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Interview   

Thunder : dopés au rock n’ roll


Début 2021, nous parlions avec Luke Morley de Thunder de leur nouvel album. Début 2022, nous parlons avec Luke Morley de Thunder de leur nouvel album. Le premier s’intitulait All The Right Noise, avait été conçu avant la pandémie et proposait un simple disque de musique. Le second s’intitule Dopamine, a été conçu pendant la pandémie et est un double disque. Un an à peine d’écart, mais la différence est de taille.

Dopamine est un pur produit de son époque, pour sa musique, conçue dans un élan créatif au long cours, avec son lot de nuances stylistiques et de surprises, si bien qu’ils n’ont su réduire la sélection des morceaux en deçà de seize, mais aussi pour ses thématiques. Les réseaux sociaux, en particulier, n’ont jamais été aussi populaires que pendant les confinements et les longs mois de restrictions, garants d’un maintien du lien social et de notre dose de distraction facile, au point de rendre une bonne partie d’entre nous dépendants… comme drogués à la dopamine.

Ce sont ces deux aspects que nous creusons avec le guitariste-compositeur, qui a fêté dernièrement les cinquante ans de son amitié avec le chanteur Danny Bowes avec la sortie d’un livre, The First 50 Years. De quoi poursuivre la remontée dans le temps initiée lors de notre dernière entrevue et discuter de l’évolution du monde, notamment sous l’influence d’internet.

« Je crois que bon nombre de nos fans, ceux qui nous suivent depuis un certain temps, commencent à avoir un certain âge. Ils ont donc grandi en écoutant des albums et des doubles albums en tant qu’unités. »

Radio Metal : All The Right Noises a été enregistré entre fin 2019 et début 2020, mais n’est sorti qu’en mars 2021. Tout juste un an plus tard, vous revenez avec rien de moins qu’un double album. Cela veut-il dire que vous avez passé les deux dernières années à ne rien faire d’autre qu’écrire et enregistrer des chansons ?

Luke Morley (guitare) : C’est à peu près ça. All The Right Noises a été terminé peu avant le premier confinement. Forcément, nous avons dû reporter la tournée que nous étions censés faire pour l’album. La sortie de l’album a été repoussée de six mois, et la tournée a été à nouveau reportée. Nous nous sommes retrouvés avec un nouvel album sorti un an plus tard que prévu, mais sans concerts. C’était une question de : « On fait quoi ? On continue à écrire. » J’ai donc continué à écrire des chansons, et nous avons réussi à entrer en studio pendant cette période pour enregistrer. Dans la mesure où la période pendant laquelle nous n’avons rien pu faire d’autre a été si longue, évidemment, nous avons écrit beaucoup de chansons. Quand il a fallu enregistrer le nouvel album, nous nous sommes rendu compte qu’il y en avait vraiment un paquet. Généralement, on arrive à réduire ça à dix ou onze titres, mais nous avions le sentiment d’avoir seize chansons qui méritaient toutes d’être entendues et nous ne savions littéralement pas lesquelles supprimer. C’est comme ça que c’est devenu un double album.

À ce propos, vous avez donné quelques concerts en Angleterre, les 17 et 18 décembre derniers. Comment était-ce, de se retrouver sur scène dans ce contexte ?

Bizarre. C’était intéressant, parce que les gens sont encore assez inquiets ici en raison du Covid-19, et à l’idée de se retrouver dans des situations qui rassemblent beaucoup de gens. Cela étant dit, les concerts étaient super. Je crois que, sur les deux soirées, environ vingt pour cent des gens qui avaient acheté des billets ne sont pas venus. Nous pensions que c’était une catastrophe, jusqu’à ce que nous ayons les statistiques d’autres groupes, qui étaient bien pires ! [Rires] Heureusement, pour nous, c’était assez correct. C’était juste génial de se retrouver à nouveau devant un public. Je pense que nous avons de la chance, parce que les fans de Thunder ont déjà un certain âge et peut-être qu’ils avaient déjà reçu leurs trois doses et se sentaient plus en sécurité que d’autres [rires]. C’est une période inhabituelle. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir – avec raison, évidemment, si la situation est sûre – pour remonter sur scène et revoir le public. Il faut être adaptable dans ce genre de situation, s’informer et prendre des décisions sur la base de ce qu’on sait.

Contrairement à All The Right Noises, qui a été intégralement écrit et enregistré avant la pandémie, Dopamine est un pur produit de celle-ci. Quel impact cela a-t-il eu sur votre travail, d’un point de vue logistique comme émotionnel ?

