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Interview   

The Dillinger Escape Plan : bilan de santé avant la dernière ligne droite


Ben Weinman - The Dillinger Escape PlanThe Dillinger Escape Plan, c’est fini. Ou tout du moins, ça le sera bientôt, à l’issue du cycle de tournée du nouvel et ultime album Dissociation. Mais le guitariste Ben Weinman, en tant que fondateur du groupe, et celui qui est devenu avec les années son complice, le chanteur Greg Puciato, ainsi que le reste de la clique auront vécu l’aventure tellement à fond, qu’on peut difficilement imaginer une carrière plus extrême que la leur. Ils auront fait ce qu’ils auront voulu, tout ce qu’ils auront voulu, si bien qu’ils choisissent aujourd’hui eux-mêmes d’y mettre fin selon leurs propres termes. La liberté ultime. La maîtrise suprême de sa destinée.

Mais outre le fait de discuter de cette décision et de cet ultime opus, c’était l’occasion de faire un petit bilan de santé avec Weinman, au sens propre comme au figuré, et si mentalement celui-ci se sent à la bonne place dans sa vie, physiquement, au contraire, tout n’est pas forcément à la bonne place. Mais qu’importe, c’est la dernière ligne droite, « tu t’en inquiéteras plus tard » avons-nous envie de lui dire, pour reprendre ce qu’il a dit à Puciato sur un de ses premiers concerts avec le groupe, lorsque ce dernier pissait le sang après s’être fait péter une dent par le guitariste. Car oui, il y a quelques anecdotes dans ce qui suit qui valent le détour…

The Dillinger Escape Plan 2016

« Notre énergie et notre enthousiasme sont aussi élevés que jamais. Et je pense que nous en sommes aussi surpris que n’importe qui ! [Petits rires] Donc, ceci étant dit, je voulais en profiter et ne pas attendre que ça ne soit plus le cas. »

Radio Metal : Vous avez annoncé que Dissolution serait le dernier album de DEP. Tu as justifié cette décision en expliquant que vous ne vouliez « pas en arriver au stade où [vous vous] arrêt[ez] parce que [vous] le dev[ez] ou parce que [vous êtes] trop vieux ou parce que les gens en ont assez, » et vous n’aimez « pas l’idée de ralentir ou le faire moins souvent, [vous aimez] y aller à fond et emmener les choses aux extrêmes. » Mais pourquoi maintenant ? Est-ce que vous avez le sentiment que les choses étaient sur le point de partir sur une pente descendante à partir de maintenant ?

Ben Weinman (guitare) : C’est ça le truc, je veux dire que j’étais assis, prenant une pause après avoir fait une longue route et quelques concerts, et je pensais: « Je me demande combien de temps encore allons-nous faire ça ? » Ce n’est pas le genre de chose que tu peux arrêter n’importe quand. Lorsque tu sors un album, ça prend parfois deux ans à le finir, avec la composition, faire quelques concerts, puis l’enregistrer, et ensuite ça repart pour encore trois ans afin de le soutenir, en partant sur la route et jouant partout dans le monde. Il peut donc y avoir quatre ou cinq ans d’engagement pour chaque album. Lorsque tu penses à ça, ce n’est pas simplement : « Bon, je me demande si ce sera à la fin de cette année ou dans encore deux ans… » Si tu sors un album, ça peut impliquer encore quatre années supplémentaires ! Donc je me dis : « J’ai quarante et un ans, je me demande, après cet album, qu’est-ce qu’il y aura ? Est-ce qu’on en fait un autre ? Et ensuite j’aurais cinquante ans… » [Petits rires] Tu vois ce que je veux dire ? Ça fait tellement longtemps que je fais la même chose, je ne me suis jamais arrêté pour réfléchir à ce qui allait se passer lorsque ceci ne serait plus viable ou peu importe. Donc, sachant que ceci, au final, doit arriver à un moment donné, mais ne sachant pas exactement quand ça arriverait, je me suis dit que j’aimerais vraiment en prendre le contrôle et donner du sens à ce que je suis en train de faire plutôt que d’avoir ce cycle sans fin à être dans un groupe. Et je voulais transformer ça en quelque chose que j’avais le sentiment de devoir faire. Donc je voulais m’assurer que j’appréciais l’expérience, et la seule façon de le faire, pour moi, était de mettre un terme à toute l’histoire.

