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Interview   

Threshold rebondit et réajuste son cap


Dans le monde du metal progressif, Threshold n’a pas le statut d’un Dream Theater, sans doute parce qu’ils ont mis un peu plus de temps à se lancer, peut-être aussi parce qu’ils n’ont jamais eu le même sens de l’ambition. Sans jamais partir dans la technique à outrance, Threshold s’est toujours attelé à produire un metal progressif accessible, mélodique, heavy juste ce qu’il faut, presque FM. Mais en regardant sa carrière, le combo anglais n’a pas à rougir : son premier album, Wounded Land, est sorti il y a déjà bientôt 25 ans, et dix autres ont suivi derrière, y compris le double album conceptuel Legends Of The Shires qui vient de sortir.

Un album qui inaugure des changements : non seulement le guitariste Pete Morten est parti voguer vers de nouveaux horizons, laissant le groupe en quintet, mais surtout, un visage familier dans la famille Threshold fait son retour : Glynn Morgan qui avait chanté sur le deuxième album du combo, Psychedelicatessen, venu remplacé, comme en 1993, Damian Wilson.

Nous avons joint le claviériste, principal compositeur et parolier Richard West pour évoquer tout ceci avec lui.

« Nous pouvons nous égarer à gauche avec de la musique progressive, puis ensuite vers la droite avec du metal, et au milieu nous avons la musique pop et accrocheuse ; et nous pouvons jouer dans cette fantastique arène sonore où nous pouvons aller où nous voulons. »

Radio Metal : Il y a quelques mois, le groupe s’est séparé du chanteur Damian Wilson. Dans le communiqué était seulement mentionné que « le groupe avait choisi de démarrer un nouveau chapitre sans lui et qu’il leur a dit respecter cette décision ». Du coup, qu’est-ce qui s’est vraiment passé avec Damian ?

Richard West (claviers) : Honnêtement, je ne sais pas quoi dire. C’est une situation complexe mais nous avons tous décidé que c’était la meilleure chose à faire. Nous avons passé dix super années avec Damian et bien sûr Pete Morten, notre second guitariste qui est également parti cette année. Ils nous avaient tous les deux rejoints en 2007 et j’ai de très bons souvenirs de cette période mais désormais, nous sommes surexcités par ce nouveau line-up et avons hâte de nous faire de nouveaux souvenirs.

C’est d’ailleurs la troisième fois qu’il intègre puis quitte le groupe. C’est dur de bosser avec lui ou quoi ?

[Rires] J’aimerais être plus diplomatique que ça ! C’est intéressant avec Damian, c’est un super mec mais… Je ne sais honnêtement pas quoi dire pour le moment. Je me rappelle quand nous avons fait le premier album « Wounded Land » en 1993 et il était parti du groupe avant même que nous fassions notre tournée. Donc c’est bizarre mais, tu sais, il y a des groupes qui sont faits pour avoir les mêmes cinq personnes pour toujours et d’autres pour qui ça n’est pas si facile. Pour une raison ou une autre, avec Threshold, ça n’est pas si facile. Je suis heureux d’avoir eu le plaisir de travailler avec trois incroyables chanteurs ces vingt-cinq dernières années. En tant que producteur, je trouve ça vraiment gratifiant. Ça a été super de travailler avec Damian, Mac, bien sûr, et Glynn maintenant. En tant que producteur, je suis tout simplement très heureux de pouvoir faire tous ces albums qui sonnent super bien.

Mais c’était plus un problème personnel ou créatif ?

[Rires] Tu ne vas pas me lâcher avec ça, n’est-ce pas ? Ça n’était pas créatif. [Fait une pause et rit] Je vais être honnête avec toi : je n’ai pas tous les détails, donc j’attends toujours de savoir quel est le fin mot de cette histoire. Bien sûr, je connais l’histoire de mon point de vue, de celui de Threshold mais je ne la connais pas du point de vue de Damian. Je ne sais pas tout de ce que Damian pensait ou faisait, donc c’est un peu difficile pour moi de commenter. Je suis sûr qu’il y a beaucoup de choses qu’on ne sait pas mais, je dois être honnête, je n’ai pas vraiment envie de commenter plus là-dessus parce que ça ne serait que de la spéculation. Mais je sais que pour Threshold ce n’était vraiment pas possible de continuer comme ça.

