Le sud de la France, terre de metal extrême ? Il suffit de se pencher sur l’impressionnante liste de groupes originaires de la partie la plus ensoleillée de l’Hexagone pour se poser sincèrement la question : Gojira, The Great Old Ones, Gorod, Seth, Eths, Dagoba… Mais cet inventaire de pointures déjà bien implantées ne serait pas complet sans Svart Crown, dont le black/death semble pourtant mieux adapté aux frimas de la Scandinavie qu’à la météo plus clémente de la Côté d’Azur.
Après une période d’incertitude et d’instabilité, et le retour de deux anciens membres, la formation tropézienne sort aujourd’hui Wolves Among The Ashes, le cinquième opus du combo, dont la férocité et le pessimisme en font la bande-annonce idéale d’une fin du monde annoncée. Un album réservant malgré tout, une nouvelle fois, son lot de surprises et de finesses. On en parle – en profondeur – avec Jean-Baptiste Le Bail, fondateur, frontman et pilier inébranlable de Svart Crown.
« Dans ma vie perso, il y avait des choses qui n’allaient pas. Il y avait une certaine rage qu’il fallait exprimer, je commençais à avoir quelques idées, etc. et en fait, aller au local, le voir, travailler ça à deux dans cette énergie, il y a quelque chose qui s’est passé, c’est indescriptible. »
Radio Metal : Abreaction avait marqué une étape importante dans la carrière de Svart Crown : c’était votre premier album chez Century Media et il a fait monter d’un cran la notoriété du groupe en bénéficiant d’une belle réception. Pourtant, le groupe revient aujourd’hui avec un line up totalement remanié, dont le retour de deux anciens membres. Qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi le groupe s’est-il disloqué comme ça alors que tout semblait lui sourire ?
JB Le Bail (chant & guitare) : La vie ! C’est la vie d’un groupe. Des choses se passent, des connexions se font, se défont. C’est juste une osmose qui n’était pas vraiment présente pour aller plus loin avec certains membres. Disons qu’il y a quand même eu trois changements de line up. Dans les trois changements, il y a certaines corrélations, mais à chaque fois ce sont des cas particuliers. Tu prends le premier : Kévin Paradis. Hors public, ça ne s’était pas très bien passé entre lui et moi dans la façon de voir les choses. C’est-à-dire qu’il est rentré dans le groupe avec certaines attentes, auxquelles, finalement, nous n’avons pas pu répondre, notamment moi personnellement. Malgré le fait qu’il ait beaucoup donné, il s’est senti frustré. Vu que nous sommes un groupe dans lequel il faut énormément donner, si à côté tu n’as pas ce que tu as envie d’avoir, je pense que le jeu n’en vaut pas vraiment la chandelle. Tu fais le calcul des pour et des contre, et voilà ce qui s’est passé.
Ensuite, la vie fait aussi que certaines personnes ont changé de priorités, et Svart Crown n’était plus une priorité, donc il a fallu faire avec. C’est un groupe qui est très exigeant, donc malheureusement, pour que les choses se passent comme nous avons envie qu’elles se passent, il faut que ça soit une priorité. C’est vraiment un mode de vie, donc on ne peut pas faire ça à moitié. Ce n’est pas possible. Kévin Verlay, par exemple, c’était plus ses choix professionnels et de vie qui n’étaient pas forcément en corrélation avec ce que nous voulions faire. Il a trouvé quelque chose au niveau professionnel qui lui correspond vraiment et il nous a dit, à un moment donné, que ça n’allait pas être compatible avec les attentes du groupe en termes de disponibilité, ce qui était compréhensible. Et puis, il y avait une énorme distance : Kévin habite à Lille, dans le Nord, nous habitons dans le Sud, il y avait vraiment une grosse distance géographique qui nous séparait, ce qui était quand même assez compliqué pour gérer le groupe, se voir et créer une vraie osmose.
Par rapport à Ludo [Veyssière], c’était encore un autre cas particulier un peu compliqué. C’est la personne qui est restée le plus longtemps dans le groupe, qui a toujours été là, mais qui, à côté de ça, ne s’impliquait pas vraiment artistiquement. Il arrivait vraiment à la toute fin. Je pense qu’il y a eu une combinaison de plusieurs choses : il est parti dans d’autres chemins de vie, qui se sont révélés pour moi aussi incompatibles, parce qu’il n’était plus du tout dedans. Quand il a fallu vraiment mettre les mains dans le cambouis pour Wolves Among The Ashes, il n’était pas là, ce qui a posé un problème. Et à un moment donné où il fallait se voir, nous avons senti qu’il n’y avait plus la fibre. Je pense qu’il valait mieux prendre une décision avant l’enregistrement que de laisser traîner les choses. Et je sentais même que, je ne sais pas, le nouvel album n’emballait pas non plus Ludo, tous ces changements, etc. il n’était pas à l’aise avec tout ça. Donc je pense que c’était mieux pour tout le monde de faire comme ça. Quand les gens n’ont plus vraiment envie de s’impliquer ou de tout donner, c’est compliqué après de leur demander du temps, de l’énergie, de la passion, etc. Ce n’est pas faisable. C’est comme un couple, en fait. Des fois ça marche, des fois ça ne marche plus. Le temps passe et c’est tout.
Quand tu dis, au sujet de Kévin Paradis, qu’il « est rentré dans le groupe avec certaines attentes », tu parles au niveau musical ?
Je pense musical, d’abord, oui, dans la façon de gérer l’artistique, la place qu’il avait ne lui convenait pas. Je pense qu’il avait envie d’avoir un peu plus de poids, un peu plus d’écoute. Sauf qu’il est rentré dans un groupe qui fonctionnait déjà avec une certaine méthode depuis très longtemps, et au lieu de s’adapter, il a voulu faire un passage en force par rapport à ses idées, et ça n’est pas du tout passé. Du coup, nous avons mis du temps avant de vraiment nous calquer. Au lieu d’attendre un petit peu, de se mettre dans le mood, de respecter un peu le cahier des charges qui était annoncé, il a voulu en faire un peu à sa tête. Nous avons essayé de lui dire de faire des compromis. Lui estime qu’il en a fait énormément ; moi je trouve qu’il en a fait quand même quelques-uns. Après voilà, je pense que ce sont juste des attentes personnelles qui n’ont pas forcément été énoncées quand il a intégré le groupe. Nous n’avions pas vraiment parlé de ce sujet. Et c’est vrai que quand nous avons commencé à composer l’album, des tensions sont arrivées directement. Je voulais aller dans une direction qui était un petit peu différente de Profane, et lui n’a pas trop compris. Il a voulu avoir carte blanche sur la batterie, chose qui n’était absolument pas prévue, que je n’ai jamais faite et que je pense ne jamais faire. Donc des tensions sont arrivées et il a enregistré l’album avec, je pense, un peu de frustration, et après quand nous avons sorti le disque, il y avait une sorte de tension latente, et sur pas mal d’autres sujets, ça s’est un petit peu tendu. A un moment donné où il a fallu s’engager sur une autre année de tournée, il a eu d’autres opportunités, il a réfléchi plusieurs fois, et il a jugé bon de partir. En tout cas, que ce soit pour lui ou pour moi, je pense que c’était hors de question d’enregistrer un autre disque comme Abreaction, de la façon dont ça s’est passé. Lui et moi n’avons pas forcément apprécié la manière dont les choses se sont passées.
Tu n’as pas été un peu découragé en 2016, après les départs des deux Kévin, surtout compte tenu de la répétition des changements de line up depuis quelque temps ? Comment est-ce que tu as géré ça d’un point de vue personnel ?
Forcément, oui, il y a eu un découragement. Le premier découragement, ça a été entre Profane et Abreaction quand Clément [Flandrois] et Ranko [Nicolas Muller] sont partis, ça a été très dur pour moi. Après, nous avons vite réussi à rebondir avec l’arrivée de Kévin Paradis, qui a amené un vrai souffle, très important et au départ très positif. Il a vraiment sauvé la fin de tournée de Profane, qui a aussi été assez chaotique avec des annulations, des reports, etc. Par contre, ce qui a été compliqué, ça a été de remplacer Kévin en plein milieu de tournée. Nous avions des plans… Ça casse une dynamique, un départ. Un départ en milieu de tournée, ce n’est jamais vraiment évident, et nous n’avions trouvé personne de très fiable pour le remplacer. Il a fallu vraiment faire quelque chose. Ça a été dur, ça nous a pris quand même presque six mois avant de prendre une bonne décision. Six mois pendant lesquels nous ne pouvions rien prévoir, parce que nous ne savions pas, nous avons dû annuler des concerts, on nous a proposé des tournées mais nous étions là : « Non, désolés, on n’a personne. » C’était assez frustrant.
