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Interview   

The Ocean : planète Terre, chapitre IV


Il aura fallu que les fans The Ocean s’arment de patience avant que le groupe, ou plutôt le collectif, ne retrouve le chemin du studio et les gratifie d’un digne successeur à la pièce conceptuelle mastoc qu’était Pelagial. C’est finalement en parallèle d’une tournée pour célébrer les dix ans de Precambrian, autre monolithe incontournable de la discographie du groupe, que The Ocean s’est attelé à élaborer son nouveau chapitre. Et c’est justement une sorte de suite à l’épopée géologique Precambrian que The Ocean propose aujourd’hui avec Phanerozoic, ou plutôt un chaînon manquant menant jusqu’au duo Heliocentric/Anthropocentric, qui en 2010 inaugurait une nouvelle ère dans la carrière du groupe avec l’arrivée du chanteur Loïc Rossetti.

Se référant une nouvelle fois à un éon jalonnant l’histoire de la Terre, c’est sur pas moins de 500 millions d’années que s’étale la trame temporelle de Phanerozoic : on peut alors aisément comprendre que deux disques ne seront pas de trop. Phanerozoic I: Palaeozoic est le premier volet qui se verra complété par un second dans un peu plus d’un an. Si Precambrian renvoyait à un paysage aride, meurtri et désolé, Phanerozoic voit l’émergence et le développement de la vie, en dépit de ses extinctions successives. Mais, dans la plus pure tradition de The Ocean, la trame scientifique du concept ne sert pas tant à distiller des cours de géologie ou de biologie, mais plutôt à explorer métaphoriquement des idées plus philosophiques. Ici Nietzsche est une nouvelle fois à l’honneur, mais pas uniquement, puisque l’album offre un terreau idéal pour évoquer le sujet très actuel du réchauffement climatique et ses conséquences.

Nous avons joint le cerveau du collectif, le guitariste Robin Staps, afin qu’il nous explique tout ceci, ainsi que la conception musicale et sonore d’un album plus collaboratif et entérinant un nouveau line-up. Une interview à l’image de l’œuvre de The Ocean : dense.

« D’un côté, les morceaux avaient ce feeling à la Precambiran, pour ce qui est des riffs lents et heavy, et cette atmosphère que je ressentais initialement, et d’un autre côté, je savais que ceci changerait et serait transformé quand Loïc poserait sa voix par-dessus. […] Ça réconcilie le vieux The Ocean de l’époque Precambrian avec le nouveau, que je fais démarrer au début d’Heliocentric. »

Radio Metal : Phanerozoic I sort cinq ans après Pelagial. Vous n’avez jamais eu un tel délai entre deux albums. Est-ce la gestion du label Pelagic Record ainsi que toutes les tournées que vous avez effectuées qui ont pris tout votre temps ? Ou bien était-ce une décision consciente de prendre votre temps pour créer le successeur de Pelagial ?

Robin Staps (guitare) : C’était un peu des deux. C’est vrai que le label a pas mal grandi au cours des deux dernières années et nous prend plus de temps, à moi et notre batteur Paul [Seidel]. Nous travaillons tous les deux pour Pelagic, et surtout durant les deux dernières années, nous avons eu bien plus de sorties par rapport aux années précédentes. Ceci a donc été très chronophage et, à la fois, très gratifiant. Donc oui, ça explique en partie pourquoi nous n’étions pas vraiment très actifs avec The Ocean. L’autre chose est que nous avons donné beaucoup de concerts pour Pelagial, presque trois cents durant le cycle d’album, et à force de tourner autant, en jouant les mêmes chansons dans le même ordre tous les soirs – c’est ainsi que l’album a été écrit et joué en live –, nous en sommes arrivés à un point où nous avions tous besoin de lever le pied et de faire autre chose. Arrivés fin 2016, nous avons tous ressenti le besoin de nous concentrer sur autre chose pendant un moment, et de nous poser la question si nous avions toujours vraiment envie de faire ça et à quelle intensité. C’est ce que plusieurs d’entre nous ont fait, se focalisant sur leurs propres trucs, et puis au début de cette année, ou fin 2017, nous nous sommes retrouvés et nous avons conclu : « Hey, il est vraiment temps de faire un nouvel album. Allons-y ! » A mon avis, le fait d’avoir pris des vacances était la meilleure chose que nous pouvions faire pour préserver la bonne humeur entre nous et l’esprit du groupe. Nous n’avons jamais été aussi positifs et motivés que maintenant. Nous avons répété pour la toute première fois [rires] avant d’aller en studio ; nous avons répété les chansons pendant des mois et avons vraiment peaufiné les détails, et nous nous réunissions tous les jours. Selon moi, ceci n’a été possible que parce que nous avons pris un peu de temps pour nous. Parfois, c’est très important de faire une pause, même par rapport aux choses qu’on aime le plus, afin de continuer à les apprécier, et de ne pas les prendre pour acquises.

N’avais-tu pas peur de perdre l’élan du groupe dans un monde qui va toujours plus vite, ou au contraire, penses-tu que c’est une bonne chose de prendre son temps et de créer une attente, un peu comme Tool le fait ?

Absolument, et c’est un bon exemple. C’est vrai que la capacité de concentration des gens est faible et tout va toujours plus vite, et les intervalles entre les événements de nos vies se raccourcissent, d’une certaine façon. C’est précisément pourquoi c’est une déclaration en soi de ne pas céder à ça, de dire qu’on va prendre notre temps, que l’album sera prêt quand il sera prêt, et non quand les gens le veulent. Je pense que ça aussi peut être très bénéfique d’un point de vue stratégique, car ça crée une attente, et les gens ont hâte et ont faim d’un nouvel album. Si tu balances quelque chose tous les deux mois, alors tu risques de tomber dans le piège de sursaturer une scène, un marché ou peu importe, déjà sursaturé. Nous ne voulions pas faire ça ; nous voulions prendre notre temps avec l’album, ça en plus des raisons personnelles et psychologiques que je t’ai expliquées. Tout ça rassemblé nous a fait prendre la décision de ne pas balancer le successeur de Pelagial trop rapidement. Ça devenait très clair en 2014, l’année après la sortie de Pelagial, nous disions : « On ne va pas faire un nouvel album tout de suite. » Il y avait encore pas mal de buzz, nous sentions encore pouvoir amener Pelagial à des gens qui ne l’avaient pas entendu, et nous avons tourné aux quatre coins du monde avec cet album, et une décision n’a été prise que vers la fin de ce cycle de tournée, et nous disions : « Prenons encore un peu de temps, et faisons en sorte que ce soit comme il faut. » Je pense que c’est très important d’avoir une bonne communication et un bon feeling au sein du groupe. C’est devenu plus important pour moi au fil des dernières années, je veux jouer avec des gens que j’aime, et je veux que les gens apprécient d’être dans ce groupe, je ne veux pas avoir à persuader qui que ce soit. Pour que ceci arrive, il faut comprendre que c’est une relation étrange entre cinq mâles alpha qui jouent ensemble, dans laquelle, normalement, on ne voudrait jamais s’engager si c’était dans notre vie privée [petits rires], et il faut faire en sorte que ça marche. Ceci requiert parfois de ralentir les choses et de trouver des solutions, de façon à ce qu’au moment où on sort quelque chose, ça vienne de la position la plus solide possible, et je pense que c’est le cas avec ce nouvel album.

En fait, il s’agit d’un album en deux volets, mais contrairement à Heliocentric et Anthropocentric qui étaient sortis la même année, le second volet de Phanerozoic est prévu pour 2020, ou fin 2019. Penses-tu que ça aurait demandé beaucoup trop d’efforts de retenter ce que vous avez fait avec les albums Heliocentric et Anthropocentric ?

Non, nous ne voulions pas refaire ça, pour différentes raisons. On a déjà discuté du fait que la capacité de concentration des gens est faible aujourd’hui : il n’y a absolument aucun intérêt à sortir un album de quatre-vingt minutes de musique quand les gens ne vont de toute façon en écouter que les trois ou quatre premiers morceaux. Aussi, quand nous avons sorti Heliocentric et Anthropocentric, mon expérience est qu’Anthropocentric a bénéficié de bien moins d’attention qu’Heliocentric, justement parce qu’il est sorti la même année. Certains médias disaient : « On a déjà parlé du groupe une fois cette année, on ne va pas le refaire une seconde fois. » C’était tout simplement trop tôt après qu’Heliocentric soit sorti. C’était un album exigeant, nous avions un nouveau chanteur, c’était un album qui a tracé la route pour les années à venir, et ça nécessite un peu de temps pour être digéré. Je crois que nous avons fait une erreur en sortant Anthropocentric si tôt cette année-là. Nous n’avons donc pas voulu refaire ça. Cette fois, ce qui nous a également amenés à la décision de laisser passer au moins un an entre les deux albums était le fait que la conception de Phanerozoic I n’était pas très reposante, car nous avions cette tournée sur Precambrian ; la tournée des dix ans de Precambrian s’est déroulée précisément quand nous étions en studio pour enregistrer le nouvel album. Donc tout a été très précipité, et pour la seconde moitié, nous avons simplement ressenti que nous voulions nous donner un peu plus de temps pour la finir, parce que nous allons commencer à tourner à nouveau bientôt, nous allons beaucoup jouer durant les prochains mois. Nous ne voulons vraiment pas nous retrouver à nouveau dans une situation où nous sommes forcés de finir quelque chose. C’était aussi en partie la raison pour laquelle nous avons décidé de sortir la seconde partie en 2020.

