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Nouvelles Du Front   

The Downward Spiral de Nine Inch Nails : la jeunesse de ses vingt ans


A bien y réfléchir, et parce qu’il est toujours facile de faire une analyse a posteriori, The Downward Spiral (1994) de Nine Inch Nails avait définitivement tout pour devenir un album de légende. Par rapport à son contexte temporel du début des années 90, âge d’or du Rock alternatif ; au vu de sa position dans la discographie de Reznor après un premier Pretty Hate Machine (1989) plus que prometteur ; et surtout compte tenu de l’ambiance unique, épique et grandiloquente dans la manière dans laquelle il sera enregistré au Pig Studio de Los Angeles. Un climat délétère, un Reznor destructeur et auto-destructeur, une panoplie de musiciens et techniciens de génie sur lesquels nous reviendrons : tout cela donne une sombre alchimie pour alimenter cette « spirale vers le bas ». Une spirale qui emmènera, dans une ironie singulière, Reznor vers les tréfonds de sa propre personne.

Mais ce qui avait peut-être été moins envisagé, c’est le rôle et l’influence immense que jouera finalement cet album sur un bon nombre de disques et de groupes, décomplexant le Rock dans l’usage de l’électronique, lui permettant un usage subversif de machines pour faire dans le brûlot pas seulement bruitiste mais également follement accrocheur et presque fédérateur. Bien plus qu’une pierre angulaire du mouvement Indus, The Downward Spiral est l’un des rouages essentiels de l’histoire du Rock, un pas plus loin que Pretty Hate Machine.

Sorti en mars 1994, The Downward Spiral vient d’avoir 20 ans.

Quand Trent Reznor revient aujourd’hui sur l’époque de l’opus, il a un regard à la fois nostalgique, mais autrement lucide et sans regrets : « C’était une sorte d’époque innocente les yeux grands ouverts, sous de nombreux aspects. » explique-t-il à Metal Hammer. La grandeur de l’album était déjà dans sa tête : « J’avais une large idée de ce à quoi devait ressembler cet album. J’avais les concepts, les titres de chansons, certaines déjà écrites, et j’avais la sensation de ce que je voulais faire. » L’expérimentation électronique pouvait passer une étape, car Reznor venait tout juste d’acquérir « quelques samplers avec de la mémoire », ce qui le rendait, techniquement notamment, « capable de créer du son d’une manière dont il ne pouvait pas avant. » Reznor a passé un temps incroyable sur cet aspect technique, aux antipodes du mouvement Grunge qui fait fureur à l’époque et qui se réfugie dans un propos sonore direct et sans ambages. A tel point que le début de l’enregistrement de l’album est repoussé de plusieurs semaines, le temps que Reznor et ses compères ne transforment la grande maison californienne qu’il vient d’acquérir en un studio haut de gamme au top de la technologie de l’époque. Et pas n’importe quelle maison…

Reznor vient en effet, au grand bonheur des journalistes du coin et de l’Amérique entière, d’acquérir le 1050 Cielo Drive, l’endroit même où Sharon Tate, la défunte compagne de Roman Polanski et ses amis ont été assassinés un soir de 1969 par Charles Manson et sa bande d’illuminés. Furieusement Rock’n’Roll, évidemment, surtout quand son grand ami de l’époque, un certain Brian Warner ayant pris pour partie de son pseudonyme le nom du tueur en série ajouté au prénom de la diva maudite Monroe, vient y enregistrer son opus « Portrait Of An American Family » sous la houlette de Reznor comme producteur. Nom du studio de la villa choisi ? « Le Pig », car c’étaient les lettres gribouillées sur la porte principale de la maison avec le sang de Sharon Tate le soir des meurtres… Mais hors des excès et beuveries en tous genres que connaîtra la villa, Reznor a avant tout choisi cet endroit pour faire de la musique et pas n’importe laquelle. Une musique révolutionnaire, avec des moyens presque sans limites.

Le batteur Chris Vrenna est rappelé aux affaires en 1992 pour devenir le bras droit de Reznor sur toutes les questions techniques, et notamment sur le sampling, une activité à plein temps et un travail de titan que le frontman de Nine Inch Nails a installé dans une des dépendances de la maison : « Chris Vrenna a probablement passé en revue près de trois mille films, il les écoutait sans les regarder. Ce n’était pas pour y trouver des samples de dialogues, ce qui est assez cliché mais juste pour repérer des sons. » Les sons s’accumulent, les idées aussi, sans toutefois passer par l’étape des textes et de mélodies vocales, qui ne viendront que bien plus tard. Car Reznor a une forte tendance à la dépression, bien aidé par une consommation accrue de drogues. Conséquence : il compose uniquement pendant ces périodes dépressives mais passe également beaucoup de temps sans inspiration… Le temps passe et rien ou presque ne sort, jusqu’à ce qu’en 1993, Trent Reznor ne décide de sortir de sa torpeur pour accélérer le mouvement. Sean Beavan et Chris Vrenna restent à ses côtés, tandis que le guitariste Richard Patrick part fonder Filter et que le batteur Jeff Ward sombre dans l’héroïne, quitte le groupe et met fin à ses jours à Chicago en mars 1993. Ce qui fera culpabiliser Trent mais n’affectera pas l’enregistrement de l’album.

