C’est au Trans-club de Villeurbanne, le 29 septembre dernier, que Dillinger Escape Plan venait foutre le souk en terre lyonnaise. Inutile de dire que cette date était attendue par les fans des Ricains. Des sur-excités qui auront, comme à l’accoutumé, démontré que dans la formule « expérience live », si le terme expérience prévaut sur tout le reste, le mot « live », au sens de « vivant », ne sera pas non plus usurpé. Dillinger Escape Plan, sur scène, c’est une sorte d’expérience physique où différents atomes se percutent sans cesse afin de former une énorme masse symbiotique de laquelle se dégage une atmosphère électrique et une énergie démesurée.
Mais avant de jouer avec le feu, il fallait faire grandir une douce flamme. Une tâche offerte aux Australiens de Circles et aux Britanniques de Maybeshewill. Mais où est donc le public ? Dehors, car il y fait bon. Mais la soirée va débuter ! Ça y est, c’est parti…
Artistes : Dillinger Escape Plan – Maybeshewill – Circles
Date : 29 septembre 2013
Salle : Transbordeur (Trans-club)
Ville : Villeurbanne
Tout l’intérêt des groupes de première partie (à part permettre à l’établissement d’avoir plus de temps pour écouler quelques litres supplémentaires de boisson), pour le public, c’est de faire des découvertes. Mais le principal problème rencontré fréquemment dans la programmation, c’est de trouver en ouverture des groupes n’offrant qu’un succédané du traitement que la tête d’affiche infligera à l’assistance quelques instants plus tard. Qui n’est jamais allé à une soirée 100% death avec, en haut du panier, une légende du genre Made In Florida, pour passer l’essentiel du temps à reluquer des gusses révisant leur abécédaire schuldinerien… Aucun risque que cela se produise avec DEP comme boss de fin ; les copier, c’est forcément prendre le risque de se casser les phalanges. La voie est donc ouverte à un certain éclectisme sur cette affiche.
Premier round avec Circles qui vient de loin pour tenter de nous faire croire que l’Australie n’est pas que le pays du hard rock dès qu’il est question d’agiter les décibels. Mais « tenter » n’est pas gagner, car si on saluera l’effort fait pour venir jusqu’en Europe pour une tournée en « support band », au premier degré de l’affiche, si on aura entendu certains exprimer leur plaisir de voir ce groupe ici, aux antipodes de leur patrie, il n’est quand même pas grand monde qui se sera bousculé pour s’agglutiner devant la scène. Bien sûr, il est de tradition (qui vaut ce que ça vaut) de snober un peu les premières parties, car elles ont le principal défaut de ne pas être la tête d’affiche – et pis c’est tout. Mais il n’y avait pas non plus de quoi s’enthousiasmer outre mesure ; les kangourous pratiquent sur scène un metalcore de bonne facture mais standard (alors que sur album leurs titres plus progressifs, pas vraiment représentés sur scène, tireraient un peu plus le groupe vers le haut) mais qui ne fera bondir personne.
On notera tout de même, au milieu d’une section rythmique guère impressionnante, entre un batteur s’acharnant continuellement sur la même pauvre cymbale et un bassiste jouant sur les mêmes trois cordes de sa cinq cordes, un talent mélodique incarné avant tout par le chanteur Perry Kakridas avec un très large potentiel vocal qui aura réalisé quelques belles acrobaties qui font du bien aux oreilles.
Au bout du compte, on se dira qu’il n’est pas utile d’aller fouiner de l’autre côté du globe pour se mettre dans l’oreille de quoi passer un bon moment avec une première partie, quand on peut trouver son bonheur à côté de chez soi, c’est-à-dire outre-Manche. Car, n’en déplaise à nos amis océaniens, les vrais antipodistes de la soirée, c’était bien Maybeshewill. Si la fureur couve ce soir, elle est enrobée dans du feutré. Avant les pics de températures de la fin de soirée, le quintet originaire de Leicester va plonger le public dans un bassin d’acclimatation où ce dernier pourra se laisser porter langoureusement dans une douceur progressive. A l’opposé du fameux jeu de scène chaotique de la tête d’affiche, on se retrouve face à une absence quasi totale de personnification du groupe, notamment par l’absence de frontman puisque les Anglais font une musique purement instrumentale, donc sans chanteur. La seule chose qui soit ici mise en avant, c’est l’art, les musiciens eux sont dans la pénombre, derrière leur musique et ne s’offriront de moments explosifs qu’après avoir chauffé un bon moment.