« J’ai besoin d’avoir une inspiration visuelle pour matérialiser les choses. J’assimile énormément ma musique à des couleurs, en fait. Pour moi chaque note est associée à un état d’esprit, ou une couleur, une image. »
Mais tu vois, ça s’est fait en plusieurs étapes. Ce qui s’est passé, c’est que Ranko a toujours été dans les environs. Quand Ranko a su que Kévin était parti, forcément, nous nous sommes appelés et il m’a dit : « Si tu es vraiment en galère pour faire l’album, je peux te le faire. Je ne suis pas forcément dispo pour faire les concerts… » Après, nous étions vraiment en galère, je lui ai demandé : « Ecoute, tu ne peux pas nous dépanner sur quelques concerts ? » Puis c’est vite revenu. Nous avons commencé à bosser les morceaux, ça lui a plu. Ça a été un bon point d’ancrage pour recréer quelque chose. Une vraie dynamique s’est installée. Ceci dit, ça n’a quand même pas été évident, parce que nous nous sommes beaucoup retrouvés Ranko et moi seuls, à faire le disque, car nous avions un guitariste qui était à l’autre bout de la France et un bassiste qui n’était pas vraiment présent. C’est vraiment quand nous allions entrer en studio que les départs de Kévin Verlay et de Ludo sont survenus, et ça s’est plus ou moins bien géré. Clément est revenu, là aussi, pour faire un dépannage dans le groupe, ça s’est très bien passé. On sentait qu’il y avait une alchimie, une envie des deux côtés de refaire quelque chose. Ensuite, Julien [Negro], nous l’avons trouvé très rapidement aussi. Une fois que c’était acté, nous n’avons pas réfléchi, parce que nous n’avions pas le temps, en fait. Il fallait finir le disque, car nous étions à deux mois de l’enregistrement.
Est-ce que ça t’a rassuré de voir le retour de deux anciens membres ? Est-ce que pour toi c’était la garantie de retrouver rapidement une alchimie, de ne pas passer des mois à tâter le terrain et renouer des liens ?
Bien sûr. Ils connaissent la maison. Ils ont toujours été avec nous. Que ce soit Ranko ou Clément, nous sommes très connectés entre nous, amicalement, etc. Nous nous donnons souvent des nouvelles, donc ils n’ont jamais été très loin du groupe. Clément est l’un de mes meilleurs amis depuis le lycée. Nous avons découvert la musique ensemble, nous avons toujours été très proches, avant et après qu’il n’intègre Svart Crown. Ça fait partie des connexions qui sont très importantes pour moi. Même une personne comme Ranko, nous nous connaissons depuis les débuts de Svart Crown, il était là avec Artefact, etc. Ce sont des mecs qui ont toujours eu une importance particulière, que j’ai toujours vachement appréciés, etc. Ce sont des personnes importantes, humainement et au niveau artistique. Même après leur départ, ils ont toujours été importants pour moi. J’étais très triste lorsqu’ils sont partis, et je suis très content de les retrouver, parce qu’en plus d’être d’excellents musiciens, ils comprennent le groupe, et ce sont des amis, ce qui peut aussi être très compliqué, parce que quand tu mets beaucoup d’affect dans tout ça, les choses peuvent être décuplées.
D’ailleurs, pourquoi étaient-ils partis à l’origine, pour finalement revenir assez rapidement, puisqu’il n’y a eu qu’un disque entre-temps ?
Il y a quand même cinq ans entre les deux départs. C’est une période qui n’est pas anodine. Il s’est passé énormément de choses dans ce laps de temps. Pour l’un ou pour l’autre, je pense qu’il y avait eu des raisons communes à leur départ. Je pense qu’ils ont eu du mal à jongler entre leur vie personnelle ou professionnelle et ce que demandait le groupe en termes de disponibilité pour les tournées. Je pense que ces années de tournée, de galère, etc. les ont fatigués. Je leur avais demandé un peu de temps à ce moment-là. Je me souviens d’une tournée au Japon, où, à la fin, tous les membres du groupe ont exprimé un peu leur mécontentement, par rapport aux conditions du groupe, le financier, etc. Ils voulaient un peu plus de retours sur investissement, je pense, et moi je leur ai demandé du temps à ce moment-là. Nous sommes plus ou moins tombés d’accord mais je pense qu’à ce moment-là leur départ était acté. Je pense qu’ils en avaient marre, en fait, tout simplement. Et les choses de la vie ont fait que Ranko avait envie de se plonger dans d’autres choses, dans du journalisme, le faire à temps plein, se donner à fond là-dedans, et ce n’était pas vraiment compatible avec la façon dont nous avions envie de travailler avec le groupe. Et puis, je ne sais pas, je pense qu’il sentait qu’il était arrivé au bout des choses par rapport à cette musique. Pareil pour Clément, je pense qu’il a eu envie de tenter d’autres choses. Il avait envie de se concentrer sur sa musique à lui, sur ses projets à lui, ce qui n’était pas forcément compatible avec le groupe.
Après, au final, ce qui s’est passé, c’est que nous avons continué à avancer, le groupe a continué sans eux tant bien que mal, et je pense qu’en voyant ce que nous avions quand même réussi à faire, il y avait peut-être une petite déception de leur part d’avoir quitté le groupe, mais je pense qu’ils savaient aussi… Ce n’était pas non plus tout rose de mon côté aussi. Au final, je pense que ça a été comme un bon break, en fait. Chacun est revenu avec beaucoup plus d’humilité, que ce soit de mon côté ou du leur. Ils ont vu que j’étais capable d’avancer sans eux, mais qu’aussi j’avais quand même besoin d’eux pour faire des choses. Et puis même, nous avons changé, je pense que nous ne sommes plus les mêmes personnes que nous étions il y a quelques années. Nous sommes plus ouverts, nous avons mis un peu plus d’eau dans notre vin, par rapport à certaines choses. Les choses ont été dites aussi, nous avons eu beaucoup de communication. C’est quelque chose qui était un peu brisé aussi à l’époque : nous avions du mal à communiquer, à exprimer ce que chacun ressentait. Il y avait beaucoup de frustration, en fait. C’est lié à pas mal de choses. Je pense que là, nous avons réussi à faire à peu près table rase du passé et à repartir du bon pied.
« Cette apocalypse qui va arriver par l’être humain, bibliquement, elle est peut-être imagée, mais de façon réelle, elle est concrète. […] Par notre comportement, par ce que nous faisons au quotidien, nous nous tuons à petit feu, sans forcément nous rendre compte. »
Comme tu l’as dit, vous avez beaucoup travaillé à deux avec Ranko pour faire l’album. A ce sujet, tu parlais dans une déclaration notamment de « spontanéité » et d’« échange d’énergie, jusqu’à la transe parfois »…
Je n’ai pas forcément changé ma manière de travailler mais disons que j’ai l’impression de l’avoir maximisée. En fait, il y a un morceau qui cristallisait vraiment ça, c’est celui qui s’appelle « At The Altar Of Beauty ». Nous commencions à nous voir pas mal avec Ranko à ce moment-là, c’était à l’été 2018, et moi, dans ma vie perso, il y avait des choses qui n’allaient pas. Il y avait une certaine rage qu’il fallait exprimer, je commençais à avoir quelques idées, etc. et en fait, aller au local, le voir, travailler ça à deux dans cette énergie, il y a quelque chose qui s’est passé, c’est indescriptible. Toute cette vibration et cette énergie sont arrivées. C’était très présent, il fallait vraiment que ça sorte. A un moment donné, nous ne réfléchissions plus. Nous faisions les riffs, nous étions là, ça se passait, tout était fluide, les enchaînements, etc. C’était comme si nous sortions un peu en dehors de notre corps, en tout cas pour moi. C’est vraiment magique, quand il n’y a pas vraiment besoin de réfléchir ou même de communiquer… Et maintenant, avec Ranko, nous nous connaissons pas mal, donc c’était vachement plus facile de travailler ensemble. Après, comme je disais, c’était un peu compliqué à gérer, nous avons fait du mieux que nous avons pu à deux pour faire avancer l’album le plus possible, mais à un moment donné, nous nous sommes retrouvés bloqués. Nous n’avions plus l’inspiration nécessaire pour donner le petit coup qu’il fallait pour faire quelque chose bien.
J’imagine que c’est là que Clément est intervenu, car je sais qu’avant qu’il ne parte puis revienne, il travaillait beaucoup avec toi. C’est donc cette dynamique que tu as retrouvée avec lui qui t’a permis de relancer l’inspiration ?