Vous aviez précédemment abordé le super-éon précambrien et puis des problématiques religieuses, donc humaines et plus récentes à l’échelle de l’histoire de la Terre, avec Heliocenric/Anthopocentric. A quel moment as-tu pensé qu’il fallait s’atteler au chaînon manquant, en quelque sorte, entre les deux ?

C’est arrivé quand j’écoutais les pré-productions des chansons que j’avais écrites et qui se sont retrouvées sur la première moitié de Phanerozoic, et elles avaient un feeling très proche de Precambrian pour moi, d’une certaine façon. A la fois, il n’y avait encore aucun chant à ce stade, mais je savais ce que Loïc [Rossetti] apporterait aux morceaux. Quand Loïc ajoute son chant aux morceaux, ceux-ci s’en trouvent transformés. J’en avais conscience. D’un côté, les morceaux avaient ce feeling à la Precambiran, pour ce qui est des riffs lents et heavy, et cette atmosphère que je ressentais initialement, et d’un autre côté, je savais que ceci changerait et serait transformé quand Loïc poserait sa voix par-dessus. Ce qui s’est très naturellement produit, et ce que fait précisément l’album, est que ça réconcilie le vieux The Ocean de l’époque Precambrian avec le nouveau, que je fais démarrer au début d’Heliocentric, en gros. Aussi, conceptuellement, ça a du sens de remplir le vide qui subsistait entre la fin de Precambrian et Heliocentric, qui marquait un peu l’arrivée de l’humanité sur la planète.

Tout a commencé à se mettre en place il y a environ un an, je crois, durant l’automne de l’année dernière, quand toute la musique était écrite. Donc cet album était différent de Pelagial, dans le sens où tout le cadre conceptuel s’est ajouté à la musique qui était déjà construite, tandis qu’avec Pelagial, le concept était là d’abord, et la musique a été écrite avec cette idée en tête, ce voyage sonore depuis la surface de la mer jusqu’aux profondeurs. Cet album est plus un vague ensemble de chansons qui ont toutes été écrites plus ou moins à la même époque, et Pelagial était vraiment un album studio construit, quelque chose qui a été écrit avec une certaine idée en tête et suivant cette idée. C’était un grand défi, j’avais vraiment envie de le relever, mais je ne voulais pas refaire ça avec ce nouvel album. Quand on crée un album aussi hautement conceptuel, on se retrouve enchaîné à lui, il faut jouer les chansons dans le même ordre tout le temps, or cette fois nous voulions être un peu plus libres de combiner la nouvelle musique avec certains plus vieux morceaux que nous n’avons pas joués depuis longtemps.

« Pelagial était vraiment un album studio construit, quelque chose qui a été écrit avec une certaine idée en tête et suivant cette idée. […] Quand on crée un album aussi hautement conceptuel, on se retrouve enchaîné à lui, il faut jouer les chansons dans le même ordre tout le temps, or cette fois nous voulions être un peu plus libres. »

Compte tenu de l’échelle de temps de l’éon phanérozoïque, on peut facilement comprendre pourquoi ça nécessiterait deux albums, mais d’un autre côté, est-ce que ça n’a pas été difficile de condenser 500 millions d’années en « seulement » deux albums ?

[Petits rires] Eh bien, je ne suis pas une chronologie linéaire en aspirant à parler du moindre événement ou de chaque espèce qui est apparue ou a disparu de la planète. L’approche que nous avons prise au niveau des textes avec cet album est similaire à Pelagial, nous faisons des références métaphorique à cette époque sur Terre, plutôt que d’aller dans le passé pour parler de dinosaures – ce qui sera le cas sur le prochain album, en fait [petits rires]. Donc oui, c’est beaucoup, même pour deux albums, et évidemment 500 millions d’années est une très longue période de temps, mais je pense que nous l’avons assez bien divisée. L’album est divisé en trois ères : le paléozoïque, c’est le premier album, en gros, et ensuite le second album s’étale sur deux ères, le mésozoïque et le cénozoïque. Chacune de ces dernières possèdent trois périodes, donc six chansons, une pour chaque période. Voilà en gros ce qu’on retrouve sur ces deux albums. Ça a assez bien marché, et dans ce cas on a une chanson pour chaque période du phanérozoïque. Ainsi, c’est complet. Mais comme je l’ai dit, l’approche des textes est celle d’un voyage analogue à celui à travers le phanérozoïque, et je pense que ça deviendra clair seulement quand le second album sortira, donc je ne veux pas trop en dire à ce sujet pour l’instant.

C’est quelque chose que The Ocean a toujours plus ou moins fait : le thème est utilisé comme une métaphore pour quelque chose de plus profond et philosophique. Cette fois, l’idée centrale est celle de l’« éternel retour » inspirée de Nietzsche. Crois-tu que la vie et l’histoire ne sont qu’une répétition sur laquelle nous n’avons aucun contrôle ?

Il y a des preuves qui vont dans ce sens. Quand on regarde le phanérozoïque, il y a des indices de choses qui se sont produites à de multiples reprises dans l’histoire de la Terre : des continents qui se sont séparés et ont collisionné, pour se séparer à nouveau, on a déjà vu l’apparition et la disparition de récifs coralliens à quatre ou cinq reprises, bien avant que les gens ne discutent du changement climatique causé par l’homme, bien avant même que les humains n’existent sur cette planète. Il y a plein d’indices allant dans ce sens si on regarde l’histoire de la Terre dans son ensemble. Et évidemment, dans nos vies, nous connaissons tous aussi la répétition des mêmes erreurs, ou le sentiment de déjà-vu, comme « j’ai déjà vécu ça auparavant, et je ne sais pas pourquoi ça m’arrive de nouveau ». De manière empirique, je dirais que oui, je crois en ça, tandis que d’un autre côté, je crois vraiment qu’on nous a fait don d’un sens rationnel et d’intelligence pour une raison. Donc évidemment, on peut essayer de briser ce cycle et ne pas laisser les mêmes choses se répéter quand elles sont désagréables ou pas en phase avec ce qu’on veut. On a la capacité de remettre ça en cause, et de tracer une route où certaines choses ne se reproduisent pas. Mais on arrivera toujours à un point où on sera dirigé impuissant par le destin, et c’est exactement ce que vise en particulier le premier morceau, « Eternal Recurrence », avec cette référence à Nietzsche : comment on gère le fait que certaines choses se reproduiront au cours de nos vies, qu’on le veuille ou non, et qu’on ne peut rien y faire. Il y a une certaine impuissance, bien sûr, là-dedans.

On se lamente souvent du fait que l’homme n’apprend jamais de l’histoire. Du coup, cette philosophie d’éternel retour ne dégage-t-elle pas l’homme de toute responsabilité dans la répétition de ses erreurs, vu que, d’après cette philosophie, le monde est voué à répéter les mêmes schémas encore et encore ?

Oui, si on l’accepte, ça excuse beaucoup de choses. Ça excuse beaucoup de dire : « Hey, il n’y a de toute façon rien qu’on puisse faire, certaines choses se répètent quoi qu’il arrive. » C’est vrai, mais je pense qu’au final c’est à chaque individu de se positionner par rapport au fait qu’il y a certaines choses qu’on ne peut changer et décider quoi faire de cette connaissance. Je pense qu’il est évidemment futile de se battre contre ça, et même les bouddhistes, qui ont également été de grands adeptes de l’idée d’éternel retour, ont adopté cette approche et ont dit qu’il n’y a aucune raison d’être contrarié ou de s’énerver parce qu’il y a certaines choses qu’on n’aime pas et qu’on ne peut pas changer, donc autant les accepter. Je ne crois pas que ça revienne essentiellement à renoncer, je pense que ça revient plus à lâcher prise et à éviter de trop se stresser pour certaines choses sur lesquelles on n’a absolument aucun contrôle, parce que ça n’a aucun intérêt. Ça vient aussi avec la maturité, à mesure qu’on grandit, je suppose, cette capacité d’accepter ça.

On pouvait aussi remarquer des renvois vers le rejet nietzschéen des valeurs fondamentales du christianisme dans Heliocentric/Anthropocentric. Et il s’agit là d’un philosophe que beaucoup de metalleux apprécient. Comment expliquer que la communauté metal soit si attirée par les idées de Nietzsche ?

Est-ce avéré ? Quels autres exemples, en dehors de The Ocean, te viennent en tête de références évidentes à Nietzsche ?

