Si l’on peut croire que, par définition, la vérité est une et indivisible, l’époque actuelle démontre qu’on peut la décliner en de multiples versions, au point où ce détournement – par naïveté ou par malice – est devenu une des armes les plus redoutables pour déstabiliser ou orienter des sociétés tout entières. Mais après tout, la malléabilité de la vérité est vieille comme l’humanité. Comme le fait remarquer Bruce Soord, il suffit de voir lors d’un divorce les deux parties incapables de s’accorder sur une vérité. Simplement, le phénomène a gagné en ampleur par le biais des médias de masse. Voilà la réflexion qui, en substance, sert de fondement au nouvel album de The Pineapple Thief, dont les premières notes ont été posées en plein Brexit.
En revanche, s’il y a une vérité incontestable, c’est que The Pineapple Thief est depuis Your Wilderness et l’arrivée du batteur Gavin Harrison sur une très belle dynamique, presque une renaissance. Son nouvel album, Versions Of The Truth, n’en est qu’une preuve supplémentaire. On en discute dans l’entretien qui suit avec Bruce Soord.
« Après Magnolia nous étions sur le point d’arrêter, de laisser tomber The Pineapple Thief, et ensuite nous avons écrit Your Wilderness. La clé de Your Wilderness et de tous les albums qui ont suivi est que je n’ai pas vraiment réfléchi à ce que nous devions ou pas faire. »
Radio Metal : Le succès de Dissolution et la naissance de ta fille ont tous les deux inspiré un élan de créativité chez toi, suite auquel tu as écrit quatre ou cinq chansons. Comment ces événements ont-ils créé cette étincelle ?
Bruce Soord (chant & guitare) : Je suppose que c’est simplement la vie, n’est-ce pas ? Nous avons commencé à écrire l’album en octobre 2018, en fait, et c’était juste après la naissance de ma fille. Ça m’a donné un regard particulier sur les choses et nous venions tout juste de revenir de tournée… Mais c’est difficile de décrire ce que ça fait d’être inspiré, et je pense que je prends chaque jour et tout ce qui m’arrive et je les mets dans la musique. C’était une période étrange parce que dans mon pays, tout était dominé par le Brexit et je pense que c’est la raison pour laquelle nous avons très vite trouvé le titre de l’album, genre dès le début, ce qui est assez inhabituel. Normalement, quand nous faisons un album, nous terminons l’album et ensuite, nous nous disons : « Oh mon Dieu, il faut trouver un titre ! » et nous le trouvons à la dernière minute. C’est horrible de devoir trouver un titre pour un album, mais cette fois, nous l’avions dès le début. Je savais donc dès le début que je voulais écrire sur cette problématique, c’est-à-dire l’idée que la vérité ne semble plus avoir d’importance dans la société contemporaine. Mais oui, les quatre ou cinq premières chansons sont venues très vites et je me souviens que Gavin Harrison et moi, nous nous échangions des idées, et les chansons venaient toutes seules. C’était un processus vraiment sympa, qui s’est fait sans effort. C’est assez rare, je dois dire, dans un environnement de groupe que ça soit aussi calme et facile.
L’album a été écrit en deux sessions principales, séparées par une tournée et la sortie de ton album solo. As-tu constaté une différence dans le feeling des chansons entre celles qui ont été écrites lors de la première session et celles de la seconde ?
C’est une bonne question ! Oui, je l’ai remarqué, car si on prend par exemple la première session, nous avons écrit quatre ou cinq chansons et pendant cette période de quatre ou cinq mois, nous ne pensions qu’à ça : tous les jours je me réveillais, j’allais dans mon studio et je travaillais sur ces chansons. Puis tu sors de cette bulle, tu pars en tournée, tu reviens et t’es là : « D’accord, écoutons ces chansons. Oh, ouais… » et alors tu retravailles sur ces chansons avec un regard neuf. Mais ensuite, tu commences une autre session et, tu as raison, le feeling était très différent. Je me souviens que le morceau éponyme, « Versions Of The Truth », est venu lors de la seconde session, et elle a un feeling très différent, peut-être parce que le monde avait changé et que mon cerveau était dans un autre état d’esprit.