Est-ce que tu penses qu’il y a une malédiction avec les chanteurs dans ce groupe ?

Non, certainement pas de malédiction. C’est marrant d’ailleurs, nous avons plutôt eu de la chance, dans un sens. Nous étions évidemment très tristes quand Mac est parti il y a dix ans mais je travaillais sur un autre projet avec Damian à l’époque, donc c’était facile de lui demander de revenir parce que nous travaillions déjà ensemble et appréciions passer du temps ensemble, tout se passait bien. Et ce coup-ci, c’est pareil, je travaillais déjà avec Glynn sur deux-trois autres projets et il était notre ancien chanteur de 1994. Donc je travaillais avec lui l’année dernière et, encore une fois, c’était facile de demander à Glynn quand Damian est parti. Je savais que sa voix était extraordinaire et qu’il était intéressé. Donc ça a été assez facile pour nous et je ne pense pas que l’on puisse parler de malédiction car, au moins, les transitions se passent en douceur pour nous.

Tu as déclaré que vous « ne vouliez tout simplement pas continuer avec un nouveau chanteur. » Pourquoi ?

Un quatrième ! [Rires] Je pense que la famille Threshold est déjà bien assez grande. Pour être honnête, lorsque nous avons appris ce qui allait se passer, Glynn était le seul nom sur notre liste. Il n’y avait personne d’autre à qui nous voulions demander. Il a été un super chanteur pour nous dans les années 90, sa voix est toujours incroyable et c’était vraiment bien de lui donner une seconde opportunité pour réintégrer Threshold et continuer, j’espère, à faire de la bonne musique ensemble.

Il avait participé à seulement un album auparavant avec vous, Psychedelicatessen, en 1994. Penses-tu que votre œuvre ensemble était inachevée ?

Ouais, carrément. Je me rappelle quand il est parti, c’était en 1996, je crois. Il m’a dit que si je voulais refaire un album avec lui un jour, il adorerait ça. Donc, ouais, il y avait une bonne connexion. Je l’ai fait revenir dans un studio il y a cinq ans pour enregistrer une chanson avec mon autre groupe League Of Lights, une chanson appelée « Forever », il sonnait super bien et je me suis dit qu’il fallait que nous en fassions d’autres. Donc j’étais vraiment heureux cette année quand nous avons eu l’opportunité de faire un album avec Glynn et je suis vraiment content du résultat.

En 2007, pourquoi avez-vous choisi de continuer avec Damian et pas directement avec Glynn ?

C’est une question très intéressante. Je ne connais pas la réponse. Je pense que c’est parce que nous étions déjà en contact avec Damian. Il vivait dans les parages et nous savions déjà qu’il était intéressé. Je crois qu’avec Glynn, à ce moment-là, nous n’étions pas en contact, nous n’avions pas ses coordonnées et il vivait à 150 kilomètres de là. Il nous fallait quelqu’un dans un délai de sept jours parce que Mac nous avait quittés sept jours avant un festival. Nous voulions faire ce festival et ne pas avoir à jeter l’éponge à cause de son départ. Nous nous sommes dit que ça nous prendrait peut-être sept jours pour trouver Glynn et à ce moment-là, ça faisait un bail que nous n’avions pas été en contact. « Est-ce qu’il chantait toujours ? Est-ce que ça marcherait ? » Avec Damian, nous savions que nous aurions directement une réponse facile. Je me suis souvent demandé ce qui se serait passé si nous avions trouvé Glynn à ce moment-là, mais ça ne s’est pas fait comme ça et nous avons fait deux très bons albums et des super concerts avec Damian. Mais je dois dire que je suis vraiment excité par ce nouvel album.