Je parlais surtout des fans de metal en général, mais je dirais aussi des artistes comme Ihsahn…

Oui, c’est vrai. C’est une bonne remarque.

Ou bien un certain nombre de musiciens dans le black metal…

C’est probable, je ne suis pas directement au courant, mais ça paraît logique. En tout cas, je le comprendrais si c’était le cas. Je suis un grand fan, évidemment, de Nietzsche, et pour moi, c’est un puissant jongleur avec les mots. C’est en fait plus un romancier qu’un philosophe, vraiment. Il a un langage très puissant. Même quand sa pensée n’est pas toujours super rationnelle et pertinente scientifiquement, elle a l’éloquence des mots qui m’a toujours attiré à lui, déjà quand j’avais seize ans et que je commençais à m’intéresser à la fois au metal et à Nietzsche ; les deux allaient très bien ensemble. Et c’est toujours le cas. Notre musique est un langage basé sur la puissance, d’une certaine façon. Une prestation live ou un album, c’est… La puissance joue un rôle très important, c’est la force motrice derrière le metal, derrière nous, et aussi derrière ce que recherche le public, et qu’idéalement il trouve dans ce groupe, je pense. Nietzsche, avec ce concept, emploie un langage puissant, mais il était aussi complètement impuissant à amener l’idée d’éternel retour vers des choses qui se sont produites dans sa propre vie. Il a été frappé par la maladie, il a souffert la majorité de sa vie, et il souffrait de douleurs, ce qui a probablement eu une forte influence sur sa pensée aussi. Le metal en général est une musique et une scène artistique qui sont très focalisées sur le concept de puissance et de contrôle, et d’une certaine façon, on trouve ça à la fois dans la musique qu’on aime tant et dans la pensée et les écrits de Nietzsche. Et évidemment toute sa pensée au sujet du christianisme : c’était le premier philosophe sérieux à rejeter le christianisme. Il a un peu inauguré la fin de l’Occident, pour ainsi dire, et le metal a toujours été antichrétien depuis le départ. Ça fait donc que les deux vont bien ensemble.

Dans ce thème, il y a l’idée des extinctions de masse qui fait écho au débat actuel sur le changement climatique. Le climat a déjà changé à plusieurs reprises dans l’histoire de la Terre, à des vitesses différentes, bouleversant des écosystèmes aux échelles locales et globales. Toujours sur la base de cette philosophie, penses-tu que ce qui se produit aujourd’hui peut être vu comme une résurgence de motifs passés ?

Je ne pense pas que ce soit une résurgence ou conséquence tardive d’un quelconque événement passé, mais tout le débat sur le changement climatique peut être un peu relativisé si l’on considère que l’augmentation actuellement constatée des températures globales, qui est clairement causée par l’homme, s’est déjà produite plusieurs fois dans l’histoire de la Terre, même sans que les hommes aient un impact direct. D’un autre côté, je ne pense pas qu’il faille forcément le relativiser. Si on regarde ça autrement, on est face à une augmentation globalement de quelque chose entre deux à quatre degrés d’ici la fin du siècle – c’est ouvertement en discussion actuellement –, et malgré tout, il y a encore des gens qui débattent de ce que pourraient être les conséquences. Selon moi, c’est complètement stupide, car on n’a pas besoin de deviner ce qui pourrait arriver, il suffit de regarder ce qui est vraiment arrivé au début du phanérozoïque.

« Le metal en général est une musique et une scène artistique qui sont très focalisées sur le concept de puissance et de contrôle, et d’une certaine façon, on trouve ça à la fois dans la musique qu’on aime tant et dans la pensée et les écrits de Nietzsche. »

Si on regarde ce qui s’est passé à la fin du permien, on a connu une augmentation similaire des températures mais sur une plus longue période de temps. Sur des dizaines de milliers d’années, il y a eu une augmentation d’environ cinq degrés, mais avec une cause complètement différente : dans ce cas, c’était l’augmentation de l’activité volcanique, ce qui a conduit à la libération de méthane, de gaz à fort effet de serre issus des fonds marins… Mais ce qui s’est passé alors est que quatre-vingt-quinze pour cent de toute vie marine et environ quatre-vingts pour cent de toute vie terrestre a été éteinte, et nous discutons actuellement d’une magnitude similaire de l’augmentation des températures, et pourtant des gens continuent à ouvertement nier que ça aura des conséquences radicales. Je pense que le fait qu’on ait constaté un effondrement climatique durant le phanérozoïque, même sans l’impact de l’homme, ça ne doit pas forcément nous mener à la conclusion que « oh, bon, ce qu’on fait maintenant, il n’y a pas moyen d’y échapper de toute façon et c’est déjà arrivé sans la présence humaine ». Oui, c’est vrai mais aujourd’hui, nous avons vraiment le contrôle sur ce qui se passe. Ce n’est pas le résultat d’une augmentation de l’activité volcanique sur des centaines de milliers d’années à la fin du permien. C’est clairement causé par nous et nous avons la main là-dessus, et on ne peut qu’utiliser les événements d’extinction de masse du phanérozoïque liées à des problématiques climatiques pour nous faire prendre conscience des terribles conséquences si on continue ce qu’on est en train de faire aujourd’hui.

Mais justement, peut-on être certain que le changement climatique actuel soit à cent pour cent causé par l’homme ? Je veux dire par là qu’il s’agit d’une conclusion basée sur des estimations et environ cinquante ans de mesures qui coïncident avec l’ère industrielle moderne, ce qui rend l’hypothèse « probable », mais d’un autre côté, il semblerait qu’aucune étude scientifique sérieuse ne soit encore réellement parvenue à le démontrer. Puis on connaît très mal les équilibres entre les océans et l’atmosphère, avec les gigantesques stocks de dioxyde de carbone contenus au fond des océans et dans le manteau terrestre, et les flux d’échanges entre l’atmosphère et ces stocks, ou même l’activité solaire qu’on pense avoir déjà significativement impacté le climat (le petit âge glaciaire que les hommes ont connu et rapporté, qui a suivi l’optimum climatique médiéval). Tout ça pour dire que, sans que ça remette en cause les constats, notre ignorance à de nombreux niveaux explique probablement pourquoi de tels débats ont toujours lieu, y compris au sein de la communauté scientifique…

Oui, mais aujourd’hui, on a les outils pour mesurer ces choses. On sait combien de tonnes de dioxyde de carbone une usine à charbon ou autre produit, on sait quelle quantité de charbon est brûlée en Chine ou en Allemagne chaque année. C’est quelque chose de très mathématique, et je sais qu’il existe des évaluations de ces chiffres, comme la quantité de dioxyde de carbone que l’homme rejette dans l’atmosphère, et je soutiendrais que c’est beaucoup ! Quand on regarde les changements climatiques qui se sont produits durant le phanérozoïque, on ne peut que le faire avec le recul et de manière rétrospective, et on doit récolter plein d’informations qui ne sont pas facilement accessibles. Aujourd’hui, on peut très facilement observer ce qui se passe, et on n’est pas dans une période où quoi que ce soit de similaire à ce qui s’est passé à la fin du permien se passe actuellement sur Terre. On n’a pas de raison ancrée dans l’écosystème terrestre ou dans la nature pour expliquer ce qui cause l’augmentation actuelle. Il n’y a pas d’augmentation de l’activité volcanique, il n’y a rien d’autre qui puisse causer ceci, en dehors des gaz qu’on injecte dans l’atmosphère, dont on a démontré les effets.

Donc aujourd’hui, pour être honnête, si quelqu’un nie que c’est provoqué par l’homme, alors ma question serait : « Eh bien, qu’est-ce que ça pourrait être d’autre aujourd’hui ? » On peut expliquer ce que c’était à la fin du permien, c’est très clair, or il n’y a rien de ça qui se produit aujourd’hui sur Terre. C’est donc que c’est forcément causé par l’homme. Oui, il y a du dioxyde de carbone dans l’eau, mais je ne vois pas de taux différent par rapport à quoi que ce soit dans le passé, je ne vois pas comment ça pourrait disparaître de l’eau et aller dans l’atmosphère. L’augmentation du dioxyde de carbone dans l’atmosphère vient principalement de nous brûlant des fossiles, c’est de là que ça vient, et c’est quelque chose que personne n’a fait jusqu’à présent dans l’histoire de la Terre. C’est la première fois qu’il y a un tel degré d’injection supplémentaire de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Enfin si, ça s’est produit dans l’histoire de la Terre, comme je l’ai dit, quand il y avait des périodes avec beaucoup d’activité volcanique et qu’un paquet de dioxyde de carbone a été éjecté dans l’atmosphère, mais aujourd’hui, ce n’est pas le cas, c’est une période paisible sur Terre, pour ainsi dire [petits rires], en ce qui concerne l’activité volcanique, il ne se passe presque rien, et pourtant on constate une augmentation. On sait d’où ça vient, je ne crois pas que quiconque le conteste sérieusement ou dise que les plantes déversent dans l’atmosphère [petits rires] plus que par le passé, ou quelque chose comme ça.