Est-ce que ton album solo a eu la moindre influence sur la manière dont tu as abordé ce nouvel album de The Pineapple Thief ?
Je pense que lorsque j’ai fait mon album solo, j’ai réalisé l’importance de ma voix, l’importance du chant en général. Je pense que c’est assez courant pour quelqu’un comme moi, c’est-à-dire un guitariste-compositeur, [de négliger la voix]. La guitare est mon instrument, mais en tant que compositeur, tu te mets à chanter dans un microphone en supposant : « Oh ouais, je vais chanter un truc », mais sans prendre ça sérieusement comme un instrument. Tu ne travailles pas dessus, que ce soit sur la technique ou… C’est quelque chose pour lequel, durant les deux ou trois dernières années, je me suis subitement mis à penser : « Attends une minute, ma voix est probablement plus importante que ma guitare. » Je pense que ça vient aussi des concerts, mais c’est surtout avec mon album solo que j’en suis venu à cette idée, à vraiment travailler sur ma voix, à prendre des cours et à renforcer mes cordes vocales. Je pense que ça a fait une grosse différence. Dans l’album solo, j’ai beaucoup plus travaillé sur ma voix et j’ai amené ça dans ce nouvel album, car la voix est un élément important… c’est probablement l’élément le plus important d’une chanson sur un album, car c’est ce à quoi les gens s’identifient. Pour être franc, c’est l’un des gros regrets que j’ai quand je réécoute les vieux morceaux – tous les vieux morceaux. Ce que je fais maintenant avec ma voix est ce que ça aurait dû être, mais je suis content d’en être enfin arrivé là.
Gavin a dit que « ces nouvelles chansons vont davantage droit au but ». C’est marrant parce que je me souviens qu’à l’époque de Magnolia, tu avais délibérément écrit des chansons concises, et ensuite avec Your Wilderness et Dissolution, tu t’es remis un peu plus à écrire de longues sections évolutives, car tu avais l’impression qu’avec « Magnolia [vous étiez] probablement en train d’aller dans une direction qui n’était pas naturelle », comme tu nous l’avais expliqué. On dirait qu’il y a un conflit en toi entre un désir de chansons concises et un instinct naturel qui te pousse à écrire de la musique plus sinueuse…
[Petits rires] Oui, c’est une remarque intéressante. Avec Magnolia, je pense que nous allions dans une direction rock bien plus commerciale. Autant j’aime toujours beaucoup écouter et jouer les chansons de Magnolia, quand nous avons commencé sur Your Wilderness… Car je me souviens qu’après Magnolia, j’ai dit à Jon [Sykes], notre bassiste, que nous étions sur le point d’arrêter, de laisser tomber The Pineapple Thief, et ensuite nous avons écrit Your Wilderness. La clé de Your Wilderness et de tous les albums qui ont suivi est que je n’ai pas vraiment réfléchi à ce que nous devions ou pas faire. Donc Your Wilderness contenait « The Final Thing On My Mind » et Dissolution contenait « White Mist », qui sont des chansons plus longues. Mais avec le nouvel album, nous ne nous disions pas délibérément que nous devions être concis. Il n’y avait pas de bataille entre les chansons courtes et longues. Il s’est juste avéré qu’aucune des chansons ne réclamait d’être plus longue – je crois que la chanson la plus longue fait sept minutes, ce qui reste long selon les normes du rock. La différence entre cet album et Magnolia est qu’il paraissait naturellement devoir être tel qu’il est. Personnellement, quand je l’écoute du début à la fin, il sonne tout aussi progressif et épique que les deux derniers albums. C’est marrant parce que les gens ont relevé ça, et je me souviens, quand nous avions terminé l’album, d’avoir dit aux gars : « Vous avez remarqué qu’il n’y a pas de long morceau épique ? » Et la première chose qu’ils ont dite : « Bruce, si nous avions délibérément cherché à écrire un long morceau épique parce que c’est ce à quoi les gens s’attendent, ça aurait été la pire attitude de vendu qu’on aurait pu avoir. » Mais ce n’était pas conscient, l’album s’est fait très naturellement, pour être honnête.