Logistiquement, ça n’a pas vraiment eu d’impact, parce que la façon dont nous créons nos albums… Évidemment, je suis celui qui écrit les chansons, et j’ai un studio à la maison, donc je peux produire des démos assez développées, que j’envoie ensuite au reste du groupe. Par la suite, nous nous retrouvons en studio pour faire les choses proprement, pour ainsi dire. Bien sûr, j’avais toujours la possibilité de fonctionner comme ça. Émotionnellement, c’est une bonne question. Comme l’album le laisse sans doute entendre, beaucoup de chansons traitent plus ou moins du thème de l’isolement, ou du fait d’être coupé du monde, ou dans une situation où on ne peut pas faire ce qu’on veut. On retrouve beaucoup ces thèmes dans l’album. Il est évident que je vais parler de ça dans les chansons que j’écris, parce que je vois les événements se dérouler autour de moi, au point que je ressens ces choses moi-même. C’est logique que ça transparaisse dans les chansons. Mais comme pour toutes les situations, il y a un aspect positif et un aspect négatif. Certaines chansons s’attardent peut-être un peu plus sur l’aspect négatif, mais d’autres, comme « Dancing In The Sunshine » ou « Big Pink Supermoon », tendent plus vers le positif. C’est bizarre. L’effet le plus positif de la pandémie a été de mettre ces questions en lumière, ce qui m’a donné beaucoup de sujets à évoquer. Quand on écrit des chansons, c’est une très bonne chose.

Tu as déclaré que vous n’aviez « pas prévu de faire un double album, mais au fil du processus d’écriture et d’enregistrement, [vous avez] pris des chemins intéressants ». Effectivement, l’album part dans plusieurs directions, avec des moments très heavy (« The Western Sky »), plus folk (« Just A Grifter »), voire bluesy/jazzy (« Big Pink Supermoon »). Malgré les difficultés et l’angoisse, penses-tu que cette période ait aussi constitué un moment de libération créative qui n’aurait pas pu voir le jour dans un contexte normal ?

Oui, jusqu’à un certain point, je suis d’accord avec toi. La pandémie m’a donné l’opportunité d’écrire beaucoup, et nous avons fini par avoir énormément de chansons, mais… Généralement, nous enregistrons seize ou dix-sept chansons, puis nous réduisons la voilure jusqu’à onze pour un album. Mais cette fois-ci, nous avons enregistré vingt chansons, et nous avions le sentiment que seize d’entre elles ne pouvaient pas être retirées. Nous n’avons pas trouvé de solution pour les retirer sans appauvrir l’ensemble. Du coup, nous nous sommes dit : « Rien ne nous empêche de faire un double album, alors pourquoi ne pas le faire ? Comme ça, on peut conserver toutes les chansons. » Les titres que tu viens de citer, « Big Pink Supermoon » et « Just A Grifter », n’auraient peut-être pas survécu aux coupes si nous avions fait un album simple, parce qu’elles sont un peu différentes. Mais dans le contexte d’un double album, ça passait. Il y a peut-être aussi le fait que, l’âge avançant, nous n’avons plus rien à foutre de l’opinion des gens [rires]. Je crois que ça a sans doute joué. Et nous pensions que ces chansons étaient vraiment bonnes et méritaient d’avoir une place sur l’album. Pour nous, il n’y avait pas de discussion à avoir. Ça semblait être la bonne décision, et nous essayons toujours de faire ce qui nous semble juste.

« Ce à quoi tout ça ressemblera dans quelques années, la façon dont les réseaux changeront les choses d’un point de vue sociologique, dont ils affecteront le monde et les gens… Nous ne voyons pour l’instant que le sommet de l’iceberg. »

Vous avez utilisé des instruments intéressants sur plusieurs chansons : l’accordéon sur « Just A Grifter », ou encore le saxophone sur « Big Pink Supermoon ». Est-ce venu naturellement ?