Oui. Exactement. Il a toujours été très important pour moi dans la composition d’avoir son aval, d’avoir sa confiance, car c’est quelqu’un que je respecte beaucoup artistiquement. C’est vrai qu’il m’a énormément manqué sur Abreaction. Je lui ai même demandé son avis sur certains trucs quand je composais tout seul. Et ne plus composer avec lui, c’était à la fois dur et nécessaire aussi. Avec Abreaction, je me suis prouvé à moi-même que j’étais capable de le faire et je l’ai fait de façon très personnelle. J’ai enregistré toutes les guitares tout seul, j’ai fait tout le chant tout seul, c’était un énorme travail, c’était très dur, et c’est pour ça que l’album s’appelle Abreaction aussi : c’est vraiment une catharsis d’avoir fait ce disque. Mais là, c’était quelque chose dont je n’avais plus envie, je n’avais plus l’énergie de le faire comme ça, honnêtement. En ayant énormément donné avec Ranko, etc., je me suis aperçu que je tournais en rond, que j’allais commettre exactement les mêmes erreurs qu’Abreaction, c’est-à-dire faire les mêmes trucs, je sentais que je faisais les mêmes gimmicks, je n’avais pas l’inspiration nécessaire pour aller au bout.
Je savais que le matériel que nous étions en train de faire méritait d’avoir quelque chose de beaucoup plus abouti et d’un œil neuf, de quelqu’un qui aille dans la même direction que nous mais sachant aussi exactement où se placer. C’est exactement ce qui s’est passé : quand Clément est arrivé, sa validation des morceaux a fait beaucoup de bien, au niveau de la confiance. C’est quelque chose de très important pour moi – et je pense pour n’importe quel artiste – d’avoir la confiance de mes pairs, car c’est ce qui te donne la petite énergie pour avancer, ne pas reculer et aller au bout des choses. C’est quelque chose dont j’ai manqué avec le line up précédent. Ce sont des trucs assez psychologiques et humains, et pour moi, c’est hyper important. Je suis quelqu’un qui n’a pas forcément énormément confiance en lui. J’ai besoin d’avoir ça pour avancer, et surtout pour autant donner. Après, une fois que c’était fait, ça a roulé.
Dirais-tu qu’Abreaction était presque plus un album solo ?
Non, quand même pas. Je ne pense pas. C’est vrai qu’Abreaction c’est vraiment moi, mais malgré ce qu’il en pense, il y a aussi énormément de Kévin Paradis. Il a mis une grosse touche sur ce disque. Moins les deux autres. Mais oui, c’est vrai que c’était moi. Là celui-là, c’est beaucoup moi mais avec l’apport des autres.
L’origine de ce nouvel album, Wolves Among The Ashes, c’est la vision d’un champ de gaz naturel en constante combustion à Darweze au Turkménistan, qui est surnommé « la porte de l’enfer ». Tout d’abord, comment as-tu découvert ce lieu et qu’est-ce qu’il a inspiré chez toi ?
Je crois que j’ai découvert cet endroit en regardant des reportages et des photos qui m’ont vraiment fasciné. J’étais en train d’écrire les premiers riffs de ce qu’allait être « Thermageddon », et je tombe sur ça, et ça fait écho, en fait. Je vois les images, et je m’imagine être là-bas, jouer ça, et pour moi ça fait un tout. Ça m’a permis d’avancer, d’avoir un vrai point de départ, une vraie inspiration. Ça m’a aidé à créer le reste, et ça donne une première teinte. Ce sont des couleurs. Je visualise le truc, ce sont des visions qui apparaissent. Je fonctionne vachement comme ça : j’ai besoin d’avoir une inspiration visuelle pour matérialiser les choses. J’assimile énormément ma musique à des couleurs, en fait. Pour moi chaque note est associée à un état d’esprit, ou une couleur, une image. J’ai besoin de ça pour créer toute l’ambiance du morceau. Je pense que ça peut être visible sur l’artwork et la vidéo que nous avons sortie pour « Exoria », où il y a énormément de coulées de lave. C’était quelque chose d’omniprésent pour moi dans toute la composition. J’avais ces images, ces flashs, comme si au moment où je créais, je pouvais me téléporter là-bas, et que la musique que je créais était la bande-son de ce que je pouvais avoir dans la tête visuellement. Et pour moi, ce lieu est très révélateur de ce qui me fascine, c’est cette nature destructrice, qui peut être à la fois dangereuse, violente, sans aucun compromis, et qui sera toujours plus forte que nous. Par exemple, j’ai été vachement inspiré par d’énormes coulées de lave qui peuvent arriver de volcans en éruption à Hawaï ou en Islande, des paysages très désertiques où l’homme n’a pas sa place. Quoi qu’il arrive, la nature sera toujours plus forte que l’homme, et aura toujours le dernier mot.
On l’a vu avec les inondations dans le sud de la France…
C’est là où j’habite, donc oui, forcément, je suis empreint de ça. Ce territoire est assez extrême, en fait. C’est tout ou rien. Un peu comme les gens de ce territoire-là. Donc finalement, quand on voit ça… Ce n’est pas forcément au quotidien, mais il m’est arrivé de me retrouver seul au milieu de tempêtes, presque d’ouragans, où tu sens la force des choses et sais que tu n’es rien… L’homme, à côté de ça, n’est pas grand-chose. Donc c’est l’un des points d’ancrage de l’album.
« L’ennemi n’est pas à côté de moi : c’est moi-même. Et c’est une bataille de tous les jours, le fait de se combattre, d’essayer de faire en sorte d’aller peut-être à l’encontre de […] certains schémas et certaines voies qu’on pourrait avoir tendance à emprunter trop facilement. »
Tu as déclaré que ça avait fait germer en toi « l’idée d’une nature conquérante, reprenant à l’homme ce qu’il lui avait volé ». Donc tu places l’homme forcément en dehors de la nature ?
Je place l’homme au centre de la nature, mais au centre d’un écosystème. C’est un tout, nous faisons partie de cette nature-là, ce que l’on a tendance à complètement oublier. Nous faisons partie de la nature, nous sommes des êtres vivants, mais après, à côté de ça, il y a des éléments, des choses qui sont autour, des énergies qui nous dépassent complètement.
A titre personnel, quel est ton lien à la nature ?
J’ai toujours entretenu un lien assez fort, depuis ma plus tendre enfance, par le fait que j’habite dans une région où il y a énormément de nature, je vais dans la forêt, etc. J’ai des souvenirs depuis très jeune de partir en randonnée, de faire des après-midi en nature, d’être en communion. Même si tu ne t’en rends pas compte, la nature est là, elle est présente. J’adore me ressourcer seul sur le bord de mer, sentir le soleil, le sable… Je me sens bien, je me sens chez moi, j’arrive à déconnecter et ne faire qu’un avec le monde. J’ai énormément besoin de ça dans ma vie de tous les jours pour me sentir bien. J’aime de plus en plus partir seul, décrocher. C’est quelque chose qui m’a énormément apporté. Maintenant, j’ai appris à un peu plus analyser tout ça, à en prendre conscience et à ne pas le négliger. Je sais que quand je le néglige, ça va moins bien.
Les loups au milieu des cendres – si on traduit le titre de l’album –, c’est exactement l’idée mise en avant par Death Angel sur leur dernier album, Humanicide, avec la pochette qui représente justement des loups au milieu des restes de la civilisation humaine. Puis le dernier album de Cattle Decapitation est également sur ce thème-là, donc la destruction de la planète semble être une thématique assez inspirante…
Death Angel, j’avoue que je ne suis pas du tout. Cattle Decapitation, je suis un peu plus, mais je commence à découvrir parce qu’on m’a vendu le dernier album. Ce n’est pas du tout ma tasse de thé à la base, mais j’ai cru comprendre que c’était un peu le cas, cette espèce de monde post-apocalyptique, cette combustion moderne… Je pense que c’est forcément une source d’inspiration, parce que même quand nous finalisions l’album, il y avait eu les énormes incendies dans la forêt amazonienne, et ces images-là faisaient énormément écho à ce que j’avais en tête, même dans ma projection graphique de l’album. Ça a aussi été une source d’inspiration visuelle, de voir toute cette forêt réduite en cendres par nous, concrètement. Cette apocalypse qui va arriver par l’être humain, bibliquement, elle est peut-être imagée, mais de façon réelle, elle est concrète.
Tu as donc bâti tout l’album autour de cette idée de la nature reprenant ses droits. Quels sont les axes de réflexion et les idées que tu as développés à partir de là ?