Par conséquent, voir un tel groupe sur scène n’a que peu d’intérêt. Le son est très bon (en fait, il aura été parfait pour les deux premières parties, et on se posera plus tard la question : mais pourquoi pousser le volume pour la tête d’affiche ?) mais l’interprétation live n’offre guère plus que des lumières et la possibilité de les voir manipuler leurs instruments en bonus. Il est probable que c’est seulement l’envie des musiciens de Maybeshewill de se produire sur scène qui les y poussent car, s’ils étaient trop timides pour y venir, ce ne seraient pas un inconvénient. Leur place en première partie d’un plus grand groupe, plus excitant, n’est pas un mal, mais on s’imagine aussi difficilement trouver un intérêt à se déplacer seulement pour les voir, eux.
Enfin, leur musique n’en fût pas moins une dragée des plus agréables à avaler. Entre post-rock flirtant avec Mogwai ou Mono, et un metal progressif à la The Ocean avec des emprunts aux ambiances distillées par un groupe comme Ghost Brigade, assister à un concert de Maybeshewill a toujours l’avantage de conduire le curieux vers leurs œuvres en studio.
Être au cœur d’une foule en ébullition, voilà ce qui fait la magie d’un concert de Dillinger Escape Plan, lieu propice pour vivre cette expérience de plein fouet. Ni papa, ni maman pour vous faire un mot d’excuse pour leur tourner le dos. Nul autre choix que de prendre ça en pleine face, l’impact sonore qui vous laisse séché une fois la tempête passée. Les Américains ont attiré à eux un public, certes, loin d’être conséquent (le Trans-club n’est pas vraiment bondé) mais qui se veut dévoué, passionné et acharné. « Prancer » et « Farewell, Mona Lisa » en guise de mise en bouche permet d’emblée à la foule de se déchainer. Elle va, elle vient. S’écrase sur les bords de la scène, tourne et vogue dans un permanent sentiment de déséquilibre d’un bord à l’autre de la salle. La réaction physique est instantanée ! D’autant plus quand, sur scène, le groupe impose déjà son rythme : celui d’une machine folle. Il est vain de vouloir le suivre. Au cœur de la fosse, le son est toutefois brouillon. Mais les idées le sont tout autant. Les basses et riffs cinglants fouettent les corps des premiers spectateurs. Et ils en redemandent alors que les photographes ne tardent pas à rejoindre le balcon, au calme.
Tout tourne très vite en ce début de concert. La machine s’est emballée et ne s’arrêtera qu’en fin de soirée. Car si Dillinger Escape Plan est connu, reconnu et apprécié pour ses shows toujours intenses (doux euphémisme) la formation n’en reste pas moins une bande de gars qui savent jouer. D’une précision impressionnante malgré les frasques des musiciens, même si Puciato peinera, sans doute essoufflé, dans son registre mélodique. Mais entre la délicate mélodie clôturant « Milk Lizard » et la dépravation, l’anarchie rythmique et auditive d’un « Panasonic Youth », l’auditeur en prend pour son grade.
« Black Bubblegum » et ses énormes relents pop s’avère délectable sur scène. Bien que plus « calme », le public n’en a cure. Car, diable !, pogos et slams sont la loi ce soir. Entre les nombreux spectateurs se jetant dans la fosse et un Greg Puciato qui va invectiver l’audience en lui hurlant au museau et en lui tendant, voire en lui donnant carrément son micro, il y a un Ben Weinman (guitariste), bondissant pieds joints sur les amplis, se jetant à genoux sur les épaules du public ou reconverti en équilibriste, se pendant par les pieds aux escaliers au dessus de sa tête.