Oui, c’est intéressant. Pour « Big Pink Supermoon », à l’époque où je l’ai écrite et dans la démo, à la fin de la chanson, il y avait une sorte de court solo de guitare, puis le fondu commençait à quatre minutes trente, ou quelque chose comme ça. Mais quand nous sommes entrés en studio, que l’ensemble du groupe a commencé à plancher dessus et que tout est devenu plus réel, nous nous sommes dit : « Oh, un saxo sonnerait tellement bien. » Nous connaissons un gars qui nous a déjà donné un coup de main. En fait, on ne le connaît pas vraiment, nous ne l’avons jamais rencontré. C’est un type mystérieux qui vit à Cardiff, au pays de Galles, près du studio d’enregistrement. Comme il est agoraphobe, il ne quitte jamais son domicile. Il a un studio chez lui, et il faut lui envoyer la musique. Il joue par-dessus et il te renvoie son travail. Il avait participé à « Last One Out Turn Off the Lights » sur le dernier album, il avait arrangé une section cuivres pour nous. Quand nous nous sommes dit qu’il serait super d’avoir du saxophone sur « Big Pink Supermoon », nous avons envoyé la chanson à ce gars, et littéralement vingt minutes plus tard, il nous l’a renvoyée avec la partie de saxophone. Il avait fait deux prises et elles étaient absolument géniales. Ç’a été difficile d’en choisir une. Nous avons fini par faire un choix, et c’était vraiment génial, jusqu’à la fin du fondu. C’est pour ça que la chanson a fini par durer six minutes et demie, ou je ne sais plus quoi exactement : nous n’arrivions pas à déclencher le fondu, parce que le solo était tellement bon. Ça nous semblait simplement adapté. Un solo de saxo n’est pas le genre de chose qu’on associe généralement à Thunder, mais dans le contexte de cette chanson en particulier, nous pensions que c’était totalement adapté.

Pour l’accordéon sur « Just A Grifter »… C’est drôle, parce que le fiddle est également un instrument que nous n’avions encore jamais utilisé de cette façon, mais une fois le fiddle présent, c’est devenu une espèce de chanson vaguement tzigane. L’accordéon semblait juste… Je ne sais pas. J’écoutais la chanson un jour, et j’ai pensé : « Un accordéon pourrait le faire. » Encore une fois, ce n’est pas un instrument qu’on associe naturellement à Thunder. Je me suis simplement dit qu’il fallait essayer. Il arrive que nous tentions ce genre de coup de folie et que ça ne fonctionne pas, mais dans ce cas précis, nous avons tenté l’accordéon et ça marchait parfaitement. Du moment que nous avons l’impression que c’est la bonne chose à faire, alors c’est la bonne chose à faire. Si quelqu’un a un problème avec ça, tant pis pour lui. Si c’est la bonne chose pour nous, c’est comme ça.

De nos jours, les gens tendent à avoir une capacité d’attention limitée. N’étiez-vous pas inquiets à l’idée de sortir autant de chansons d’un coup, ou penses-tu que vos fans consomment toujours la musique de façon old school ?

C’est une bonne question. Je crois que bon nombre de nos fans, ceux qui nous suivent depuis un certain temps, commencent à avoir un certain âge. Ils ont donc grandi en écoutant des albums et des doubles albums en tant qu’unités. Évidemment, je pense que les jeunes écoutent de la musique différemment. Peut-être qu’ils écoutent une seule chanson ; peut-être même qu’ils écoutent seulement une partie d’une chanson et passent à autre chose. La capacité d’attention des jeunes n’est pas géniale, parce qu’ils ont plus de choses pour les distraire. Internet est une grande distraction, il s’y passe tellement de choses. Mais en ce qui nous concerne, nous avons besoin de faire des albums de la façon dont nous le sentons. Nous avons toujours eu l’habitude de considérer un album comme une unité, plutôt que comme quelques singles avec d’autres pistes au milieu. Pour nous, c’est l’album qui compte, y compris la façon dont la tracklist est organisée, la pochette… Tout le package est important pour nous. C’est comme ça que nous travaillons. Une fois que l’album se retrouve sur Spotify, certaines personnes écouteront toujours une chanson ici ou là au gré de leurs envies, et d’autres écouteront l’ensemble. On ne peut pas contrôler ça. Tout ce que nous pouvons faire, c’est sortir l’album tel que nous pensons qu’il doit être, et par la suite, le public peut décider par lui-même.

Thématiquement, Dopamine est inspiré par le recours massif aux réseaux sociaux pendant les confinements liés à la pandémie. Il semblerait que ta vision des réseaux sociaux soit assez négative. D’un autre côté, ils ont permis aux gens de rester en contact les uns avec les autres pendant ces périodes d’isolement. Penses-tu que ce qui a pu être une bonne chose pendant un court moment finira par être mauvais à long terme ?