Il y en a plusieurs. Chaque morceau véhicule une certaine idée. Tu as des trucs qui peuvent être très abstraits, comme dans « Blessed Be The Fools », qui raconte plus une sorte de rêve éveillé, ou de cauchemar, d’une société complètement dystopique, un peu le monde dans lequel nous vivons, assez manipulé, fragile et complètement désabusé. C’est un peu la façon dont je ressens le monde actuel, contrôlé par l’informatique, les médias, cette espèce d’oppression constante avec aucun droit à l’erreur, énormément placée dans le jugement, où tu ne peux pas vraiment être toi-même. Après, il y a un morceau qui s’appelle « At The Altar Of Beauty » et qui parle de sacrifice. Ça va faire poète maudit, mais c’est un morceau que j’ai écrit pendant une rupture et qui était un constat que j’avais fait à ce moment-là, qui était qu’il fallait des fois sacrifier quelque chose de beau, que tu aimes, pour vivre des jours plus heureux. Des fois, il faut savoir couper un membre pour le sauver. Donc il y a énormément de choses qui se sont passées pendant ces deux ans et demi, trois ans, que j’ai identifiées. C’est vraiment des axes de réflexion que j’ai pu mener, qu’ils soient personnels, sur la vie de tous les jours, le monde actuel, etc.
L’album s’ouvre sur un prêche du révérend Jim Jones, fondateur de l’Eglise du Temple du Peuple, qui a mené au suicide collectif de près de mille adeptes. C’est une symbolique forte de commencer par ça : est-ce que tu penses que l’humanité est en plein suicide collectif ?
Oui. Depuis longtemps. En fait, j’avais envie de quelque chose d’assez, sans forcément dire subversif, mais poignant. Pour moi, cette introduction est vraiment vicieuse. Il y a quelque chose de très noir, très haineux, très nihiliste dans l’approche. Les sonorités renvoient à une espèce de Svart Crown très abrasif, et il manquait cette petite touche en plus. Ce sample, quand je l’ai superposé pour la première fois avec la mélodie, j’en ai eu des frissons. Ça m’a retourné. Quand on entend ces dernières paroles qui sont très pessimistes, très nihilistes, avec le cri de la foule qui est en train de se suicider, d’entendre ces enfants mourir, qui appellent leur père, ça m’a glacé le sang. Je n’avais pas ressenti ça depuis des années. Et le fait de pouvoir le ressentir sur ma propre musique, j’ai trouvé ça très intéressant, et je me suis dit que c’était le chaînon manquant, cette introduction. C’est l’une des choses les plus absurdes et folles qui puissent arriver, c’est-à-dire se suicider et tuer sa propre famille, sa propre tribu, ses proches frères. C’est symboliquement assez fort, oui. Disons que là, c’est assez concret, mais peut-être que de façon plus abstraite, c’est quelque chose qui peut arriver au quotidien sans forcément aller jusque-là. Par notre comportement, par ce que nous faisons au quotidien, nous nous tuons à petit feu, sans forcément nous en rendre compte.
Fais-tu partie des gens qui pensent qu’il y a encore un moyen de retourner la situation ?
Je pense qu’on est face au plus gros défi que l’humanité n’a jamais eu à affronter. On est énormément autocentrés, donc on a déjà énormément de mal à régler nos propres problèmes. Je pense malheureusement que je ne serai plus vivant lorsque tout va arriver, mais je ne vois pas vraiment d’issue positive. Nous avons tous à gérer nos propres vies, nos propres démons, nos propres luttes. C’est aussi un des thèmes de l’album. Donc je dirais que vivre dans cette époque actuelle est déjà un gros défi, pour moi en tout cas.
« Je suis quelqu’un qui écoute énormément de musique, et énormément de musiques différentes. Donc forcément, à un moment donné, je pense que ça déteint sur ce que je peux créer artistiquement. »
Abreaction était assez centré sur l’humain et les spiritualités tribales, proches de la nature. A contrario, Wolves Among The Ashes est marqué par le détachement de l’homme par rapport à la nature, voire carrément par l’absence d’humanité. Est-ce que tu vois ces deux albums comme étant en opposition ?
Pas forcément. Ça reste des albums qui sont très personnels. Abreaction est centré sur l’humain, et tous les morceaux ont un sujet assez précis en corrélation avec quelque chose qui a été vécu ou une réflexion. C’est le même cas pour Wolves Among The Ashes : tous les sujets abordés sont aussi issus d’une réflexion personnelle. C’est pour moi vraiment deux ans et demi de réflexion personnelle sur le monde, sur l’humain, la vie, la mort, l’amour, le sexe, la spiritualité. C’est vraiment un melting-pot de toutes ces émotions.
Tu as déclaré que tu croyais aux histoires de karma. Est-ce que tu peux nous en dire plus ? Quel impact est-ce que cette croyance a sur ta vie, dans ton comportement, dans tes décisions, etc. ?
Je pense que toute action que tu peux mener aura forcément un impact dans ta vie, quoi qu’il arrive. Comment tu peux te comporter avec les gens, ce que tu peux leur donner, leur prendre… Je pense que tout se paie. Pour moi, le karma, ce n’est pas quelque chose qui est forcément nouveau mais j’essaye d’y prêter vachement plus d’attention : quelle vie j’ai envie de mener, quelles choses j’ai envie de faire pour moi-même et autour de moi. Il s’agit donc d’essayer de réfléchir à deux fois avant d’ouvrir ma bouche et de dire quelque chose de négatif, et de voir avec qui j’ai envie de m’associer, avec qui j’ai envie d’être, les actions que je vais faire… Je sais qu’à chaque fois, je vais le payer. C’est peut-être inconscient, ou pas… J’ai trop d’exemples, en fait, qui font que si je ne m’efforce pas au quotidien de prendre soin de moi et de prendre les bonnes décisions, je le paierai, quoi qu’il arrive. J’y crois de plus en plus fort. Cette notion de karma, pour moi, est liée aussi intrinsèquement à notre propre personnalité, à nos propres démons qui nous habitent, et c’est quelque chose de très présent, par exemple, dans le dernier morceau, « Living With The Enemy », où clairement, cette lutte contre soi est perpétuelle. C’est un des grands sujets de cet album aussi, la lutte envers moi-même. L’ennemi n’est pas à côté de moi : c’est moi-même. Et c’est une bataille de tous les jours, le fait de se combattre, d’essayer de faire en sorte d’aller peut-être à l’encontre de… Pas forcément de l’instinct, parce que je pense qu’il faut quand même rester instinctif, mais à l’encontre de certains schémas et certaines voies qu’on pourrait avoir tendance à emprunter trop facilement.
Je crois aussi énormément en la loi du talion, « œil pour œil, dent pour dent ». C’est quelque chose que j’ai lu et étudié un peu plus profondément. Sans forcément me placer dans un débat sociétal, c’est quelque chose qui est pour moi important. Je crois très peu en la compassion, même si je sais qu’il faut y arriver, mais j’estime que tout se paie un jour ou l’autre, et que de toute façon, si tu ne t’en charges pas toi-même, quelque chose va forcément arriver. Je crois en ça. Ce n’est pas visible dans la société de tous les jours, parce que justement, dans la société actuelle, on n’utilise plus la loi du talion. On croit à la rédemption. C’est quelque chose aussi d’intéressant et d’important, de pouvoir donner une seconde chance, mais est-ce qu’on peut toujours donner une seconde chance ? Dans certains cas la réinsertion est possible, c’est un sujet important. Quand tu as commis une faute, qu’est-ce qu’il faut faire ? La loi du talion te dit que si tu tues quelqu’un, il faut que tu sois tué en retour. Ça peut poser un questionnement, par exemple, sur la peine de mort : est-ce que quelqu’un qui a tué doit être tué ou pas ? Au final, quand on l’applique au niveau de la nature, je trouve que c’est cette loi qui prédomine : tout ce qu’on va faire à la nature, elle va nous le rendre, quoi qu’il arrive. Au niveau des humains, je pense que c’est un peu plus complexe, mais sur beaucoup de sujets, elle devrait s’appliquer. Donc comme cette image de nature destructrice, pour moi c’est en corrélation. Il y a derrière ça sûrement une vengeance qui nous dépasse. Et quoi qu’il arrive, les choses qui doivent reprendre leurs droits les reprendront.
Dans l’album, on peut retrouver pas mal de références religieuses : « Thermageddon » qui renvoie a la notion biblique d’Apocalypse, « Act Of Obedience » – l’obédience étant aussi une notion religieuse –, « Blessed Be The Fools » dans lequel on retrouve même des sortes de chœurs liturgiques…
Oui, il y a un détournement des codes religieux. Après, « Thermageddon », par exemple, vient du créateur de Greenpeace qui a écrit un livre sur ça, qui explique en quoi l’homme va créer sa propre Apocalypse. Ça ne viendra pas forcément du jugement dernier biblique, mais de l’humain, par rapport à ce qu’on est en train de faire sur notre planète. Après, le texte d’« Art Of Obedience » parle peut-être plus de domination générale, qui, dans ce cas-là, est traitée sous forme d’art sexuel, de domination, de bondage et de shibari.