« La différence entre nous et d’autres groupes progressifs est que nous nous concentrons sur les chansons et la mélodie, alors que d’autres musiciens se concentrent sur d’autres aspects. Ils vont se focaliser sur les solos ou l’ambiance mais pour nous, la chanson est toujours le plus important. »

Et d’ailleurs, pourquoi Glynn a-t-il quitté le groupe après Psychedelicatessen ? Il n’est resté que trois ans dans le groupe à cette époque !

Ouais, c’est vraiment bizarre parce que nous avons fait l’album puis l’album live et pas mal de tournées. Nous avons même fait des concerts avec Dream Theater et, selon moi, tout se passait bien. Mais je me rappelle que, dans le groupe, il y avait une drôle d’ambiance. Je ne me rappelle pas pourquoi mais je pense qu’à l’époque, Glynn voulait faire de la musique un peu plus heavy et nous, nous voulions être plus progressifs. Ca s’entend d’ailleurs. Nous avons enchaîné sur Extinct Instinct qui était un super album progressif et Glynn lui a enchaîné sur la création de Mindfeed, son autre groupe, qui était plus purement metal. Je pense donc que c’était la raison principale. C’était surtout lié à des différents musicaux. C’est vraiment dommage parce que je pensais qu’il collait bien au groupe. Je me disais que notre musique sonnait bien avec lui. Voilà donc pourquoi il fallait qu’il ait une seconde chance.

Sur votre nouvel album, vous avez d’ailleurs un autre ancien chanteur du groupe, Jon Jeary, qui était le tout premier chanteur de Threshold. Il chante sur « The Shire (Part 3) ». Tu peux nous en dire plus sur sa contribution ?

Ouais, c’est marrant ! Je ne le considère pas comme un chanteur de Threshold parce que, quand nous avons fait notre premier album, c’était avec Damian. Donc Jon était le chanteur avant qu’un label ne signe le groupe et même avant que je ne rejoigne ce dernier – je suis arrivé pour le premier album. Du coup, c’est intéressant de l’entendre être appelé le premier chanteur. Il a chanté pour le groupe quand ils ne faisaient que des démos. Mais il a été bassiste jusqu’en 2002 et aussi un des principaux compositeurs, donc ce fut une grande surprise quand il est parti. Mais il est resté ami avec le groupe. Il nous a même aidés, au fil des années, à régler nos appareils électroniques, à réparer des amplis cassés et toutes sortes de choses. Il est donc toujours resté au sein de la famille Threshold. Nous avions cette chanson, « The Shire (Part 3) ». Elle avait juste besoin d’un peu de chant, sans que ça sonne énorme ou comme Glynn. J’ai chanté sur la démo et l’ai passée à travers un vocoder, et Karl m’a dit en l’écoutant : « On dirait un peu Jon. Ça ne serait pas génial s’il revenait pour faire juste une petite apparition ? » Et c’est parti de là. Je suis vraiment content, c’est super ! C’est super pour Jon, pour les fans et ça sonne bien sur l’album, ce qui est évidemment le plus important.

Tu as également mentionné un peu plus tôt le départ de Pete Morten. Allez-vous rester à cinq maintenant, avec seulement Karl à la guitare ?

Je pense. Pour être honnête, sur les derniers albums, Karl a de toute façon joué toutes les parties guitare, à part sur… Il y avait deux chansons que Pete a écrit donc il a joué sur celles-ci. Mais de manière générale, toutes les guitares sont jouées par Karl. Sur l’album, c’est de toute façon ce que nous faisons en studio mais sur scène, c’est bien sûr sympa d’avoir deux guitares, tu as un son plus gros et épais. Glynn jouera donc de la guitare en plus sur scène. C’est un très bon guitariste, donc nous en sommes très contents. Nous allons essayer comme ça en tournée cette année et, si ça fonctionne, alors nous continuerons à cinq. Sinon, peut-être que nous recruterons un guitariste supplémentaire pour les concerts. Mais je pense que ça va bien marcher avec Glynn. Il a joué de la guitare dans son groupe Mindfeed en même temps qu’il chantait et ça allait. Donc ouais, nous sommes un quintet maintenant. C’est incroyable, nous rentrons tous dans une voiture ! [Rires] Ça n’était jamais arrivé avant ! Nous avions pris la route pour une séance photo et pensions qu’il manquait quelqu’un ! [Rires]