En revanche, oui, il y a plein de facteurs incontrôlés, bien sûr, et on ne comprend pas tous les processus, tout comme on ne comprend pas ce qui a causé chaque changement climatique dans l’histoire de la Terre avant que les hommes n’arrivent. Je veux dire, quand on regarde les événements climatiques durant le phanérozoïque, il y a certaines thèses concurrentes pour expliquer ce qui les ont causés, et on ne sait pas avec certitude parce que tout ce qu’on peut regarder, ce sont des données recueillies des centaines de millions d’années plus tard, qui sont donc forcément incohérentes et inexactes. Je suppose que souvent, c’est aussi une combinaison de problématiques, et c’est très dur parfois d’isoler une cause et de dire « voilà ce qui s’est passé ». C’est toujours un équilibre. On vit dans cet équilibre, et si un élément ou facteur est perturbé ou augmenté, alors ça affecte tout le système. C’est un équilibre très fragile qui a été déséquilibré plusieurs fois bien avant que les hommes ne soient arrivés sur Terre, et maintenant c’est en train d’arriver probablement parce que nous y participons d’une façon ou d’une autre. Mais je suis complètement d’accord avec toi : ça ne signifie pas que, même si les hommes n’avaient strictement aucun impact sur elle, la Terre ne nous anéantirait pas à n’importe quel moment [petits rires]. Et c’est quelque chose qu’on apprend quand on regarde le phanérozoïque, parce que oui, c’est un équilibre très délicat et parfois les facteurs et les choses changent, puis l’équilibre est perturbé et finit par même s’effondrer.

Comme tu l’as dit plus tôt, Pelagial était un voyage depuis la surface jusqu’aux abysses de l’océan, utilisé comme métaphore pour plonger dans l’esprit humain, et tu as essayé de traduire ce sentiment dans la musique, puisque l’album s’assombrit à mesure qu’il progresse. Tu as dit que cette fois tu n’as pas voulu refaire un album aussi conceptuel, vu que le concept est venu après avoir écrit la musique. Malgré tout, as-tu quand même essayé, en l’adaptant après coup, d’interfacer un peu la musique avec le thème ?

Oui, c’est un processus d’adaptation, on peut faire ça. Evidemment, c’est dépendant de l’approche qu’on prend, soit on écrit la musique d’abord, soit on a l’idée d’abord pour écrire la musique ensuite sur la base de cette idée. Ça fait une énorme différence, mais même dans ce cas, où la musique était déjà écrite, évidemment certaines choses ont été adaptées et changées une fois les textes écrits et une fois que le concept de l’album commençait à prendre forme. Ça va même jusqu’à décider comment les morceaux seront découpés entre les faces du vinyle et il faut que ça corresponde au nombre de périodes, et tout doit avoir du sens. Et parfois, ça peut même mener à une décision de joindre deux chansons en une ou, au contraire, de décomposer une longue chanson en deux morceaux. C’est donc toujours un processus d’adaptation et un genre d’interaction entre la création musicale, qui est pour moi un processus plus ou moins intuitif, et l’écriture des paroles et le cadre conceptuel qui va avec, qui est un processus très intellectuel et pas tellement intuitif, c’est vraiment quelque chose qui est construit à dessein. Ce sont deux choses intéressantes à réunir : l’aspect chaotique de la composition et ensuite le processus très organisé d’encadrer ça dans un contexte de paroles ou conceptuel.

« Tout le débat sur le changement climatique peut être un peu relativisé si l’on considère que l’augmentation actuellement constatée des températures globales, qui est clairement causée par l’homme, s’est déjà produite plusieurs fois dans l’histoire de la Terre, même sans que les hommes aient un impact direct. D’un autre côté, je ne pense pas qu’il faille forcément le relativiser. »

Comme on en a discuté, cet album est le lien manquant entre Precambrian et Heliocentric/Anthropocentric. As-tu essayé de matérialiser ce lien musicalement et en termes sonores ?

Oui, nous l’avons fait. La première moitié de l’album, comme je l’ai dit, se relie à Proterozoic, la seconde moitié de Precambrian, avec ces longues chansons et des riffs relativement simples et plus lents. C’est exactement là où le nouvel album arrive et reprend cette atmosphère, mais à la fois, il y a le chant le Loïc par-dessus, ce qui le rend déjà distinctement différent de Precambrian. Et ce premier album a encore un côté très épuré, très… je ne veux pas dire minimaliste, mais les compositions sont assez dépouillées, elles ne sont pas aussi chargées que sur Pelagial, par exemple. Ceci évoluera sur le second album, ce sera bien plus complexe. Il y a un morceau dessus qui est, je pense, la chanson la plus ridiculement complexe que j’ai jamais écrite dans ma vie [rires], c’est un morceau de quatorze minutes et il y a dedans vraiment tout ce qu’on peut imaginer de la part de The Ocean. Et vers la fin du second album, les éléments électroniques deviennent omniprésents, prépondérants, donc ça aussi est développé, menant à l’arrivée de l’humanité et au début de l’album Heliocentric qui démarre avec un extrait de la Bible. Donc oui, il y a là aussi une progression musicale, en partant du son brut, préhistorique, façon Precambrian, ainsi que l’imagerie, pour aller vers un son plus élaboré, compliqué, multicouches qui mène vers Heliocentric, Anthropocentric et Pelagial.

Depuis Pelagial, le groupe a grandement évolué, Phanerozoic marque les débuts en studio avec The Ocean du bassiste Mattias Hägerstrand et du batteur Paul Seidel, mais également de Peter Voigtmann – qui avant gérait le jeu de lumière durant vos concerts. Il semblerait qu’ils ont eu un impact non négligeable sur ce qu’est devenu Phanérozoïque…

Oui, le nouvel album a été un effort plus collaboratif que Pelagial. Pelagial était une création personnelle, j’ai écrit cet album et ensuite j’ai laissé les autres gars le jouer et l’enregistrer, et c’est seulement après que l’album ait été enregistré que nous avons commencé à répéter et voir comment le reproduire en live. Avec ce nouvel album, j’ai encore écrit tous les morceaux moi-même, mais ensuite nous avons vraiment répété pendant un mois, comme je l’ai dit au début, pour travailler sur les détails et transitions, et tout le monde a davantage contribué à la création de cet album. Ça reste ma composition, à la base, mais par exemple, je n’ai écrit aucune ligne de basse pour cet album, c’est Mattias qui a écrit ses propres parties et Paul a aussi interprété de manière bien plus libre ses parties de batterie, par rapport à Luc qui a joué sur Pelagial. Et nous avons développé cet album plus comme un groupe, ensemble.

Donc oui, les nouveau membres et le nouveau line-up ont clairement eu un impact sur l’album, sur le résultat. Je pense qu’on peut bien entendre la patte de chaque musicien de façon bien plus notable et définie que sur Pelagial, l’album précédent, surtout. Et c’est aussi la conséquence d’avoir aujourd’hui un line-up très bon et très stable. Pour un maniaque du contrôle comme moi, ça requiert beaucoup de confiance pour lâcher prise et laisser les gens faire leur propre truc [petits rires]. Et maintenant, avec les gens qui sont dans le groupe depuis trois ou quatre ans, en gros depuis que Paul et Mattias sont arrivés, j’ai le sentiment que nous sommes plus forts que jamais et c’est un grand plaisir de les laisser faire et de savoir qu’ils peuvent trouver des choses qui conviennent très bien au contexte de ce groupe, parce qu’ils le comprennent. Je n’ai pas besoin de leur expliquer grand-chose, ils savent ce qui caractérise ce groupe et nous partageons les mêmes goûts et sens de l’esthétique. C’est très plaisant, très rassurant, quand tu sens que tu peux communiquer sans avoir à parler.

J’imagine que c’est plus facile d’établir une cohérence d’album en album quand on est seul détenteur de la vision, mais d’un autre côté, intégrer les autres membres au processus doit aider à la cohésion de groupe…

Tous ces albums montrent une progression au niveau musical, esthétique et aussi des idées de packaging et tout ça, mais c’est naturel pour n’importe quel groupe, peu importe s’il y a une personne créative ou cinq qui agissent ensemble. Il y aura des changements avec le temps, une certaine évolution, et je trouve que c’est intéressant et sain. Je ne voulais pas m’en débarrasser et, à la fois, ce n’est pas non plus quelque chose que je recherchais particulièrement. C’est juste le rythme naturel d’évolution d’un artiste. La raison pour laquelle tout le monde est impliqué désormais est parce que, tout d’abord, comme je l’ai dit, je fais vraiment confiance aux gens avec qui je suis dans le groupe et en leurs capacités. Aussi je les aime beaucoup en tant que personnes et c’est important que les gens s’affilient à ce qu’ils font. C’est une chose de dire à tout le monde quoi faire et les payer pour ça, c’en est une autre quand quelqu’un aime et apprécie vraiment ça du fond du cœur. Et si c’est le cas, alors c’est bien plus gratifiant pour toutes les personnes impliquées. C’est quelque chose qui est devenu plus important pour moi au cours des dernières années. Avant j’avais ma propre idée et je voulais avoir des gens qui concrétisaient cette idée. J’ai toujours une idée très forte de ce que je veux faire avec ce groupe, mais à la fois, je n’ai plus besoin de programmer chaque roulement de batterie ou ligne de basse, j’ai des gens qui peuvent le faire eux-mêmes, et si je n’aime pas quelque chose, je peux toujours le leur dire. C’est aussi le résultat d’un processus de maturation, et d’avoir pris part à des expériences collaboratives avec plein de gens différents au fil des années, ça m’a fait réaliser que c’est bien plus gratifiant pour tout le monde, moi y compris, de laisser chacun trouver lui-même sa place dans cette grande aventure qu’est The Ocean.

