vétéran Mike Muir et de ses jeunes acolytes sont évidemment sans faille, Suicidal Tendencies ne révolutionne bien évidemment plus le monde de la musique aujourd’hui, leur apport étant déjà fait, et même si les actuels musiciens savent appliquer les recettes savamment mises en place par leurs glorieux prédécesseurs.
Et avant toute autre élucubration, il est important d’énoncer que les deux principes fondamentaux élevant la marque de fabrique Suicidal sont bel et bien présents : le couple basse-batterie détonne sous divers atours et le chant de Mike Muir n’a (presque) pas bougé d’un iota depuis les débuts du groupe. Il suffit de jeter une oreille à deux mid-tempos évocateurs de l’album « God Only Knows Who I Am » et « Make Your Stand » pour se rendre compte que Tim « Rawbiz » Williams, le bassiste présent depuis 2011 est un tueur de la basse à cinq ou six cordes et un digne héritier de Robert Trujillo et du non moins talentueux Josh Paul. Accompagné du massif (au sens propre et figuré) et abracadabrant batteur Eric Moore, le groupe peut se targuer de disposer d’une paire techniquement et rythmiquement bien au-dessus du lot. C’est ce qui a toujours fait le petit « plus » de Suicidal Tendencies, et cela reste le cas à travers les années.
Quant à Mike Muir, contrairement à beaucoup de chanteurs qui déclinent avec les années, il reste droit dans ses pompes de Skate et mélange habilement mélodies punk californien et phrasé quasi rappé à l’accent Mexicano typique du Sud de la Californie. Soyons clairs : en concert, le chanteur apparaît souvent un peu essoufflé par ses diatribes à rallonge caractéristiques et sa mobilité scénique. Mais à plus de cinquante piges, pas grand monde ne lui en voudrait, étant donné que sa motivation est elle tout sauf en déclin.
Ce 13, dans la discographie du groupe, se veut revenir à la formule clef du groupe, réinjectant de la rapidité et du riff dans un thrash crossover qui voyait, à l’époque du dernier album en date Free Your Soul And Save My Mind (2000), Infectious Grooves sérieusement déteindre sur lui, créant un flou de plus en plus épais entre les deux projets. Ça, le groupe en a pris conscience : « Cette galette sera très différente d’Infectious Grooves. Nous allons revenir aux racines de Suicidal Tendencies : l’album sera rapide, brutal, du Suicidal Tendencies très ‘in your face’. Il y a quelques années, nous avions tendance à mélanger les deux groupes, mais cette fois, les deux styles sont bien séparés. », nous avouait le guitariste Dean Pleasants il y a déjà cinq ans. Voilà pourquoi il a œuvré pour re-dissocier les deux entités, la première thrash crossover, la seconde funk metal. C’est ainsi que la majorité des titres de 13 font la part belle à ces rythmiques et riffs thrash / punk (« Smash It! », « This Ain’t A Celebration », « Who’s Afraid? », « Cyco Style », « Living The Fight », etc). Sûrement que le fait d’avoir eu à replonger dans des titres de leur vieux répertoire, pour enregistrer la compilation No Mercy Fool!/The Suicidal Family, les a aidé à retrouver leurs marques.
De là à affirmer de manière radicale que « ça n’a plus rien à voir avec Infectious Grooves » comme Pleasants le faisait à l’époque, il n’y a qu’un pas. Car, tout comme à l’époque de Lights… Camera… Revolution! et The Art Of Rebellion, Suicidal Tendencies n’en oublie pas son groove et ses ouvertures : solos et slaps de basse par ci, par là, guitare wah-wah typiquement funky ici et là, quelques passages surprenants comme cette accalmie jazzy au milieu de « Show Some Love… Tear It Down » ou ces riffs heavy boogy sur « Sam City », etc. C’est ainsi que quelques morceaux feront hérisser le poil des accrocs de la rythmique funky et des adeptes d’un grain chaud et rond, improbable mix de la tradition des bassistes aux influences afro-jazz et du thrash, tous deux issus de cette même très diverse scène californienne. Les longs titres « Life… (Can’t Live With It, Can’t Live Without It) », « ‘Til My Last Breath » et « God Only Knows Who I Am », plus posés, un peu à la « I Wasn’t Meant to Feel This / Asleep at the Wheel » pour ce dernier, sont les parfaites incarnations de ce groove implacable qui permet à Suicidal Tendencies de souligner cette face importante de son univers.
« This World », plus ténébreux, achève les retrouvailles discographiques en compagnie de Suicidal Tendencies. Son public, en manque de nouveau matériel depuis treize ans, en sera sans conteste ravi ne serait-ce que pour le son et l’approche si caractéristique du groupe qu’il est difficile de retrouver ailleurs. Impossible de ne pas évoquer également, notamment à travers son riche travail sur ce dernier titre (enrichi d’un solo en guitare acoustique), l’autre désormais pilier du groupe, Dean Pleasants, accompagnant Mike Muir depuis plus de quinze ans. Le guitariste s’impose tout au long de l’album par ses riffs lourds, ses frétillants solos et des ambiances qui collent aux basques de la base rythmique du groupe. Il y a évidemment une dimension nostalgique et affective dans l’approche d’un album d’un groupe à l’histoire aussi riche que celle de Suicidal Tendencies ; mais à l’image de Bad Religion, de NOFX ou de Pennywise, leurs illustres compatriotes californiens toujours en activité après plus de vingt ans d’existence, Suicidal Tendencies avec ce 13 démontre qu’il veut toujours jouer un rôle sur cette scène musicale, et leurs nombreux concerts à travers le monde témoignent de cette vitalité. Le soleil de Californie a définitivement des vertus de longévité musicale…
Album 13, sorti le 26 mars 2013 chez Suicidal Records
Il est excellent cet album, musique d’été parfaite que j’écoute en boucle dans la voiture. Je n’attendais pas le groupe à ce niveau, c’est une orgie de slams en perspective cet album !