Vous aviez en fait commencé à composer le nouvel album avant de changer de chanteur. Donc, premièrement, est-ce que Damian a participé à ces premières sessions ?

Moi et Karl Groom, nous écrivons toutes les chansons. Nous avons une organisation étrange. Nous les écrivons à la maison, nous faisons des démos complètes avant que le groupe ne les écoute. Du coup, les chansons sont déjà écrites, terminées : chants, paroles, chœurs, tout. Le groupe vient ensuite et joue la démo. Donc Damian est bel et bien venu et a fait des sessions de chant mais c’est à ce moment-là que les choses se passaient bizarrement avec le groupe. A ce stade, nous n’étions pas sûrs s’il allait rester dans le groupe. Mais il a effectivement fait quelques enregistrements et ensuite, bien sûr, Glynn est arrivé et a tout refait. Pour ma part, j’avais déjà chanté les démos l’été dernier. Nous avons donc une version complètement différente de l’album avec moi au micro. Ensuite, ma femme les a toutes rechantées ; c’est la chanteuse de League Of Lights. Comme elle a une bien meilleure voix, elle chante les secondes démos que nous donnons au groupe et ensuite Damian a chanté quelques chansons, puis bien sûr Glynn a chanté sur l’album au complet. J’ai donc quatre versions de l’album dans ma tête qui sonnent différemment [rires], c’est un peu dingue ! Mais Glynn est évidemment le meilleur, j’en suis très content.

Est-ce que ça veut dire, du coup, que le chanteur chante tes propres mélodies vocales ?

Ouais, ça a toujours été ainsi. C’est simplement comme ça que nous avons toujours fait les choses. Les chansons sont écrites avant que le groupe ne vienne au studio. Ça a l’air de bien marcher. Moi et Karl sommes vraiment des compositeurs, c’est notre job, et ensuite le groupe vient et joue les morceaux. Donc tu as peu de changements. Le chanteur va dire « ce truc-là fonctionne mieux pour ma voix si on fait ça » et nous l’écoutons et si nous sommes d’accord, nous le changeons, il n’y a aucun problème. Mais nous ne sommes pas le genre de groupe qui va aller au studio écrire des chansons après une nuit au bar. Nous avons tendance à nous poser à la maison, ou peu importe où nous nous trouvons, et passer des mois et des mois à composer de nouvelles choses. Donc quand le groupe les entend enfin, ce sont des compositions très abouties.

Les sessions pour Legends Of The Shires ont dû être très productives vu que c’est un album double rempli de musique. Comment c’est arrivé ?

Honnêtement, quand nous avons fait March Of Progress en 2012, nous nous sommes dit « l’album fait 70 minutes » et nous pensions que c’était trop long. Nous ne voulions pas faire de longs albums comme ça, c’est trop difficile à écouter en une seule fois. Mais quand nous avons commencé à composer Legends Of The Shires, nous composions tellement de chansons et étions tellement contents de tout que pour nous, il n’y avait rien à jeter. Nous aimions absolument tout et avons en même temps réalisé que ça formait une histoire, un concept. Nous nous sommes donc dit : « Pourquoi pas ? Faisons un double album conceptuel progressif ! » Toutes les cases sont cochées ! [Rires] Je suis vraiment très content que nous l’ayons fait. Quand tu l’écoutes, il passe très vite, ce qui est bon signe.

For The Journey était un album plus direct, moins complexe et tu as dit que « ce que [vous] av[iez] appris avec For The Journey était que [vous] voul[iez] revenir vers quelque chose de plus progressif. » Tu penses que For The Journey était un album ou une étape nécessaire pour vraiment comprendre ce qu’était Threshold ?