As-tu eu le sentiment d’avoir atteint un stade d’accomplissement ?

Ouais, je veux dire que ce qui est dur, c’est qu’après avoir écrit chaque album de Dillinger, j’ai le sentiment que je ne voudrais plus jamais en faire d’autres [petits rires]. Mais ensuite, après avoir tourné pendant un moment pour soutenir l’album, je ressens le besoin de m’y remettre et faire d’autres musiques. Mais, tu sais, ce n’est pas forcément de la musique pour Dillinger que je dois faire. C’est juste qu’après avoir été sur la route pendant très longtemps, je veux faire de la musique, c’est une bonne dichotomie, un interrupteur pour passer de l’un à l’autre. C’est difficile à dire parce que je n’ai aucune idée comment je me sentirais lorsque tout ça sera terminé. Je veux dire que la vérité est que nous sommes un peu surpris, comme tout le monde, que nous soyons encore pertinents et que nous proposions encore des concerts impressionnants et inspirés. Notre énergie et notre enthousiasme sont aussi élevés que jamais. Et je pense que nous en sommes aussi surpris que n’importe qui ! [Petits rires] Donc, ceci étant dit, encore une fois, je voulais en profiter et ne pas attendre que ça ne soit plus le cas, et je voulais dire : « Eh bien, en fait, c’est un très bon moment pour vraiment mettre de l’attention sur tout. » Et sachant que nous sortons un album, il sort sur mon label, nous allons tourner, les quelques prochaines années seront excitantes, mais avec un but final. J’ai l’impression que, surtout avec notre premier LP Calculating Infinity, la boucle est bouclée. J’ai vraiment le sentiment que nous avons fait tout ce que nous pouvions faire au niveau créatif et artistique avec ce groupe sans barrière. Je le crois assurément, je le ressens assurément.

Greg Puciato a d’ailleurs fait remarquer à quel point la situation était bizarre, dans la mesure où vous aimez toujours ce que vous faites et même ne l’aimez pas moins qu’avant. Du coup, ne ressens-tu aucune sorte de frustration après avoir pris cette décision ?

Eh bien, là tout de suite, c’est juste excitant parce que c’était excitant de faire cet album. Chaque album avait beaucoup de motivation en majorité était basée sur les difficultés, vraiment, à être sur la route, à entretenir les relations, et les frustrations d’avoir à énormément compter les uns sur les autres, de relations à la maison qui prenaient l’eau, de ne pas avoir de stabilité et ne pas savoir ce qui se passait dans nos vies. C’était donc ça notre motivation quasi-continue pour écrire ces albums agressifs. Pendant que nous nous rendions compte de ceci au fil des dernières années, c’est arrivé à un point où c’est devenu si destructeur que ce groupe allait probablement finir avec des choses pas très bonnes [petits rires]. Je veux dire que nous aurions été physiquement trop blessés, mentalement trop blessés, nous nous serions détestés, nous aurions commencé à sortir de la musique que nous n’aimerions plus… Peu importe quoi, je ne sais pas ce que ça serait, mais ça ne pouvait pas aller dans une bonne direction à mesure que nous vieillissons, si nous continuions à ce rythme. C’était donc bien d’avoir une nouvelle motivation. Au cours des dernières années, Greg et moi, surtout, avons dû vraiment nous réévaluer et ressentir que nous pouvions être des individus. La co-dépendance est probablement plus répandue dans un groupe que dans n’importe quel autre type de relation, même le mariage parfois. Donc pouvoir nous sentir comme des individus séparés des uns et des autres et ensuite pouvoir nous retrouver et faire un album avec un but était très spécial et formidable. Là tout de suite, nous ne pensons pas au moment où nous ne ferons plus ceci dans le futur, mais c’est aussi [palpitant de] parler de quelque chose de nouveau avec des gens comme toi [petits rires], en fait la conversation est différente, et de partir en tournée, entamer le cycle, sachant qu’il y a un but derrière ça. Et dès que nous avons pris la décision d’essayer de clore cette chose, tout a commencé à paraître comme il faut. J’ai commencé à me sentir à la bonne place dans ma vie. Les choses commencent à se mettre en ordre, ma vie commence à se mettre en ordre.