Je pense que nous n’en sommes encore qu’aux débuts des réseaux sociaux. Ils n’existent pas depuis si longtemps que ça. On dirait que c’est le cas, mais non. Surtout si tu as mon âge, on dirait que ça n’existe que depuis cinq minutes [rires]. Ce à quoi tout ça ressemblera dans quelques années, la façon dont les réseaux changeront les choses d’un point de vue sociologique, dont ils affecteront le monde et les gens… Nous ne voyons pour l’instant que le sommet de l’iceberg. Il faudra encore quelques années pour que les choses se développent. Comme tout ce qui a trait au numérique, les réseaux sociaux évoluent à une vitesse terrifiante. C’est ça, le monde moderne. En ce qui concerne l’impact sur la pandémie, comme pour tout, il y a du positif et du négatif. Le côté positif, c’est pour les gens qui étaient seuls ou qui avaient de la famille dans des endroits où ils ne pouvaient pas se déplacer. Ç’a été le cas pour moi : ma mère, qui est évidemment assez âgée aujourd’hui, vit en Italie. C’est le seul moyen que j’ai eu de lui parler pendant près de deux ans. Dieu merci, parce que sans ça, nous n’aurions même pas pu nous voir. Le téléphone, c’est bien, mais même si je sais que ce n’est pas la même chose que d’être dans une pièce avec quelqu’un, pouvoir voir la personne, voir qu’elle est en forme et sourit, voir son visage, c’est très important. De ce point de vue, les réseaux ont permis aux gens de se parler à un moment où il était physiquement impossible d’être ensemble, et c’est une très bonne chose.

« Les applications pour rencontrer des gens, c’est quoi ce bordel ? Quand j’étais jeune, il fallait parler aux filles pour de vrai [rires]. Je suis tellement heureux de ne pas être jeune aujourd’hui, parce que Seigneur, je ne peux même pas imaginer à quel point ce genre d’appli doit être terrifiant. »

Bien sûr, le côté négatif est que, pendant cette période, les gens utilisaient les réseaux encore davantage pour se divertir, observer le monde, lire les informations, ce genre de choses. Et tout ça via ce petit appareil qui tient dans ta main. Les algorithmes étant très intelligents, si tu lis quelque chose sur un sujet qui te plaît, ils continueront à t’envoyer toujours plus de choses qui te plaisent, et au final, tu te retrouves dans une espèce de caisse de résonance où tu te contentes d’absorber des choses que tu connais et apprécies déjà. Sans sortir et fréquenter des gens dans le monde réel, tu n’as aucune chance de tomber sur des choses que tu n’aimes pas ou qui ne te sont pas familières, des choses qui peuvent te faire penser différemment. Tout ça est très lointain, et comme je l’ai dit, il ne te reste que cette caisse de résonance qui amplifie qui tu es et ce que tu aimes. Ce n’est pas sain du tout. Ceci étant dit, il y a beaucoup de gens qui vivaient déjà comme ça avant la pandémie [petits rires], et une fois que la pandémie aura complètement disparu, il y aura toujours des gens pour vivre dans ce curieux monde virtuel. On ne peut pas y faire grand-chose. Le mal est fait et on ne pourra jamais revenir en arrière. La façon dont le monde gère ça et dont les parents élèvent leurs enfants pour vivre avec ça… Ça crée beaucoup de problèmes et de questions épineuses, mais seul le temps pourra nous dire ce qu’il en est.

Apparemment, le sujet t’aurait été inspiré par un article écrit par un psychologue américain. Avais-tu déjà un intérêt général pour la psychologie avant cela ?

