Si cette alliance n’est pas tout à fait inédite – Ulver était déjà venu déposer ses graines dans la matrice créatrice de Sunn O))) à l’époque des sessions White1 pour un seul titre – que cet accouplement se poursuive sur tout un disque était probablement inespéré. De grandes espérances sont donc nées autour du fruit de ces pourvoyeurs de musique anti-commerciale au possible – d’un côté le drone tantôt écrasant, tantôt minimaliste des Américains, de l’autre les expérimentations électroniques ou psychédéliques de Norvégiens qui ont définitivement tourné la page d’un passé au service du true black metal. Terrestrials allait vraisemblablement être la friandise majeure de ce début d’année pour tous fanas d’expériences musicales hors-norme.
« Nous voulions que la musique soit orientée vers la lumière, comme un pèlerin perdu s’étirant vers le soleil », précise Kristoffer Rygg (Ulver). Et, en effet, cette œuvre est habitée par la lumière, synonyme de beauté pure ou manifestation de l’absence de ce qui l’empêche de noyer le monde sous elle. La lumière est ainsi plus souvent inquiétante, sans chaleur. Dans « Let There Be Light », première des trois pièces de cet album, elle éclaire l’horreur de la pureté : le soleil se lève sur Perdition City, la trompette réinstallant les ambiances jazz atmosphérique de l’album de 2001 d’Ulver, la lumière se répand dans des rues vides et blanches, les nappes ambiantes s’étendent en aplats de sons, jusqu’à l’émergence des percussions annonçant le monstre-dieu-cité qui sort des ténèbres en son terrible entier. Lumière funèbre dans « Western Horn », un soleil orange napalm se couchant dans cette bande son cachée d’Apocalypse Now. Une guitare psychédélique empruntée aux Doors flotte sur une angoissante coulée de drone, entrant parfois en collision avec des percussions, et quelques cordes ou voix trafiquées endeuillées pleurent sur ses bords. This is the end… avant « Eternal Return », qui voit enfin l’arrivée de la voix profonde de Rygg, qu’on ne pensait plus entendre arriver au terme de ce disque, dans une ambiance psychédélique mais où les chocs sur les cordes précisent que cette renaissance ne sera pas sans douleur.
Voilà une alliance qui, dès son annonce, aura fait produire quelques litres d’hormone lutéinisante au fond des antéhypophyses (ne vous creusez pas la tête : c’est sexuel) de tous les amateurs de musiques avant-gardistes ou expérimentales. Mais c’est de l’amour tantrique qu’ils obtiennent : au mieux, on s’effleure, jamais on ne se saisit, le plaisir entre par d’autres voies. La musique de Terrestrials n’est pas pénétrante, reste en surface, caresse sans heurter les sens et enveloppe l’âme sans la submerger.
Ci-dessous le titre « Let there Be Light » :
Album Terrestrials, sorti le 3 février 2014 via Southern Lord