Ouais, c’est intéressant. Moi et Karl, quand nous jetons un œil à notre carrière, nous voyons l’album Subsurface comme notre préféré. Nous avons adoré l’écrire, le faire, nous adorons comment il sonne. Et nous nous sommes dits avec For The Journey que nous nous étions trop éloignés du groupe que nous étions quand nous avons fait Subsurface en 2004 et c’est devenu notre déclencheur pour apporter du changement. Honnêtement, nous avons déjà fait ça auparavant. Après notre troisième album Extinct Instinct, nous nous sommes dit que nous étions peut-être allés trop loin dans le côté progressif et du coup sur celui d’après, Clone, nous avons pris une direction plus franchement metal. Mais, vraiment, avec Legends Of The Shires, nous avons décidé : « Soyons plus progressifs à nouveau. » Et puis nous avons eu beaucoup de plaisir à l’écrire, c’était vraiment amusant !

« Quand j’étais à l’école, mes amis et moi écoutions des albums conceptuels de Genesis, Pink Floyd… A cette époque, nous essayions d’écrire des chansons de trois minutes et quand tu as quinze ans, c’est difficile. Du coup, nous écoutions ces albums et pensions : ‘Un jour je vais écrire un album conceptuel !’ […] Écrire Legends Of The Shires m’a rappelé ce que ça faisait d’avoir quinze ans à nouveau. »

Est-ce que ça veut dire que vous avez du mal à trouver le bon équilibre entre le côté progressif et celui plus direct de votre musique ?

Non, à vrai dire, j’adore ça. Nous pouvons nous égarer à gauche avec de la musique progressive, puis ensuite vers la droite avec du metal, et au milieu nous avons la musique pop et accrocheuse ; et nous pouvons jouer dans cette fantastique arène sonore où nous pouvons aller où nous voulons. C’est super amusant ! [Rires] Au début des années 90, j’écrivais de la musique pop où tu es coincé sur un format de trois minutes et tu ne peux pas faire grand-chose. Mais avec Threshold, nous pouvons faire ce que nous voulons. C’est incroyable ! C’est la liberté artistique.

Le groupe a toujours mélangé des riffs heavy avec des mélodies accrocheuses, c’est d’autant plus vrai sur cet album, d’une certaine manière… Est-ce que c’est important pour vous de ne pas tomber dans une sorte de musique élitiste, qu’elle reste attirante même pour les non-musiciens, même dans la musique progressive ?

Ouais, je pense que la différence entre nous et d’autres groupes progressifs est que nous nous concentrons sur les chansons et la mélodie, alors que d’autres musiciens se concentrent sur d’autres aspects. Ils vont se focaliser sur les solos ou l’ambiance mais pour nous, la chanson est toujours le plus important. Nous voulons que tout le monde puisse aimer notre musique, pas seulement les fans de progressif. Et nous voulons l’aimer également, nous voulons continuer à avoir envie de l’écouter. Quand tu fais un bon album, tu entends tes chansons des milliers de fois [petits rires]. Il faut qu’elles soient bonnes pour que notre enthousiasme reste intact durant tout le processus. Donc nous essayons de faire des chansons que nous adorons et nous espérons que tout le monde aimera également.

Comme tu l’as mentionné, c’est un album conceptuel. Comment avez-vous construit l’histoire de ce concept ? Est-ce que ça a été fait parallèlement à la musique ou séparément ?