Musicalement, le premier morceau, « Thermageddon », est un peu un leurre…
[Coupe] J’aime beaucoup cette analyse, un « leurre » ! [Rires]
Oui, car c’est un titre black/death assez classique et il ne donne aucun indice sur les surprises qui attendent l’auditeur par la suite. C’était volontaire de démarrer sur un terrain connu et conquis pour progressivement évoluer et surprendre l’auditeur ?
Plus ou moins. Inconsciemment, c’est effectivement peut-être ce qui s’est passé. Après, c’était l’envie du moment de faire un titre comme j’avais envie d’en faire il y a quelque temps, mais en y ajoutant ce petit plus qu’il n’y avait pas sur les albums précédents, de revenir à quelque chose de très viscéral, de très brutal, très brut de décoffrage, où nous nous posons moins de questions et allons à l’essentiel. Après, je trouvais que c’était un pied de nez de commencer l’album par ça, et ensuite d’amener l’auditeur dans quelque chose de complètement différent, et de le perdre un peu au milieu, comme dans un voyage. Je trouvais ça intéressant.
« Il y avait certaines idées qui sortaient vraiment de l’ordinaire par rapport à ce que nous avions fait avant. Donc même avec eux qui sont assez ouverts d’esprit, il a fallu quand même se livrer et ce n’était pas forcément évident. »
Quel a été ton cheminement créatif pour aboutir à des morceaux comme « Down To Nowhere », qui va le plus surprendre, ou « Living With The Enemy » qui est le plus long et progressif que vous ayez fait à ce jour ?
Je ne sais pas, c’est une combinaison de plein de choses, ce sont toutes nos influences, nos inspirations… On est un peu esclaves de tout ça. Moi, en tout cas, je suis esclave de mon inspiration, et mon inspiration vient de mon humeur du moment, de mon état et aussi de ce que je vais emmagasiner, digérer, tout au long des années. Disons qu’il y a certaines influences que je pense avoir de plus en plus digérées, que j’ai assimilées, et que j’ai envie de faire apparaître dans la musique que je crée. Forcément quand tu prends « Down To Nowhere », ce sont de vraies références au rock des années 90 voire au trip-hop, des groupes comme Portishead, Massive Attack, Hooverphonic, Radiohead… Forcément, ce ne serait pas pertinent de faire du Massive Attack ou du Radiohead dans Svart Crown, mais ce qui est intéressant, c’est de prendre certaines bases de ces groupes et les amener dans le moule et la mixture de Svart Crown, en utilisant certaines harmonies, certains accords ou certaines mélodies, d’y amener notre âme. Je suis quelqu’un qui écoute énormément de musique, et énormément de musiques différentes. Donc forcément, à un moment donné, je pense que ça déteint sur ce que je peux créer artistiquement.
« Living With The Enemy », je pense que le premier riff est apparu l’année dernière. Je me souviens, c’était pendant les fêtes. C’était dans une espèce de période où j’étais en grosse réflexion sur pas mal de choses, et j’avais ces instants où j’étais en transe, j’arrivais à sortir des mélodies en étant vraiment habité, et j’avais cette mélodie qui tournait, etc. J’avais commencé à la jouer en répète et ça avait attiré un peu l’attention de tout le monde. Puis je l’ai laissée de côté, et à la toute fin, je me suis dit : « Allez, pourquoi pas en faire quelque chose. » C’était un peu le point de départ en fait, sur une introduction, qui tourne un peu avec ces accords pleins, avec ces espèces d’arpèges en picking qui donnent un côté très lancinant. Après, il y a tout un truc qui s’est installé, avec un pattern de batterie un peu tribal, qui peut rappeler certains morceaux de Tool sur Lateralus, sans timbre de caisse claire, et ces chants assez oniriques et mystiques qui prédominent. Nous sommes partis de là et tout le découlement s’est fait après. Ce morceau-là a vraiment été créé à la toute fin. Il y a une grosse force collective dessus, je trouve, parce que j’ai commencé à faire la base seul, mais après Clément est arrivé, nous avons vraiment fini le morceau ensemble, et ensuite nous avons fignolé avec Ranko. Ce morceau, je pense que c’est la plus belle osmose que nous ayons eue sur ce disque. Il représente toutes nos personnalités et nous avons tous énormément donné. Je pense que c’est l’un de nos morceaux préférés. A chaque fois que je l’écoute, quand ça part, c’est très prenant. C’est une grosse fierté. Et puis, nous avions envie d’avoir une fin forte. Nous avons toujours réussi à créer des morceaux de fin qui étaient peut-être les morceaux les plus prenants du disque. Il faut pour moi que la fin soit quelque chose de fort émotionnellement, et je pense que là, nous avons réussi à trouver quelque chose d’assez profond.
Abreaction était marqué par ses ambiances tribales, vaudoues et shamaniques, tandis que Wolves Among The Ashes prend encore une autre direction, tout en étant plus noir et plus froid, sans être forcément plus violent…
Oui, dans la conception, dans les teintes, les couleurs d’Abreaction, il y a effectivement ce côté beaucoup plus abrasif, mais il avait quand même déjà un côté très pessimiste, un peu triste, mais là c’est vachement plus renforcé. Wolves Among The Ashes assoit encore plus cette ambiance. Je pense qu’il y a un côté beaucoup plus dramatique, encore plus mélancolique aussi. Plus froid, plus chirurgical aussi.
Est-ce que c’est ça la marque de Svart Crown aujourd’hui, celle d’un groupe qui ne se repose jamais sur ses acquis et qui sans cesse cherche de nouveaux horizons ?
J’aime à penser que oui. Mais de plus en plus, nous sommes esclaves de notre inspiration. L’inspiration, ce sont les influences du quotidien, c’est ce que nous sommes à l’instant T. Les personnes que nous étions à l’époque de Profane, Witnessing The Fall ou Abreaction, ce sont les mêmes personnes, mais qui sont aussi différentes avec l’évolution. Donc c’est vraiment une photographie à l’instant T, ce que nous faisons à chaque fois artistiquement. Parce que c’est intrinsèquement connecté aux émotions les plus fortes que nous pouvons ressentir et à ce que nous sommes vraiment. Moi, je ne peux pas tricher, en musique. Ce n’est pas possible. Donc forcément, ça sera lié à un état d’esprit. Ce changement, je pense que c’est surtout lié à un changement personnel, une appréhension différente de la musique, une intégration différente de nos influences, une certaine maturité, la vie sur la route… C’est un melting-pot qui fait que nous pouvons proposer des choses différentes d’album en album. Disons que ça ne m’aurait pas dérangé de poursuivre ce que nous avons fait sur Abreaction, parce que je pense que nous aurions pu aller un peu plus loin dans cette exploration. Après, je n’ai pas vraiment senti que ces éléments avaient leur place sur cet album. Je ne vois pas comment nous aurions pu les intégrer. Nous sommes vraiment partis sur une autre couleur, en fait. Donc je pense qu’il fallait aller jusqu’au bout, quitte à mettre certains éléments de côté, dont ces éléments-là.
D’ailleurs, qu’est-ce qui a pu déclencher chez toi cette volonté d’étendre et ouvrir ton spectre musical plutôt que de rester dans un carcan black/death ? Y a-t-il eu un moment donné où tu t’es senti « à l’étroit » dans cette musique ?
À l’étroit, et puis c’est aussi une question de rester sincère. J’ai juste l’impression d’avoir fait ce que j’avais à faire au moment où il fallait que je le fasse, et exprimé les émotions que j’avais envie d’exprimer. Là, j’ai juste envie d’exprimer autre chose, de l’exprimer différemment. Mais au fond, ça reste la même chose. C’est juste véhiculer certaines émotions qui sont forcément expulsées, des émotions qui sont très noires, très sombres. C’est juste le vecteur qui est un peu différent. Le fond reste pareil mais la forme est différente.
« Il y avait toute cette matière qui était inexploitée, ce line up avec tout ce potentiel, chaque personne ayant des qualités que nous pouvions vraiment exploiter, et ça aurait été dommage de ne pas le faire. Nous nous sommes dit qu’il fallait y aller jusqu’au bout, quitte à se planter. »
L’expression vocale sur cet album s’est considérablement ouverte, prenant des formes et grains très variés, y compris en chant clair. Comment en es-tu venu à multiplier ainsi tes approches vocales ?