Pas vraiment. Je veux dire, j’ai un intérêt pour les gens. La façon dont ils interagissent, dont ils gèrent ce que la vie leur balance à la figure et s’auto-analysent, voilà ce qui m’intéresse. Si c’est ça qu’on qualifie de psychologie, alors oui, j’imagine, mais pas particulièrement. Je ne lis pas d’articles sur le sujet. Le titre de cet article en particulier disait seulement que nous sommes tous drogués à la dopamine. J’ai trouvé le mot « dopamine » très intéressant. Je savais plus ou moins de quoi il s’agissait, mais j’ai commencé à lire cet article et cette théorie selon laquelle les gens finissent par devenir dépendants à la validation qu’ils reçoivent via leurs comptes de réseaux sociaux. C’était intéressant et ça m’a poussé à m’interroger sur plein de choses. Comme je l’ai dit, pour quelqu’un de mon âge qui… Je ne suis pas vraiment sur les réseaux sociaux. Twitter est le seul que je consulte activement. Je trouve Facebook soit déroutant, soit chiant. Instagram, ce sont de jolies photos. Ce n’est pas mon genre. Je suis dessus, mais je consulte ce réseau uniquement parce que je me dis que je dois rester au fait de ce qui se passe, pas parce que ça me plaît vraiment. Mais cet article concernant la psychologie des réseaux et les raisons pour lesquelles les jeunes passent leur temps à faire des selfies… Au début, tu te dis : « Est-ce que c’est de la vanité ? Qu’est-ce que c’est ? » Dans ce petit monde numérique, c’est presque comme si le fait d’entrer dans un bar où tout le monde te regarde ou est super gentil avec toi, ou pour une fille, le fait qu’un gars commence à te draguer, ou je ne sais quoi, tout ça ne semble plus avoir beaucoup d’importance, de nos jours. Tout se fait sur le téléphone. Je veux dire, les applications pour rencontrer des gens, c’est quoi ce bordel ? Quand j’étais jeune, il fallait parler aux filles pour de vrai [rires]. Je suis tellement heureux de ne pas être jeune aujourd’hui, parce que Seigneur, je ne peux même pas imaginer à quel point ce genre d’appli doit être terrifiant, parce qu’il est tellement facile de mentir dans un monde virtuel. Quand tu es face à quelqu’un, il est très difficile de prétendre que tu as vingt ans de moins que ton âge réel, mais tu peux le faire en ligne. Pour répondre à ta question d’origine, je ne suis pas particulièrement fasciné par la psychologie, mais je m’intéresse aux gens et à la façon dont ils abordent le monde moderne.

Comme tu l’as dit, l’article évoquait la façon dont les réseaux sociaux nous rendent dépendants à la dopamine, mais n’est-ce pas exactement ce que sont les amateurs de musique – des drogués à la dopamine ? On pourrait interpréter le titre comme insinuant que l’album nous apporte notre dose de dopamine, lui aussi…

Oui, j’imagine. La musique, les films, tout ça génère de la dopamine, parce que ça nous permet de nous sentir mieux ou de ressentir des choses intangibles. Je veux dire, la musique est très puissante, mais elle ne suffit pas – il faut une imagination pour allumer la flamme. Tu peux jouer un morceau de musique à quelqu’un, mais il faut de l’imagination pour que ça te rappelle un événement ; il faut un souvenir, il faut quelque chose qui soit déjà implanté dans ton cerveau pour que ce morceau de musique te fasse ressentir quelque chose. La musique est censée aider les gens à se sentir bien, c’est pour ça qu’elle existe depuis que l’homme a appris à taper sur un tambour, ou quel que soit le premier événement musical de l’humanité. Ce sera toujours là, ça ne disparaîtra jamais. Les gens se sentent mieux grâce à ça, et c’est génial. C’est une sorte de soupape. J’ai toujours vu ça comme quelque chose que les gens utilisaient pour s’évader. Si ta vie est particulièrement banale et que tu vas à un concert un samedi soir, que tu bois quelques bières, que tu danses et que tu secoues la tête, ça illumine ta vie pendant ce bref moment et c’est exactement le but. Pour moi, ce n’est pas la même chose que de passer son temps à se prendre en photo et à compter les likes pour se sentir bien. Je trouve ça assez bizarre. Je ne fais pas de parallèle entre les deux, ce sont deux choses assez différentes. La musique est quelque chose de positif pour moi et, je pense, pour la plupart des gens. Si ça provoque un pic de dopamine, c’est parfait.

« Tant qu’ils ne paieront pas correctement les musiciens et les compositeurs, l’industrie de la musique est condamnée à mourir à petit feu – ou en tout cas, la musique enregistrée. Je pense qu’ils ont l’obligation morale de faire quelque chose à ce sujet. Ceci étant dit, les gars qui font tourner la boutique n’ont sans doute aucune morale, donc ils doivent s’en foutre royalement [rires]. »

Tu as connu le monde avant les réseaux sociaux. Selon toi, comment le travail de musicien a-t-il changé du fait de leur influence ?