Majoritairement en parallèle. Quand j’ai commencé, je pensais que j’allais écrire plein d’histoires individuelles. Sur le dernier album, For The Journey, j’ai écrit l’histoire appelée « The Box » et je l’ai vraiment appréciée. C’était une chanson de dix minutes, donc j’avais de la place pour écrire une histoire intéressante, et qui a été vraiment plaisante à écrire. Donc je me suis dit que cette fois j’écrirais dix ou douze histoires comme celle-là. J’ai donc écrit une chanson, « The Man Who Saw Through Time », je pense que ce sont les premières paroles que j’ai mises sur papier, et je pensais : « C’est super ! C’est fantastique pour ma prochaine histoire ! » J’ai ensuite commencé à écrire plus de chansons et j’ai réalisé qu’en fait, tout l’album serait le concept, que l’histoire s’étalerait sur la totalité de l’album et donc que chaque chanson deviendrait un chapitre de l’histoire, comme un instantané. Ca semblait être une meilleure façon de faire un album, surtout quand il dure 80 minutes. Tu as besoin d’une histoire avec une continuité, tu as besoin de scènes récurrentes, tu as besoin de sentir ce genre de cohérence. Je suis content que ce ne soit pas douze ou quatorze histoires différentes. C’est mieux pour moi que ça ne soit qu’une seule histoire.

Est-ce que ça veut dire que la musique a en fait été inspirée par cette histoire et vice-versa ?

Ouais, je pense que tout s’est très rapidement enchaîné. J’ai schématisé le déroulement que je voulais pour l’histoire et j’ai commencé à déterminer ce que chaque chanson devait raconter. Et ouais, ça m’a vraiment aidé parce que ça voulait dire que j’avais un sujet pour chaque chanson et ça a grandement facilité l’écriture. La musique et les paroles venaient vraiment toutes seules. C’était une période très créative pour nous.

Qu’est-ce que tu peux nous dire à propos de cette histoire ?

J’ai fini par trouver cette histoire d’un homme, qui traverse les difficultés de la vie et découvre qui il veut être, et comment il évolue en cours de route. Mais j’en ai fait un parallèle avec l’histoire d’un pays et sa relation aux autres pays autour. Évidemment, je vis en Angleterre, donc on a le Brexit et c’est un sujet important pour nous. Quitter l’Europe est quelque chose de tellement énorme pour nous que ça s’est aussi retrouvé dans l’histoire. Mais, tu sais, j’ai laissé ça ambigüe. Je ne voulais pas de fin précise. Je voulais faire en sorte que les gens puissent s’identifier et entendre ce qu’ils veulent entendre. Je pense que les meilleures histoires sont toujours celles qui te donnent envie de t’y replonger et tu y entends de nouvelles choses et de nouvelles idées, rien de trop défini. Il y a donc un thème de fin dans l’avant-dernière chanson, « Lost In Translation », et ensuite tu as encore autre chose dans le titre final « Swallowed ». Donc ouais, je préfère que l’histoire soit un peu libre, c’est toujours mieux comme ça, les gens peuvent y trouver leur propre signification.

Dans le livret, il est mentionné : « Legends Of The Shires est un album conceptuel qui parle d’une nation essayant de trouver sa place dans le monde. Cela pourrait aussi bien être une personne essayant de faire la même chose. » Est-ce que c’est quelque chose que vous ressentez en tant que groupe ou même individus ?

Ouais, je pense que chaque histoire que tu écris aura toujours une petite part de toi à l’intérieur. Donc ouais, il y a une connexion personnelle, surtout dans certaines chansons. Je me rappelle le commentaire d’un fan sur les réseaux sociaux à propos de notre premier single « Lost In Translation », il disait que c’était l’histoire de sa vie, qu’il comprenait vraiment, et je me suis dit « mon pauvre ! » car c’est une histoire triste. Elle parle de quelqu’un qui perd tout et doit repartir de zéro, c’est son combat par rapport à ça. C’est quelque chose que j’ai vécu, donc c’est une chanson très personnelle pour moi. Il y a une phrase qui raconte quand il est assis dans le train, la tête entre les mains, et c’était moi, je me rappelle de ce jour-là. Donc c’est une histoire très personnelle. Je pense qu’elle peut parler aux gens.

Tu as mentionné le Brexit. A quel point y a-t-il une déclaration ou une observation politique derrière cette histoire ?

