The Night Flight Orchestra ne chôme pas. Profitant de son intégration dans la grosse écurie Nuclear Blast et surfant sur le succès d’Amber Galactic sorti il y a tout juste un an, revoilà le combo de retour à huit – intégrant officiellement deux choristes – avec un nouvel album dans la continuité directe : Sometimes The World Ain’t Enough, dont le titre pourrait bien être prophétique dans quelques années si le groupe poursuit sur sa lancée…
Mais si The Night Flight Orchestra est passé en vitesse de croisière, son carburant reste toujours le même : s’amuser, et la passion pour une façon de faire la musique qu’il considère comme perdue depuis la fin des années 70/début 80 et qu’il se réapproprie pour la mettre au goût du jour, avec ce sens du romantisme – qui lui aussi semble se perdre – et ses hommages aux femmes en filigrane. On en parle avec le chanteur Björn « Speed » Strid.
« Nous faisons du AOR au sens premier du terme, et on n’entend pas beaucoup ça, parce que la plupart des groupes qui sont influencés par les années 80 essaient trop fort de sonner frais, et au lieu de ça, ça sonne daté, ça sonne comme en 2002. »
Radio Metal : Vous revenez avec un nouvel album de The Night Flight Orchestra seulement un an après Amber Galactic. Est-ce parce que vous vouliez maintenir l’élan ou bien est-ce simplement parce que vous vous éclatez avec ce groupe ?
Björn « Speed » Strid (chant) : Ce qui s’est passé est que nous n’avons jamais quitté le studio [rires]. J’ai revu hier un post Facebook qui a été posté il y a un an qui disait : « Désolé, on n’a pas pu sortir du studio, nos sincères excuses. The Night Flight Orchestra. » Ca dit un peu tout, parce que c’était à cette époque qu’Amber Galactic est sorti. Nous avons continué à composer, et bien sûr, nous étions aussi très inspirés par le succès d’Amber Galactic. C’était assurément une motivation dont le nouvel album a bénéficié. Mais nous ne nous posons jamais pour dire : « D’accord, les gars, c’est l’heure d’écrire un nouvel album, réservons un studio pour cinq semaines. » Je veux dire que nous avons deux producteurs au sein du groupe possédant leurs propres studios, donc ça nous permet de faire plein de sessions d’enregistrement. Nous nous réunissons pendant une semaine durant laquelle nous cuisinons, buvons et enregistrons des chansons, qu’il y ait un album de prévu ou pas, et ensuite nous voyons ce qui se passe. Après l’été dernier, nous avions environ quarante nouvelles chansons ! C’est un peu comme ça que ça marche avec ce groupe : nous construisons toute une réserve de chansons dans laquelle nous puisons parfois. Ce n’est pas une question de chansons inutilisées. Ce sont des chansons qui, sur le moment, ne rentraient peut-être pas dans l’enchaînement de l’album, et c’est comme : « Hmm, qu’est-ce qui est arrivé à cette chanson ? Reprenons-là ! » Et c’est genre : « Oh, c’est cool ! » Et ensuite, nous la réarrangeons un peu et y ajoutons tout un tas de trucs. Parfois, c’est pile poil ce qu’il faut, comme c’est arrivé avec « This Time », par exemple, qui a été faite avant Amber Galactic. La composition, c’est un peu un truc constant chez nous. Donc nous avons eu le sentiment d’avoir largement assez de chansons pour former un album cohérent. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de sortir un nouvel album.
En l’occurrence, Sometimes The World Ain’t Enough semble la continuation directe d’Amber Galactic. Vous avez même conservé le thème spatial avec les commandantes spatiales… Vois-tu ces deux albums comme allant de pair ?
Un peu, oui. Vu qu’il sort seulement un an après, je crois que nous sommes dans le même espace, je suppose [rires] ; il y a assurément une connexion qu’on peut voir sur la pochette aussi, mais cette fois la fille a mis son casque, ainsi que sa combinaison spatiale, et elle s’est décidée, elle est arrivée à la conclusion que parfois le monde ne suffit pas. Il y a donc clairement un lien autant musical qu’au niveau textes.