En revanche, ces événements auront bien un impact sur le son de cet album : Vrenna, censé remplacer Ward dans ses attributions, est vivement incité par Reznor a seulement enregistrer ses frappes de batteries pour tout reprogrammer sur ordinateur ensuite. Steve Perkins, ex-Jane’s Addiction et autre batteur invité dans la danse voit son rôle réduit à quelques parties enregistrées et ré-échantillonnées. Et que dire d’Adrian Belew ? Ce guitariste progressif de renom qui s’est frotté en studio aux albums des plus grands (David Bowie, King Crimson, Zappa, Talking Heads…) où il a jouit d’une liberté totale pour s’exprimer et dont l’ami Trent ne retiendra que quelques parcelles de sa virtuosité et ne le créditera au final que sur deux titres de l’album (bien que son influence ait été grande sur de nombreux morceaux) ? Vu de l’extérieur Adrian Belew paraît être le lien tout trouvé avec l’univers de Bowie, que Reznor affectionne tant, et dont l’album Low a profondément marqué l’écriture de The Downward Spiral. Comme les œuvres de Lou Reed et Iggy Pop, dont un des passages de batterie issus du morceau « Nightclubbing » (The Idiot – 1977) sera passé à la sauce Reznor et transformé en un beat hypnotique sur « Closer ». Au final, l’environnement musical inspirant Reznor a évidemment ce petit quelque chose de maudit, sombre et poétique, la touche qui transformera sûrement ainsi l’essai Pretty Hate Machine et consacrera Nine Inch Nails au panthéon des groupes de Rock de cette fin de siècle.

Avec The Downward Spiral, Trent Reznor et ses sbires créent au final un album intemporel, sans limites, inclassable et incroyablement innovateur. Servi par une technologie dernier-cri, une production et un mix hors-normes pour laquelle différents producteurs et mixeurs ont œuvré (Alan Moulder, Flood, Charlie Clouser…) outre le maître à penser de Nine Inch Nails lui-même, The Downward Spiral est une litanie à la fois ultra-moderne et profondément ancrée dans le Rock américain sur la décadence mentale de l’Homme. De la violence bruitiste déconcertante de « March Of The Pigs », au potentiel radiophonique de « Closer », en passant par les délires guitaristiques de Belew sur « The Becoming » ou le génie hypnotique de « Reptile », Nine Inch Nails sort le 8 mars 1994, soit deux ans après le début du travail sur l’album, une bombe discographique qui fait la quasi-unanimité auprès des critiques et du public et dont l’écho résonne toujours puissamment vingt ans plus tard. Nine Inch Nails joue toujours d’ailleurs bon nombre de ces morceaux en live aujourd’hui, dont l’inoubliable « Hurt » en clôture des shows de NIN (et notamment interprétée par un Reznor « habité » lors du passage du groupe au Rock En Seine en 2013)… Un morceau qui aura une existence inattendue puisque Johnny Cash reprendra le titre sur le dernier album de son vivant, dans une version chargée d’émotion en forme de testament qui éblouira et touchera fortement Reznor.

« Est-ce que je ferais Downward Spiral aujourd’hui ? » se demande le quadra Reznor, enfin revenu dans le haut de la spirale. « Non.» répond-t-il laconiquement, sans pour autant pouvoir s’empresser d’ajouter : « Mais je ne le regrette pas, en dehors de paroles que je changerais ici ou là, après vingt ans de réflexion. Je suis fier de cet album et de tous mes albums. » Et on peut le comprendre, car même après vingt années d’évolution technologique intense, de fusion des genres et de développement de l’électronique, The Downward Spiral passe toujours sans anicroches l’épreuve du temps, dans le haut du pavé de l’Alternatif Américain.



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  • tidushugo dit :

    L’un de mes albums favoris tout style confondus

  • Un très bel article qui résume bien ce qui est pour moi un des meilleurs albums de tous les temps. Une vraie agressivité, des paroles qui transportent, un concept fort, que demander de plus ?
    PS : précisions (pas bien importantes), Charles Manson himself n’a pas tué Sharon Tate et ses potes, et il n’est pas non plus celui qui a peint « Pig » sur la porte de la villa.

    • Amaury Blanc dit :

      Merci pour tes retours.

      Suite à ton post j’ai d’ailleurs retouché la phrase sur Manson qui prêtait un peu à confusion, merci.

      🙂

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