Il n’a fallu que deux ans, ce qui est désormais une habitude, à The Pineapple Thief pour accoucher du successeur de Your Wilderness (2016). L’album avait vu la participation de Gavin Harrison, qui avait apporté une énorme plus-value au rock progressif de Bruce Soord. Si Dissolution voit à nouveau la présence de l’ex-Porcupine Tree, le processus de composition a cette fois été différent. Gavin Harrison a été impliqué dès le départ et a participé à la création des morceaux – certains titres étant même nés de jams entre Bruce Soord et le batteur. Allant plus loin dans la direction empruntée avec Your Wilderness (2016), The Pineapple Thief se remet à arpenter des terres moins « immédiates », plus difficiles à appréhender. Pourtant, Dissolution balaye d’un revers de main gracieux ses prédécesseurs, aussi réussis soient-ils.
Selon les dires de Bruce Soord, le processus de composition de Dissolution a été exténuant, à tel point qu’il imaginait ne pas terminer l’album. Et si le travail créatif a été collaboratif, les membres du groupe ont enregistré chacun de leur côté, Gavin Harrison dans son studio d’enregistrement de batterie à Londres, et Bruce Soord à Yeovil dans le Somerset tandis que la basse a été enregistrée à Leicester et les claviers à Exeter. Néanmoins, au fur et à mesure des écoutes, Dissolution révèle toute sa cohérence et les détails relèvent de l’orfèvrerie. L’album est résolument plus sombre que Your Wilderness, Magnolia (2014) ou All The Wars (2012), ce que l’introduction piano/voix « Not Naming Any Names » confirme. Il traite de la désintégration des relations humaines malgré l’hyper-connectivité sans cesse prônée par les nouvelles technologies et l’évolution culturelle. Dissolution est en somme un album qui évoque la perte d’humanité. En résulte des compositions atmosphériques avec peu d’accentuations sur les mélodies « pop » chères à Bruce Soord sur Magnolia, par exemple. Pour autant ce dernier n’a pas perdu son sens de la mélodie et du refrain accrocheur. « Uncovering Your Tracks » ou « Far Below » laisse apprécier le timbre du frontman, que ce soit lors de couplets à la voix presque susurrée ou d’envolées plus dynamiques. Ces passages, très proches de ce que réalise Steven Wilson sur To The Bone (2017) ou de ce qu’il a pu faire avec Porcupine Tree sur In Absentia (2002) et Deadwing (2005), font office de « phares », de balises qui jalonnent le chemin entre des parties plus éthérées, faites d’arrangements électroniques et de claviers (« Threatening War » aux teintes mélancoliques-dramatiques) ainsi que des riffs de guitare décharnés, à l’instar de « Try As I Might ». Bruce Soord se permet en outre quelques passages acoustiques d’une extrême mélancolie tel que « Pillar Of Salt » ou l’introduction de « Shed A Light », dont la sensibilité rappelle Anathema. Dissolution magnifie le savoir-faire de The Pineapple Thief avec une pertinence et une grâce déconcertantes.
La véritable puissance de l’album réside en revanche dans la prestation de Gavin Harrison. Impliqué dans la composition, ce dernier fait littéralement fusionner ses parties de batterie avec les mélodies de Bruce Soord jusqu’à caler son groove de manière millimétrée avec les accords de guitare à de nombreuses reprises : « Try As I Might » ; la fin dantesque de « Threatening War ». Il sait aussi respecter l’efficacité des refrains en empruntant un binaire chiadé très « pop-rock » lorsqu’il le faut. En résumé, son placement est sans cesse parfait, avec une des meilleures productions de l’instrument qui soit. Ceux qui sont familiers du jeu de Gavin Harrison se délecteront de la finesse habituelle du musicien, qui en arrive à se surpasser sur le titre-clé de l’album, « White Mist » et ses dix minutes pink-floydiennes délicatement brodées et immersives. Que ce soit des nuances de toms, un florilège de ghost-notes, une variation d’intensité constante, tout est exécuté avec une créativité désarmante. Dissolution s’est construit avec une batterie d’exception, ce qui permet des compositions changeantes et plus audacieuses que les derniers efforts du groupe de Bruce Soord qui s’est parfaitement adapté.
Dire que Dissolution est le meilleur album du groupe revient à prendre des risques étant donné la qualité de la discographie du groupe. Pourtant cette version de The Pineapple Thief, cet équilibre entre musique progressive et rock/pop simple ne souffre pas lorsque l’effet de « nouveauté » est passé. L’album se réécoute plusieurs fois et prend, émeut à chaque fois. Dissolution donne envie de prendre ces risques : il est sans doute l’album le plus abouti du groupe à ce jour.
Clip vidéo de la chanson « Try As I Might » (version edit) :
Chanson « Far Below » en écoute :
Album Dissolution, sortie le 31 août 2018 via Kscope. Disponible à l’achat ici