On peut entendre plus de sons électroniques dans Phanerozoic : c’est quelque chose que Peter a apporté ?

Ouais, complètement. Ça fait déjà un moment que Peter est avec nous. Depuis 2013, il s’occupait de nos lumières, mais en fait, c’est un batteur. Donc il connaissait les chansons de fond en comble et il jouait de la batterie sur la console de lumières tous les soirs. C’était donc presque comme un membre du groupe, un membre qui n’était pas avec nous sur scène mais dans la salle. A la fois, il a depuis longtemps un projet solo qui est très bon et où il fait principalement de l’électronique. Quand j’étais en train de composer de la nouvelle musique, je lui ai envoyé les morceaux et j’étais là : « Hey, et si tu rajoutais du synthé dessus ? » Il a commencé à le faire et c’était très bien, ça collait parfaitement, et puis il y en a eu de plus en plus. A un moment donné, nous avons tous réalisé que c’était devenu un instrument dominant dans l’album, ce n’était plus une couche supplémentaire dans le fond, ça colorait même le son des guitares, donc c’est important. Nous avons eu une discussion et avons décidé que nous voulions faire ça en live, Peter était totalement partant, donc il a fini par rejoindre le groupe et jouer en live avec nous. Ce qui voulait dire que nous devions trouver un nouveau ingénieur lumière et ça craint [rires]. Ce n’est pas un boulot quelconque dans l’équipe, nous avons toujours porté beaucoup d’attention à notre jeu de lumière et nous avons besoin de quelqu’un – à l’instar d’un musicien, en gros – qui connaît très bien les chansons et sait quoi faire à quel moment, quelqu’un qui est très carré avec ses lumières. C’était un peu un défi mais nous avons désormais un nouveau gars, il va faire sa première tournée avec nous mardi prochain, et je suis très confiant, ça sera très bien.

La dernière fois qu’on s’est parlé, à l’époque de Pelagial, tu nous as dit que The Ocean n’était plus un collectif comme ça l’était au début, puisque vous aviez un line-up fixe. Mais ces cinq dernières années ont prouvé que ce line-up n’était pas si fixe que ça… Et pour la première fois, vous mentionnez The Ocean Collective sur la pochette. As-tu donc le sentiment que l’étiquette « collectif » reste quand même mieux appropriée pour définir le projet ?

[Petits rires] C’était une décision consciente de ramener cette notion aujourd’hui, malgré le fait… Tu sais, on parle là d’intervalles de temps qui sont très subjectifs. Par exemple, pour moi, le line-up a été très stable durant les trois ou quatre dernières années, par rapport aux années précédentes où nous avons connu beaucoup de changements. Mais tu as raison, une fois que Pelagial est sorti, nous avions un autre batteur, un autre bassiste et un autre guitariste. Donc oui, durant ces cinq ans, il y a à nouveau eu beaucoup de changements, c’est vrai, mais depuis environ 2014 ou 2015, quand Mattias est arrivé – je crois que c’était à l’été 2015 –, ça a été principalement les mêmes personnes, et Loïc est dans le groupe depuis 2009 avec moi. Donc globalement, ça donne bien plus l’impression d’un groupe et pas d’un vague collectif de musiciens tel que nous étions organisés au début.

« C’est aussi le résultat d’un processus de maturation, et d’avoir pris part à des expériences collaboratives avec plein de gens différents au fil des années, ça m’a fait réaliser que c’est bien plus gratifiant pour tout le monde, moi y compris, de laisser chacun trouver lui-même sa place dans cette grande aventure qu’est The Ocean. »

Cependant, à la fois, nous avons toujours eu plein de gens en plus autour du groupe – on vient juste de parler de Peter, quand il était notre ingénieur lumières, ce n’était pas un membre du groupe mais il n’en était pas moins très important pour ce que nous faisons. Pareil pour, par exemple, Martin Kvamme qui a réalisé toutes nos illustrations d’albums et tous nos designs de packaging depuis Aeolian, en gros. Ou Craig Murray, qui s’est occupé des projections vidéo de Pelagial et qui a aussi produit le clip que nous avons sorti il y a quelques jours. Ce sont tous des gens qui sont très importants pour l’esthétique de ce groupe, mais vous ne les verrez jamais sur scène. Ils font partie de l’ensemble et c’est aussi ce à quoi ce terme « collectif » renvoie : il y a plus de gens qui contribuent à notre art que juste ceux qu’on voit sur scène. Il y a aussi Dalai [Theofilopoulou], notre violoncelliste, par exemple, qui joue avec nous depuis 2011, mais elle ne fait pas toutes les tournées. Par exemple, sur cette tournée, nous ne l’emmenons pas avec nous ; par contre, nous l’avons emmenée sur la tournée Precambrian. Et Vincent Membrez, le pianiste qui joue sur nos albums depuis Pelagial, mais nous n’avons jamais fait de concert avec lui. Ce sont toutes ces personnes qui contribuent à The Ocean Collective, et l’idée de ramener le collectif dans le nom du groupe aujourd’hui, même sur la pochette de l’album, était d’honorer ces gens qui ont toujours participé à cette aventure, sans pour autant faire partie du groupe en tant que tel.

L’album profite encore de riches arrangements, avec un ensemble de cuivres, ainsi que Vincent Membrez et Dalai Theofilopoulou, que tu viens de mentionner, respectivement au piano et au violoncelle. Mais on dirait que depuis Precambrian, vous intégrez ces éléments additionnels avec de plus en plus de subtilité. Comment ton approche des arrangements et orchestrations a évolué avec les années ? Quelle est ta philosophie à cet égard ?

Ma philosophie est que j’ai toujours vu ma musique non pas comme une musique qui doit forcément être jouée par un certain line-up de musiciens, d’instrumentalistes ou de membres du groupe, mais chaque chanson a des exigences et il faut les remplir. Si une chanson nécessite un musicien qui joue d’un cuivre ou un ensemble de cuivres, alors je vais faire en sorte d’enregistrer cet ensemble de cuivres. Et ça a toujours été ainsi. Mais évidemment, ça a beaucoup évolué. J’ai commencé à composer pour des instruments classiques avec Fluxion, je crois, c’était le premier album sur lequel j’ai essayé ça, mais ça en était encore aux balbutiements, et ensuite je m’y suis vraiment mis sur Precambrian et c’est pourquoi cet album est peut-être assez surchargé ou vraiment rempli d’arrangements orchestraux par rapport aux albums d’avant. Et après ça, j’ai essayé d’épurer un peu. Sur ce nouvel album, par exemple, sur les trois premiers morceaux, il n’y a que le noyau dur du groupe, pour ainsi dire, la batterie, la basse, les guitares et Peter aux synthés, et puis il y a du violoncelle et des cuivres sur « Silurian », le quatrième morceau, et sur « Permian : The Great Dying » et « Devonian ». Donc certaines chansons en ont besoin, d’autres pas. Il n’y a pas de règle par rapport à ça ; ça devient vraiment évident quand la chanson évolue et souvent, quand je compose une certaine partie, je sais déjà que je veux un trombone ici, ou renforcer ça avec un violoncelle ou pas. C’est quelque chose qui vient tout simplement en composant. J’ai tout à ma disposition maintenant, mais ça ne veut pas dire que j’ai besoin d’un ensemble de cuivre sur chaque morceau que j’écris.

Tu as énormément travaillé avec Loïc Rossetti sur son chant, et tu as déclaré que ton « but était cette fois d’éviter de toujours opter pour l’évidence ». Peux-tu nous parler de votre collaboration sur cet album et l’approche que vous avez eue pour le chant ?