« Quand nous avons rencontré Gavin, ça nous a vraiment poussés à passer à la vitesse supérieure. Nous avons réalisé le travail qu’il fallait abattre pour être un groupe de classe mondiale. »
A partir de Dissolution, Gavin Harrison a eu un rôle plus actif dans la composition, et il semblerait que cette relation créative se soit davantage solidifiée avec Versions Of The Truth. Gavin a dit que vous aviez « amélioré une méthode de travail qui est très productive ». A quoi ressemble cette méthode maintenant si on compare à ce que vous aviez mis en place pour Dissolution ?
La pure vérité est que Gavin et moi, nous nous connaissons beaucoup mieux. Nous avons fait quatre tournées ensemble et nous avons partagé le bus de tournée, donc nous nous connaissons. Au début – je vais être tout à fait honnête – j’étais assez réservé dans ma manière de travailler avec Gavin, parce que Gavin Harrison est un batteur de renommée mondiale. Il m’a donc fallu un peu de temps pour en arriver au point où je pouvais faire ce que je voulais, dire à Gavin exactement ce que je pensais… Avec cet album, la relation était très naturelle, c’était vraiment authentique, très agréable, nous pouvions nous dire tout ce que nous voulions. Si Gavin n’aime pas quelque chose, il me le dit ; si je n’aime pas quelque chose, je le dis à Gavin. Mais de façon générale, nos visions sur la manière dont nous voulons voir une chanson évoluer et pour décider quand elle est finie… C’est probablement un point crucial : savoir quand une chanson est terminée. Nous semblons être sur la même longueur d’onde, donc ça a très bien marché. Le processus de composition est assez intéressant, parce qu’avant j’avais l’habitude de composer toute la chanson et de donner aux gars une démo quasiment terminée, et ils me disaient : « Qu’est-ce que je suis censé faire avec ça ? Car tu as tout fait. » Mais maintenant, je m’arrête délibérément ; je trouve un couplet ou un refrain, je le donne à Gavin et ensuite il l’emmène dans des directions que je n’aurais jamais imaginées. C’est la beauté d’un groupe véritablement collaboratif. Je sais que plein de musiciens et compositeurs disent qu’ils ne pourraient jamais travailler dans ce genre d’environnement, dans un comité, etc. mais j’adore le fait que Gavin et moi poussons et tirons dans des directions différentes pendant que nous composons, parce que ça amène les chansons à prendre des formes uniques que je ne leur aurais pas données tout seul.
Vos deux derniers albums – Your Wilderness et Dissolution – ont été vos deux plus grands succès et ont placé le groupe sur une belle dynamique créative et commerciale. Or ça coïncide précisément avec l’arrivée de Gavin dans le groupe : penses-tu qu’il y a un lien de cause à effet ?
Absolument, oui. Comme je l’ai dit plus tôt, nous étions sur le point d’arrêter. Nous nous sommes dit : « On s’est pas trop mal débrouillés, on n’a jamais eu énormément de succès mais on a beaucoup tourné et sorti dix albums. » Mais quand nous avons rencontré Gavin, ça nous a vraiment poussés à passer à la vitesse supérieure. Nous avons réalisé le travail qu’il fallait abattre pour être un groupe de classe mondiale. Nous pouvions le faire parce que nous avions un batteur de classe mondiale et il fallait que nous progressions. Je pense que ça a clairement coïncidé. Il faut avoir le groupe, il faut avoir les chansons, donc évidemment, le fait d’avoir un batteur comme Gavin dans le groupe n’est pas la solution facile pour avoir du succès, mais ça a permis de propulser le groupe professionnellement là il devait être.
D’un autre côté, ça n’a pas été un peu frustrant de vous dire qu’il vous a fallu un batteur de renommée mondiale pour obtenir l’attention que le groupe méritait ?
[Rires] Oui, je sais ! Mais ce qu’il y a de bien maintenant, ceci dit, c’est qu’il y a toutes ces nouvelles personnes qui nous ont découverts et qui sont là : « Oh mon Dieu, écoute ça ! » J’ai vu un commentaire : « Oh mon Dieu, tout un monde s’ouvre à moi avec la discographie passée de The Pineapple Thief ! » Car ces gens qui nous découvrent vraiment seulement vingt ans après ont douze autres albums à écouter ! Je suis content que nous n’ayons pas laissé tomber quand nous avons pensé le faire après Magnolia. Je suis donc reconnaissant. Enfin, nous pourrions nous dire : « Est-ce qu’on aurait pu avoir un succès commercial plus tôt ? » mais je ne me plains pas !