J’ai toujours trouvé ça intéressant d’avoir plusieurs facettes vocales. Après, techniquement parlant, ce n’était pas quelque chose que j’étais capable de faire, j’ai beaucoup travaillé. Nous avons aussi quatre chanteurs différents sur ce disque, nous sommes les quatre musiciens à chanter, donc avec des palettes complètement différentes et des tessitures diverses et variées, ce qui donne aussi une couleur complètement nouvelle à ce disque. Il y a des choses que j’étais techniquement incapable de faire, et les nouveaux arrivants ont eux notamment une palette vocale beaucoup plus ouverte que moi, donc ce sont eux qui ont vraiment amené ce truc-là en plus. On va dire tout ce qui est chant principal extrême, quelques voix claires, c’est moi, et le plus gros des voix claires, ça reste les trois autres. Mais c’est une question de liberté. La liberté de pouvoir arriver à concrétiser les sons que tu peux avoir dans la tête, et les intentions. C’est quelque chose de fort que d’arriver à ce niveau-là. Après, vu que je n’ai pas réussi à tout réaliser tout seul, et que je dois la plupart des chants beaucoup plus divers à mes comparses, j’estime que c’est vraiment un travail de groupe. Donc finalement, ce que moi je suis capable de faire, on s’en fout, ce n’est pas le plus important. Le plus important, c’est que ça serve les morceaux, et que le morceau au final soit le mieux possible.
Ce n’est donc pas toi qui chantes la voix claire sur « Down To Nowhere » ?
Non, c’est ça. Moi, j’interviens sur le premier couplet et le premier refrain, et ensuite je tapisse dans le fond et c’est Clément et Ranko qui chantent principalement sur ce morceau.
Vous avez à nouveau enregistré avec Francis Caste, avec qui vous travaillez depuis votre second album Witnessing The Fall. Comment expliquer cette fidélité ? Ta philosophie à cet égard, c’est plutôt « on sait ce qu’on perd, on ne sait pas ce qu’on retrouve », ou plutôt « on ne change pas une équipe qui gagne » ?
[Réfléchit] « On ne change pas une équipe qui gagne ! » Moi je fonctionne avec des coups de cœur. Le coup de cœur artistique pour Francis, je l’ai eu dès le deuxième album, même avant, et j’ai rarement entendu un producteur qui puisse produire des albums qui me parlent autant en termes de son. En plus de ça, le côté humain fait que pour l’instant, nous n’avons aucune raison de changer, puisque nous arrivons à produire un son qui nous ressemble, et Francis arrive avec sa production sonore à sublimer les morceaux que nous faisons. Passer un mois, voire quarante jours avec quelqu’un – quand nous réalisons un album avec lui, nous le faisons de A à Z –, il faut que ça matche, sinon ça peut vite devenir invivable. Après, je n’exclus pas dans le futur d’autres expériences. Je pense que ça sera nécessaire, je ne sais pas quand. Mais là, pour l’instant, vu la qualité du dernier album en termes sonores, je me dis : « Pourquoi changer ? » Mais on ne sait jamais.
Tu as qualifié l’expérience d’enregistrement de Wolves Among The Ashes de « très intense ». Peux-tu nous en dire plus ? Qu’est-ce qui l’a rendue si intense ?
D’abord, en arrivant en studio, j’étais assez serein, étrangement serein parce que nous étions quand même loin d’être prêts, en ayant tout bouclé en dernière minute, même si au niveau de l’expérience, nous avions quand même les cartes en main pour faire quelque chose de bien. Je pense que nous n’avons pas commis d’erreur à ce niveau-là, pas d’erreur de composition, etc. Mais au studio, j’avais envie d’avoir un certain détachement pour justement être plus serein, moins impliqué, avoir plus la tête froide. Mais au fur et à mesure que l’enregistrement se déroulait, je me suis beaucoup plus impliqué. Et les sessions étaient assez prenantes, parce qu’il fallait vraiment, encore plus que d’habitude, donner le maximum. Francis a vraiment été très pointilleux sur notre exécution, pour vraiment arriver à là où il voulait en venir. Avec lui, nous avons une méthode d’enregistrement qui est presque à l’ancienne, où il faut vraiment donner le meilleur, où l’on va écouter chaque prise et où il faut vraiment donner énormément d’intention. Que ce soit dans la conception de la batterie, de la guitare ou du chant, il faut être très précis, et c’est très demandant. Il faut être très concentré. Donc au fur et à mesure, les jours sont passés, et ça a été assez intense. Il a vraiment fallu être concentré jusqu’au bout.
Du coup, nous avons passé pas mal de temps sur la partie musicale, et tout ce qui était vocal, nous l’avons enregistré chez nous, dans le Sud. Et là, ça a été une nouvelle expérience, car c’était la première fois que nous avons dû faire ça, enregistrer nous-mêmes nos parties. Donc c’était un vrai défi. Nous l’avons fait à quatre, et ça a été… Dur. Ça a été dur au début parce qu’il a fallu briser certaines habitudes. J’ai l’habitude de tout faire avec Francis, d’avoir quelqu’un, un point de repère, qui t’oriente, qui te dise oui ou non, etc. Là, c’était avec mes propres musiciens, et j’avais du mal à me mettre à nu avec eux, à vraiment leur expliquer là où je voulais en venir, etc. Il a fallu que je fasse vraiment un travail d’expropriation de tout ça, que je leur dise : « J’ai ça en tête », et tu peux toujours avoir l’impression que ça ne va pas être accepté, que tu vas être jugé. Avoir confiance en ses propres capacités et en ce qu’on a envie d’exprimer, ça peut être problématique. Car même moi, par rapport à certaines idées… Ne serait-ce que pour amener la première idée, il a fallu pas mal de culot, pas mal de cran. Il y avait certaines idées qui sortaient vraiment de l’ordinaire par rapport à ce que nous avions fait avant. Donc même avec eux qui sont assez ouverts d’esprit, il a fallu quand même se livrer et ce n’était pas forcément évident.
Et puis, disons que quand tu gères un groupe, même quand tu es le leader créatif et que tu veux tenter des trucs, tu peux te heurter à pas mal de choses. Il y a des choses qui sont réalisables, d’autres non, et en termes de créativité, je sentais que j’avais cette inspiration, cet élan qui était là, mais je pense que je n’avais pas forcément certains moyens techniques en ma possession, notamment au niveau du chant, pour pouvoir tout exprimer pleinement. Il a fallu se rendre à certaines évidences et laisser la place à mes compères. C’était logique, mais à la fois, il y a eu à un moment donné des choix qui ont dû être faits, dont certains qui ont été un peu plus durs que d’autres. Après, c’est toujours intéressant de travailler là-dessus. Mais bon, je savais au fond de moi que ça allait sûrement se passer comme ça, c’était ce que nous nous étions dit et ce qui était prévu. Je pense qu’il fallait relever le défi des compositions avec le chant. Il y avait toute cette matière qui était inexploitée, ce line up avec tout ce potentiel, chaque personne ayant des qualités que nous pouvions vraiment exploiter, et ça aurait été dommage de ne pas le faire. Nous nous sommes dit qu’il fallait y aller jusqu’au bout, quitte à se planter. Nous savions que nous allions pouvoir rectifier et le plus important était de faire les choses jusqu’au bout.
« Tout ce qui est deathcore, ça ne me parle absolument pas et je trouve ça dénué de tout, il n’y a rien, je ne ressens rien, pour moi c’est vide. J’entends du bruit, j’entends de la technique, j’entends des mecs qui jouent sur un tempo, mais je ne ressens rien. […] A la limite, je préfère écouter un bon disque de pop qui a quelque chose à raconter que du death metal sans intérêt. »
Une fois que nous avons passé ces étapes-là, nous avons réussi à vraiment faire quelque chose de collaboratif, où c’était vraiment une boîte à idées, chacun proposait ses trucs, nous écoutions, nous reprenions… Au début, c’était assez poussif, les premiers tests n’étaient pas du tout concluants, nous n’arrivions pas à faire ce que nous voulions faire. Et au fur et à mesure, nous nous sommes vraiment mis sur la bonne voie, et nous avons réussi à faire un truc intéressant. Mais ça a été quand même long et fastidieux.
Pourquoi avoir fait le choix cette fois d’enregistrer vous-mêmes les parties vocales, chez vous dans le Sud ?
Nous avions booké une période de studio spécifique en juin, et nous nous sommes rendu compte qu’en fait, nous n’avions pas assez de temps pour tout faire bien. Il aurait fallu booker peut-être cinq à dix jours en plus, ce que nous n’avions pas prévu. Nous avons préféré nous concentrer sur la partie instrumentale pour vraiment verrouiller les instru, quitte à revenir un tout petit peu dessus chez nous. Et après, nous nous sommes dit que nous avions notre espace personnel chez Ranko. C’est son studio mais c’est aussi là où nous nous voyons, là où nous communiquons, là où nous répétons. Nous nous sommes dit : « C’est peut-être audacieux mais faisons-le là-bas. Tentons. » Financièrement, tout finir chez Ranko, ça a aidé, ça a permis de finir l’album sans forcément craquer tout le budget. Je rajouterais que c’est quelque chose qui nous a beaucoup plu. Nous avons toujours été partisans de se décrocher, d’aller chez quelqu’un, d’avoir ce regard extérieur, mais on s’aperçoit qu’être de plus en plus indépendant en musique, c’est ce qui te donne énormément plus de liberté sur certains choix et te permet d’avancer sans une grosse contrainte financière.