DEP a toujours été un groupe avec lequel il était question de liberté totale et d’aller aux extrêmes. Dirais-tu que c’est en fait la liberté suprême que de choisir comment et quand « mourir », pour ainsi dire ?

Absolument ! Pour faire une analogie avec la médecine moderne, il y a toujours un grand débat à propos de si nous pourrions être en mesure de vivre très longtemps, si ce n’est presque éternellement, que ce soit possible ou que ce soit éthique, si la vie aurait un sens si nous savions que c’était définitif. Certes, j’adorerais vivre longtemps, mais ce serait seulement pour essayer de nouvelles choses. C’est vraiment tout ce que je veux faire, je veux m’assurer qu’il y a un sens à tout ce que je fais. Tu sais, après vingt ans à faire ceci au niveau que nous le faisons, je pense que la chose la plus admirable serait de partir au top, en étant à fond.

Tu as dit que l’une des raisons de s’arrêter maintenant, c’est pour contrôler votre destin. Est-ce important pour toi de contrôler ton destin ? Est-ce quelque chose qui vaut aussi pour ta vie ?

Ouais, enfin, je veux dire que j’ai arrêté d’essayer de contrôler les choses que je ne peux pas contrôler mais j’ai vraiment le sentiment qu’on peut manifester les choses. Et de façon à manifester les choses que l’on veut dans notre vie, on doit faire des efforts et on doit ouvrir le monde pour nous donner ces choses. Pour ce qui est de vouloir essayer de nouvelles choses et vivre de nouvelles choses dans la vie et me créer de nouveaux défis, la seule façon de faire, je pense, c’est de fermer la porte de Dillinger d’une certaine façon afin d’en ouvrir d’autres. Je ne pense pas que l’on puisse vraiment donner à tout ce qui existe une chance de nous trouver si on est complètement focalisé sur la même chose qu’on a fait toute notre vie, quel que soit le scénario. Je fais ça depuis toujours, ça a été la chose la plus importante pour moi pendant presque vingt ans maintenant. Donc je ne pense pas… La plupart des gens comprennent bien que, alors que j’aime toujours ça, c’est en train de devenir… Je n’ai pas envie que ça devienne un boulot [petits rires].

The Dillinger Escape Plan - Dissociation

« Nous comprenons que nous sommes tourmentés [petits rires], nous comprenons que nous avons des pensées sombres, nous comprenons que ce groupe, alors qu’il stresse certaines personnes, calme les gens comme nous, car nous ne sommes pas très normaux [petits rires]. »

Quel était votre état d’esprit pour cet ultime album ?

C’était très stressant, comme ça l’est toujours. Les albums sont toujours stressants. Grosso-modo, nous travaillons toujours à distance chacun dans un état différent des Etats-Unis, donc il y a toujours une tension due au fait que nous ne savons pas ce que les autres individus dans le groupe deviennent, ce qu’ils ont en tête ou ce qu’ils font. Nous devons juste nous fier les uns aux autres pour aller de l’avant et faire ce qu’on attend de nous, et ça, c’est toujours stressant. Mais le truc palpitant, c’est que ça passe par tellement d’étapes de développement que c’est un processus très intéressant de le voir prendre forme, changer et évoluer pendant tout ce temps. C’est probablement la chose la plus stressante là-dedans mais aussi la plus appréciable. La chose la plus dure dans le fait de faire cet album, c’était les conditions qui étaient très difficiles. Nous enregistrions dans pleins de studios différents, nous enregistrions en pleine nuit, nous veillions toute la nuit pour enregistrer, dormions la journée, sans voir de lumière pendant des semaines et des semaines. Car nous voulions changer l’environnement dans lequel nous avons l’habitude de jouer. Nous voulions nous assurer que ce n’était pas confortable, abordant les trucs de Dillinger avec une mentalité différente. Donc ça nous a assurément mis dans un état d’esprit différent, ce qui, j’en ai le sentiment, a probablement affecté l’atmosphère de l’album.