Gavin a une manière de jouer de la batterie unique et très imaginative. Je me souviens de l’avoir vu jouer avec ses doigts sur la caisse claire sur la chanson « In Exile », par exemple. Dirais-tu que le fait de l’avoir dans le groupe vous a poussés à être plus créatifs et à sortir des sentiers battus, non seulement avec la composition mais aussi du point de vue sonore ?
Oui, absolument. Je mixe les albums, mais Gavin mixe ses parties de batterie. Une chose que j’ai pensé faire, c’est de partager la démo d’« In Exhile » pour que les gens puissent entendre la différence, car quand Gavin nous a envoyé sa partie de batterie pour « In Exhile », j’étais là : « Bon sang, mais c’est incroyable ! » La créativité qu’il a apportée et la réflexion qu’il met dans ses parties… Tu parles de sa technique de doigts sur la caisse claire, je lui avais dit : « De toute évidence tu as fait un overdub avec un rimshot. » Il a rigolé : « Bruce, c’est l’une de mes techniques. » Donc oui, c’était le début de quelque chose de très spécial. Mais tu as raison, c’est un peu comme le chaînon manquant.
Il joue du marimba sur le morceau éponyme et sur « Stop Making Sense ». J’imagine que c’est un autre exemple de sa créativité…
Oui. J’en reviens à ce que je disais plus tôt, le fait que j’arrête délibérément de composer une chanson et que je la donne à Gavin pour voir ce qu’il en ferait, dans ce cas particulier, il me l’a renvoyée et a dit : « Eh Bruce, écoute ça. Qu’est-ce que tu en penses ? Est-ce que je fais fausse route ? » J’ai écouté et il avait mis du marimba sur le morceau ! J’étais là : « Bordel mais c’est quoi ça ? Il a mis du marimba sur ‘Versions Of The Truth’ ! » Ça sonnait super ! C’est un exemple de la manière dont la composition collaborative peut nous amener à des trucs… Gavin n’aurait pas écrit les chansons et évidemment, c’est moi qui les ai initiées, mais je n’aurais jamais terminé les chansons telles qu’elles sont aujourd’hui, parce que c’est justement l’apport de Gavin. Donc oui, tu as raison.
« Si tu regardes comment fonctionne le monde actuellement, et les gens qui sont au pouvoir, comment ils utilisent l’information et la désinformation… Il est clair que ça occasionne plus de problèmes dans le monde que tout ce que j’ai connu. »
Quand on écoute l’album live Where We Stood, Gavin se fait vraiment Plaisir en chargeant un peu plus son jeu. Mais sur les albums, il reste très focalisé sur les chansons. Dois-tu parfois le retenir un peu de trop partir en vrille sur la batterie ?
[Rires] Non… Enfin, en live, oui. Tu as raison, en live Gavin devient dingue. Parfois, je suis sur scène et je me dis : « Oh, écoute, ça y est c’est parti, il se lâche ! » Mais non, nous ne le retenons pas. Je pense que la dernière chose que veut Gavin c’est d’être… Je pense qu’il veut qu’on ne le voie pas seulement comme un batteur mais comme un musicien, un compositeur et un arrangeur. Sur les albums, il est probablement plus sur la retenue, je dirais – comme sur cet album –, mais je ne crois pas que « retenue » soit le bon mot. Il a joué ce qu’il voulait jouer sur l’album. Quand nous jouons en concert, qui sait ? Qui sait ce qu’il fera quand il monte sur scène ! Il n’est jamais pareil d’un jour sur l’autre, ce qui fait que c’est d’autant plus amusant de faire des concerts avec lui.
Non seulement tu as poursuivi ta collaboration avec Gavin, mais Versions Of The Truth a également été produit par les quatre membres du groupe. Dissolution était déjà un album plus collaboratif que ta manière de travailler passée. Comment se fait-il qu’il t’a fallu autant de temps pour réaliser le bénéfice d’impliquer davantage tes collègues et de te nourrir d’eux, plutôt que de suivre exclusivement ta vision ?