Oh putain ! Dès que la musique est devenue numérique, toute l’industrie a été chamboulée. Avant ça, les choses étaient relativement stables pendant vingt ans, et puis le numérique, les trucs comme Napster et le partage de fichiers sont arrivés, et on aurait dit que l’industrie de la musique n’était pas prête pour ça. Sa première réaction a été d’intenter des procès à tout le monde. Si les maisons de disques, même les plus grandes, avaient été plus futées, elles se seraient dit : « Voilà, le futur est arrivé. Il faut qu’on discute avec ces mômes qui partagent des fichiers. Il faut qu’on les ramène dans notre giron et peut-être que notre industrie devrait y prendre part. » Mais elles ne l’ont pas fait. Elles ont juste essayé de les couler, parce que comme d’habitude, elles ne pensaient qu’à l’argent, et pas au long terme. Aujourd’hui, les choses se sont tassées et il existe des plateformes de partage de musique, Spotify, YouTube, etc. Pour moi, Spotify est un truc formidable. Quelle idée géniale ! Je vois tous ces CD derrière toi, tu as une collection très impressionnante. J’ai toujours beaucoup de vinyles et pas mal de CD, mais j’adore le fait de pouvoir me dire : « Oh, je me souviens de cette chanson de 1973 » et la jouer sur mon téléphone via mon enceinte Bluetooth. Je trouve ça fantastique. Ce qui ne me plaît pas avec Spotify, c’est le fait qu’ils ne demandent pas assez d’argent aux abonnés. C’est la première chose. Et parce qu’ils ne demandent pas assez d’argent aux abonnés, ils ne peuvent pas payer suffisamment ceux qui créent la musique. C’est une réaction en chaîne.

Tant qu’ils ne paieront pas correctement les musiciens et les compositeurs, l’industrie de la musique est condamnée à mourir à petit feu – ou en tout cas, la musique enregistrée. Je pense qu’ils ont l’obligation morale de faire quelque chose à ce sujet. Ceci étant dit, les gars qui font tourner la boutique n’ont sans doute aucune morale, donc ils doivent s’en foutre royalement [rires]. Mais pour la musique sur le long terme, il faut que ça change. La rémunération de ceux qui créent de la musique doit être plus juste, sinon, des petits jeunes qui ont peut-être beaucoup de talent vont se dire : « Gagner sa vie avec la musique, c’est trop compliqué. Je vais faire autre chose. » C’est vivable pour les vieux cons comme moi, parce que nous vendons toujours des billets de concert et des produits physiques, des CD, des vinyles – mais pour les jeunes qui débutent dans l’industrie, ce n’est pas sain. Comme je l’ai dit, ce n’est pas bon sur le long terme. C’est une invention géniale qui a été mal utilisée. Ça ne disparaîtra jamais, ça ne changera pas, on ne reviendra pas soudainement à l’époque des vinyles et des CD. Ce sera toujours là, donc il faut trouver un moyen de faire fonctionner les choses de façon plus efficace pour un avenir plus sain.

Vous avez sorti un livre intitulé The First 50 Years, pour lequel vous avez tourné l’an dernier en proposant des soirées où vous racontiez des histories et jouiez en acoustique. Qu’est-ce qui vous a poussés à vous tourner vers le passé à ce moment précis ? Était-ce une simple question d’anniversaire ou en êtes-vous arrivés à un point de votre vie où vous ressentiez le besoin de faire le point ?

C’est une bonne question. Je ne pense pas qu’aucun de nous deux soit arrivé à un point où nous avons besoin de regarder en arrière et de faire le point. Nous avons encore quelques années devant nous. Nous sommes naturellement le genre de personnes qui vont toujours de l’avant et le défi suivant est toujours le plus important, mais nous avons en gros été approchés il y a cinq ans par un promoteur qui nous a dit : « Est-ce que vous aimeriez faire une tournée spoken word acoustique à deux ? » Nous avons fait ça en 2018, et c’était sympa, nous avons passé de belles soirées. Nous vendions un petit CD pendant les concerts avec des versions acoustiques de nos vieilles chansons. Le promoteur est revenu vers nous pour nous demander : « Vous voulez la refaire ? Ça pourrait être intéressant de sortir un livre. Vous vous connaissez depuis cinquante ans. Si on partait sur ce sujet ? » Voilà comment ça s’est fait. C’était un produit à vendre pendant les concerts, une sorte d’excuse pour justifier la tournée, si tu veux [petits rires]. Ce n’est pas nous qui nous sommes dit : « Faisons le point sur les cinquante dernières années. » Ce qui est drôle, c’est que, pour écrire le livre, nous avons donné de longues interviews, et nous nous souvenions des événements de façon presque identique, mais avec quelques variations [petits rires]. Je suis fasciné, ou plutôt surpris, que les gens se soucient assez de nous pour lire un livre sur le sujet, mais il semblerait que ce soit le cas, donc c’est super. Nous trouvions que c’était un projet sympa plus qu’autre chose. Ce n’était pas censé être un livre très profond ou une analyse de notre histoire en tant qu’individus. C’était plutôt un petit saut dans le passé sans se prendre au sérieux.