Cet album présente certaines de vos œuvres les plus tordues, l’apogée étant peut-être cette piste instrumentale intitulée « Fugue »…

Ce qui est intéressant à propos de cette chanson, c’est qu’en fait, je l’ai en majorité composée il y a dix ans. Je l’ai écrite dans le tour bus lorsque je m’ennuyais ou quelque chose comme ça. J’étais en tournée et ce type de musique m’apaise simplement. Et ce type de musique, qui est une musique électronique intense, a toujours été une influence pour Dillinger mais je ne l’ai jamais montré de manière aussi évidente jusqu’à aujourd’hui ; il y avait évidemment toujours une influence d’une certaine manière, avec des éléments électroniques, des rythmes bancals et des motifs de batterie fous. C’est juste qu’il y avait certains trucs sur cet album qui devaient sortir avant que nous arrêtions, et ceci en était clairement un. Tu sais, je suis toujours en train de créer de la musique, et une bonne part de cette musique ne sort jamais. Mais je suis certain que lorsque j’aurais plus temps, peut-être que je développerais plus de ce genre de choses.

Mais, autrement, nous n’avons simplement suivi aucune règle cette fois. Bon, Dillinger possède moins de règles que la plupart des groupes, mais nous voulions assurément pousser ça plus loin, et nous voulions que ça confère vraiment le sentiment d’un album complet et pas seulement une collection de chansons. Je pense que lorsque tu écoutes l’album du début à la fin, il a une vraie personnalité, ça raconte quelque chose, à la différence de… Disons qu’une chanson n’a pas d’importance, c’est la totalité du truc qui importe lorsque tu l’écoutes. Donc nous ne réfléchissions pas spécifiquement à écrire une chanson accrocheuse ou quoi que ce soit de ce genre, nous voulions juste raconter une histoire.

La chanson de fin, « Dissociation », se démarque avec son atmosphère posée et électronique, presque trip-hop. Y a-t-il une raison pour que l’album se termine sur ce morceau en particulier ?

Tout d’abord, nous terminons rarement les albums de manière non agressive [petits rires], nous finissons généralement un album sur une note vraiment agressive. Donc nous trouvions que c’était vraiment bien que nous nous libérions de ces chaînes, ces attentes que nous avions sur nous-même, et encore une fois, simplement faire un album que nous voulons faire, sans aucune attente ou inquiétude par rapport à ce que les gens penseraient. Nous avons toujours essayé de faire ça mais là, nous allons encore plus loin. C’était une des choses qui étaient géniales avec le fait de s’y mettre en sachant que ce serait la fin. Je veux dire que certaines compositions ont débuté avant que nous n’ayons pris cette décision mais, au final, la majorité de l’album a été écrit – surtout toutes les paroles – en sachant que ce serait le dernier. Donc nous n’avions vraiment pas à nous soucier du succès qu’il rencontrera, de ce que les gens en pensent… Honnêtement, nous savons ce que l’issue sera, nous passons à autre chose. Donc ça n’a pas d’importance si nous vendons un milliard d’exemplaires, ça n’a pas d’importance si… rien de tout ça n’a d’importance. Le truc avec cette chanson qui termine l’album, c’est que, déjà, la première chanson que nous ayons jamais sortie, sur notre EP sans titre s’appelait… Bon sang, je ne me souviens plus comment elle s’appelait ! [Petits rires] (« Proceed With Caution », NDLR) Mais c’était un genre d’instrumentale très relax. C’était la première chose que quiconque avait entendu de Dillinger, ce qui est marrant parce que plein de gens pensaient que certains de ces éléments mélodiques étaient nouveaux pour le groupe après Calculating Infinity, mais ce n’était vraiment pas le cas ; la première chanson que nous ayons jamais sortie était très mélodique, c’est un genre de truc instrumental Latin. Et la dernière chanson sur ce dernier album, non seulement c’est bien moins dense que le reste de l’album mais c’est aussi probablement la chose la plus simple et facile d’accès que nous ayons jamais faite. Tout l’album se termine avec juste de la batterie, vraiment, et du chant, et c’est tout. Je trouve que c’est une jolie façon de lâcher ce que nous pensons que les gens veulent entendre de notre part et simplement faire les choses à notre façon jusqu’au bout.