Habituellement les groupes se définissent et sont définis en termes de style, mais The Night Flight Orchestra est plutôt défini par rapport à une époque – se situant entre 77 et 83, comme tu nous l’as déjà dit par le passé -, car autrement vous touchez à un vaste panel de styles : classic rock, prog rock, glam, disco… Dirais-tu que vous avez inventé une nouvelle manière de concevoir un groupe, en l’abordant sous l’angle d’une époque plutôt que d’un style ?
Ouais, peut-être, d’une certaine façon, car j’ai l’impression que nous avons un peu détourné une époque pour nous l’approprier, mais à la fois, ce n’est pas que de la nostalgie. Il s’agit d’un art de la composition et de l’interprétation de chansons qui a été perdu depuis pas mal de temps, or nous croyons que c’est intemporel, et très organique. Lorsqu’on entend des groupes AOR aujourd’hui, c’est une toute autre histoire si on compare à ce que nous faisons. En fait, nous faisons du AOR au sens premier du terme, et on n’entend pas beaucoup ça, parce que la plupart des groupes qui sont influencés par les années 80 essaient trop de sonner frais, et au lieu de ça, ça sonne daté, ça sonne comme en 2002, en gros. Je pense que nous portons également une tradition, d’une certaine façon, mais aussi avec notre propre expression personnelle, une nouvelle forme d’expression.
Il se trouve que votre style est à cheval sur les années 70 et 80. Dirais-tu qu’ainsi vous obtenez un bon équilibre au niveau de la production, en ayant le son plus élaboré des années 80 tout en conservant l’authenticité des années 70 ? Penses-tu que vous ayez trouvé le point idéal en termes de production ?
Je le pense, oui. C’est une bonne remarque. Il y avait aussi beaucoup de bonnes productions dans les années 80, surtout au début. Donc je pense qu’il y a un équilibre et on dirait que nous avons récupéré les meilleures méthodes et, d’une certaine façon, trouvé le juste milieu [petits rires]. D’un autre côté, nous nous sentons très libérés. Il n’y a pas vraiment de limite à ce que nous pouvons faire, donc ce n’est pas comme si tout devait sonner… Genre « oh ça ne sonne pas comme en 77 ou comme en 83. » Tout est un peu ouvert à l’interprétation. Je veux dire qu’il y a des influences de l’Eurovision des années 70 et début 80 aussi ; ce n’est peut-être évident pour tout le monde mais il y avait plein de chansons géniales à cette époque. A l’époque c’était du solide, et on avait de vrais orchestres en soutien des chansons. On ne voit plus ça à l’Eurovision. Mais nous avons des influences venant de là ! Je pense que c’est aussi quelque chose qui ressort.
Est-ce qu’on pourrait s’attendre à voir un jour The Night Flight Orchestra à l’Eurovision ? Le groupe a un bon potentiel…
Ouais, peut-être, mais ça pourrait détruire notre carrière. Je pense que beaucoup de gens casseraient du sucre sur notre dos, trouvant ça cucul… Je ne sais pas [rires]. C’est dur à dire. Je suis juste très prudent par rapport à l’Eurovision. Bien sûr je le regarde tous les ans et j’apprécie, et de temps à autre on entend une très bonne chanson, mais autant j’aime l’Eurovision des années 70 et 80, autant ce n’est plus vraiment la même chose. J’ai aussi vu d’autres groupes suédois y participer… C’est un drôle de contexte pour un groupe et je ne sais pas si nous le ferions aussi. Evidemment, ce serait comme prendre un raccourci pour atteindre plus de gens mais je ne crois pas… Je ne sais pas, je ne pense pas que ce soit notre place ou notre tribune.
Pourtant ça n’a pas fait tant de tort que ça à Lordi…
Non, mais lorsqu’ils ont gagné l’Eurovision, et qu’ils ont beaucoup tourné, profitant de cette victoire, les choses ont un peu dégénéré, je trouve. Parce qu’ils étaient étiquetés comme « oh, ce groupe de l’Eurovision. » Peut-être pas chez les metalleux, mais c’était le sentiment général, malheureusement, c’était l’étiquette qu’on leur donnait. Je suppose que se retrouver étiqueté est le plus grand risque.