[Petits rires] Qui sait ? C’est une bonne question. Je pense que c’est le bon moment. Au début, c’était difficile parce que tout le monde travaillait, donc la seule possibilité que nous avions de faire des albums était que je fasse tout, parce que nous n’avions pas le temps ni l’argent. Mais maintenant, nous sommes tous des musiciens à plein temps et dans le groupe à plein temps, donc c’est beaucoup plus facile. Mais tu as raison : j’aurais aimé que ça se fasse plus tôt ainsi, mais je suis content que ce soit arrivé quand c’est arrivé, car j’adore ! J’adore donner ma musique et la partager, plutôt que de tout assumer. C’était très facile pour moi.
L’album s’intitule Versions Of The Truth et évoque le fait que la vérité est devenue quelque chose de très malléable. C’est même utilisé comme une arme avec l’aide d’internet et des réseaux sociaux. Penses-tu que le contrôle de l’information est devenu encore plus efficace pour causer du désordre et effrayant que n’importe quelle arme de destruction massive ?
Absolument. Si tu regardes comment fonctionne le monde actuellement, et les gens qui sont au pouvoir, comment ils utilisent l’information et la désinformation… Il est clair que ça occasionne plus de problèmes dans le monde que tout ce que j’ai connu. Mais ça renvoie aussi à l’instinct humain et à l’histoire qui se répète. J’aimerais croire que l’humanité a évolué pour que nous puissions dépasser nos instincts basiques, mais il est clair que pour l’instant, on a plus l’air de régresser vers nos instincts primaires et ça occasionne les problèmes qu’on connaît aujourd’hui. C’est très inquiétant, n’est-ce pas ? Je ne m’attendais pas à ce que cet album soit aussi pertinent aujourd’hui. Comme je l’ai dit, tout est venu du morceau éponyme, et de vraiment essayer de trouver la seule et unique version de la vérité et de faire confiance à quelqu’un. Il y a une phrase à la fin de « Stop Making Sense » : « I need you to make sense » – c’est-à-dire qu’il y a un retour possible. C’est donc le message au final, le fait qu’on peut s’en sortir. Je pense que l’humanité va gagner. Il y a un peu d’espoir dans l’album si on cherche bien, on peut le trouver.
De nombreux philosophes ont réfléchi sur la notion de vérité. Donc c’est quoi la vérité pour toi ?
[Rires] C’est évidemment une bonne question, mais je suppose que la vérité, c’est ce que je vois, et je pense que tout le monde sait ce qu’il voit. Bien sûr, il y a la science et les faits : il y a clairement une manière de trouver cette unique version de la vérité. Je ne comprends pas pourquoi c’est aussi difficile.
On t’a souvent comparé à Steven Wilson, et il a lui-même eu une réflexion similaire sur la notion de vérité sur son album To The Bone. Penses-tu que, si on peut établir des similitudes entre vous deux, c’est parce que vous avez tous les deux une vision du monde similaire ?
Oui, enfin, il est clair que nous avons eu un parcours très similaire. Evidemment, ça fait longtemps que je connais Steven, et même si on remonte à la fin des années 90, début des années 2000, nous avions une approche similaire, à essayer d’écrire de la musique qui était différente de tout ce qui se faisait autour de nous, surtout dans le monde du rock progressif. Mais je ne sais pas ! Je ne connais pas Steven suffisamment bien pour répondre à cette question, pour être honnête. Je dois t’avouer que je n’ai même pas vraiment écouté son album, parce que la dernière chose que j’aimerais, c’est être influencé par quelque chose que Steven a fait, car nous essayons tous les deux de créer de la nouvelle musique originale. Evidemment, ça m’arrive d’écouter ce qu’il fait, mais je ne me plonge pas dedans. J’ai juste envie de faire la musique que j’ai envie de faire sans la moindre influence.
