Avec leurs deux premiers albums, Befry (2016) et Feast For Water (2018), les Italiens de Messa s’étaient fait remarquer pour le doom élégant et atmosphérique. Arrivés juste après la vague occult rock/doom à chanteuse des années 2010, ils s’approprient cette recette et affirment leur personnalité, qui brille sur Close, sorti cette année : en allant puiser leur inspiration tout au long du pourtour de la mer Méditerranée, ils proposent cette fois-ci un voyage fantasmé, tant vers de nouveaux horizons qu’au long de paysages intérieurs. Fraîchement signé par Svart, le label finlandais, Messa rend autant hommage à ses influences (Om pour le doom orientalisant, The Devil’s Blood pour l’inspiration initiale, comme nous le confiaient les musiciens après l’interview) qu’il s’en émancipe.
À l’occasion de la double performance du groupe au Roadburn – d’abord l’interprétation de Close dans son intégralité sur la Main Stage, puis un set inédit dans le skate park –, nous avons échangé avec Marco (basse) et Alberto (guitare), les deux compositeurs principaux du groupe. Affables et chaleureux, ils sont revenus avec nous sur la genèse de Close, mais aussi sur leur parcours de musiciens provenant d’horizons différents…
« Ce n’est pas un album qui évoque la pandémie en soi, mais il parle d’une envie de s’échapper de la réalité. »
Vous venez de jouer un show surprise dans le skate park. Comment cela s’est-il passé ?
Marco Zanin (basse) : C’était censé être un secret, mais tout le monde savait que nous jouerions ce set depuis hier [petit rire]. C’était vraiment brut et punk, Giorgio [Trombino] d’Assumption a chanté avec nous sur une chanson. Nous avons joué un set différent de celui que nous jouons habituellement sur cette tournée, composé en majorité de chansons de Close, notre dernier album. D’ailleurs, nous l’avons joué en entier hier avec trois invités : Giorgio déjà, qui a joué de l’oud, du duduk, une flûte en bois, et un solo de saxophone, un autre guest à la mandoline et la guitare acoustique, et Samuele [Gottardello] qui a joué avec son projet Black Sagaan aujourd’hui. Il vient de la région de Venise, comme nous, et nous sommes amis depuis longtemps, donc dès que nous nous sommes rendu compte que nous allions jouer au Roadburn en même temps, nous avons décidé de faire quelque chose ensemble. Il a joué du synthé pendant notre set.
C’est votre deuxième participation au festival – vous y aviez joué en 2019, dans l’église Het Patronaat. En quoi est-ce que ça a été différent cette fois-ci ?
Alberto Piccolo (guitare) : Je crois que nous étions plus détendus, cette fois-ci. La fois précédente, nous n’étions venus que pour ce concert, nous avions pris l’avion, joué, puis étions repartis. L’enjeu était super important pour nous, c’est un grand festival, c’était notre première fois, et nous avions vraiment envie de faire un très bon concert. Ce qui nous a rendus un peu nerveux, je crois, et nous n’avons pas fait aussi bien que nous aurions pu. Donc cette fois-ci, nous étions moins stressés, ce qui est peut-être paradoxal parce que nous avons joué sur la Main Stage, mais nous sommes en pleine tournée, nous avons déjà eu quelques shows pour nous préparer, nous entraîner un peu et nous habituer à jouer ces chansons en live. Nous nous sommes plus amusés, cette fois.
Marco : Nous avons joué en Slovénie vendredi dernier, puis en Autriche, au festival Dark Easter Metal Meeting avec Marduk et plein d’autres groupes en Allemagne, plus deux dates en France, à Nantes et à Paris, ce qui a été un bon échauffement. Du point de vue musical, la dernière fois, nous avions joué des chansons de nos premiers albums qui avaient une vibe un peu dark jazz très différente de l’atmosphère acoustique, presque ethnique de Close. Et puis nous avons bénéficié d’un créneau plus long, presque une heure vingt.
Votre nouvel album, Close, a été enregistré pendant la pandémie de Covid-19. Est-ce que ça a eu une conséquence sur sa genèse ?
Alberto : Ça a eu un impact sur notre manière de faire les choses, oui. Nous avons travaillé un peu plus chacun de notre côté, mais à la fin, nous travaillons toujours ensemble. Nous venons en répétitions avec nos nouvelles idées, puis nous les jouons ensemble. Le thème principal de cet album, c’est le voyage : nous voulions emmener l’auditeur en voyage avec notre musique, et c’est ce à quoi nous aspirions nous aussi. Nous étions tous coincés chez nous, donc ça a été pour nous une manière de nous amuser, de nous échapper de la routine du confinement. Ce n’est pas un album qui évoque la pandémie en soi, mais il parle d’une envie de s’échapper de la réalité.