« Il y a des influences de l’Eurovision des années 70 et début 80 aussi ; ce n’est peut-être évident pour tout le monde mais il y avait plein de chansons géniales à cette époque. »
Les époques que vous faites revivre avec The Night Flight Orchestra représentent votre enfance. Dirais-tu que cet enfant est toujours là en toi et qu’il remonte à la surface aujourd’hui avec ce groupe ?
D’une certaine façon, ouais, j’imagine. Je pense que c’est quelque chose qui brûlait en moi depuis pas mal de temps. Parfois c’était un peu frustrant de ne pas pouvoir canaliser toutes mes influences dans le monde du metal. Donc je me sens bien plus équilibré et peut-être qu’effectivement ça a fait ressortir l’enfant en moi. Il y a assurément une part de nostalgie là-dedans mais je suis aussi un adulte qui veut toujours un peu inventer de nouvelles choses et expérimenter. Donc je pense que là aussi il y a un équilibre. Il y a une connexion forte à l’enfance, mais c’est aussi un regard vers l’avenir et ce qui, selon moi, manque aujourd’hui, et c’est d’abord ce que je veux pour moi. Mais je pense aussi que nous sommes en mission, en ce sens, afin de proposer quelque chose qui manque, c’est-à-dire, comme je l’ai dit, un art de la composition et de l’interprétation de chansons qui a été perdu.
L’innocence de ces années ne te manque pas non plus ? Je veux dire pas seulement de toi étant enfant mais aussi de toute cette époque relativement insouciante ?
Oui, ce n’était pas aussi cynique. C’était une époque plus libre, en ce sens. C’est dur de dire si les goûts des gens étaient plus objectifs, musicalement, à cette époque, peut-être que d’une certaine façon ils l’étaient, mais à la fois, je me souviens, en tout cas ici en Suède, soit tu écoutais de la synth pop, soit du metal ; il y avait toujours ces guéguerres [petits rires]. Tout n’était pas mieux à l’époque, mais en un sens, j’ai l’impression que les gens étaient davantage libérés.
« Moments Of Thunder » est une chanson qui rappelle beaucoup le Yes des années 80. Penses-tu que ce groupe – surtout avec leur album 90125 et leur énorme tube « Owner Of A Lonely Heart – a prouvé qu’on pouvait faire de la pop, de la musique amusante, et à la fois être progressif, que ce ne sont pas deux mondes disjoints ?
Oui ! Je suis totalement d’accord. Bien vu ! Je sais à quel point le groupe Yes a été important dans la vie de David [Andersson] ainsi que la mienne, et effectivement, cette chanson rappelle un peu le Yes des années 80, leurs albums Big Generator et 90125. Comme tu l’as dit, ils sont assez bien parvenus à écrire des arrangements relativement complexes, mais tout en ayant des chansons qui nous parlaient directement. C’est un art, et je pense que c’est aussi quelque chose que nous portons. Parfois ça sonne très… Je ne sais pas, peut-être que ça sonne un peu creux pour certaines personnes, genre c’est juste une chanson accrocheuse, mais il y a énormément de réflexion, et énormément d’amour et de passion là derrière, et parfois il y a des arrangements plutôt complexes. C’est quelque chose qu’Abba a toujours eu aussi. C’était différent à l’époque. La composition des chansons était plus organique et je pense c’était à la croisée des styles. On pouvait mêler toute sorte de musiques en une chanson et ça avait du sens. C’est quelque chose qu’on n’entend pas tellement aujourd’hui, on range davantage les choses dans des cases.
Dans la première vidéo track by track, au sujet de la chanson « Sometimes The World Ain’t Enough », qui est aussi la chanson éponyme de l’album, tu te demandais si le monde suffisait et tu y répondais en disant que « non, il ne suffit pas. C’est pour ça qu’il y a beaucoup d’évasion dans [nos] paroles et [notre] musique. » Est-ce que ça veut dire que tu trouves parfois ce monde un peu ennuyeux ?
Ouais, enfin, je suppose que j’ai toujours été un rêveur et je suis sûr que plein de gens peuvent comprendre [petits rires]. C’est sympa de partir quelque part dans sa tête, et il est certain que c’est aussi ce que provoque la musique. Je ne dis pas que je préfèrerais être dans l’espace [rires]. Notre musique et nos textes provoquent de l’évasion, et je pense que notre musique est faite pour être… C’est un peu une bande son faite pour nous accompagner quand on est en mouvement, c’est vraiment ce que nous essayons de faire avec ce groupe. Ca fait aussi partie de l’évasion. A la fois, je suis assez content de ma vie. Le monde, si on y réfléchit trop, on devient fou, alors autant s’entourer de plein de bonnes personnes et de bonne musique qui, parfois, peut t’emmener ailleurs, quand il le faut.