La musique était déjà terminée, grosso modo, quand le chant a été écrit, presque à chaque fois. Il y a eu quelques chansons sur Heliocentric qui ont vraiment été écrites à partir d’idées vocales, mais pour Pelagial, c’était similaire au nouvel album, dans le sens où la musique était là d’abord et ensuite le chant a été ajouté à la fin. En général, j’ai toujours une idée de base pour le chant quand je commence à composer une chanson. Je crois que cette fois était la première fois où ça n’était pas le cas pour quelques morceaux. J’étais vraiment là : « D’accord, je n’ai absolument aucune idée où ça va nous mener vocalement », et c’était vraiment intéressant parce que c’était complètement comme être devant une page blanche. « Silurian », par exemple, était une de ces chansons. Pour certaines parties, j’avais des idées, comme dans « Ordovicium », le second morceau, ou « Cambrian » ; j’avais certaines idées et ensuite nous avons commencé à travailler dessus.

Nous avons passé beaucoup de temps là-dessus cette fois et Loïc a vraiment une perspective très différente de la musique par rapport à moi, ce qui est très cool, et je voulais vraiment nous accorder du temps pour nous imprégner des morceaux. Souvent, nous enregistrions quelque chose et ensuite nous l’écoutions pendant deux ou trois jours, et puis nous disions : « Ouais, c’est bien, mais pas tant que ça, on peut essayer autre chose. » Ensuite nous nous remettions dessus et enregistrions autre chose. Avec certaines chansons, ça a vraiment pris beaucoup de temps, à essayer plein de choses différentes jusqu’à atteindre le résultat final. C’est probablement l’album sur lequel nous nous sommes le plus investis dans le chant et je pense qu’on peut l’entendre. Quand maintenant je compare certains des résultats finaux avec les idées initiales que j’avais durant les pré-productions, c’est très différent et ça symbolise bien le long processus et la longue évolution que ces morceaux ont traversés en ce qui concerne le chant. Loïc et moi étions tous les deux très contents du résultat final cette fois. Souvent, c’est plus inhabituel que ce que j’aurais initialement fait, sur la base de mes pré-productions, et c’est super. C’est aussi un accomplissement pour Loïc d’avoir repoussé les limites et essayé diverses choses, sans jamais se satisfaire de n’importe quoi. C’est chiant mais aussi vraiment super [rires].

Jonas Renkse de Katatonia apparaît sur la chanson « Devonian ». Comment avez-vous eu l’idée de le faire contribuer à cette chanson en particulier ?

Nous avons déjà parlé à Jonas quand nous enregistrions Precambrian, j’étais un grand fan de Katatonia à l’époque. Ils étaient en train de faire The Great cold distance, nous travaillions sur Precambrian, et il m’a recontacté après que je lui ai envoyé quelques morceaux. En fait, il était déjà intéressé pour apparaître sur l’album à l’époque, mais nous manquions de temps. Ça n’a pas pu se faire parce qu’ils étaient en studio et nous, nous étions à deux semaines de commencer le mixage. Et après, nous avons un peu perdu contact pendant plusieurs années. Je sais que plus tard il avait fait écouter Precambrian à Mikael Åkerfeldt d’Opeth, ce qui nous a amenés à participer à la tournée d’Opeth en 2008. Donc il nous suivait mais nous n’avons pas vraiment parlé pendant longtemps, et puis l’année dernière, nous avons joué en Roumanie avec Katatonia – d’ailleurs, ils jouaient l’intégralité de The Great Cold Distance pour le dixième anniversaire aussi –, et après ce concert, nous avons relancé l’idée et je lui ai envoyé un morceau du nouvel album, qui est « Devonian », celui sur lequel il a fini par chanter. Il l’a aimé et, cette fois, nous avions plus de temps, donc ça a pu se faire.

Et c’est vraiment, entièrement, son approche ; je ne lui ai pas dit grand-chose. Je lui ai parlé du concept, je lui ai envoyé certaines de mes paroles, il a écrit les paroles et développé les lignes vocales tout seul, et je me souviens quand nous avons entendu ses démos pour la première fois, qui sont presque exactement la même chose que ce qu’on retrouve sur l’album, nous étions en Islande, en février, Paul et moi enregistrions la batterie, et nous nous sommes regardés, nous étions bouche-bée. C’était tellement bon et pertinent ! Voilà comment on veut qu’une collaboration avec un invité se passe, pas besoin d’expliquer : « Hey, peux-tu s’il te plaît chanter par-dessus cette partie ? Et voilà les paroles. » Non, nous lui avons juste envoyé le morceau et il l’a approché à sa manière et ça a tout de suite parfaitement fonctionné. Je suis comme un dingue que ça se soit passé ainsi.

« Ma philosophie est que j’ai toujours vu ma musique non pas comme une musique qui doit forcément être jouée par un certain line-up de musiciens, d’instrumentalistes ou de membres du groupe, mais chaque chanson a des exigences et il faut les remplir. »

Tu as déclaré que The Great Cold Distance de Katatonia était un album important pour toi et The Ocean. Ça t’a fait reconsidérer ton opinion au sujet du chant clair dans le metal. Quelle était ton opinion à ce sujet avant d’avoir pu entendre cet album de Katatonia ? Qu’est-ce qui n’allait pas dans le chant clair dans le metal pour toi ?

[Petits rires] Il n’y avait pas beaucoup d’albums de heavy metal avec du chant clair que j’aimais vraiment. J’ai grandi dans la scène hardcore, j’ai été habitué au chant crié depuis mes quatorze ans, et le metal et le chant clair puaient la surabondance de pathos et de tremolo, pour moi [petits rires]. Je n’aimais jamais les groupes de metal qui employaient du chant clair. Katatonia était un des premiers groupes à vraiment réussir cette alliance entre des guitares sous-accordées vraiment heavy et du chant clair qui n’était ni pathétique, ni dans un style falsetto et tremolo, mais au contraire, très calme, avec une voix apaisante pleine de dignité, et ceci m’a vraiment attiré à l’époque. J’ai toujours écouté plein de musique avec du chant clair, ne te méprends pas, mais ça n’était jamais du metal [petits rires]. Pour moi, le metal était toujours quelque chose de très agressif, et à la fois, il y avait évidemment plein d’autres musiques avec du chant clair que j’appréciais également, mais la combinaison de metal et de chant clair, pendant longtemps, ça ne le faisait pas pour moi.

Tu as mentionné l’approche différente que vous avez eue par rapport aux albums précédents : vous avez travaillé chaque détail et testé chaque chanson en live en répétition avant d’aller au studio. Qu’est-ce qui t’a donné envie d’essayer cette approche initialement ? As-tu eu de mauvaises surprises par le passé en ne testant pas les chansons ?

Non, c’est juste un équilibre naturel dans lequel tu es pris quand tu es artiste. Tu testes les extrêmes, et puis, quand tu as fait ça, tu as envie de faire autre chose avec l’album suivant. Ce n’est pas que j’ai d’énormes regrets par rapport aux approches passées ; c’est juste qu’après trois cents concerts à jouer Pelagial live, je voulais faire autre chose, vraiment [petits rires]. Ça a toujours été le cas avec chacun de nos albums. Pelagial était de la musique composée, c’était quelque chose qu’une personne a écrit chez elle en même temps que la colonne vertébrale du concept. C’était un super défi. Ça faisait longtemps que je voulais faire cet album avant de m’y mettre vraiment. Mais ça veut dire que ça a été accompli, et je ne voulais pas refaire quelque chose de similaire maintenant. Je voulais vraiment faire un album que nous aborderions sous une perspective de groupe. J’ai quand même écrit toutes les chansons de la première moitié moi-même, mais je voulais vraiment les développer conjointement avec les autres personnes, et les enregistrer à un moment où nous nous les serions déjà appropriées. Ceci était différent de Pelagial, qui a été enregistré, puis il était là, et ensuite nous demandions : « D’accord, et maintenant comment on le joue ? » C’est une autre approche, mais je ne l’ai pas choisie à cause de mauvaises expériences passées, pour répondre à ta question, mais simplement parce que c’était le moment de faire autre chose. Et qui sait ? Peut-être que le prochain album sera l’exact opposé à nouveau, et que je ne laisserais personne d’autre l’écouter avant d’entrer en studio [rires]. Mais cette fois, c’était ce que je voulais faire, et c’est ce qui paraissait bien à ce moment-là.

Quelles sont selon toi les conséquences concrètes de cette approche ? Penses-tu que ça a apporté de l’immédiateté à l’album, bien qu’il reste très progressif ?