Tout à l’heure tu disais que vous étiez parvenus à vous « sentir comme des individus séparés des uns et des autres », vous affranchissant de votre co-dépendance. Et c’est justement là tout le sens du titre Dissociation. Mais qu’est-ce qu’il a fallu pour en arriver là ?

Avec une bonne part de réalisation du potentiel personnel et de travail. Sans trop rentrer dans de la psychothérapie ou quoi [petits rires], je pense que la véritable maturité émotionnelle vient lorsque tu peux regarder en toi pour essayer d’aller là où tu veux être dans la vie et comprendre pourquoi les choses sont comme elles sont, et arrêter de pointer tous les autres du doigt comme étant le problème. Certains d’entre nous, en particulier, au cours des quelques dernières années en sont arrivés à un point où c’est devenu si destructeur, le stress d’être dans un groupe, le fait de tourner, essayer de faire face à différentes personnalités, ne pas pouvoir entretenir les relations à la maison qui étaient stables, c’est devenu si malsain que nous avons dû trouver une solution. Et c’était intéressant parce que Greg et moi vivions [des vies] différentes en parallèles, il est à Los Angeles, j’étais dans la banlieue du New Jersey, il a fait son truc de son côté, et j’ai fait mon truc de mon côté, et c’était très intéressant pour nous de nous retrouver pour faire cet album et être vraiment en phase mentalement, en étant centré sur la même chose, et nous comprenons que nous sommes tourmentés [petits rires], nous comprenons que nous avons des pensées sombres, nous comprenons que ce groupe, alors qu’il stresse certaines personnes, calme les gens comme nous, car nous ne sommes pas très normaux [petits rires]. Nous reconnaissons notre folie, je suppose, pour dire les choses simplement [rires]. Nous savons tous les deux que nous sommes timbrés. C’est un sentiment fabuleux d’avoir un genre de vue d’ensemble et pouvoir avoir une connaissance de soi et l’accepter. Donc je pense que tous les deux, nous en sommes à ce stade dans nos vies. Et, ceci étant dit, nous n’avons plus vraiment besoin de continuer à faire ça tel que nous l’avons fait jusqu’ici. Ca a du sens d’aller essayer de nouvelles choses, je pense.

The Dillinger Escape Plan 2016

« Au moment où je suis sur scène, rien d’autre n’a d’importance, le monde s’arrête et c’est tout ce qui compte. Ces moments passés sur scène où je ne pense à aucun de mes problèmes, c’est quelque chose qui assurément me manquera. Il est clair que je me demande comment je vais faire sans ça. »

Récemment, Greg a fait Killer Be Killed et The Black Queen, et encore plus récemment, tu as fait Giraffe Tongue Orchestra. Etait-ce également pour marquer votre indépendance, et peut-être la forcer, que vous êtes partis collaborer avec d’autres gens qui n’ont rien à voir avec DEP ?

Je ne peux pas parler à la place de quelqu’un d’autre mais j’ai vraiment le sentiment que… Tu sais, Dillinger est assurément un groupe que j’ai initié, et je l’ai plus ou moins poussé et mené, tout du moins dans les premières étapes des processus créatifs, et je pense que pour quelqu’un comme Greg qui est également, comme moi, un maniaque du contrôle et veut être constamment productif et actif, ce n’est pas facile. Donc j’ai le sentiment que peut-être c’était une manière saine… Et j’étais très content qu’il ce soit trouvé une manière de, je suppose, se créer une indépendance, mais aussi avoir un certain niveau de contrôle sur ce qu’il faisait en marge de Dillinger, et de savoir qu’il a été productif et que la musique qu’il fait est entre ses mains. Ces groupes, surtout The Black Queen, sont entre ses mains, il en est comme le leader. Et peut-être qu’il n’écrit pas toute la musique mais il est clairement la force motrice dans ces groupes. Non seulement c’était bon pour lui de pouvoir avoir ce type de contrôle d’un point de vue créatif, mais ça nous a également rapprochés parce que je pense qu’il a appris un peu ce que c’était de vivre ça, mener un groupe comme ça, à quel point c’est difficile, et je pense qu’il l’appréciait un peu plus. Et aussi je le respecte un peu plus parce qu’il a vu comme c’était difficile, et il a travaillé vraiment très dur là-dedans. J’ai vraiment, vraiment, respecté à quel point il a travaillé sur ces choses. Donc je ne peux pas parler pour lui, mais je peux dire que je sais que c’était très sain pour lui de faire d’autres choses.