De quoi as-tu besoin de t’évader dans ce monde ?
Je trouve qu’il y a bien trop d’informations ici, on s’attend à ce que tu ingurgites tout ce qu’on te bombarde au visage [petit rires]. Je pense qu’on peut remercier les réseaux sociaux pour ça. Evidemment, ça allait arriver tôt ou tard. C’est une des choses qui était différente quand on grandissait, on était libéré et épargné par toute cette attention constante dont on nous gave. C’est très dur d’en rester éloigné. C’est hautement addictif. Bien sûr, on peut s’échapper dans les bois, ce que je fais parfois [rires], mais… Je ne sais pas. Ouais, cette société envoie bien trop d’informations, on nous gave trop. Donc l’évasion est importante pour s’échapper de ça, mais à la fois, je veux évidemment aussi garder les pieds sur terre et être réaliste. On ne peut pas vraiment fuir, se cacher et s’échapper de tout. Il y a une vraie vie là-dehors et j’ai l’intention d’en tirer le meilleur. Je ne vais pas me cacher, mais ça fait du bien, et je pense que c’est sain, de pouvoir s’échapper, que ce soit à travers la musique ou autre chose.
Vous avez une chanson sur l’album qui s’intitule « Lovers In The Rain » qui possède un feeling très sentimental, et plus généralement vos chansons sont souvent des odes aux femmes. Et il se trouve que vous terminez l’album sur « The Last Of The Indenpendent Romantics ». Dirais-tu qu’on perd peu à peu le sens du romantisme ?
Je trouve oui ! C’est dur d’être romantique aujourd’hui [rires]. Je pense que c’est aussi quelque chose que nous faisons ressortir, le fait d’être des gentlemen et aussi pouvoir rendre hommage aux femmes, ce que nous faisons dans nombre de nos chansons. Parfois dans les années 80, c’était le truc un peu de mauvais goût ; très souvent c’était genre : « Vient par-là bébé ! » [Petits rires]. Par cet aspect, c’était un peu kitsch mais je pense que nous montrons clairement un autre angle à ce niveau. Il est clair que nous sommes en mission, et la chanson « Lovers In The Rain » possède assurément ce côté sentimental. C’est presque comme si Ultravox s’était mis au rock, d’une certaine façon. C’est donc vraiment quelque chose de récurent dans nos textes, et aussi musicalement avec les mélodies, c’est un peu sentimental mais aussi mélancolique, tout est conservant un côté exaltant.
« Nous sommes en mission afin de proposer quelque chose qui manque, c’est-à-dire un art de la composition et de l’interprétation de chansons qui a été perdu. »
Tu as dit qu’il était dur d’être romantique aujourd’hui. Verrais-tu ça comme un effet de bord du mouvement #MeToo, qui d’un côté a libéré la parole des femmes, ce qui est une bonne chose, mais d’un autre côté a peut-être tendu les relations entre hommes et femmes ?
Ouais, il y a un équilibre très compliqué avec ça, et je le ressens vraiment en Suède, qui est probablement le pays le plus individualiste au monde. L’individualisme peut être une belle chose mais ça peut aussi être très… Ça nous sépare, de bien des façons. Et je ressens de plus en plus ici en Suède que les femmes et les hommes ont peur les uns des autres. Les gens ont tellement peur d’être utilisés, et je pense… Je ne sais pas. C’est une discussion sans fin [rires]. Il y plein de bons côtés qui ont été soulevés avec le mouvement #MeToo, mais ça nous aussi un peu séparés. Mais à la fois, c’est très, très bien d’avoir ce mouvement, et je pense que c’est quelque chose qui mérite toute notre attention, il faut le mettre en avant, ce qui a été fait. Donc c’est une question vraiment très complexe [rires].