« ‘Écoute, j’ai remarqué que tu avais un patch de Pentagram, ça ne te dirait pas que nous montions un groupe ensemble ? Tu as déjà chanté ?’ Elle m’a répondu : ‘Oui, mais seulement sous la douche !' »
Close veut dire beaucoup de choses différentes : je me demandais s’il pouvait évoquer une envie de proximité à un moment où nous étions tous éloignés les uns des autres, notamment les musiciens de leur public et de leur scène en général…
En ce qui nous concerne, nous habitons tous à côté les uns des autres…
Marco : Vous habitez à côté les uns des autres ! [rires] Ils habitent à dix minutes les uns des autres et moi je suis quarante-cinq minutes plus loin, je me plains toujours qu’il me faut deux heures pour venir aux répétitions… Enfin bref. La plupart du temps, lorsqu’on nous demande ce que « close » veut dire, nous expliquons que nous avons deux manières de travailler, en gros. D’abord, nous avons une approche selon laquelle nous réfléchissons à chaque détail, tout a une signification, une base commune, et un bon équilibre entre la musique, les paroles et l’imagerie. Ce sont les fondations nécessaires pour un projet solide. Ce processus prend du temps, c’est quelque chose que tu construis jour après jour. L’autre approche est plus spontanée : certaines idées arrivent très rapidement ; elles sont très brutes mais nous aimons bien les garder telles quelles. Certaines chansons ou idées sont vraiment planifiées à l’avance, et à l’inverse, d’autres sont très fraîches et restées pratiquement dans le même état que quand elles ont surgi. Le nom de l’album fait partie de cette deuxième catégorie. Nous y réfléchissions mais nous nous sentions un peu coincés, et au bout d’un moment, Sara [chant] a eu cette intuition qu’il fallait que nous l’appelions Close. Et dès qu’elle nous l’a dit, tout le monde a été d’accord. Nous avons tous ressenti la même chose. Trouver une signification à ce mot après-coup, c’est une manière de le déconstruire. Je pense que tout le monde peut choisir le sens qu’il préfère.
Vous avez enregistré au studio Outside Inside, qui est apparemment situé dans un environnement particulièrement inspirant. Est-ce que ce genre de chose influence votre créativité ?
Oui, bien sûr. Nous avons enregistré là-bas justement parce que nous voulions pouvoir nous inspirer de cet endroit. C’est le studio d’un ami, Matteo Bordin, qui est aussi musicien. Il a cette maison qu’il a transformée en studio d’enregistrement, et il travaille de manière vintage et analogique. C’est situé dans une très belle région, au milieu de collines, à moins d’une heure de Venise, près des Dolomites. Il n’y a personne aux environs, que des arbres. Nous y avons passé dix ou quinze jours, c’était vraiment cool. Habituellement, nous enregistrons dans le genre de studio où tu passes la journée avant de rentrer chez toi le soir, mais là, nous passions vraiment tout notre temps ensemble. Nous avons même enregistré quelques trucs dans une grotte près du studio.
Alberto : Oui, nous avons fait quelques prises de son dehors, ce qui est arrivé juste parce qu’il faisait beau et que nous n’avions pas envie de rester à l’intérieur. Nous nous sommes dit : « Et si nous prenions nos affaires et faisions ça dehors ? » C’est comme ça que nous nous sommes retrouvés à enregistrer dans cette grotte.
Vous avez signé chez Svart. Qu’est-ce que ça a changé pour vous ?
Marco : Tout d’abord, c’est un label fantastique. Ils sont finlandais, ils travaillent vraiment très bien. Pas très causants, mais très efficaces et précis, très sérieux. Les ventes se passent très bien, la première édition est déjà épuisée et la seconde va sortir le 8 juin. Pour nous, c’est un honneur d’être sur ce label.
Apparemment, vous aviez enregistré vos albums précédents plus ou moins live. Est-ce que ça a été le cas pour Close aussi, malgré une instrumentation plus complexe ?
Alberto : Oui, nous avons utilisé la même méthode. Nous enregistrons toujours la batterie, la guitare et la basse ensemble, puis nous ajoutons les autres couches. Mais généralement, nous essayons toujours autant que possible d’enregistrer live.