Pour ma part, simplement, ce n’était pas forcément une façon de m’individualiser des autres gars. Je veux dire que Dillinger est mon bébé. Ton enfant sera toujours ton enfant. Peu importe l’âge que tu as, il restera ton enfant [petits rires]. J’ai commencé ce groupe lorsque j’étais un gosse et ça a représenté tout pour moi. Et je pense que lorsque j’ai commencé ce truc de GTO il y a de nombreuses années, c’était une façon d’essayer de me dire que je peux faire quelque chose en dehors de Dillinger. Je peux accomplir autre chose. Et c’était presque une façon pour moi d’être un peu plus conscient de mes propres besoins, de pas simplement m’occuper en permanence de tout ce qui concerne Dillinger, de prendre du temps pour faire quelque chose pour moi sans m’inquiéter de Dillinger. Encore une fois, c’était une chose saine à faire. Ce n’était en aucun cas un substitut à Dillinger. Ça n’a jamais été quelque chose que j’ai créé de façon à passer là-dessus à la place de Dillinger. C’était simplement le fait de pouvoir me dire « j’ai accompli quelque chose d’autre que Dillinger au cours des vingt dernières années » [Petits rires].

DEP a originellement été formé en 1997 et le fait que tu aies physiquement tenu aussi longtemps est déjà un accomplissement en soi ! Comment es-tu parvenu à garder les choses à de tels extrêmes ? Quel a été le secret de ton endurance et ta résistance ?

En fait, il n’y a aucun secret, je ne suis pas en bonne forme, il est clair que j’ai plein de blessures [petits rires]. Et je m’inquiète vraiment, le moment où cette machine s’arrêtera, de comment je vais entretenir ma santé et me « réparer », de ce que je vais devoir faire. Mais je vais dire que lorsque je joue ces concerts, c’est également le seul moment où je ne m’inquiète pas de ces choses. C’est entre les concerts que c’est dur. C’est ça les jours qui deviennent plus difficiles, ceux entre les concerts. Mais au moment où je suis sur scène, rien d’autre n’a d’importance, le monde s’arrête et c’est tout ce qui compte. Ces moments passés sur scène où je ne pense à aucun de mes problèmes, c’est quelque chose qui assurément me manquera. Il est clair que je me demande comment je vais faire sans ça. C’est sûr que ça me fait peur mais je suppose qu’il n’y a qu’une manière de le savoir [petits rires].

As-tu déjà ressenti de l’appréhension avant de monter sur scène, te demandant ce qui allait se passer ?

Parfois lorsque je suis blessé, je me demande comment diable je vais y arriver. Là maintenant, mon dos est en compote, je viens d’apprendre que j’ai une hernie. Je vais probablement devoir subir une opération pour ça. Je ne vais pas en avoir le temps avant la tournée US mais je vais probablement devoir la faire très rapidement avant la tournée Européenne, avec un temps minimal pour m’en remettre. Mais c’est ce que j’ai fait toute ma vie. J’ai dû partir en tournée après une opération de la coiffe des rotateurs ; pendant la période où j’étais censé être en convalescence, j’ai dû partir en tournée. J’ai dû me faire reconstruire le poignet avec du métal et je suis parti en tournée US deux semaines après m’être fait retirer les points de suture, et littéralement, je ne pouvais même pas du tout utiliser ma main lorsque je me suis fait retiré les points, elle ne fonctionnait même pas, j’ai donc dû faire en sorte que ce truc soit prêt rapidement pour la tournée. Ca fait donc des années que je fais des trucs comme ça. C’est probablement pas malin [petits rires] mais c’est mon boulot, je n’ai pas vraiment eu le choix ; c’est la seule chose que je sais faire.