Vous avez désormais officiellement deux choristes, les « airline Annas » comme vous les appelez. Vu que vous chantez beaucoup au sujet des femmes, était-ce nécessaire d’avoir une touche et présence féminine plus tangible dans le groupe ?
Je ne sais pas si c’était la raison. Je ne crois pas. C’était plus que nous voulions offrir un vrai spectacle rock comme c’est censé être, et aussi nous avions l’impression qu’il fallait quelque chose en plus, quelque chose de spécial, quand nous jouons en concert. J’ai toujours voulu faire des concerts avec des choristes. C’est quelque chose dont j’ai toujours rêvé parce que ça donne une toute nouvelle dimension au son et ça me pousse à être un meilleur chanteur. Il faut que ce soit différent en concert par rapport à l’écoute de l’album. On entend bien de trop gens dire… Ils vont à des concerts, tu leur demandes « comment était le concert ? » et ils répondent : « Oh c’était génial ! Ça sonnait exactement comme sur l’album ! » Mais qui a envie d’entendre ça ? Autant écouter l’album ! Il faut qu’il y ait quelque chose en plus. C’est aussi pour ça au départ que nous avons intégré les airline Annas. Ça rend aussi la fête en tournée bien plus intéressante et marrante quand nous sommes sur la route.
Comment les avez-vous connues ?
C’était via Sharlee [D’Angelo]. L’une des Annas était amie avec Sharlee depuis de nombreuses années. Nous en discutions, « il nous faut des choristes, ça donnerait du style à notre son. » Donc il l’a recommandée et ensuite elle avait une amie qu’elle nous a recommandée à son tour, donc elles sont devenues une équipe.
Ca fait huit personnes dans le groupe désormais. C’est presque un orchestre ! N’est-ce pas compliqué en termes de logistique, genre pour avoir tout le monde au même endroit en même temps ?
Oui, c’est très compliqué [petits rires]. Nous avons même embauché une personne pour se charger de la logistique, on l’appelle Moneypenny [petits rires], ce qui fait sens. C’est clairement nécessaire. Je pense que c’est la partie la plus dure.
Les sons de clavier années 80 sont vraiment en train de monter en puissante, pas seulement dans The Night Flight Orchestra mais aussi dans le metal en général. Alors que pendant longtemps, personne dans le heavy metal et le hard rock ne voulait en entendre parler, c’était même devenu un argument de vente pour certains groupes de ne pas avoir recours aux claviers. Du coup, comment analyses-tu ce retour des claviers dans l’estime des metalleux, surtout avec le succès de la synthwave et de groupes comme le vôtre ?
Ouais, il semblerait que ce ne soit plus provocant. Enfin, nous avons toujours utilisé beaucoup de clavier dans Soilwork également, un peu orienté années 80. Je ne sais pas. Cette guéguerre est de l’histoire ancienne, j’ai l’impression [petits rires]. Les gens ont plus d’objectivité par rapport à ça. Mais à la fois, nous avons un côté très exagéré, donc je ne serais pas surpris si des metalleux n’appréciaient pas « Turn To Miami », par exemple, mais c’est dur de s’y opposer. Je pense que nous sommes devenus ce groupe pour lequel la première réaction qu’on a est : « Je n’ai pas envie d’aimer ça ! Je n’ai pas envie d’aimer ça ! Mais bordel ! J’adore ça ! » [Rires] C’est ce qui est marrant aussi : nous repoussons les limites à un peu tous les niveaux.
C’est pour ça que vous qualifiez le groupe de plaisir coupable ?
Ouais. C’est l’impression que j’en ai. Et autre chose, lorsque nous avons fait notre première tournée européenne en décembre l’an dernier, c’était presque comme si nous unissions les gens. Nous avons fait sortir des gens qui ne vont jamais aux mêmes concerts, c’était presque… Voilà comment je me représente la chose : un gamin hipster fan de pop qui regarde ce metalleux couvert de patchs de Watain et Behemoth, et le metalleux est là : « Qu’est-ce que tu fais ici ? » « J’allais te poser la même question ! » Voilà comment je me le représente, et c’est vraiment cool. C’était des publics très hétéroclites. Mais je veux dire que puisque nous sommes sur un label qui est avant tout metal, je pense que c’est la voie que nous avons prise et nous poussons les metalleux, d’une certaine façon, à ouvrir un peu leurs horizons, et la plupart d’entre eux apprécient ! Parce qu’ils peuvent ressentir que c’est sincère et authentique. C’est l’une des choses au sujet des metalleux : je pense qu’ils sont très sélectifs et ils peuvent voir dans ton jeu si tu ne fais pas quelque chose à cent pour cent avec passion et amour.