Il y a donc des éléments et approches très différents d’un morceau à l’autre dans cet album, mais qu’est-ce qui fait qu’au final ça sonne toujours comme Svart Crown ? Quel est le liant ?
Je pense que c’est une espèce de savoir-faire ou une façon de créer. J’ai toujours l’impression que quand je prends mon instrument, je vais toujours faire la même chose, parce que le vecteur, ça reste moi. C’est une sorte de savoir-faire. C’est comme si tu demandais à quelqu’un qui fabrique des pièces d’art ou des meubles de fabriquer autre chose, mais au fond de lui, ça sera toujours plus ou moins une partie de lui qu’il mettra. Je pense qu’au fil des années, il y a une patte qui s’est installée, un savoir-faire.
Le groupe a toujours navigué entre les composantes death et black. Qu’est-ce que ces composantes représentent pour toi, émotionnellement parlant ? Qu’est-ce que le death exprime et qu’est-ce que le black exprime ?
C’est compliqué, parce que dans le death metal, il y a une palette de styles complètement différents. Des groupes comme Devourment, Morbid Angel ou Immolation ne vont pas avoir la même profondeur pour moi. Ce qui est intéressant, pour moi, ce sont les groupes poignants qui racontent quelque chose, le côté un peu mystique, ésotérique. Ça, ça va me parler, dans le death metal. Dans le black metal, ce qui va me parler, c’est les groupes qui ont justement un impact technique très frontal. Je vais rechercher un certain vice, une certaine émotion très particulière. Pour moi, c’est ce que le black metal évoque, cette noirceur, cette froideur, ce côté très nihiliste, voire apocalyptique. Dans le death metal, ça va être le côté très prenant, pachydermique, genre cette grosse vague qui va t’arriver comme ça. Le black metal, ça sera plus dans les émotions, je pense.
Tu cites Devourment, Morbid Angel et Immolation comme ayant des niveaux de profondeur différents. Comment comparerais-tu ces trois groupes, du coup ?
C’est pour ça que j’aime Morbid Angel ou même un Immolation, c’est qu’il y a cette profondeur, cette réflexion, il y a un côté peut-être plus poétique, qui me touche plus que quelque chose de bas du front et un peu dénué de sentiment, de profondeur, d’émotion. Quand j’écoute Morbid Angel, je ressens les profondeurs, je ressens quelque chose. Quand je lis leurs paroles, je vois où ils veulent en venir, je capte ce délire, les grands anciens qui sont là. Ça me parle. Pour moi, Morbid Angel et Immolation n’ont peut-être pas la même profondeur mais ça reste des groupes assez profonds, derrière lesquels il y a une vraie réflexion. Morbid Angel va avoir un côté beaucoup plus onirique, beaucoup plus psychédélique, et ça se ressent dans le jeu de Trey Azagthoth et même dans la façon d’être, son côté limite autiste des fois. Quand tu le connais, que tu le vois, ça fait qu’un avec sa musique et son univers. Tandis qu’Immolation, c’est peut-être plus concis, pragmatique. Il y a ce sentiment de perdition. C’est la bande-son d’un monde à l’agonie. Si demain l’apocalypse arrivait sur Terre, la bande-son serait, pour moi, Immolation.
Alors que Devourment… [Rires] Je te cite Devourment, pourtant c’est un groupe que j’aime bien, mais ça aurait pu être, je ne sais pas, allez, je vais me faire des ennemis, mais disons Aborted ou Benighted : pour moi, ce sont des choses différentes. On est dans un truc beaucoup plus basique et bas du front. C’est bien aussi, j’aime beaucoup Benighted, par exemple – ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit –, mais ça me parle moins. Je ne sais pas qui je pourrais te citer… Enfin, de toute façon, le death metal moderne m’ennuie profondément. Le death metal un peu teinté de hardcore, tout ce qui est deathcore, ça ne me parle absolument pas et je trouve ça dénué de tout, il n’y a rien, je ne ressens rien, pour moi c’est vide. J’entends du bruit, j’entends de la technique, j’entends des mecs qui jouent sur un tempo, mais je ne ressens rien. Ça vaut aussi pour beaucoup de black actuel. En fait, ça m’emmerde au plus haut point. Ecouter de la musique vide, ça ne m’intéresse pas. A la limite, je préfère écouter un bon disque de pop qui a quelque chose à raconter que du death metal sans intérêt.
Svart Crown a toujours été plus du côté death, or on dirait que ça change un petit peu avec ce nouvel album, puisque le penchant black semble gagner du terrain. Tu penses que vous êtes arrivés à une forme d’équilibre sur cet album de ce point de vue ?
Je ne sais pas trop. On nous avait déjà dit ça sur l’album d’avant. On nous dit ça sur chaque album, en fait : « Ouais, le côté black metal est encore plus présent. » Je ne sais pas. Pour moi, ce sont un peu des étiquettes. C’est une espèce de mixture de tout. Je pense que la base reste death metal. Après, il y a aussi d’autres choses qui sont très importantes dans notre musique. Mais oui, si on pouvait parler d’épices et d’arômes, peut-être que le côté black est plus présent, c’est peut-être cet apport d’émotions qui est plus présent.
« C’est quelque chose qui m’habite entièrement, je me lève le matin, je pense à ce que je vais faire pour le groupe, à ce que je dois faire, à ce que j’ai envie de faire. Ça régit tout. Ça régit ma vie professionnelle, ma vie affective, ma vie familiale, etc. Tout tourne autour de ce groupe. […] C’est à la fois une cure mais aussi un fardeau. »
Dans l’album, on peut entendre parfois une esthétique proche de Deathspell Omega (« At The Altar Of Beauty »), de Gojira (« Exoria ») et même de Hangman’s Chair (« Down To Nowhere »). Est-ce que tu prêtes particulièrement attention à la scène française et y puises de l’inspiration ? Penses-tu qu’à l’instar des scènes scandinaves, il y a une dynamique dans la scène française qui fait que les groupes s’inspirent les uns les autres ?
Peut-être inconsciemment, oui ! Les trois groupes que tu cites sont des groupes que j’apprécie, et je pense que, sans forcément parler de ces trois groupes-là, il y a peut-être des influences communes que nous pouvons avoir. Par exemple, pour Gojira, des groupes comme Morbid Angel sont des groupes importants pour nous. Deathspell Omega, c’est un groupe qui a son importance dans la notion d’arrangements mélodiques, la teinte, et le côté très mélodique qu’ils peuvent arriver à avoir dans un chaos ambiant, arriver à sortir une mélodie d’un truc très chaotique. Concernant Hangman’s Chair, je dirais que c’est plus leur approche très terre à terre, cette espèce de description de la violence du quotidien, qui me fascine aussi, tout en étant belle à la fois. Ils ont des mélodies, et puis cette lourdeur, c’est poignant, c’est à la fois percutant et touchant. Je pense qu’à ce niveau-là, oui. Et c’est pareil, nous avons des influences communes avec Hangman’s Chair, nous sommes de grands fans d’Alice In Chains, par exemple, autant eux que nous. Même si chez nous, ça ne s’entend pas forcément au premier abord, c’est vraiment présent dans notre façon d’écrire la musique, notamment dans la gestion des guitares, avec une guitare principale et des guitares lancinantes qui peuvent arriver. Nous faisons énormément de choses comme ça, des leads de guitare assez répétitifs et lancinants. C’est quelque chose que nous aimons beaucoup faire et qui est présent autant dans Alice In Chains que dans Hangman’s Chair.
Un autre parallèle est facile à faire, c’est celui avec Behemoth, puisque eux aussi jouent sur les deux tableaux, entre black et death, mais surtout, eux aussi ont pas mal ouvert leur palette sur leurs derniers albums. Est-ce que vous vous reconnaissez dans leur démarche ?
Disons que la comparaison avec Behemoth, nous l’entendons depuis notre premier album… [rires] Donc oui, c’est sûr qu’il y a une certaine corrélation, et je peux comprendre leur envie de faire autre chose. Après, j’aime à penser que chaque groupe est quand même différent. Mais oui, je peux comprendre que les gens nous comparent par rapport à ça.
D’ailleurs, tu penses quoi de l’évolution de Behemoth ?