Je le pense. C’est un album que nous avons appris à maîtriser avant de le documenter. Ce qui lui confère un côté plus immédiat, je crois vraiment que c’est vrai. Aussi, ça évite le risque d’avoir des regrets plus tard. Il y a toujours des regrets quand on fait un album. Ce ne sont pas d’énormes regrets, au point d’avoir honte de quelque chose qu’on a fait. Mais ce sont de petites choses où tu te dis : « Oh, bon sang, j’aurais aimé faire ça différemment. » J’ai connu ça avec tous nos albums précédents, et c’est toujours quelque chose qui te ronge après coup, car une fois l’album terminé, tu ne peux plus rien changer. Le risque que ceci se produise est considérablement réduit quand tu testes les chansons en répétition pendant un moment avant de les enregistrer. Ça vaut aussi pour les lignes vocales, l’approche du chant, quand tu y passes plus de temps, elles sont vraiment mûres, et tu prends aussi le temps parfois de prendre du recul, et de reconsidérer, et voir si tu les aimes toujours deux semaines plus tard. Si tu as ce temps disponible, ça garantit un meilleur résultat, généralement, car tu peux vraiment t’exposer aux chansons. Parfois les idées qu’initialement tu trouvais super finissent par t’ennuyer, ou tu finis par ne pas les aimer, pour diverses raisons, au bout d’un moment. Je ne pense pas qu’on puisse toujours complètement exclure que ça se produise, mais quand tu passes plus de temps à travailler sur les chansons avant de les enregistrer, tu peux réduire ce risque. Encore maintenant, quatre ou cinq mois après l’avoir terminé, c’est un album pour lequel je suis toujours très content des décisions que nous avons prises, et je pense que c’est le résultat de cette approche que nous avons eue avec les répétitions, ainsi que l’enregistrement.

Quels ont été certains des regrets que tu as pu avoir sur les albums passés ?

Comme je l’ai dit, rien de sérieux, juste quelques lignes de chant, certains bouts de textes que je trouvais initialement cool, mais ensuite, en prenant du recul, j’aurais aimé avoir pris une autre approche. Mais rien de bien grave. Il n’y a aucune chanson pour laquelle je dirais : « Oh mon Dieu, j’aurais aimé n’avoir jamais écrit cette merde » [petits rires], mais ce sont de petits détails qu’on ferait différemment si on devait le refaire. Nous avons réenregistré la chanson d’ouverture de Precambrian « Rhyacian » pour un 45 tours que nous avons sorti cette année pour le Record Store Day, et c’était aussi quelque chose sur quoi j’ai débattu avec moi-même pendant longtemps : « Doit-on faire ça ? » Parce que, bien sûr, il y a des choses que je ferais complètement différemment aujourd’hui avec cette chanson, mais par où commencer ? Il y a une part de moi qui dit : « Bon, c’est un témoignage d’une époque. » C’est une chanson qui a été écrite en 2006, à l’époque j’étais un être humain et artiste différent, et j’avais d’autres défis dans la vie que ceux que j’ai aujourd’hui, c’est donc évidemment un précieux témoignage de cette époque, je ne voudrais pas changer ça. D’un autre côté, il y a le perfectionniste en moi qui dit : « Oh, mec, j’aurais aimé jouer autrement ici ! »

Au niveau arrangements aussi, avec ces vieilles chansons, les regrets que j’ai sont toujours dans les arrangements, comme certaines parties qui se répètent une fois de trop ou une fois pas assez, ce genre de chose. Mais on peut totalement s’y perdre, et arrive un moment donné où tu réenregistres tous tes vieux albums. Je n’ai pas envie de faire ça, je veux les laisser pour ce qu’ils sont, un témoignage de l’époque, et c’est pourquoi nous avons décidé de ne le faire qu’avec une chanson de Precambrian, pour laquelle j’ai trouvé que ce serait intéressant, par rapport à la version originale, d’avoir une version contemporaine avec Loïc au chant, une version qui sonnerait comme le groupe en 2018. Je pense que c’était bien de le faire pour un morceau, mais aussi que c’était bien de ne pas le faire pour tout l’album.

« J’ai grandi dans la scène hardcore, j’ai été habitué au chant crié depuis mes quatorze ans, et le metal et le chant clair puaient la surabondance de pathos et de tremolo, pour moi [petits rires]. Je n’aimais jamais les groupes de metal qui employaient du chant clair. »

A propos du travail du producteur Jens Bogren sur cet album, tu as déclaré que « ça sonnait tellement putain de heavy que pendant un temps [vous] réfléchissi[ez] à ce que [vous] pourri[ez] faire pour que ça sonne un peu plus humain et un peu moins parfait ». Tu penses que c’est trop parfait ?

[Petits rires] Non, je ne crois pas. Je pense que c’est juste le niveau de perfection qu’il faut. Mais nous faisions effectivement ces réflexions pendant que nous l’écoutions, nous nous disions « c’est complètement irréel ! », et parfois le risque est d’aller sur un terrain où ça sonne trop inorganique et clinique. C’est pourquoi nous étions un peu prudents avec ça et avons envisagé de le masteriser sur bande pendant un temps, juste pour lui redonner un peu de grain et de saleté qui étaient absents. Mais ça n’a pas bien marché. Les masters digitaux que Jens ou Tony ont faits étaient ceux qui sonnaient le mieux au bout du compte, ils ne sonnent pas digitaux du tout, ils font vraiment rayonner cette production. J’imagine qu’il s’agissait juste d’apprendre à croire que ceci est le meilleur son qu’un album peut potentiellement avoir, et je suis très content que nous en soyons au stade où nous ne galérons plus avec ça, comme quand j’ai enregistré Fogdiver. J’ai tout enregistré moi-même pour Fluxion et Aeolian, j’ai enregistré chaque instrument moi-même, et je ne suis pas un ingénieur du son, et je l’étais encore moins à l’époque, le résultat est donc hasardeux et bourré de défauts. Je suis super content que maintenant nous ayons une équipe autour de nous qui permette à ce groupe de sonner comme je l’imagine vraiment. Ça fait que parfois tu dois retenir ton souffle et être là : « D’accord, voilà vraiment comment ça peut sonner » [petits rires], et l’accepter.

Pelagial avait donné du fil à retordre à Jens au moment du mix. Penses-tu que cette expérience et toutes les autres qu’il a connues depuis, pendant ces cinq années, ont fait que c’était plus facile cette fois d’aborder ce nouvel album ?

Je pense, probablement. Il savait maintenant dans quoi il s’engageait [petits rires], et nous aussi, et c’est toujours bien quand on a déjà vécu une expérience ensemble. A la fois, cet album n’était pas le monstre à mixer qu’était Pelagial. Il y avait moins de pistes et il était moins difficile à aborder aussi, parce qu’avec Pelagial, nous voulions que le son évolue au fil de l’album, et change progressivement. Là, ce n’était pas nécessaire, donc c’était un peu plus facile, à cet égard.

Vous avez enregistré au Sundlaugin Studios en Islande, qui sont les studios de Sigur Rós. Te sens-tu proche à la fois de ce groupe et de l’environnement très géologique en Islande ?

J’aime ce groupe, oui, j’en suis fan depuis longtemps, mais le choix du studio n’a vraiment rien à voir avec eux. Nous voulions nous sortir de notre environnement habituel à Berlin, qui est très urbain, et partir dans un endroit entouré d’une belle nature. Et c’est un album froid, rude et brut, donc l’Islande semblait tout indiquée pour ça. Je m’y étais déjà rendu, à titre privé, mais les choses se sont vraiment faites par hasard en parlant à Xie [Yugang], le guitariste de Wang Wen, en janvier de l’année dernière. Il nous a dit qu’ils venaient tout juste d’enregistrer dans cet extraordinaire studio en Islande. J’ai commencé à prendre contact avec eux et il s’est trouvé qu’ils avaient de la place. Voilà comment nous avons décidé d’aller là-bas et d’y faire cet album. C’était un très bon choix. C’est un endroit magnifique, la pièce pour enregistrer la batterie est juste incroyable. Il faut savoir que nous dépensons toujours notre budget d’enregistrement de telle façon que nous investissons beaucoup d’argent dans la batterie et le mix, et le reste nous le faisons nous-mêmes. C’est une approche intelligente et économique. Et pour la batterie, c’est un studio parfait : c’est une énorme pièce construite dans une ancienne piscine, ils ont installé des micros d’ambiance tous les trois ou six mètres jusqu’à une distance d’environ quinze mètres de la batterie, il y a un balcon qui fait le tour, ils ont de très bons micros…

Je pense que pour Paul et moi, c’était bien de faire ça, c’était la première fois que nous faisions vraiment un album complet ensemble en studio – en fait, c’est deux albums parce que nous avons déjà enregistré la batterie pour le second album, également. Nous avons enregistré toutes les parties de batterie en six jours en Islande. C’était assez intense et très exigeant, par rapport à la batterie, car j’ai une idée très précise de ce que je veux pour certaines choses. Ça nous a aussi beaucoup soulagés de notre stress, à Paul et moi, d’être dans un tel environnement, si beau et sans distraction. Nous pouvions vraiment nous concentrer sur la musique et nous-mêmes, et l’un sur l’autre. Ça s’est fait parfaitement, sans accroc. En fait, nous avons fini l’enregistrement des batteries des deux albums, quatre-vingt-dix minutes de musique, un jour plus tôt que prévu, donc nous avions un jour de rab où nous avons pu voyager dans les environs et profiter de la nature, donc c’était super !

Tout comme pour les précédents albums, tu as composé Phanerozoic coupé du monde dans une maison près de l’océan. Et la dernière fois qu’on s’est parlé, tu nous as dit : « Lorsque j’écris de la musique, je suis généralement près de la mer. J’ai besoin d’être dans un lieu avec un vaste horizon. Je ne sais pas pourquoi ; il y a quelque chose de mystique, d’inexplicable. La mer, d’une certaine manière, attire toute mon attention. » Ce vaste horizon, est-ce ta façon de visualiser ton propre horizon créatif ?