Mais penses-tu que les metalleux ont parfois du mal à accepter l’étendue de leurs goûts et leur ouverture d’esprit face aux conventions et normes liées aux styles ?
Plus tellement maintenant mais, bien sûr, on rencontre parfois des gens qui se donnent beaucoup de mal pour ne pas aimer d’autres choses [petits rires] que, je ne sais pas, le black metal, par exemple, ou le power metal, et c’est tout. C’est presque comme s’ils se forçaient à rester confinés dans un style, mais pour la majorité, mon impression est quand même que les gens sont très objectifs et intelligents.
Ne penses-tu pas que parce que plusieurs membres du groupe viennent du metal extrême, certains metalleux se sentent moins honteux d’aimer votre musique ? N’accepteraient-ils pas plus facilement leur plaisir coupable grâce à ça ?
Ça peut jouer. Si c’était un groupe de gamins pop qui avaient fondé ce groupe, ça aurait été plus dur pour eux de l’apprécier [rires]. Ça permet une sorte de transition. Ca élimine une partie du sentiment de culpabilité. C’est dur à dire, mais je suis un peu surpris – et agréablement surpris – que nous ayons reçu quatre-vingt-dix pour cent de très bonnes réactions, que ce soit de la part de metalleux ou de gens qui n’ont aucune idée de qui sont Soilwork et Arch Enemy.
« Nous sommes devenus ce groupe pour lequel la première réaction qu’on a est : ‘Je n’ai pas envie d’aimer ça ! Je n’ai pas envie d’aimer ça ! Mais bordel ! J’adore ça !’ [Rires] »
La dernière fois qu’on s’est parlé, on avait discuté de cette situation façon Yin et Yang que tu as entre The Night Flight Orchestra et Soilwork, car ce sont deux groupes très différents mais complémentaires. Mais n’est-ce pas déroutant parfois de passer de l’un à l’autre, surtout en ce moment où tu t’es attelé à des albums avec les deux groupes ?
Non ! [Rires] Ce n’est pas dur. Je pense que la partie la plus dure c’est vraiment la logistique et la planification des tournées. Mais pour ce qui est de la musique et le fait de switcher entre porter une veste blanche et un béret rouge, et ensuite porter une veste metal, ça se fait tout seul, ça fonctionne ! Probablement parce que les deux parties sont très importantes pour moi, c’est quelque chose qui coule dans mes veines.
A l’origine, et je pense que c’est toujours le cas aujourd’hui, The Night Flight Orchestra est un peu un groupe « de vacances » pour vous. Dirais-tu que c’est précisément ce qui fait son succès ascendant, parce qu’il n’y a pas de prise de tête, pas de prétention, pas de grande ambition de carrière pour vous détourner de votre objectif principal, c’est-à-dire la musique et s’amuser ?
Ouais, c’est clairement basé là-dessus, et les choses sont devenues plus sérieuses, ce qui a ses pour et ses contre, mais évidemment, nous voulons atteindre autant de gens que possible, et nous croyons être en mission, et nous voulons tourner autant que nous le pouvons avec ce groupe, et pour ainsi dire, partager le joint [petits rires]. Nous nous sentons très libres dans nos expressions, et ça nous fait planer. C’est un vrai groupe. Ça a commencé comme un projet mais c’est un vrai groupe. Je perds un peu le fil là… [Petits rires] Mais ouais, le truc qui nous réunit tous est que nous nous sentons très libres dans ce groupe.
As-tu été surpris par le succès ascendant du groupe ?