Pas beaucoup [rires]. Je pense qu’un album doit être divertissant. Je ne pense pas que ça doit être une déclaration politique. Donc, bien sûr, la politique fait partie de l’histoire mais nous n’exprimons aucune opinion. Même avec le Brexit, nous ne disons pas oui ou non, nous ne faisons que discuter. C’est plus l’histoire d’un homme, c’est quelque chose de personnel. Nous ne voulons pas être des politiciens. Je pense que nous serions nuls dans ce rôle [rires].

« Je ne peux pas m’arrêter, j’adore composer de la musique ! Si je me réveille à trois heures du matin, je suis toujours excité parce que ça veut dire que je peux aller travailler dans le studio pendant une heure avant de me rendormir. Je ne peux pas m’en empêcher. »

Il y a une chanson en trois parties appelée « The Shire ». Qu’est-ce que ces trois parties représentent dans le concept ?

Un « shire » est une région. En Angleterre, nous les appelons désormais des comtés mais ce sont des régions comme chez vous, auparavant on les appelait « shires ». Tu connais peut-être des régions comme le Devonshire ou Hertfordshire. Il y en a toute une variété en Angleterre. J’aurais pu appeler l’album « Stories Of The Regions » mais c’est un titre vraiment insipide. Legends Of The Shires sonne un peu plus artistique, je pense [rires]. Donc, ces chansons représentent juste une région et la façon dont elle interagit avec les autres autour d’elle. Mais comme je l’ai dit, c’est une double histoire, donc c’est aussi un homme et la façon dont il interagit avec les gens autour de lui. Traditionnellement, un « shire » était un endroit où les gens se réunissaient et travaillaient ensemble, donc je l’ai utilisé comme une ferme où quelqu’un travaille, il a un terrain. Donc sur « The Shire (Part I) », il commence son voyage et il est emplit d’espoir. Ensuite, sur « The Shire (Part II) », les choses tournent dans l’autre sens et il en a marre, il veut du changement. Et enfin, sur « The Shire Part (III) », c’est juste sa voix intérieure qui essaie de le faire changer d’avis à nouveau. Donc ça devient une narration à travers l’album.

De façon plus générale, quelle est ta relation avec les albums conceptuels, quelles sont tes références ?

Je n’en ai pas tant que ça ! Je me rappelle quand j’étais à l’école, mes amis et moi écoutions des albums conceptuels de Genesis, Pink Floyd… A cette époque, nous essayions d’écrire des chansons de trois minutes et quand tu as quinze ans, c’est difficile. Du coup, nous écoutions ces albums et pensions : « Un jour je vais écrire un album conceptuel ! » C’est donc plus un feeling. Écrire Legends Of The Shires m’a rappelé ce que ça faisait d’avoir quinze ans à nouveau et ce sentiment de vouloir écrire quelque chose de plus grand que de simples chansons individuelles. Il n’y a donc pas d’album en particulier qui me sert de référence mais je peux dire que mon favori est The Wall de Pink Floyd. C’est un album exceptionnel, une histoire puissante, avec de jolis thèmes récurrents. C’est un de ces albums dont je ne me lasse pas.

Il y a d’ailleurs des passages un peu à la Pink Floyd dans cet album. C’était une influence consciente ?

Oui et non. Je pense que nous avons toujours eu un peu de ça. Ça fait partie du son progressif britannique, je pense. Et même en revenant sur des chansons comme « The Whispering » sur Extinct Instinct. En remontant aussi loin, nous avons toujours eu cette tendance à faire des passages calmes comme des ballades, qui sonnent peut-être un petit peu comme les chansons de The Dark Side Of The Moon, mais ce n’est pas intentionnel. C’est juste notre goût pour le rock progressif, je pense.

Tu as déclaré que tu te sentais « jeune à nouveau dans [ta] manière de composer. » Comment fais-tu pour garder cette fraicheur après tant d’années ?