Je comprends. Je respecte que le groupe ait envie de changer. Après, c’est un groupe qui a énormément évolué tout au long de sa carrière. Pour certains, c’est de l’arrivisme, pour d’autres, c’est juste une évolution naturelle, c’est juste un gars qui dans les années 90 écoutait du black metal, avait envie d’en faire et après a vite tourné en rond par rapport à ce qu’il pouvait proposer. Il a capté qu’il était capable de faire d’autres choses intéressantes, pour certains. Je pense que ça les a toujours placés comme un groupe un peu suiveur ou… Enfin, pour moi, quand j’ai découvert Behemoth à l’époque de Zos Kia Cultus ou Thelema.6, c’était vraiment : « Tiens, c’est un groupe qui veut faire comme Deicide. » Puis : « Ah maintenant, c’est un groupe qui veut faire comme Morbid Angel. » Après, Demigod : « Ah bah, c’est un groupe qui veut faire comme Nile. » Après, Evangelion : « Ah bah, ça y est, il y a un petit peu de black metal, un peu de dissonances et des trucs comme ça… » Et après : « On fait un truc un peu plus ouvert, un peu plus à la Watain, etc. » Après, c’est un groupe qui tourne énormément, qui fait des choses, et je pense que Nergal a fait le tour de la question sur ses albums précédents. Pourquoi refaire exactement ce qu’il a déjà fait ? Il l’a déjà très bien fait. Autant passer à autre chose.
Après, il y a des groupes, des Slayer et autres, qui se sont efforcés de garder la même identité, mais même un Slayer s’aventure sur des terrains différents. Je trouve qu’ils ont urbanisé leur son au milieu des années 90, ils ont essayé de se coller à quelque chose de peut-être un peu plus néo-metal. Mais ils ont quand même tenté des choses et on ne peut pas le leur enlever, avec plus ou moins de réussite sur certains trucs. Même sur certains passages on entend Tom Araya qui chante en clair. Quand ils ont tourné avec Alice In Chains ou des trucs comme ça, je pense qu’il y a eu un impact. On a toujours un impact avec les groupes avec lesquels on tourne. Il y a certains groupes qui sont inspirants. C’est forcé.
Tu disais que, par rapport à Behemoth, des gens vont comprendre leur démarche tandis que d’autres vont voir ça comme de l’arrivisme. Tu n’as pas peur de subir cette division sur un album comme Wolves Among The Ashes, justement ?
Peut-être ! Après, je sais que je peux totalement me regarder dans la glace par rapport à cet album, parce que j’ai vraiment fait ce que j’avais envie et besoin de faire. Je suis ma principale critique et, à ce niveau-là, je n’ai aucun problème.
Pour finir, au tout début, tu disais que Svart Crown « c’est vraiment un mode de vie ». Comment décrirais-tu ce mode vie ? Quelle est la place du groupe dans ta vie ?
C’est une place prépondérante. C’est quelque chose qui m’habite entièrement, je me lève le matin, je pense à ce que je vais faire pour le groupe, à ce que je dois faire, à ce que j’ai envie de faire. Ça régit tout. Ça régit ma vie professionnelle, ma vie affective, ma vie familiale, etc. Tout tourne autour de ce groupe, donc c’est très important. C’est un projet de vie. Ce n’est pas quelque chose que nous faisons à la légère. Et puis, même, il y a d’autres choses, il y a des convictions, il y a ce que nous mettons à l’intérieur émotionnellement, ce que nous exprimons. C’est un vecteur, c’est à la fois une cure mais aussi un fardeau. Ce groupe est beaucoup de choses, en fait. Et c’est ce qui régit ma vie depuis maintenant quinze ans, avec des hauts et des bas, et des moments plus intenses que d’autres. J’ai appris à savoir un peu décrocher, à avoir des moments où je pense à autre chose, à prioriser certaines autres choses qui sont aussi importantes pour que je puisse avoir un équilibre de vie correct, car il faut aussi savoir penser à soi. Mais de façon générale, ça dicte énormément de priorités sur ton emploi du temps, sur ce que tu vas faire, sur les gens que tu vas fréquenter, sur ton temps passé à l’étranger, en tournée, sur la profession que tu vas avoir, etc. C’est pour ça qu’ensuite, on ne peut pas s’étonner qu’il y ait des changements, parce que quand on a un groupe qui est aussi important dans la vie des gens, c’est un choix assez dur à faire. C’est un choix qu’il faut être capable d’assumer, surtout.
Interview réalisée en face à face et par téléphone les 3 & 18 décembre 2019 par Tiphaine Lombardelli & Nicolas Gricourt.
Fiche de questions : Nicolas Gricourt.
Introduction : Tiphaine Lombardelli.
Retranscription : Robin Collas & Nicolas Gricourt.
Photos : Michael Khettabi (1, 2, 3, 5, 9) & Hundredth of a Second Pictures (6, 8, 10).
Facebook officiel de Svart Crown : www.facebook.com/SVARTCROWN.
Acheter l’album Wolves Among The Ashes.
Quant à The Great Old Ones… On pourrait raconter l’histoire de Gorod, mais je suppose que tout le monde doit désormais la connaître. C’est marrant de se dire que dans tous les groupes cités y en a moins de la moitié qui viennent de la côte d’Azur. C’est ce qu’on appelle de la recherche d’informations je crois, ca peut être utile pour écrire sur un sujet sans dire n’importe quoi 😀
Tiphaine parle « de la partie la plus ensoleillée de l’Hexagone », soit une notion assez large et vague du « sud », simplement pour noter un contraste entre le soleil et un climat (généralement) doux voire chaud, et le côté noir et froid du metal extrême. Il ne faut pas chercher bien plus loin, ce n’est pas une étude sur la répartition géographique (ni météorologique, j’anticipe) des groupes de metal. C’est juste un petit texte pour introduire une interview de Svart Crown, et que ce soit Bordeaux, Marseille ou Bayonne, bin oui, il n’y a pas à tortiller, c’est objectivement la moitié (voire le tiers) sud de la France. Après, c’est sûr qu’il y a toujours moyen de chercher la petite bête là où elle n’est pas 😉
Et à part ça, l’interview est bien ?
Vu de Bretagne, dès que tu passes la Loire à Nantes , on est dans le Sud. Juste une question de localisation personnelle mais je pense que tout le monde avait compris l’entrée en matière de cette interview-fleuve (tiens , encore la Loire !)
Je ferais remarquer à Tiphaine Lombardelli que Gojira ne vient absolument pas du sud mais du sud-ouest ( de Bayonne et de Ondres: côte basque et sud-landes précisément) ce qui n’a absolument rien a voir avec la cote d’azur et le bassin méditerranéen ( vu que c’est sur la côte Atlantique). On ne mélange pas les torchons et les serviettes jeune fille !!!!!!! Ouvre un carte ou Google map pour vérifier par toi même. C’est comme si moi je dis que Lyon et Paris sont dans la même région …le Nord.
Donc le SUD-est de la France est bien dans le sud, mais pas le SUD-ouest ? Que veux-tu, je suis parisiano-bretonne, je suis trop au nord pour toutes ces subtilités…
Je lui ferais remarquer de la même façon que Gorod est un groupe formé à Bordeaux, mais je suppose qu’à Dunkerke, en Bretagne, on imagine que Bordeaux est au bord de la méditerranée. Quoi ? Ma mappemonde a l’air de me dire que Dunkerke n’est pas en Bretagne ? Oh mais il s’agit du nord de toute façon, en tant que marseillais, je me sens tout à fait incapable de saisir la différence.
effectivement Tiphaine il faut être du sud-ouest pour comprendre ces subtilités là ! Déjà t’es a moitié Bretonne ouf ! A moitié sauvé ! le sud-ouest et sud-est n’ont strictement rien a voir. comme la bretagne et l’Alsace qui sont dans la moitié Nord pourtant. c’est comme si je dis que mass hysteria ou ultra-vomit(qui sont bretons….mais Nantes est elle réellement en Bretagne?) sont des groupes du nord a l’instar de Loudblast. saisi tu la subtilité là ? Donc pour nous les gens du sud-ouest, nous comparer a ces cagoles du sud-est est presque insultant( je plaisante!) culturellement on est different….mais tout de même bien plus proche que des parisiens !
Vous vous ennuyez les mecs ou quoi?
Tergiverser sur le sud-ouest et le sud-est ? Sérieux ?
Je…. Enfin… Tiphaine… Ne réponds juste plus à ces types bizarres… C’est une perte de temps (comme je viens d’en perdre aussi). Ils sont nés comme ça, on ne peut plus les changer.
Sinon superbe interview, beau travail, merci. ?
bin ouais squealer. c’est une question d’honneur et d’exactitude. si elle avait dis que Ultra-Vomit était du Nord mon dieu la pauvre ce qu’elle aurait pris. Ma remarque n’était absolument pas malveillante à l’encontre de Tiphaine au contraire. J’ai juste bondis en lisant que Gojira et Gorod étaient assimilés aux groupes du sud comme Dagoba ou Agressor. Ça manque juste d’exactitude.
Et BrutalDeathNergal rassure toi je suis bien né et bien dans ma peau et sous tout rapport. Je n’est pas besoin, moi, de me masquer sous un pseudo qui fait brutal costaud et méchant evil et true a la fois.