Greg est peut-être le plus imprévisible de vous tous sur scène. Y a-t-il eu des moments où tu as été soit effrayé, soit dégouté par lui, à cause de ce qu’il a pu faire ?

Comme faire caca et tout ? C’est ça que tu veux dire ? [Rires] Non, je pense que j’ai plutôt été un instigateur [petits rires]. Depuis le tout début lorsqu’il a rejoint le groupe, il regardait vers moi et lorsque quelque chose partait de travers, il voyait ce regard sur mon visage, comme s’il ferait mieux de… « Ça n’a pas d’importance, tu dois continuer » [petits rires]. Je me souviens la première tournée que nous avons faite avec lui, il m’a dit juste avant que nous jouions : « Un de ces jours, tu vas m’éclater les dents. » Et littéralement, durant la première chanson, nous nous sommes tous les deux tourné l’un vers l’autre et je lui ai pété une dent [petits rires]. Et il s’est retourné, il m’a regardé, il se tenait la bouche, genre : « Oh merde, il a l’air d’être terrorisé ! » Il avait vraiment l’air effrayé. Et je l’ai regardé, j’étais là : « Putain, contentes-toi de revenir, tu t’en inquiéteras plus tard. Qu’est-ce que tu fous ? » Et puis il a subitement changé, je l’ai vu être là : « Ouais ! Ouais ! OUAIS ! » Et il a foncé. J’ai encore des photos de ce concert où il est couvert de sang. Je pense qu’après ça, il a vraiment compris. Même avec l’histoire de la merde, je me souviens l’avoir un peu instiguée [petits rires]. Je ne suis donc jamais surpris, j’aborde ça toujours de manière aussi extrême que possible. J’ai toujours été comme ça.

The Dillinger Escape Plan 2016

« Une fois j’ai déchiré mon pantalon [petits rires] et je ne portais aucun sous-vêtement, j’ai sauté dans la foule et la tête de quelqu’un est allée dans mon pantalon [petits rires], et il me portait comme un chapeau, avec mes couilles sur son visage [rires]. »

Quelle est la chose la plus dingue que tu ais fait sur scène ?

Mec, il y en a tellement ! [Petits rires] Je suppose qu’il y a des choses qui sont juste bizarres et drôles, et puis il y a des choses qui sont effrayantes… Je me souviens une fois, j’avais retiré ma guitare et je l’ai balancée à travers le club, par-dessus le public, et elle a explosé sur le mur du fond. C’était un moment effrayant parce que je pense que des gens ont vraiment été blessés. Et il y avait une fois où j’ai déchiré mon pantalon [petits rires] et je ne portais aucun sous-vêtement, j’ai sauté dans la foule et la tête de quelqu’un est allée dans mon pantalon [petits rires], et il me portait comme un chapeau, avec mes couilles sur son visage [rires]. Il y a eu des moments marrants comme ça. Et puis il y a eu une fois où je me suis ouvert le crâne et je me suis fracturé le cou, j’ai eu besoin de tout un tas de d’agrafes dans la tête, et c’était à la première chanson, donc j’ai joué tout le concert et je me souviens avoir regardé dans la foule et c’était couvert de sang, on aurait dit un film d’horreur [petits rires]. Il y a tellement de choses qui ressortent mais ça fait si longtemps que je ne peux même pas… Tu sais, presque à chaque tournée il y a des choses qui se démarquent. Je veux dire que rien qu’il y a quelques semaines, la tête de Greg s’est cognée contre moi et mon œil a explosé, il a gonflé si méchamment qu’on aurait dit du maquillage pour film d’horreur, ça n’avait même pas l’air réel [petits rires], ça avait l’air faux. J’ai dû faire des tournées avec un gros visage enflé, des points de suture… Je veux dire qu’à chaque tournée, il se produit quelque chose de complètement ridicule.