Tu as déclaré que « la seule période imprécise pour [toi] ont été les années 80 ». Pourquoi ce flou autour des années 80 par rapport à d’autres périodes ?

La raison du flou autour des années 80 est qu’elles n’étaient pas drôles. Enfin si, d’une certaine façon, mais en fait non. À l’époque, nous faisions partie d’un groupe appelé Terraplane. Nous avons sorti deux albums avec CBS, ou Sony à l’heure actuelle, et nous avons plus ou moins tout fait de travers. Je veux dire, vraiment tout. Nous étions sur un label qui ne nous comprenait pas du tout, ils voulaient que nous fassions de la pop… Tout est allé de travers. Il y avait beaucoup de musique de merde dans les années 80, ce qui n’a pas aidé. Nous avions la vingtaine, donc à l’époque, nous faisions surtout la fête et prenions du bon temps – peut-être un peu trop. C’est peut-être pour ça que je ne m’en souviens pas bien [rires]. Je ne sais pas. Et puis c’était il y a tellement longtemps ! J’imagine que nos disques durs mentaux ont effacé la plupart des choses qui se sont passées à cette époque, à moins que ça n’ait eu une grande importance.

« Je n’aurais jamais pensé qu’il y aurait une autre guerre en Europe au cours de mon existence. Ça prouve bien que les humains ne sont pas aussi intelligents qu’on aimerait le penser. »

Tu as déclaré : « Je parle à des journalistes depuis trente-cinq ans maintenant. Au fil des années, certaines histoires ont sans doute été exagérées et déformées. Et certaines sont peut-être devenues plus intéressantes qu’elles ne l’étaient vraiment ! » Selon toi, quelles ont été les histoires les plus exagérées et déformées ces cinquante dernières années, à propos de toi, de Danny ou de Thunder ?

Quand nous avons fait cette tournée à deux pour le livre, nous avons raconté pas mal d’histoires issues de notre passé, et celle qui a été la plus exagérée, sans doute de façon très injuste, est cette soirée où nous avons rencontré et dîné avec Axl Rose. Toute l’histoire s’appuyait sur un simple détail : le fait qu’il a des mains incroyablement petites. Pendant tout le dîner, j’ai remarqué ses petites mains, et pendant qu’il parlait, il n’arrêtait pas de gesticuler avec. Du coup, je regardais ses mains, c’était très étrange. Par la suite, j’ai réussi à attirer l’attention de Danny sur ses mains. Et puis la fin de la soirée est arrivée, et nous avons dû lui serrer la main. Toute cette histoire est basée sur la taille des mains d’Axl, qui n’étaient pas si petites, mais bien sûr, au fil des années, elles sont devenues de plus en plus minuscules [rires]. Si je le recroise un jour, je lui présenterai mes excuses.

La dernière fois que nous avons discuté, pour All The Right Noises, nous avions justement évoqué les débuts de Thunder et ton amitié avec Danny. À l’époque, auriez-vous imaginé le monde tel qu’il est aujourd’hui, qu’il s’agisse de la pandémie, de la guerre en Ukraine ou de l’influence des réseaux sociaux sur nos vies et notre société ?

Commençons par l’Ukraine. Nous sommes tous les deux nés en 1960, donc la guerre était finie depuis quinze ans. Évidemment, nous sommes trop jeunes pour nous souvenir de la crise des missiles de Cuba. Il y a bien eu les problèmes dans les Balkans et ce genre de choses, mais à part ça, il n’y avait pas vraiment de signe qu’une guerre pouvait éclater en Europe. Donc oui, c’est très choquant, mais ça doit l’être encore plus pour ceux qui sont plus jeunes que moi. Quand j’étais enfant, dans les années 60, je me souviens qu’il y avait encore beaucoup de films à la télévision sur la guerre de 39-45, beaucoup de documentaires, de trucs qui traitaient de la montée du nazisme. C’était impossible d’éviter le sujet quand nous étions gamins, mais il y a peut-être des générations qui n’en ont pas entendu parler à l’école. Et tout d’un coup, boum, c’est la guerre – une guerre en temps réel, qui plus est. Les images qu’on voit aux infos sont presque en temps réel, on entend les bombes exploser, on voit les cadavres dans les rues… C’est un vrai choc, sans doute beaucoup plus pour les jeunes que pour les gens de mon âge, parce que les conséquences de la Seconde Guerre mondiale étaient toujours là lorsque nous étions gamins. Mais pour être franc, quand nous avons lancé le groupe, si tu m’avais demandé si nous pouvions envisager un truc pareil, j’aurais dit non. Je n’aurais jamais pensé qu’il y aurait une autre guerre en Europe au cours de mon existence. Ça prouve bien que les humains ne sont pas aussi intelligents qu’on aimerait le penser.