« La mandoline par exemple fait complètement partie de notre héritage – nous sommes italiens, nous devons jouer de la mandoline [petit rire]. »
Est-ce que c’est vous qui avez joué de tous les instruments ou est-ce que vous avez travaillé avec des invités ?
J’ai joué du oud, de la mandoline – de tous les instruments à cordes, en fait, des claviers et des guitares. Mais c’est Giorgio qui a joué de la flûte et du saxophone.
Comment composez-vous ? Est-ce que c’est un travail collectif ?
Généralement, Marco ou moi trouvons une idée, puis nous travaillons dessus tous ensemble.
Est-ce que l’improvisation a une place durant le processus ?
Oui, bien sûr. Nous essayons toujours de garder notre son frais, nous voulons capturer l’idée telle qu’elle est lorsqu’elle émerge. Les solos de guitare sont toujours improvisés, même en live. C’est à ce niveau-là que nous improvisons le plus. Ce serait génial de pouvoir enregistrer nos chansons dès qu’elles nous viennent, mais alors nous aurions besoin d’avoir un studio à notre disposition 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 toute l’année !
Marco : Nous n’avons pas encore le budget pour ça [rires].
Vous jouez du doom, mais vous incorporez aussi des éléments très différents, je pense au très agressif « Leffotrak » par exemple. Est-ce que ça reflète vos parcours très divers en tant que musiciens ?
Alberto : Oui, je crois : je suis à l’origine un guitariste de blues et de jazz, ce qui explique sans doute ce que je viens de te dire à propos de l’improvisation.
Marco : Je ne suis pas un guitariste de jazz du tout [rires]. Auparavant, j’ai eu un groupe de rock’n’roll qui jouait un mélange de Danzig et Hellacopter. J’ai aussi joué pendant des années dans un groupe de garage. Ensuite, j’ai commencé à travailler sur Messa avec Sara. Elle n’avait jamais chanté avant ce projet, mais elle jouait de la basse dans des groupes de hardcore, metal ou punk. Et Rocco, notre batteur, a joué du black metal toute sa vie, et continuera à jouer du black metal jusqu’à sa mort ! Messa n’est qu’une petite exception sur son parcours.
Comme vous venez tous de styles différents, qu’est-ce qui vous a attirés dans le doom ?
Alberto : Nous sommes amis avant tout. J’ai eu un groupe avec Rocco il y a longtemps, mais nous n’avons jamais vraiment joué ensemble. À l’origine, c’est le projet de Marco et Sara, c’est eux qui l’ont imaginé et conçu.
Marco : J’avais souvent entendu Sara hurler avec cette voix très gutturale, et j’étais convaincu qu’elle pourrait chanter. Un jour, je suis allé lui parler, et je lui ai dit : « Écoute, j’ai remarqué que tu avais un patch de Pentagram, ça ne te dirait pas que nous montions un groupe ensemble ? Tu as déjà chanté ? » Elle m’a répondu : « Oui, mais seulement sous la douche ! » Nous avons essayé sur quelques chansons, puis Alberto et Rocco nous ont rejoints.
Vous avez souvent un fil rouge sur vos albums, le thème de l’eau sur Feast for Water, par exemple, ou le voyage pour Close. Comment vous les choisissez ? Est-ce qu’ils vous guident pendant le processus créatif ou est-ce que vous les trouvez en cours de route ?
Alberto : Je crois que c’est comme le titre Close…
Marco : En quelque sorte. Pour nos deux albums précédents, nous voulions raconter une histoire avec la pochette et l’esthétique générale en plus de la musique. Pour Belfry, c’était ce beffroi qui était au centre de l’histoire, c’était une manière de rassembler les gens autour de nous, de les attacher au projet, comme c’était notre premier album. Pour le deuxième, nous imaginions qu’après s’être approché du lac avec Belfry, l’auditeur y plongeait. C’était ce que symbolisait l’image, cet homme qui plongeait dans l’eau… Pour notre troisième album, initialement, nous avons voulu continuer dans cette direction, mais les circonstances étaient tellement particulières à cause du coronavirus que notre manière de voir les choses a complètement changé. Nous avons abandonné cet arc narratif qui nous semblait appartenir à une époque révolue, et nous nous sommes concentrés sur ce dont nous avions envie à ce moment-là. Et à ce moment-là, tout ce que nous voulions, c’était nous échapper de la réalité.