Quelle a été la blessure la plus douloureuse que tu t’es infligé ?

En fait, la plus douloureuse, c’était sur le trajet vers un concert. Je veux dire que j’ai eu de sérieuses blessures qui ont été bien plus néfastes sur le long terme, mais la plus douloureuse était en fait lorsqu’une grosse enceinte de guitare m’est tombée sur le doigt et l’a écrasé. Et c’était incroyablement douloureux [rires] ! Mon doigt a été broyé et brisé en trois endroits. Il a été complètement écrasé, donc j’ai dû subir une opération là-dessus mais j’ai aussi dû jouer un concert avant ça avec mon doigt dans cet état. C’était juste très douloureux. Pour être honnête, c’était la blessure la plus douloureuse.

Avez-vous déjà eu des problèmes – genre, des problèmes légaux – à cause de ce que quelqu’un dans le groupe a fait pendant un concert ?

Ouais. En fait, c’est tout ce à quoi on peut s’attendre…

Tu as dit que tu ne regretteras « jamais ne pas avoir fait des choses dans [ta] vie parce que [tu as] tout fait. » Mais as-tu regretté des choses que tu as faites ?

[Réfléchit] Quelques trucs mais pas tellement. Je veux dire que j’aurais aimé avoir ralenti à certains moments où j’ai été blessé et avoir un peu plus pris soin de moi-même. Je pense que ça aurait été sage. Certainement, je ne pense pas que ça aurait affecté notre carrière si nous avions pris une semaine ou deux de pause en plus ici et là, au lieu de me pousser au-delà des limites. Je n’aurais pas fini en étant obligé de subir des opérations et ayant des problèmes probablement à vie. Donc je regrette un peu la cadence, de toujours aller à fond. Mais en dehors de ça, je ne regrette rien. Je suis content de là où je me trouve. C’est cliché de dire ça, mais tout ce que j’ai traversé m’a amené ici.

Tu as dit que ces moments sur scène où tu ne penses à aucun de tes problèmes te manqueront. Du coup, ne ressentiras-tu pas le besoin de faire revenir DEP à un moment donné ?

Probablement pas. Je veux dire que j’ai quarante et un ans. Je ne me vois pas à cinquante ans sauter partout sur scène comme ça. Est-ce que je vais continuer à créer de la musique ? Bien sûr ! Est-ce que je vais peut-être faire quelque chose avec Greg ou les autres gars ? Probablement. Mais il est très peu probable que Dillinger revienne ou même ne serait-ce que tels que nous sommes aujourd’hui.

Comment te sens-tu pour a prochaine tournée, sachant que ce sera ta dernière avec DEP ? Penses-tu que ça pourra être encore plus fou et extrême ?

Qui sait ? On ne peut pas savoir ! C’est toujours, à minima, inattendu, tu sais. Et comme je l’ai dit, ça aura probablement encore plus de sens que tout ce que nous avons fait depuis le début.

Est-ce que tu sais déjà ce que tu feras après pour combler ce vide que DEP laissera derrière lui ?

Eh bien, j’ai mon label Party Smasher Inc, qui vient tout juste de sortir l’album de Giraffe Tongue Orchestra, et ensuite nous sortons l’album de Dillinger, et nous sortirons à l’avenir [les albums] d’autres groupes du coin que j’aime vraiment. Je fais du management. Evidemment, je continuerai à être créatif, je ne sais pas exactement comment, possiblement avec davantage de Giraffe Tongue Orchestra. Donc, ouais, j’ai plein de choses à faire !

Ça signifie donc que Giraffe Tongue Orchestra pourra aller plus loin que cet album ? C’est un vrai groupe stable ?

Ouais. Je veux dire que nous sommes, de toute évidence, tous des gens actifs, mais jusqu’ici nous l’avons apprécié. Nous continuons à prendre ça étape par étape. Donc nous verrons ce qui se passera !

Interview réalisée par téléphone le 23 septembre 2016 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.

Site internet officiel de The Dillinger Escape Plan : www.dillingerescapeplan.org

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