Je ne peux pas m’arrêter, j’adore composer de la musique ! Si je me réveille à trois heures du matin, je suis toujours excité parce que ça veut dire que je peux aller travailler dans le studio pendant une heure avant de me rendormir. Je ne peux pas m’en empêcher. Toute ma vie tourne autour de la musique et tous les jours je compose quelque chose de nouveau. Ça maintient mon enthousiasme et je pense que ça me permet de continuer à me sentir jeune. Peut-être que ça permet à mon cerveau de continuer à fonctionner différemment, je ne sais pas [petits rires]. J’adore la musique, tout simplement ! C’est ce qu’il y a de plus important.

Toi et Karl êtes les deux principaux compositeurs et producteurs du groupe. Comment votre dynamique créative et votre collaboration fonctionnent-elles ?

C’est curieux. Pour ma part, lorsque je compose une chanson, j’écris tout, donc c’est facile pour moi. J’écris tout dans ma tête. Karl, lui, n’écrit pas de paroles, donc il créé de très bonnes compositions instrumentales. Quand il m’en passe une, elle est complètement finie, elle peut faire quatre minutes ou parfois dix, et il me demande d’écrire une chanson par-dessus. Il ne me donne aucune mélodie, il ne me donne rien du tout. Rien qu’une instrumentale et j’adore ça ! C’est comme un mot-croisés compliqué, dont je sais qu’il existe une solution parfaite, et je travaille sans relâche jusqu’à la trouver. Et ensuite je lui renvoie sa démo avec du chant dessus, des harmonies et je vois s’il l’aime. C’est assez amusant !

Comment se fait-il que les autres ne contribuent pas plus à la composition des chansons ?

Ils en font un peu. Glynn, évidemment, quand il était avec nous la première fois, a écrit deux chansons sur Psychedelicatessen. Et je suis sûr que sur le prochain album il en composera plus. Cette fois-ci, ce n’était bien sûr pas possible parce qu’il nous a rejoint tard. Steve Anderson, notre bassiste, a écrit la chanson « On The Edge » sur le nouvel album. C’est sa première chanson complète et c’est vraiment cool. Par le passé, Damian a composé, Pete a composé, Johanne a composé. Donc ça arrive mais pour une raison ou pour une autre, c’est moi et Karl qui composons la plupart des chansons. C’est juste comme ça que ça fonctionne. Et puis Johanne, la majorité de ses chansons vont dans son groupe, Kyrbgrinder. Avec Pete, c’était pareil, ses chansons étaient en grande partie destinées à son autre groupe. Donc je pense que, peut-être, pour moi et Karl, comme Threshold est notre groupe principal, nous faisons l’essentiel du travail.

Le metal progressif a évolué vers de nouveaux horizons plus dingues, partant un peu dans tous les sens, etc. mais vous, vous semblez vous accrocher à une certaine tradition et à un certain standard. Selon toi, quelle est votre place dans la scène metal progressif actuelle ?

Honnêtement, je ne sais pas. Évidemment, il y a beaucoup de groupes qui en font mais je n’ai pas l’impression que ça soit une famille. C’est peut-être parce que la plupart de ces groupes se trouvent dans d’autres pays. Du coup, nous nous sentons un peu isolés ici en Angleterre en tant que groupe de metal progressif. Mais nous avons continué à faire avec passion ce que nous faisons toujours : faire la musique que nous aimons, et nous savons que nous avons des fans, donc ça fonctionne bien. Mais pour ce qui est de notre place dans le monde… Je n’en ai aucune idée ! Je suis juste content que nous en ayons une ! [Rires]

Mais êtes-vous attachés aux racines et traditions de la musique progressive ?

Ouais, j’ai grandi en écoutant Queen, Pink Floyd, Genesis… Pendant que j’apprenais à composer, que j’apprenais ce qu’était la musique, ils étaient mes professeurs. Donc ouais, ça fait vraiment partie de moi.

Interview réalisée par téléphone le 14 septembre 2017 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : François-Xavier Gaudas.
Photos : Robert Burress.

Site officiel de Threshold : www.thresh.net.

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