« Nous utilisons toujours le noir, qui symbolise le doom, et puis nous y ajoutons des couleurs différentes. Le rouge revient à chaque fois. »
Vous avez utilisé beaucoup d’éléments méditerranéens sur cet album, de la danse Nakh d’Afrique du Nord de la pochette à votre choix d’instruments, en passant par certaines allusions ou sources d’inspiration pour les paroles. Est-ce que ce sont des choses qui vous semblent familières en tant qu’Italiens et donc Méditerranéens vous-mêmes, ou est-ce que ça symbolise plutôt quelque chose de lointain et d’étranger ?
Alberto : Oui, nous venons d’Europe du Sud, donc je pense que c’est un peu les deux. La mandoline par exemple fait complètement partie de notre héritage – nous sommes italiens, nous devons jouer de la mandoline [petit rire]. Je suis allé en Espagne pour étudier le flamenco il y a quelques années, donc pour moi, la dimension espagnole, nord-africaine ou arabe de la musique m’est aussi familière, c’est quelque chose que je connais bien. À partir de là, nous avons continué nos explorations plus au sud, en Afrique avec le oud, à l’est avec le duduk… Ça représente à la fois nos racines et notre voyage à partir de celles-ci. Les instruments semblent exotiques dans le contexte, mais ils ne le sont pas vraiment pour nous, en fait.
Tout ça me fait penser à un groupe comme Om, par exemple, qui mêle doom, musiques du monde et voyages imaginaires. Est-ce que c’est une référence qui vous parle ?
Marco : Oui, complètement. C’est une référence pour nous, un groupe de doom qui incorpore des éléments orientaux à sa musique comme il le fait. Ça fonctionne très bien, nous adorons tous leurs albums.
C’est Sara qui écrit les paroles, mais peut-être que vous pouvez quand même en dire un mot : il y a souvent des allusions à l’ésotérisme dans vos textes et les titres que vous choisissez (Babalon, White Stains, « Rubedo » etc.) : qu’est-ce que ça représente pour vous ?
En effet, c’est Sara qui écrit toutes les paroles. Elle utilise différentes méthodes pour ça aussi : certaines sont écrites avant le reste, d’autres fois elle écrit sur la musique… Elle écrit beaucoup, elle a toujours ses petits carnets avec elle pour pouvoir y noter toutes ses idées, et puis parfois, elle les utilise pour les chansons. De temps en temps, les paroles parlent de questions personnelles, mais de manière toujours poétique et imaginée, jamais de manière directe. Et il y a bien sûr une touche ésotérique qui revient toujours, même si honnêtement, je crois que c’était plus présent sur les albums précédents que sur le dernier. Sur Close, les paroles sont plus personnelles, plus poétiques.
Vous faites souvent allusion à la couleur rouge – « Rubedo », c’est l’œuvre au rouge en alchimie, Babalon est la femme écarlate, vous définissez même votre musique comme du « scarlet doom ». Pourquoi cette affinité pour cette couleur ?
Le rouge fait partie des couleurs de notre palette qui reviennent tout le temps. Nous utilisons toujours le noir, qui symbolise le doom, et puis nous y ajoutons des couleurs différentes. Le rouge revient à chaque fois. Cette couleur a une place importante dans plein de cultures et beaucoup de significations. Et puis c’est une couleur très féminine.
Qu’est-ce qui vous attend dans les mois qui viennent ?
Nous allons tourner en Europe pour les dix jours qui viennent, ensuite nous reviendrons chez nous pour passer quelques jours avec nos copines, et en mai, nous ferons des concerts dans toute l’Italie. Nous jouerons en France à Rock In Bourlon et au Hellfest, puis nous aurons quelques autres dates de concerts et de festivals. Tout n’est pas encore calé, mais en septembre, nous devrions tourner à nouveau, cette fois-ci dans le sud de la France, en Espagne et au Portugal.
Enfin, quels sont les groupes qui vous ont le plus marqués dans ce que vous avez pu voir au festival ?
Hier, j’ai vu the Bug. Des amis y étaient et m’ont dit de venir immédiatement : c’était très éloigné du reste de la programmation, mais c’était vraiment génial. Russian Circles était aussi très bien, malgré quelques soucis de son.
Interview réalisée par téléphone le 22 avril 2022 par Chloé Perrin.
Retranscription & traduction : Chloé Perrin.
Photos : Federico Floriani.
Facebook officiel de Messa : www.facebook.com/MESSAproject
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