Oui et non. Je savais clairement que nous tenions quelque chose de spécial, quelque chose d’unique, et je suis heureux que les gens comprennent ce que nous essayons de faire avec ce groupe. J’étais simplement très curieux de voir… Lorsque nous avons signé chez Nuclear Blast, je me souviens quand je leur ai envoyé les masters et je me demandais à propos des chansons : « Qu’est-ce qu’ils vont bien pouvoir penser de ‘Domino’ ? Bordel, est-ce qu’ils savent au moins ce qu’ils ont signé ? » Et ensuite, après avoir écouté l’album, ils m’ont rappelé, et ils étaient là : « Oh ‘Domino’ est la meilleure chanson de l’album ! » [Petits rires] J’étais étonné, mais c’est génial d’être surpris !
Peux-tu nous parler de cinq albums de cette époque que vous représentez – de 77 à 83 – qui ont eu un impact majeur sur toi ?
Un groupe qui m’a toujours suivi est The Alan Parsons Project, et leur album The Turn Of A Friendly Card possède un feeling vraiment sympa. C’est très atmosphérique mais ça reste très organique, et un petit peu disco parfois aussi. J’aime The Alan Parsons Project en général mais il y a quelque chose de vraiment spécial dans leurs mélodies qui me parle beaucoup. Le suivant : Stevie Nicks, The Wild Heart. Stevie Nicks a toujours été une de mes chanteuses favorites. Personne ne peut chanter comme elle ; elle n’est clairement pas une chanteuse parfaite, comme une virtuose ou quelque chose dans le genre, mais il y a un truc dans sa voix qui est presque envoutant. L’album est très sympa, surtout avec des chansons comme « Stand Back », il y a vraiment un bon feeling là-dedans. Ça me rappelle un peu ce que nous faisons, surtout sur ce nouvel album. Boston, le premier album : le chant est fantastique ! Je ne sais pas si tu as déjà écouté les parties vocales de « More Than A Feeling » sur Youtube mais c’est juste dingue ! Je ne sais pas comment on peut chanter comme ça, surtout avec les harmonies. Je pense que c’est quelque chose qui m’a beaucoup inspiré aussi. Les harmonies de Brad Delp sont absolument extraordinaires et le jeu de guitare est superbe, et les chansons et les mélodies sont fantastiques. L’album Genesis de Genesis, sorti en 83, un album fantastique ! Phil Collins doit être l’un des meilleurs compositeurs qui soit quand il s’agit des couplets dans les années 80. Des couplets extraordinaires ! Aussi de supers refrains, mais surtout les couplets. Je veux dire, écoute « Home By The Sea », et puis évidemment « Mama ». J’adore cet album ; une super atmosphère, très onirique, des arrangements relativement complexes mais qui aussi te parlent de façon très directe, ce qui est très intéressant. Elton John, Madman Across The Water, mais ça c’est de 71… Remote Control de The Tubes : un groupe fantastique ! Des arrangements délirants, mais avec quand même un côté un peu punk, ce que est vraiment unique, je trouve. La chanson « T.V. Is King » doit contenir l’un des meilleurs couplets de l’histoire du rock. Tu peux te rendre compte que je m’intéresse beaucoup aux couplets [petits rires]. Mais c’est assurément un album solide et un groupe très sous-estimé.
Peux-tu nous donner des nouvelles du prochain album de Soilwork ?
Il me reste environ trois chansons à faire au chant et l’album sera terminé, et ensuite nous allons le mixer. Je suis surexcité par cet album. Ce pourrait bien être l’album le plus sombre et épique à ce jour dans la carrière de Soilwork. Lorsque je dis sombre, je parle en termes d’atmosphère. Et il y aura des passages très brutaux aussi, c’est sûr. Et puis je pense que Sven [Karlsson] aura plus d’espace avec son clavier, comme il en avait eu sur Natural Born Chaos, même si cet album n’est pas comme Natural Born Chaos, je parle plus dans notre façon de travailler avec le clavier, car autrement la musique reste très différente, je trouve. Enfin, les gens vont clairement nous reconnaitre sur cet album mais il est certain qu’il y aura quelques surprises. Je le vois un peu comme un mélange entre The Living Infinite et The Ride Majestic, mais tout en restant quelque chose de nouveau et excitant. Il devrait sortir à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine.
Interview réalisée par téléphone le 30 mai 2018 par Nicolas Gricourt.
Transcription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Carlos Holmberg (1 & 5) & Emelie Lager (2 & 4).
Page Facebook officielle de The Night Flight Orchestra : www.facebook.com/thenightflightorchestraofficial.
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