« Tu peux faire de la super musique, mais les gens ne voudront pas sortir ta musique parce que tes albums ne se vendent pas assez, mais ils te disent qu’ils adorent ta musique… C’est à se taper la tête contre un mur ! Je ne pourrais même pas te dire comment nous avons réussi, je n’en ai aucune idée. »
Le texte de la chanson « Demons » est assez sombre et contraste avec le côté relativement joyeux et entraînant de la musique. « Stop Making Sense » a également une dynamique similaire entre ces deux aspects. Comment expliquer ces paradoxes ?
C’est curieux, n’est-ce pas ? J’aime beaucoup la juxtaposition de ce type de musique et de paroles sombres. C’est simplement quelque chose qui me vient naturellement ; je ne saurais vraiment l’expliquer, pour être honnête. Ce n’est pas parce que je chante des mots très mélancoliques et sombres que la musique doit être tout le temps sombre, parce que je pense que ce serait trop à digérer. Donc je pense qu’on peut faire passer un message sombre sans l’être soi-même.
L’illustration de l’album dépeint un labyrinthe. On peut clairement y voir une métaphore sur la difficulté d’atteindre la vérité aujourd’hui, mais ça pourrait aussi être une métaphore sur la créativité. Est-ce que faire un album et de la musique s’apparente parfois à essayer de trouver son chemin dans un labyrinthe ?
[Rires] Oui, enfin, il est certain que l’industrie musicale s’apparente à un labyrinthe. Je pense que le processus créatif, en revanche, est clair comme de l’eau de roche : je sais où je veux aller et je sais quand j’ai atteint mon but. Mais dans ce business, on a vraiment l’impression de déambuler dans un labyrinthe, c’est différent. Je ne pourrais même pas t’expliquer comment fonctionne le business ! On commence petit… C’est très dur d’arriver à quelque chose. Tu peux faire de la super musique, mais les gens ne voudront pas sortir ta musique parce que tes albums ne se vendent pas assez, mais ils te disent qu’ils adorent ta musique… C’est à se taper la tête contre un mur ! Je ne pourrais même pas te dire comment nous avons réussi, je n’en ai aucune idée. Nous nous sommes certainement lentement frayé un chemin, en travaillant, jusqu’à ce que nous soyons signés sur Kscope et que Gavin nous rejoigne, et finalement nous avons rencontré du succès… Mais dans cette illustration, je vois un labyrinthe, je vois aussi une personne là-dedans, tout le monde voit différentes choses dans cette pochette, ce que je trouve super : c’est très bien d’avoir un concept surréaliste comme illustration, ça change de notre style habituel, je trouve.
Alors que vos précédents albums se terminaient sur des chansons épiques qui représentaient clairement le point culminant de l’album, celui-ci se conclut avec « The Game », une chanson pleine de tension et de colère qui seront donc les dernières émotions que les gens ressentiront dans cet album. C’est un choix assez audacieux. Quel genre de déclaration avez-vous voulu faire en finissant sur une telle note ?
C’est une bonne question. C’était effectivement un choix très différent, comparé à nos albums précédents, de finir sur cette notre sombre. Quand on écoute un album, traditionnellement, on finit sur un énorme crescendo, mais cette fois, nous nous sommes dit : « Non, on ne va pas faire ça. Finissons sur une chanson qui suscite la réflexion. » Mais tu as raison, c’est un choix audacieux et j’espère que les gens comprendront pourquoi nous l’avons fait. C’est un autre aspect quand on écoute un album, plutôt que des morceaux sur Spotify. J’espère que les gens qui prennent les albums vraiment pour des albums comprendront pourquoi nous avons choisi de conclure sur ce morceau. Mais c’est très différent pour nous et je pense que c’est une bonne chose. Globalement, j’espère que l’écoute de cet album sera une expérience cathartique, que nous pouvons tous partager en étant d’accord sur le fait que ce qui se passe est horrible et qu’on n’est pas seuls, que tous les gens qui crient et font beaucoup de bruit sont une minorité, et que les gens qui sont rationnels comme toi, moi et les gens qui écoutent cet album, nous nous serrons les coudes. Donc j’espère que ça sera à la fois cathartique et apaisant.
Interview réalisée par téléphone le 6 août 2020 par Nicolas Gricourt.
Fiche de questions : Philippe Sliwa & Nicolas Gricourt
Retranscription : Foucauld Escaillet.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Site officiel de The Pineapple Thief : www.pineapplethief.com
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