Je pense que c’est juste comme un carburant dont j’ai besoin pour faire marcher le moteur créatif [petits rires]. Je ne peux pas le faire quand je regarde le mur d’un immeuble. C’est pour ça que je ne peux pas composer quand je suis chez moi ou en tournée. J’ai besoin de me sortir de ma zone de confort et de mon environnement habituel, et de vraiment avoir ce vaste horizon. Mais c’est vraiment quelque chose de mystique et de dur à expliquer. C’est généralement le cas avec l’inspiration, je pense. On ne peut pas vraiment mettre le doigt sur ce que c’est, d’où ça vient et ce que ça nous fait. On ne peut que créer l’environnement pour, et ensuite ça arrive ou pas. Pour ma part, je suis très sûr de moi à cet égard, car je sais comment créer dans cet environnement. Dès que je me mets dans cet environnement, il y a toujours une abondance d’idées qui me viennent, je n’ai jamais besoin de forcer les choses ou je n’ai jamais de phase de stagnation où je me dirais : « Oh, j’ai vraiment envie de composer quelque chose mais il n’y a rien de bon qui vient. » Ça n’a jamais été le problème. J’ai juste besoin de me créer un certain environnement, et alors les choses se feront automatiquement, d’elles-mêmes.

L’océan est donc comme une muse pour toi ?

Ouais, c’est complètement ça !

Si tu créais de la musique dans un autre environnement, c’est-à-dire pas isolé près de l’océan, mais disons à la montagne, penses-tu que ta musique serait différente ?

Je ne crois pas, tant que c’est en pleine nature. Je n’aime pas que l’océan. J’adore les montagnes aussi. C’est le sentiment d’être entouré d’une vaste nature qui me permet de composer, que ce soit de grands paysages montagneux ou la proximité de l’océan, je ne pense pas que ça fasse une grande différence. Cet endroit où je compose, il pourrait se situer dans d’autres pays, dans d’autres cadres. C’est le sentiment d’être exposé à la nature brute, en gros. C’est ça qui déclenche mon appétit pour créer des riffs et des visuels, ou de l’art en général.

« Il y a des moments où je suis près de l’océan et où il y a de grosses vagues, et cette peur me revient, mais ce n’est pas une peur qui me dévore complètement et me repousse […]. C’est le sentiment d’être exposé à ça qui, je pense, est un terreau très important et fertile pour la création artistique. La peur est un élément nécessaire. Ce n’est pas qu’un effet secondaire, mais une composante intégrale. »

Et si tu étais entouré d’immeubles, crois-tu que ça ferait un grand changement pour la musique que tu crées ?

Je pense que ça ne m’intéresserait pas vraiment de composer. Je veux dire, je suis entouré d’immeubles la majorité de ma vie, je vis à Berlin, un lieu très urbain, au milieu de Kreuzberg. Ce n’est pas que je déteste vivre ici, pas du tout. Je viens de me construire un appartement et je prévois de rester longtemps ici. J’aime la ville et c’est un endroit où il fait bon vivre, mais ce n’est pas forcément là où je peux être créatif, ou bien où j’ai envie d’être créatif. C’est juste autre chose. Donc je pense que si j’étais entouré d’immeubles, pour répondre à ta question, je n’écrirais tout simplement pas de musique [petits rires].

La dernière fois, tu nous as parlé des deux fois où tu t’es presque noyé dans l’océan. Malgré ça, tu as développé une fascination et une passion pour l’océan, et tu fais même de la plongée sous-marine. Comment se fait-il que tu n’aies pas été traumatisé par ces deux expériences ?

Je l’ai été ! J’avais très peur de l’océan et j’éprouve toujours un énorme respect pour celui-ci. Il y a des moments où je suis près de l’océan et où il y a de grosses vagues, et cette peur me revient, mais ce n’est pas une peur qui me dévore complètement et me repousse, qui ferait que je ne veux pas m’exposer à l’océan ou que je veux m’enfuir ou quelque chose comme ça. J’imagine que c’est comparable à ce que Kant appelle le sentiment de Erhaben en Allemand (le Sublime, NDLR). C’est un sentiment qu’on a quand on fait l’expérience de la nature, comme quand il mentionne le fait de regarder un orage la nuit : c’est beau et effrayant à la fois. C’est le sentiment d’être exposé à ça qui, je pense, est un terreau très important et fertile pour la création artistique. La peur est un élément nécessaire. Ce n’est pas qu’un effet secondaire, mais une composante intégrale.

Où en est aujourd’hui le second volet de Phanerozoïc ?

Batteries enregistrées, guitares enregistrées. Pas de basse enregistrée encore. Pas de chant enregistré encore. Tous les autres instruments, violoncelle, cuivre, piano, tout est enregistré. Donc tout ce qu’il nous reste à faire, c’est la basse et le chant. Nous allons nous remettre là-dessus probablement vers le jour de l’an, mais nous allons aussi beaucoup tourner. Nous partons maintenant avec Rosetta et Arabrot, nous jouons d’ailleurs à Paris la semaine prochaine, jeudi – c’est la seule date française –, puis nous faisons une tournée en Australie en janvier, et ensuite une autre tournée européenne au printemps. Ceci va donc nous prendre beaucoup de temps. Donc nous allons continuer à travailler sur l’album dès que notre planning de tournée le permettra.

Avez-vous déjà planifié une date de sortie ?

Non, pas encore, mais nous visons ça pour début 2020, probablement en mars, quelque chose comme ça. C’est ce qui est vaguement prévu.

Tu en as déjà un peu parlé, mais que peux-tu nous dire d’autre sur ce second volet de Phanerozoic ?

C’est une progression par rapport au premier. C’est plus élaboré que la première moitié. Je dirais que les chansons sont plus complexes. Il va aussi clairement poursuivre le développement du côté électronique. Il y a aussi des morceaux plus rapides, par rapport au premier album qui reste pas mal dans le même côté groovy et mid-tempo. Mais ça restera très atmosphérique et dense. Mais il n’est pas encore fini et ça va beaucoup changer avec le chant. Comme je l’ai dit, Loïc transforme vraiment les chansons. Même si rien ne changera au niveau musical, l’ajout du chant confère toujours à l’album une autre dimension. C’est à peu près tout ce que je peux dire tout de suite, sachant que plein de choses vont encore évoluer et changer.

Comme tu l’as mentionné, vous avez récemment fait une tournée anniversaire pour Precambrian. Dix ans après, qu’est-ce que cet album représente pour The Ocean ?

Une époque très difficile de ma vie, personnellement. Pendant la conception de cet album, j’étais assez mal en point, et quand je l’ai enregistré, j’étais encore dans une position très difficile, mais à la fois, j’étais intrigué par la musique. Le sentiment que me procurait le fait de m’enfermer dans mon sous-sol, dans mon studio, à travailler sur les chansons, était quelque chose que j’appréciais vraiment à l’époque. Pour le groupe, je pense que c’est un album qui a été très déterminant pour les années futures. Ça et Heliocentric, en gros, étaient les deux albums les plus importants pour The Ocean. C’était la première fois que nous nous essayions à ces longues compositions pleines d’arrangements orchestraux, avec à la fois des riffs heavy et cette atmosphère sombre et très mélancolique sous-tendant l’ensemble. C’est quelque chose qui a été développé avec Precambrian et qui a assurément façonné l’avenir du groupe.

Tu as dit que c’était une époque très difficile de ta vie : pourquoi ?

Je n’étais pas heureux, tout simplement. C’était après une séparation et j’étais dans une situation où je n’étais pas vraiment content de ma vie, pour diverses raisons. A la fois, je voulais m’enfuir de tout ça. J’ai été en Australie pendant un moment et ça ne s’est pas vraiment amélioré, et j’étais pas mal déprimé. J’ai écrit ces chansons à Paradise, me promenant le long des grandes plages désolées d’Australie, mais me sentant comme une merde [rires]. Je pense que ça résume un peu l’atmosphère de l’album, pour moi. C’est comme être à un endroit magnifique mais la beauté de ton environnement fait que tu te sens encore pire parce que tu n’es pas content de toi-même et où tu en es. C’était un peu le contexte de gestation de Precambrian, tout du moins pour les idées de chansons initiales, et bien sûr ça s’entend dans les morceaux. Au moment où nous sommes entrés en studio, quand je travaillais vraiment sur les chansons, ça allait déjà mieux. Mais c’est là que les idées initiales ont été créées, en gros.

Interview réalisée par téléphone le 2 octobre 2018 par Nicolas Gricourt.
Transcription : Julien Morel, Lison Carlier & Adrien Cabiran.
Traduction : Nicolas Gricourt.

Site officiel de The Ocean : www.theoceancollective.com

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