Beloved Antichrist (2018) devra attendre avant d’être mis en scène. Le projet le plus ambitieux de Therion souffre de contraintes économiques mais aussi, comme tant d’autres, des aléas liés à la pandémie. Loin d’être abandonnée, la représentation de l’opéra rock des Suédois devra attendre des conditions plus favorables. Toujours est-il que, revenu un peu perdu et vidé de son dernier cycle, Therion s’est finalement repris et est entré dans une frénésie créative nourrie par Christofer Johnsson et Thomas Vikström en composant une quarantaine de chansons destinées à paraître en trilogie. Le premier opus s’intitule Leviathan et pour une fois, Therion prétend ne pas chercher à « repousser les frontières », à explorer ou innover. Il veut simplement créer une succession de tubes correspondant à l’ADN de Therion, voués à être plébiscités auprès des fans et en live. Inspirée du gigantisme de ce monstre marin issu des mythes judéo-chrétiens, la dernière œuvre de Therion n’a qu’un dessein : être cette grande collection de musique immédiatement estimable en saisissant ce qui rend une chanson mémorable.
Lorsqu’on connaît les moyens développés par Therion pour la composition de ses albums, on est en droit de s’inquiéter quant aux répercussions de la pandémie sur la méthode d’enregistrement. Limitées à trois personnes, les sessions studio classiques ne suffisaient évidemment pas. Therion a choisi de tout enregistrer à distance. Une entreprise de taille puisqu’il s’agissait de coordonner neuf pays différents. Therion s’en est acquitté en respectant son statut. La production de Leviathan ne semble aucunement souffrir de la distance. Cette recherche de l’accroche se ressent dès les premières secondes de « The Leaf On The Oak Of Far » où Therion délivre un riffing heavy old school et enjoué, très vite nuancé par son sens de la grandiloquence lyrique. « The Leaf On The Oak Of Far » peut aisément servir de vitrine de la recette de Leviathan : un heavy metal au lexique facile, une alternance de voix féminine et masculine et la dimension « classique » faite de chœurs et chants opératiques et d’arrangements orchestraux.
Therion parvient en outre à condenser les éléments qui ont fait sa renommée pour n’en conserver que l’essentiel. « Leviathan » est l’avatar d’un Therion conservateur, reposant essentiellement sur cette fusion d’une batterie rock et de vocalises classiques réduite à sa plus simple expression, au profit de la mélodie. La ballade orchestrale « Die Wellen Der Zeit » honore l’inspiration wagnérienne qui gouverne l’œuvre entière de Therion et joue sur la fibre glorieuse, un brin kitsch, que n’aurait pas reniée Manowar. L’album contient ce qui s’apparente à des renvois aux exercices précédents, que ce soit Theli (1996), Vovin (1998) – avec la vocalise dans le refrain de « The Leaf On The Oak Of Far » qui fait écho à « The Rise Of Sodom And Gomorrah » –, Lemuria/Sirius B (2004) ou à travers les mélodies orientales de « Aži Dahāka ». En cherchant à s’inspirer de sa propre œuvre, Therion se rapproche parfois de la rétrospective. Un sentiment corroboré par la participation d’un ancien membre du groupe en la personne de Mats Levén sur « Psalms Of Retribution ». Seule exception : « Tuonela » – sans doute le morceau le plus « commercial » jamais composé par Therion – qui se démarque en marchant allègrement sur les platebandes de Nightwish avec ses accroches folkloriques dansantes et la présence de Marko Hietala.
Le dessein de Leviathan – cette quête de l’essence de la musique de Therion pour distiller hit après hit – en fait un album qui survole une grande partie de la carrière du groupe. Une amorce de trilogie qui ne se veut pas conceptuelle. Au contraire, Therion a voulu réaliser son album de « pop ». Si Leviathan réussit bel et bien à cibler l’essentiel et se veut propice au ravissement immédiat, ceux qui louaient la facette plus intrépide de Therion devront se raviser. Pour une fois, le groupe invite à s’asseoir confortablement et à chasser les dragons en pantoufles.
Clip vidéo de la chanson « Die Wellen Der Zeit » :
Clip vidéo de la chanson « Leviathan » :
Album Leviathan, sortie le 22 janvier 2021 via Nuclear Blast. Disponible à l’achat ici