Pour la technologie numérique, avec la vitesse du progrès, je pense qu’il y avait… Je me souviens du jour où j’ai acheté mon premier CD, aux alentours de 1988. Nous étions en train de travailler sur un album avec des Japonais, et en guise de cadeau, le manager de la fille avec qui nous travaillions nous a offert à tous des lecteurs CD venus tout droit du Japon. Nous étions là : « Waouh, c’est tellement génial ! » Technologiquement parlant, le Japon est toujours bien en avance sur l’Occident. Nous avons littéralement dû trouver un magasin qui vendait des CD pour pouvoir les lire. Le premier CD que j’ai acheté était un disque de The Carpenters, parce que c’était tout ce que j’avais réussi à trouver [rires]. J’aime bien The Carpenters, de toute façon, mais je me suis dit : « Waouh, écoute cette qualité numérique ! » Et puis l’enregistrement numérique est arrivé en studio dans les années 80, avec les enregistreurs numériques trente-deux pistes, ce que beaucoup de studios ont adopté. Au début, ça ne marchait pas très bien. Il y avait beaucoup de problèmes, mais on voyait bien que la technologie et l’ère numérique faisaient leur entrée en studio et changeaient la donne. Évidemment, en tant que musicien, tu vois cet aspect, mais tu ne te doutes pas des implications à long terme sur les ventes, par exemple.

Comme je l’ai dit plus tôt, au milieu des années 90, Napster et les plateformes de partage de fichiers sont arrivés, et ç’a été une vraie révolution. Je n’étais pas surpris, parce qu’on voyait bien la vitesse à laquelle la technologie numérique affectait la musique. Je ne pense pas que ç’ait été une surprise. C’était inévitable. Et le fait que les maisons de disques se sentaient tellement menacées par tout ça signifiait que ça allait vraiment prendre racine. Aujourd’hui, nous en sommes là où nous en sommes, et comme je l’ai dit, il y a du bon et du mauvais dans tout. Ça a transformé l’industrie de la musique en une sorte de Far West. Les entreprises comme Spotify ou YouTube, et la façon dont les choses sont gérées, particulièrement au niveau financier, que veux-tu y faire ? « Vous allez devoir nous faire un procès si vous voulez récupérer quelque chose. » Ça se passe beaucoup comme ça. Tous ces gens qui expriment leurs revendications, ça me fait penser au Far West. Nous verrons bien comment ça va se finir. Quand quelque chose de nouveau arrive, il faut toujours un peu de temps avant que ça se tasse et qu’une certaine stabilité soit atteinte. Nous sommes toujours dans la période de tassement. Je n’ai pas été surpris par tout ça, mais les paris sont ouverts sur le temps que ça prendra pour se normaliser. On n’en sait rien.

Il y a cinquante ans, comment imaginais-tu les années 2020 ?

Oh mon Dieu, je n’y pensais pas beaucoup. J’ai soixante et un ans aujourd’hui, et même à mon âge, tu te crois toujours jeune, fais-moi confiance ! [Rires] Tu ne penses pas particulièrement à la vieillesse. Le monde tournait autour de moi et ce n’était pas une chose à laquelle je pensais, parce que j’étais obsédé par la musique, par le fait de créer de la musique et tout ce qui allait avec. Je n’étais pas vraiment le genre de gars qui se projetait beaucoup. J’ai tendance à suivre le mouvement, quel qu’il soit. Mon cerveau n’est pas assez philosophique pour s’inquiéter de ce type de problèmes. Je ne suis sans doute pas assez intelligent pour me poser des questions ! [Rires]

Interview réalisée par téléphone le 6 avril 2022 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Nicolas Gricourt.
Traduction : Tiphaine Lombardelli.

Site officiel de Thunder : www.thunderonline.com

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