Entre tout ceci on en oublierait presque que le combo est là pour défendre sa nouvelle galette : la bien nommée One Of Us Is The Killer. « Nothing’s Funny » et « One of Us Is The Killer » en guise de présentation. Convaincants. Notamment ce titre éponyme qui apaise les oreilles et reste immédiatement perché dans un coin de la tête. Le public chante, même si les paroles sont parfois approximatives – quoique le public soit un fin connaisseur sur les plus vieux titres – le refrain donne envie de s’époumoner. Le groupe donne envie de tout envoyer bazarder de toute façon. L’énergie déployée par les musiciens sur scène en est même épuisante. Rien qu’à les regarder se dépenser sans compromis, les corps des spectateurs s’épuisent eux aussi. Mais que l’ambiance est conviviale.
C’est dans le chaos que Dillinger rassemble. Le public est bienveillant car chaque geste peut involontairement blesser son voisin. Sur scène, l’impact est même inévitable entre slammeurs et membres du groupe. Dangereux et incontrôlables, sont les mots qui viennent à l’esprit lorsque l’on voit les musiciens se donner dans la plus pure spontanéité. « Si tu ne réfléchis pas, tu peux être dans le moment et c’est ce qui rend les choses excitantes. Si j’entre en scène et que je pense à faire quelque chose, alors je ne le fais pas », nous disais Puciato. Puciato qui a été l’auteur du point culminant de ce concert : ce saut de l’ange du haut du balcon du Trans-club qu’il aura escaladé en une fraction de seconde. Après avoir négocié avec un vigile, qui a accouru pour le plaquer contre la rambarde, se refusant à le laisser faire, il aurait dit à son voisin « Putain, je vais mourir. » Ç’aurait pu être le cas si les nombreux bras moites tendus en attente de le réceptionner n’avaient pas été là. Tout le monde veille sur tout le monde. Surtout quand il faut gérer les délires d’un chanteur possédé. Puciato ne manquera en tout cas pas, depuis la scène, de remercier par un geste bienveillant le vigile qui l’a finalement laissé faire.
Pourtant, si devant ça bouge sans réelle baisse de régime et bien que le combo se donne à fond, une partie de l’audience reste passive, de plus en plus attirée par les écrans sur scène diffusant images psychédéliques ou tirés des différents clips du groupe. L’œil n’est plus tant captivé par la prestation scénique que par ces écrans. De plus, à bien y regarder le set s’est articulé ainsi : deux phases de pure démence aux deux extrémités du show (en ouverture et en fin de set), et un temps d’accalmie, plus aérien, plus apaisé venu adoucir les mœurs en milieu de concert. De quoi mettre sous tension une partie de la foule impatiente d’exploser de nouveau. La dynamique est quelque chose d’essentiel dans l’œuvre de Dillinger et c’est ce qui fait sa richesse. Cette phase de creux (tout reste relatif, on parle quand même de Dillinger) a peut-être causé une perte d’attention d’une partie de l’audience mais le show progresse, de manière latente avant de sauter, de nouveau, au visage du spectateur.
Certains et certaines ont probablement mis leur cerveau sur « off » afin de vibrer en symbiose avec la musique. Du moins, autant que faire se peut. « Crossburner », « Good Neighbor », « When I Lost My Bet » ou encore « Sunshine the Werewolf » clôturent enfin le set principal avant les habituels rappels. La configuration du Trans-club offre, avec Dillinger sur scène, l’impression d’être au cœur d’une arène romaine. Le pauvre pogoteur tout autant applaudi que son bourreau par une foule au balcon observant cette épreuve de force. Mais comme dans tout duel un seul protagoniste doit en sortir vainqueur. Évidemment, ici ce sera Dillinger Escape Plan. Mettant K.O. pour de bon son audience avec un « Gold Teeth On A Bum » que l’on et tout juste le temps de voir passer et un « 43% Burnt » en véritable coup de pied aux miches final.
Live report premières parties : Animal
Live report Dillinger Escape Pan : Alastor
Photos : Spaceman
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Galerie photos du concert de Dillinger Escape Plan